Conformité
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 juillet 2023 par le Conseil d’État (décision n° 455810 du 13 juillet 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la Compagnie Gervais Danone portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts (CGI), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009–1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
Dans sa décision n° 2023-1063 QPC du 6 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « ou leur siège en France » figurant à la première phrase du premier alinéa du 2 de l’article 119 bis du CGI, dans cette rédaction.
I. – Les dispositions contestées
A. – Présentation des dispositions contestées
1. – Le régime fiscal des revenus distribués à des sociétés résidentes
* Aux termes de l’article 109 du CGI, sont considérés comme des revenus distribués tous les bénéfices ou produits réalisés par une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital, et toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices.
Font partie de ces revenus les dividendes, qui constituent la part des bénéfices réalisés par une société attribuée à ses associés à la fin d’un exercice1. Constituent également des revenus distribués les autres produits visés aux articles 108 à 117 bis du CGI, qui peuvent correspondre tant à des distributions régulières qui sont décidées par les organes sociaux (répartitions exceptionnelles, distribution à la suite d’une modification du capital, répartition d’un boni de liquidation, etc.) qu’à des distributions irrégulières, qui sont déguisées ou occultes.
Ces revenus sont imposés au titre de l’année au cours de laquelle est prise la décision de les distribuer ou, à défaut de la connaître, au titre de l’année d’imposition de l’exercice au cours duquel leur distribution a eu lieu.
* Lorsque des revenus distribués bénéficient à des personnes physiques, ils relèvent de la catégorie des revenus des capitaux mobiliers et sont en principe imposés de plein droit à un prélèvement forfaitaire unique (PFU)2.
S’agissant des personnes morales, dont le siège social est situé en France et qui sont, à ce titre, soumises à l’impôt sur les sociétés, les distributions qu’elles perçoivent sont, comme tout autre revenu, intégrées dans leur résultat imposable3.
Toutefois, en cas de résultat déficitaire, une société résidente n’est pas imposable à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice en cause et le déficit constaté au titre de cet exercice est considéré, dans certaines limites4, comme une charge déductible du résultat de l’exercice suivant. L’excédent de déficit est reportable, sans limitation de durée et dans les mêmes conditions, sur les exercices suivants5.
Il en résulte que les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, lorsqu’elles sont bénéficiaires, supportent une imposition sur les revenus distribués qu’elles perçoivent, tandis que lorsqu’elles sont déficitaires, elles ne sont pas imposables au titre de l’exercice ou des exercices en cause, mais voient le déficit dont elles peuvent se prévaloir réduit à hauteur du montant de ces revenus qui demeurent intégrés à leur résultat imposable6.
2. – La retenue à la source sur les revenus distribués à des sociétés non–résidentes (les dispositions objet de la décision commentée)
* Selon l’article 209 du CGI, seuls les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France sont passibles de l’impôt sur les sociétés7.
Le législateur a néanmoins prévu un dispositif spécifique pour assurer l’imposition des revenus de source française, et en particulier des revenus distribués, dont bénéficie une société non-résidente. En effet, afin de permettre à l’État français de percevoir des recettes fiscales sur ces revenus, les sociétés distributrices doivent s’acquitter d’une retenue à la source qui est exigible lors du versement de revenus distribués à une société non–résidente.
* Ce mécanisme de retenue à la source trouve son origine dans l’article 19 de la loi n° 59–1472 du 28 décembre 1959 portant réforme du contentieux fiscal et divers aménagements fiscaux, qui a procédé à la fusion de la taxe proportionnelle et de la surtaxe progressive. L’exposé des motifs de cette loi précisait à cet égard que « La fusion de la taxe proportionnelle et de la surtaxe progressive, dans un impôt unique, n’exclut nullement le maintien d’une retenue à la source, pour les revenus des capitaux mobiliers. La plupart des législations étrangères prévoient d’ailleurs une telle retenue, même lorsqu’elles consacrent expressément le principe de l’unité de l’impôt sur le revenu. Outre la commodité qu’il présente pour le Trésor, ce système de perception offre l’avantage de laisser subsister une imposition au titre de ce dernier impôt, lorsque les bénéficiaires de revenus de source française, ne sont pas astreints par la législation fiscale à souscrire, pour l’assiette dudit impôt, une déclaration comprenant lesdits revenus, ce qui est le cas des personnes physiques ou morales ayant leur domicile, leur résidence habituelle ou leur siège hors de la France métropolitaine »8.
* Les conditions de cette imposition sont aujourd’hui prévues par le 2 de l’article 119 bis du CGI qui dispose que les produits des actions et parts sociales ainsi que les revenus assimilés, visés aux articles 108 à 117 bis du CGI, donnent lieu à l’application d’une retenue à la source, quand ils sont versés à des personnes non–résidentes.
Le taux de droit commun de cette retenue à la source pour les personnes morales a varié, selon les années, de 25 à 30 %9. Il est toutefois de 15 % pour certains revenus, tels que les dividendes perçus par des organismes sans but lucratif qui auraient été imposés selon les modalités prévues au 5 de l’article 206 du CGI s’ils étaient établis en France10. À l’inverse, il est porté à 75 % lorsque le bénéficiaire de la distribution est établi dans un État ou un territoire dit non coopératif, sauf démonstration que cette distribution n’a pas pour but la fraude fiscale.
Cette retenue à la source s’applique sous réserve des conventions fiscales, dont les stipulations peuvent, par exemple, prévoir un taux moins élevé, voire une exonération totale d’imposition.
3. – La mise en conformité du régime de la retenue à la source avec le droit de l’Union européenne
* En principe, l’instauration d’une retenue à la source sur certains versements opérés au profit de personnes domiciliées à l’étranger n’est pas, en soi, contraire au droit de l’Union, dès lors qu’elle répond à la nécessité d’assurer un recouvrement efficace de la dette fiscale11. Toutefois, elle ne peut conduire à imposer plus lourdement ces personnes par rapport à celles qui sont domiciliées dans l’État membre en question, sauf à remettre en cause le principe de libre circulation des capitaux.
Cette exigence a conduit le législateur français à prévoir plusieurs aménagements du régime de la retenue la source prévue par le 2 de l’article 119 bis du CGI, afin d’en exclure l’application lorsque les revenus distribués sont versés à des sociétés relevant de régimes d’imposition particuliers.
C’est notamment le cas lorsque les revenus distribués bénéficient à des sociétés relevant du régime des sociétés mères12 ou à des organismes de placement collectif (OPC) établis dans l’Union européenne13.
* En revanche, le législateur n’avait initialement pas prévu de régime spécifique pour les sociétés non-résidentes dont le résultat imposable est déficitaire. Pour ces sociétés, comme pour les sociétés non-résidentes situées hors de l’Union européenne, l’imposition des dividendes de source française était ainsi immédiatement prélevée par la voie de la retenue à la source, alors que les sociétés résidentes déficitaires ne sont, pour leur part, soumises à l’impôt sur les sociétés sur ces dividendes, en vertu du droit commun, que lorsqu’elles redeviennent bénéficiaires au cours d’un exercice ultérieur, de manière différée, par le biais de la minoration du déficit reportable.
Cette absence de disposition spécifique en faveur des sociétés non-résidentes déficitaires s’est heurtée aux exigences de la libre circulation des capitaux dont peuvent se prévaloir les sociétés établies dans un autre État membre.
- Dans un premier temps, le Conseil d’État a considéré que cette situation ne méconnaissait pas la libre circulation des capitaux, au motif que les sociétés déficitaires, selon qu’elles étaient résidentes ou non-résidentes, ne pouvaient être regardées comme étant dans une situation comparable au regard de la nécessité pour le Trésor de recouvrer l’impôt et que cette différence de situation était de nature à justifier une différence de traitement.
Il a en effet considéré que s’il existait un décalage dans le temps entre le prélèvement de la retenue à la source sur les dividendes perçus par une société non résidente et l’imposition de ces mêmes dividendes à l’impôt sur les sociétés entre les mains d’une société résidente, ce décalage procédait d’une technique différente de perception, dont l’application était justifiée par une différence objective de situation selon la localisation de la société et qu’il en allait ainsi que la société soit dans une situation bénéficiaire ou déficitaire14.
Dans une décision du 23 décembre 2016, le Conseil d’État a adopté le même raisonnement pour en conclure que le principe d’égalité devant les charges publiques n’était pas méconnu et a ainsi refusé de renvoyer une QPC portant déjà sur le 2 de l’article 119 bis du CGI15.
- Néanmoins, à la suite d’une mise en demeure adressée aux autorités françaises par la Commission européenne, le 28 mars 201416, le législateur est intervenu pour prévoir un cas spécifique d’exonération en faveur de certaines sociétés non résidentes.
L’article 119 quinquies du CGI, issu de l’article 82 de la loi de finances rectificative pour 201517, a ainsi introduit, notamment pour les sociétés établies dans un État membre de l’Union européenne placées en liquidation judiciaire ou en cessation de paiement, une exonération de la retenue à la source appliquée sur les dividendes perçus au titre d’une participation dans une société française18.
- Malgré cette évolution du régime de la retenue à la source, la Commission européenne a adressé, le 17 mai 2017, un avis motivé à la France19, dénonçant le traitement fiscal désavantageux résultant, selon elle, de l’application du 2 de l’article 119 bis du CGI aux sociétés non-résidentes déficitaires ne pouvant bénéficier d’une exonération.
Saisi de nouveau de ces dispositions, le Conseil d’État, par une décision du 20 septembre 2017, a décidé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin qu’elle se prononce sur leur compatibilité avec le principe de libre circulation des capitaux20.
- En réponse à cette question préjudicielle, la Cour de justice a jugé que la perception d’une retenue à la source sur les dividendes distribués à une société non-résidente, lorsque celle-ci est en situation déficitaire, méconnaissait la libre circulation des capitaux.
Elle a en effet considéré que le régime de la retenue à la source « ne se limite pas à prévoir des modalités de perception de l’impôt différentes en fonction du lieu de résidence du bénéficiaire des dividendes d’origine nationale, mais est susceptible d’entraîner un report de l’imposition du revenu des dividendes sur un exercice ultérieur en cas de résultat déficitaire de la société résidente, voire une exonération en cas de cessation de ses activités en l’absence d’un retour à un résultat bénéficiaire (…)./ Partant, (…) ladite réglementation procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire qui n’est pas accordé aux sociétés non-résidentes déficitaires (…) ».
Elle a ainsi dit pour droit que « Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l’objet d’une retenue à la source lorsqu’ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu’ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l’impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l’exercice au cours duquel ils ont été perçus qu’à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes »21.
- Le Conseil d’État a lui-même tiré les conséquences de cet arrêt de la CJUE en revenant sur sa précédente décision du 9 mai 2012. Il a ainsi jugé que « le droit de l’Union européenne fait obstacle à ce qu’en application des dispositions du 2 de l’article 119 bis (du CGI), une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation de son État de résidence, en situation déficitaire »22.
Ainsi, une société établie dans un autre État membre, qui se trouve en situation déficitaire, est fondée à demander la restitution de la retenue à la source prélevée à tort sur les dividendes de source française qu’elle a perçus23.
Néanmoins, conformément à la « clause de gel » prévue par l’article 64 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)24 qui autorise les États membres à maintenir certaines restrictions à la circulation des capitaux à l’égard d’État tiers à l’Union européenne, le Conseil d’État a jugé que la libre circulation des capitaux ne s’opposait pas à ce que la retenue à la source prévue par le 2 de l’article 119 bis du CGI puisse être appliquée à des dividendes de source française versés à une société établie dans un État tiers, dont la participation dans la société distributrice pouvait être qualifiée d’investissement direct25.
*
Il résulte de cette mise en conformité progressive des dispositions renvoyées avec les exigences du droit de l’Union européenne que :
- les revenus distribués de source française perçus par les sociétés déficitaires établies en France ne sont pas imposés au titre de l’exercice en cause et tant qu’elles sont en situation déficitaire ; ils ne sont pris en compte dans la détermination du résultat imposable de ces sociétés que lorsqu’elles redeviennent bénéficiaires ;
- ces revenus, lorsqu’ils sont perçus par des sociétés déficitaires établies dans un autre État membre de l’Union européenne, ne peuvent pas être imposés au titre de la retenue à la source prévue par le 2 de l’article 119 bis du CGI, conformément à la jurisprudence précédemment rappelée du Conseil d’État tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE sur ce point ;
- à l’inverse, les sociétés déficitaires établies dans un État tiers demeurent redevables de la retenue à la source en application de la « clause de gel » prévue par le TFUE qui permet de maintenir, à leur égard, certaines restrictions à la libre circulation des capitaux.
* Tirant les conséquences des exigences de la jurisprudence européenne, le législateur a récemment réformé le régime de la retenue à la source. Il a ainsi décidé de maintenir une différence de traitement entre sociétés résidentes et sociétés non–résidentes, tout en adoptant au profit de ces dernières, un dispositif comprenant, à la fois, une possibilité de restitution de la retenue à la source et un report d’imposition.
L’article 235 quater du CGI, créé par l’article 42 de la loi n° 2019–1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, introduit ainsi la possibilité pour les sociétés étrangères déficitaires de demander la restitution temporaire de la retenue à la source. Cette restitution est assortie d’une imposition en report prenant notamment fin lorsque la société concernée redevient bénéficiaire.
Il y a lieu de préciser que ces nouvelles dispositions excluent de la restitution de la retenue à la source les sociétés bénéficiaires de distributions qui sont établies dans un État tiers et qui détiennent une participation dans la société distributrice assimilable à un investissement direct, en ce qu’elle leur permet « de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société »26.
Ce nouveau dispositif s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020.
B. – Origine de la QPC et question posée
La société française Compagnie Gervais Danone, dont le siège est situé à Paris, avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à la suite de laquelle l’administration fiscale avait remis en cause la déduction du bénéfice de cette société, au titre de l’exercice 2011, d’une subvention consentie à l’une de ses filiales de droit turc, la société Danone Tikvesli. Cette subvention avait en effet été considérée par l’administration fiscale comme constitutive d’un acte anormal de gestion caractérisant un transfert indirect de bénéfices à l’étranger.
En conséquence, l’administration fiscale avait réintégré le montant de cette subvention dans le résultat imposable de la société Compagnie Gervais Danone, en réduisant d’autant le déficit initialement constaté par cette société au titre de l’année 2011.
Parallèlement, l’administration avait considéré que la subvention litigieuse constituait un revenu distribué au profit de la société Danone Tikvesli au sens du 1° du 1 de l’article 109 du CGI, pour lequel la société mère, en tant qu’établissement payeur, était redevable d’une retenue à la source en application du 2 de l’article 119 bis du CGI et de l’article 187 du même code au taux conventionnellement plafonné de 15 %27.
La société Compagnie Gervais Danone avait toutefois contesté devant le juge de l’impôt le bien-fondé de ce rappel de retenue à la source au titre de l’année 2011 et en avait sollicité la décharge.
Par un jugement du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Montreuil avait fait droit à la demande de la société sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Toutefois, par un arrêt du 22 juin 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles avait annulé ce jugement et remis à la charge de la société la retenue à la source à laquelle elle avait été assujettie au titre de l’année 2011.
À l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, la société Compagnie Gervais Danone avait soulevé une QPC portant sur le 2 de l’article 119 bis du CGI.
Dans sa décision précitée du 13 juillet 2023, le Conseil d’État avait jugé que présentait un caractère sérieux le moyen tiré de ce que ces dispositions « portent atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce que, d’une part, dès l’origine, elles ont instauré une différence de traitement injustifiée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu’elles sont établies en France ou à l’étranger, dès lors que les premières ne sont pas imposées en France au titre des revenus qu’elles perçoivent au cours de l’exercice concerné, et d’autre part, depuis leur mise en conformité par le juge de l’impôt avec le droit de l’Union européenne, elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l’Union européenne lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d’un investissement direct, en vertu de la clause de gel prévue par l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
A. – Les griefs et la délimitation du champ de la QPC
La société requérante reprochait, d’une part, aux dispositions renvoyées de prévoir que les revenus distribués de source française perçus par les sociétés déficitaires établies à l’étranger donnent lieu à l’application d’une retenue à la source, alors que ces revenus ne sont pas imposés au cours de l’exercice concerné lorsqu’ils sont perçus par des sociétés déficitaires établies en France. Elle reprochait, d’autre part, à ces dispositions, telles qu’interprétées par le Conseil d’État en conformité avec le droit de l’Union européenne, de ne plus soumettre à une retenue à la source les revenus distribués perçus par les sociétés déficitaires établies dans un autre État membre de l’Union européenne, alors qu’une telle retenue continue à s’appliquer à ceux perçus par certaines sociétés établies en dehors de l’Union européenne. Il en résultait, selon la requérante, une différence de traitement injustifiée entre ces sociétés, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Dans la mesure où le grief de la société requérante visait les distributions bénéficiant à des sociétés établies hors de France, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « ou leur siège en France » figurant à la première phrase du premier alinéa du 2 de l’article 119 bis du CGI (paragr. 3).
B. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’application du principe d’égalité devant la loi en matière de différences de traitement résultant de l’application du droit de l’Union européenne
Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi garanti par ces dispositions « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Par ailleurs, « si, en règle générale, (le principe d’égalité) impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes »28.
Le Conseil constitutionnel a été confronté à plusieurs reprises à des dispositions instaurant, par l’effet d’un arrêt du juge européen, un traitement différencié entre les ressortissants de l’Union européenne et les ressortissants d’autres pays.
La situation ici visée est celle dans laquelle un dispositif législatif qui ne prévoyait pas, à l’origine, de distinguer selon le rattachement à l’Union européenne, est ensuite interprété par le juge français comme intégrant cette distinction, du fait de l’application du droit de l’Union européenne. Il en résulte alors une discrimination, puisque l’extension ou la limitation d’un dispositif aux ressortissants d’un État membre, du fait de l’application du droit de l’Union européenne, peut aboutir à créer, dans certains cas, une différence de traitement défavorable à l’égard des ressortissants nationaux (alors qualifiée de « discrimination à rebours » ou « discrimination par ricochet ») ou à l’égard des ressortissants d’États tiers, que la loi nationale ne prévoyait pas à l’origine.
Au fil de ses décisions, depuis la décision n° 2015-520 QPC, Société Metro Holding France SA29 jusqu’à la décision n° 2019-832/833 QPC, M. Marc S. et autre30, le Conseil constitutionnel a précisé le raisonnement qu’il suit pour déterminer si une telle discrimination est contraire ou non au principe d’égalité devant la loi.
1. – Le fondement du raisonnement : une mutation « européenne » de l’objet de la loi et un contrôle de l’absence de dénaturation de l’objet initial de la loi
Le Conseil constitutionnel a explicité le raisonnement sur lequel il fonde son contrôle du respect du principe d’égalité devant la loi dans les cas de discriminations « européennes » dans ses décisions nos 2019-813 QPC du 15 novembre 201931 et 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020.
En premier lieu, il s’attache à caractériser l’état du droit et s’assure de l’existence de la discrimination alléguée. Jusqu’à présent, celle-ci a toujours résulté de l’interprétation de la loi faite par le juge du fond, à la lumière des normes européennes. La confrontation de la norme française avec les exigences européennes a pour conséquence une modification de cette norme, dont il résulte la discrimination contestée. Le Conseil constitutionnel tire toutes les conséquences de cette mutation de la norme d’origine et considère qu’elle fait également évoluer l’objet de la loi. Ce point est important, puisque dans le contrôle du respect du principe d’égalité, le Conseil s’assure de la rationalité de la différence de traitement instaurée en la rapportant à l’objet de la loi et en vérifiant que la différence de situation censée justifier cette différence de traitement est bien également en rapport avec cet objet de la loi.
Une telle évolution de l’objet de la loi serait, par construction, toujours de nature à justifier la différence de traitement établie au profit des situations européennes, puisque cette différence de traitement est uniquement motivée par l’exigence de respect du droit de l’Union européenne qu’intègre ce nouvel objet de la loi. Il pourrait en aller ainsi alors même que l’intervention du droit de l’Union européenne ferait perdre tout sens au dispositif initial. C’est pourquoi, dans un deuxième temps de son raisonnement, le Conseil s’attache à identifier l’objet initial de la loi. Ceci lui permet de s’assurer qu’il n’y a pas une incompatibilité radicale entre ce qu’a entendu faire, initialement, le législateur français et ce qu’est devenue la loi une fois que le droit européen l’a faite évoluer. Le Conseil procède donc à un contrôle de l’absence de dénaturation, par le droit de l’Union européenne, de l’objet initial de la loi.
Dans le dernier temps de son raisonnement, et plus classiquement, il examine si une différence de situation ou un intérêt général est susceptible, au regard de cet objet de la loi « européanisé », de justifier la différence de traitement instaurée. Cette étape du raisonnement est toutefois largement déterminée par la nature même de la discrimination en cause : il s’agit de réserver un traitement plus favorable à certaines situations européennes au regard d’un objet de la loi qui vise, justement, à assurer le respect de la norme européenne.
2. – Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur de tels cas de discrimination « européenne »
Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel a censuré trois discriminations de ce type et en a jugé cinq autres conformes au principe d’égalité.
a) Les décisions de censure
* La première censure correspond à celle de la décision précitée n° 2015–520 QPC, Société Metro Holding France SA. Le Conseil constitutionnel était saisi de la différence de traitement instaurée par les dispositions du b ter du 6 de l’article 145 du CGI, « telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, […] entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères selon que les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droits de vote sont versés soit par une filiale établie en France ou dans un État autre qu’un État membre de l’Union européenne soit, à l’inverse, par une filiale établie dans un État membre de l’Union européenne ».
Les dispositions contestées s’appliquaient de la même manière aux situations transfrontalières intra-communautaires, aux situations purement internes et aux situations transfrontalières extracommunautaires.
Toutefois, pour assurer le respect du droit communautaire, en l’espèce la directive mère-fille32, le Conseil d’État avait neutralisé l’application de ces dispositions pour les situations intracommunautaires. Elles n’étaient donc plus applicables qu’aux situations internes et aux situations transfrontalières extracommunautaires. Il en résultait une discrimination au détriment tant des situations internes que des situations transfrontalières extracommunautaires.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a tout d’abord considéré que la différence de traitement ainsi instaurée ne reposait pas sur une différence de situation au regard de l’objet du régime fiscal en cause (« ces sociétés se trouvent, au regard de l’objet de ce régime fiscal, dans la même situation »33).
S’il a admis que le législateur avait entendu, par ce régime fiscal, « favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales », le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que « la différence de traitement entre les produits de titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales, est sans rapport avec un tel objectif »34. Cette première décision rend compte du fait que la différence de traitement était trop éloignée, dans sa justification, de l’objet initial de la disposition en cause.
* Le Conseil constitutionnel a réitéré cette solution dans sa décision n° 2016–553 QPC, Société Natixis35, portant sur une disposition qui ne différait de la disposition contrôlée dans la décision Metro Holding précitée que sur un seul point : elle permettait que bénéficient du régime des sociétés mères les produits de titres non assortis de droits de vote, dès lors que ces titres faisaient partie d’un ensemble dans lequel les titres assortis de droits de vote représentaient au moins 5 % du capital de la société. Se fondant expressément sur sa décision précédente, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition contestée.
* Enfin, dans sa décision n° 2017-660 QPC, Société de participations financière (dite « SOPARFI »)36, le Conseil constitutionnel a une nouvelle fois été confronté à une disposition législative dont le champ d’application et les effets avaient été modifiés par le droit de l’Union européenne.
Il résultait en effet de la jurisprudence du Conseil d’État relative à la contribution de 3 % sur les montants distribués, tirant les conséquences, sur ce point, d’un arrêt de la CJUE, « une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un État membre de l’Union européenne autre que la France ». Or, le Conseil constitutionnel a considéré que ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l’objet de la contribution, « qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d’origine et y compris ceux relevant du régime mère-fille issu du droit de l’Union européenne »37. La différence de traitement instaurée par l’effet du droit européen ne pouvait donc être fondée sur une différence de situation.
La question se posait alors de sa justification en vertu d’un objectif d’intérêt général. Or, la contribution ayant été instituée pour compenser une perte de recettes, le Conseil constitutionnel a jugé qu’un tel objectif de rendement ne constituait pas une raison d’intérêt général de nature à justifier « la différence de traitement instituée entre les sociétés mères qui redistribuent des dividendes provenant d’une filiale établie dans un État membre de l’Union et celles qui redistribuent des dividendes provenant d’une filiale établie en France ou dans un État tiers à l’Union européenne »38.
b) Les décisions de conformité
Ces décisions de validation reposent toutes sur le constat que « l’européanisation » de l’objet initial de la loi n’a pas conduit à dénaturer celui-ci et que, ce faisant, la différence de traitement instaurée se trouve justifiée, au regard de ce nouvel objet « européanisé », par une différence de situation fondée sur le caractère européen ou non des sujets de droit en cause.
* Dans la décision n° 2016–615 QPC du 9 mars 2017, Époux V.39, le Conseil constitutionnel était saisi de la différence de traitement instaurée par l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale entre les personnes affiliées au régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles affiliées au régime de sécurité sociale d’un autre État tiers. En effet, seules les secondes sont soumises à la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du patrimoine et aux autres contributions sociales portant sur ces revenus.
Cette différence de traitement résultait de ce que le Conseil d’État considérait que la CSG sur les revenus du patrimoine prévue à l’article L. 136–6 du code de la sécurité sociale, qui entre dans le champ du règlement européen n° 883/2004 du 29 avril 2004, est soumise au principe de l’unicité de législation posé par l’article 11 de ce règlement. Dès lors, une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne autre que la France ne peut être soumise à la CSG sur les revenus du patrimoine. En revanche, le règlement européen du 29 avril 2004 n’étant pas applicable en dehors de l’Union européenne, sauf accord international le prévoyant, ses dispositions ne faisaient pas obstacle à ce qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État tiers soit assujettie à cette contribution.
Le Conseil constitutionnel a estimé que la différence de traitement établie « entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d’un État tiers » était justifiée par une différence de situation entre les unes et les autres et qu’elle était en rapport direct avec l’objet de la loi. Plus précisément, le Conseil a implicitement considéré que l’objet de la loi avait évolué sous l’influence du droit de l’Union européenne (« ces dispositions ont pour objet d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union ») : il s’agissait ainsi d’éviter une double imposition des personnes affiliées à un régime européen de sécurité sociale, qui aurait constitué un frein à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. Un tel motif n’était pas pertinent à l’égard des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers.
* Le Conseil constitutionnel a reproduit ce raisonnement dans la décision n° 2018–699 QPC du 13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France40. Il était saisi d’une différence de traitement instaurée, du fait du droit européen, entre les groupes fiscalement intégrés, s’agissant de la neutralisation de la quote-part de frais et charges sur les dividendes perçus par une société mère, selon que leurs filiales étrangères sont établies ou non dans un État membre de l’Union européenne.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel s’est attaché à « l’objet initial » de la disposition contestée et à la portée nouvelle que le droit européen lui a conféré. Cet objet initial était « de définir l’un des avantages attachés à l’intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d’une unique société dotée de plusieurs établissements »41. Ces dispositions contestées ont vu leur portée étendue afin de respecter la liberté d’établissement garantie par l’article 49 du TFUE. Toutefois, le Conseil a considéré qu’« il ne résulte pas de la modification de leur portée une différence de traitement sans rapport avec l’objet de la loi »42.
* Dans la décision n° 2019–813 QPC du 15 novembre 2019, M. Calogero G., le Conseil constitutionnel était saisi de la différence de traitement fiscal des distributions de titres consécutives à une opération d’apport partiel d’actif, selon que la société apporteuse est installée dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État tiers.
L’objet initial des dispositions, qui imposaient une procédure d’agrément préalable pour bénéficier d’un régime fiscal plus favorable, était d’assurer le bénéfice de ce régime fiscal plus favorable aux seules opérations d’apport partiel d’actif effectuées à des fins de restructuration économique, en dehors de toute volonté de fraude ou d’évasion fiscales. Le droit de l’Union européenne, cependant, s’opposait à ce que la législation d’un État membre soumette l’octroi de tels avantages fiscaux à une procédure d’agrément préalable. Le Conseil a considéré que l’objet nouveau de la loi qui lui était soumise intégrait cette exigence européenne particulière.
Il a alors estimé qu’il ne résultait pas de « cette exigence découlant du droit de l’Union européenne une dénaturation de l’objet initial de la loi »43. Dans la mesure où la différence de traitement contestée se fondait bien sur une différence de situation, au regard de cet objet, entre les situations européennes et les situations non européennes, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
* Dans la décision n° 2019–832/833 QPC du 3 avril 2020, le Conseil constitutionnel était saisi de la différence de traitement fiscal des plus–values mobilières, selon que l’opération de cession a été réalisée dans le cadre de l’Union européenne ou qu’elle l’a été dans le cadre national ou en dehors de l’Union européenne. Dans le premier cas, ces plus-values pouvaient, en application du droit de l’Union européenne, bénéficier d’un abattement alors qu’elles ne pouvaient pas en bénéficier totalement dans le second.
Faisant application de la grille d’analyse qu’il avait retenue dans sa décision n° 2019–813 QPC précitée, le Conseil a, après avoir constaté la différence de traitement, jugé que « Toutefois, les régimes juridiques de report d’imposition applicables aux plus-values d’échange de titres visent à garantir une certaine neutralité fiscale à ces opérations en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l’impôt. Les dispositions contestées se sont bornées à adapter certains de ces régimes aux évolutions de la législation relative à l’imposition des plus-values. Le respect du droit de l’Union européenne impose de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d’échange de titres. D’une part, il ne résulte pas de cette exigence découlant du droit de l’Union européenne une dénaturation de l’objet initial de la loi. D’autre part, au regard de l’objet de la loi, telle que désormais interprétée, il existe une différence de situation, tenant au cadre, européen ou non, de l’opération d’échange de titres. Par conséquent, la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées est fondée sur une différence de situation et en rapport direct avec l’objet de la loi »44.
Sur la question de savoir si ces modifications induites par le droit de l’Union européenne avaient dénaturé l’objet initial de la loi, le commentaire de cette décision précise que « l’objet initial des régimes juridiques de report d’imposition est de garantir une certaine neutralité fiscale aux opérations d’échange de titres pour éviter que le contribuable soit contraint de céder les titres échangés pour payer l’impôt. À cet égard, les dispositions contestées se bornent à adapter ces régimes à l’évolution de la fiscalité sur les plus-values, sans remettre en cause, cet objet initial. Quant au droit de l’Union européenne, il impose seulement, pour les opérations européennes d’échange de titres, un renforcement du régime de neutralité fiscale qui s’y applique. Or, l’objet initial des dispositions étant justement d’assurer, à travers le temps, une certaine neutralité fiscale des opérations d’échange de titres, le renforcement de cette neutralité fiscale, au profit des seules opérations européennes, ne peut en aucun cas constituer une dénaturation de cet objet initial : l’intervention du droit européen n’a en rien fait perdre sa logique au dispositif d’origine ».
Ce même commentaire relève en outre que, « Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a ainsi eu l’occasion de juger qu’une discrimination à rebours "chimiquement pure", au titre de laquelle des situations nationales sont traitées moins favorablement que des situations européennes, n’était pas, en soi, contraire au principe d’égalité devant la loi. Elle ne le serait que s’il résultait de l’intervention du droit européen une dénaturation de l’objet initial du dispositif qui perdrait ainsi toute logique. Rien ne distingue donc, sur ce point, les discriminations à rebours au sens strict des discriminations opérées par le droit français entre les situations européennes et les situations non–européennes. / Une solution différente aurait restreint la souveraineté fiscale de la France sur les situations uniquement nationales, puisque ces dernières n’auraient jamais pu connaître un traitement différent des situations européennes correspondantes. Une telle limitation de la souveraineté fiscale de la France n’est pas exigée par le droit européen. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne refuse au contribuable d’un État membre le droit d’exciper du droit de l’Union européenne pour contester le fait que son État de résidence réserve un traitement fiscal plus favorable aux non-résidents. Aux yeux de la Cour, cette situation de discrimination à rebours ne caractérise en effet pas une restriction aux libertés de circulation protégées par l’Union européenne dès lors, au contraire, qu’elle incite et favorise l’entrée de capitaux ou d’agents économiques dans cet État ».
* Dernièrement, dans sa décision n° 2022–1014 QPC du 14 octobre 2022, le Conseil était saisi du mécanisme fiscal du précompte mobilier. Les dispositions contestées prévoyaient qu’une société mère qui redistribue des dividendes en provenance d’une filiale doit s’acquitter d’un précompte, dès lors, d’une part, que ces dividendes sont exonérés d’impôt sur les sociétés en application de l’article 216 du CGI et, d’autre part, que la société mère bénéficie d’un avoir fiscal si cette filiale est établie en France.
Il a à nouveau fait application de sa grille d’analyse en matière de discrimination à rebours, en caractérisant la différence de traitement résultant de l’intervention du droit de l’Union européenne. Il a ainsi considéré que les dispositions telles qu’interprétées par une jurisprudence constante « instaurent une différence de traitement entre les sociétés mères procédant à une redistribution des dividendes provenant de leurs filiales selon que ces dernières se situent dans un autre État membre de l’Union européenne ou qu’elles se situent en France ou en dehors de l’Union européenne »45.
Après avoir constaté que, « lors de leur adoption, les dispositions contestées avaient pour objet d’assurer l’effectivité du mécanisme de l’avoir fiscal qui permet d’éviter la double imposition des dividendes », le Conseil a relevé que « le respect du droit de l’Union européenne impose, afin d’éviter la double imposition des dividendes, que les sociétés mères ne soient pas redevables du précompte dès lors qu’elles ne bénéficient pas d’un avoir fiscal au titre des sommes qu’elles ont reçues de leurs filiales situées dans un autre État membre »46. Il a toutefois constaté que l’objet initial de la loi n’avait pas été dénaturé par cette évolution commandée par le droit de l’Union européenne, dès lors que « Les dispositions contestées qui, telles qu’interprétées, exonèrent ces sociétés mères du précompte, se sont ainsi bornées à adapter ce régime à leur situation »47. Le Conseil a ensuite considéré que cette différence de traitement instaurée par les dispositions contestées était fondée sur une différence de situation entre les sociétés mères, tenant à l’établissement de leur filiale en France, dans un autre État membre ou en dehors de l’Union européenne, qui était bien en rapport direct avec l’objet de la loi.
C. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tout d’abord rappelé que le principe d’égalité devant la loi, fondé sur l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (paragr. 4).
Puis, il a décrit le régime fiscal applicable aux revenus distribués de source française. Il a ainsi relevé qu’en application de l’article 209 du code général des impôts, les sociétés établies en France sont passibles de l’impôt sur les sociétés sur l’ensemble de leurs bénéfices ou revenus, qui comprennent les revenus distribués. Toutefois, en cas de déficit subi pendant un exercice, celles-ci ne sont pas imposées au titre de cet impôt à raison des revenus perçus au cours de l’exercice concerné. Le Conseil a ensuite constaté, s’agissant des sociétés non résidentes, que « Selon les dispositions contestées du 2 de l’article 119 bis du même code, les revenus distribués de source française perçus par des sociétés qui n’ont pas leur siège en France donnent lieu à l’application d’une retenue à la source » (paragr. 5 et 6).
* Faisant application de la grille d’analyse qu’il a développée en matière de discriminations à rebours, le Conseil constitutionnel a, dans le premier temps de son raisonnement, caractérisé la différence de traitement résultant de l’intervention du droit de l’Union européenne ainsi que de la jurisprudence du Conseil d’État.
À cet égard, si la société requérante imputait aux dispositions contestées deux discriminations qui se succédaient dans le temps, l’une, instituée depuis leur origine, et l’autre, résultant de leur mise en conformité, par voie prétorienne, avec le droit de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel n’a pas suivi l’invitation qui lui était ainsi faite à dissocier l’examen de ces dispositions au regard de l’évolution qu’elles avaient connue. En effet, lorsque le Conseil est saisi de dispositions faisant l’objet d’une interprétation constante du juge du filtre, il lui revient classiquement de les examiner telles qu’interprétées48. En l’espèce, il lui revenait ainsi d’apprécier la discrimination résultant des dispositions contestées à la lumière de l’interprétation qu’en avait faite le Conseil d’État pour les rendre conformes aux exigences du droit de l’Union Européenne.
Après avoir présenté l’arrêt du 22 novembre 2018 précité de la CJUE, le Conseil constitutionnel a ainsi constaté qu’« Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, tirant les conséquences de cet arrêt, qu’une retenue à la source ne peut être prélevée sur les revenus distribués perçus par une société déficitaire établie dans un État membre de l’Union européenne. En revanche, une telle retenue à la source s’applique aux revenus distribués perçus par une société déficitaire établie dans un État tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs au sens de la clause prévue par l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (paragr. 7).
Il en a déduit que les dispositions contestées, ainsi interprétées, instaurent une différence de traitement entre les sociétés déficitaires percevant des revenus distribués selon la localisation de leur siège, dès lors que seuls les revenus distribués perçus par une société établie en dehors de l’Union européenne, lorsqu’ils impliquent des investissements directs, sont soumis à l’application d’une retenue à la source (paragr. 8).
* Dans le deuxième temps de son raisonnement, le Conseil constitutionnel s’est attaché à vérifier si les exigences résultant du respect du droit de l’Union européenne avaient eu ou non pour effet de dénaturer l’objet des dispositions contestées.
À cette fin, il a d’abord constaté que l’objet initial de la loi était de garantir le recouvrement de l’imposition due à raison des revenus distribués de source française perçus par des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Il a ensuite relevé que « ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, en maintenant l’application d’une retenue à la source aux revenus distribués perçus par une société déficitaire établie dans un État tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, se sont bornées à adapter le champ d’application de la retenue à la source dans le respect du droit de l’Union européenne » (paragr. 9).
Le Conseil en a déduit que le dispositif de retenue à la source prévu par le droit interne, même après avoir ainsi intégré les exigences résultant du droit de l’Union européenne, avait bien conservé sa rationalité originelle et a dès lors jugé qu’il ne résultait pas de l’interprétation des dispositions contestées induite par le droit de l’Union européenne une dénaturation de l’objet initial de la loi (paragr. 10).
* Dans le dernier temps de son raisonnement, le Conseil constitutionnel a observé que la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées entre les sociétés déficitaires percevant des revenus distribués reposait sur une différence de situation, au regard de l’objet de la loi ainsi « européanisé », tenant à la localisation de leur siège. Il a en outre considéré que cette différence de traitement était bien en rapport direct avec l’objet de la loi (même paragr.).
Le Conseil constitutionnel a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (paragr. 11).
Les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 12).
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1 L’article L. 232–12 du code de commerce dispose que « Après approbation des comptes annuels et constatation de l’existence de sommes distribuables, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous forme de dividendes ».
2 Ce dernier inclut l’imposition au titre de l’impôt sur le revenu (à un taux de 12,8%) et celle au titre des prélèvements sociaux (à un taux de 17,2%). Le contribuable peut toutefois opter pour l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
3 En application de l’article 205 du CGI, l’impôt sur les sociétés est en effet établi sur les bénéfices de toute nature réalisés par chaque société. Il n’en va autrement, par exception, que lorsque celles-ci relèvent du régime dérogatoire applicable aux sociétés mères en vertu des articles 145 et 216 du CGI.
4 Le montant du déficit imputable sur le résultat d’un exercice donné est plafonné à un million d’euros, majoré de 50 % de la part du bénéfice imposable excédant ce montant (alinéa 3 du paragraphe I de l’article 209 du CGI).
5 Voir les dispositions précitées de l’article 209 du CGI.
6 Rapport n° 2301 sur le projet de loi de finances pour 2020 de M. Joël Giraud, fait au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale, déposé le 10 octobre 2019 (commentaire de l’article 12).
7 Cette disposition traduit le choix de la France pour l’application du principe de territorialité, selon lequel le bénéfice imposable est rattaché au territoire sur lequel est exploitée l’activité qui est à la source de ce bénéfice.
8 Exposé des motifs du projet de loi n° 227 portant réforme fiscale, déposé devant l’Assemblée nationale le 23 juillet 1959.
9 Article 187 du CGI. Il est actuellement égal à celui de l’impôt sur les sociétés prévu par le deuxième alinéa du I de l’article 219.
10 Article 187 du CGI et 2° de l’article 219 bis du même code.
11 Par exemple, dans l’affaire Belgique c/ Truck Center SA, la Cour de justice a jugé que la liberté d’établissement et la libre de circulation des capitaux ne font pas obstacle à une retenue à la source nationale sur les intérêts d’emprunt versés à des créanciers ayant leur siège dans un autre État membre lorsque les intérêts d’emprunt versés à des sociétés résidentes sont certes exemptés de cette retenue à la source, mais sont soumis au moins pour le même montant à l’impôt sur les sociétés dans le chef des bénéficiaires des intérêts (CJCE, 22 décembre 2008, Belgique c/ Truck Center SA, aff. 282/07). Voir également CJCE 12 juillet 2012, Commission c./ Royaume d’Espagne, aff. C-269/09, paragr. 64 et 73.
12 La retenue à la source ne s’applique pas, aux termes de l’article 119 ter du CGI, aux distributions de dividendes relevant du régime des sociétés mères prévu par la directive européenne du 30 novembre 2011 (directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents). Sont éligibles à ce régime les dividendes distribués par une société française soumise à l’impôt sur les sociétés au profit d’une société établie dans l’Union européenne ou dans un État partie à l’Espace économique européen, elle-même passible dans son État de résidence de l’impôt sur les bénéfices des sociétés qui y est applicable, sous réserve que la société européenne détienne directement, depuis au moins deux ans, au moins 10 % de sa filiale française, ou qu’elle prenne l’engagement d’une conservation d’un tel niveau de détention pendant au moins deux ans. Cette exonération a été étendue aux dividendes perçus en contrepartie d’une participation d’au moins 5 % au sein de la filiale française, à la condition que la société mère européenne soit privée de la possibilité d’imputer la retenue à la source dans son État de résidence. Ce tempérament relatif au niveau de participation minimum ouvrant droit au bénéfice de l’exonération de la retenue à la source résulte de la décision Denkavit de la CJUE rendue le 14 décembre 2006 (CJUE, 14 décembre 2006, Denkavit International BV et Denkavit France SARL, C-170/05) et vise à éliminer toute entrave à la liberté d’établissement en assurant le même traitement aux dividendes, qu’ils soient distribués à une société française ou établie dans l’Union européenne. En effet, dans le cadre du régime mère-fille français, le niveau de participation de la société mère française exigé est seulement de 5 %.
13 Cette exonération résulte également d’une modification de la loi adoptée à la suite d’une décision de la CJUE dans laquelle la Cour a jugé contraire à la libre circulation des capitaux la législation française qui soumettait les OPC étrangers à une retenue à la source alors que les OPCVM français n’acquittaient pas l’impôt sur les sociétés (CJUE, 10 mai 2012, Santander Asset Management SGIIC SA et autres, C-338/11 à C-347/11).
14 CE, Plénière, 9 mai 2012, Société GBL Energy, n° 342221 et 342222.
15 CE 23 décembre 2016, Sté Sofina, n° 398662, 398663, 398666.
16 Mise en demeure n° 2013/4244 du 28 mars 2014.
17 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
18 Cette exonération a été ouverte aux distributions effectuées au profit d’une société mère ayant son siège dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.
19 Memo/17/1280 du 17 mai 2017, cf. Feuillet Rapide Fiscal Social 29/17 du 22 juin 2017.
20 CE, 20 septembre 2017, Sté Sofina, n° 398662.
21 CJUE, 22 novembre 2018, Stés Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA, aff. C-575/17, paragr. 52, 53 et 79.
22 CE, 27 février 2019, Sté Sofina et autres, n° 398662.
23 CE, 5 novembre 2021, Min. c. Sté Filux, n° 433212.
24 Cet article prévoit notamment « L’article 63 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux ».
25 CE, 30 septembre 2019, Ministre c. Société Findim Investments, n° 418080.
26 1° du I de l’article 235 quater du CGI.
27 Le 2 de l’article 10 de la convention du 18 février 1987 conclue entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie prévoit que les distributions sont imposables dans l’Etat contractant dont la société qui les verse est un résident, sans pouvoir excéder 15 % de leur montant brut, si le bénéficiaire effectif est une société qui détient directement au moins 10 % du capital de la société qui paie les dividendes.
28 Voir par ex. : décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023, Société Nexta 2022 (Exclusion des opérations portant sur les titres et contrats financiers du champ de la révision pour imprévision), paragr. 3.
29 Décision n° 2015–520 QPC du 3 février 2016, Société Metro Holding France SA venant aux droits de la société CRFP Cash (Application du régime fiscal des sociétés mères aux produits de titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote).
30 Décision n° 2019–832/833 QPC du 3 avril 2020, M. Marc S. et autre (Exclusion de certaines plus-values mobilières du bénéfice de l’abattement pour durée de détention).
31 Décision n° 2019–813 QPC du 15 novembre 2019, M. Calogero G. (Exigence d’agrément pour l’exonération d’impôt sur le revenu des titres représentatifs d’un apport partiel d’actif par une société étrangère).
32 Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, modifiée par la directive 2003/123/CE du 22 décembre 2003.
33 Décision n° 2015–520 QPC précitée, cons. 8.
34 Ibidem, cons. 10.
35 Décision n° 2016–553 QPC du 8 juillet 2016, Société Natixis (Application du régime fiscal des sociétés mères aux produits de titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote II).
36 Décision n° 2017–660 QPC du 6 octobre 2017, Société de participations financière (Contribution de 3 % sur les montants distribués).
37 Ibidem, paragr. 7.
38 Ibid., paragr. 8.
39 Décision n° 2016–615 QPC du 9 mars 2017, Époux V. (Rattachement à un autre régime de sécurité sociale et assujettissement du patrimoine à la CSG).
40 Décision n° 2018–699 QPC du 13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France (Application de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus d’une société établie en dehors de l’Union européenne).
41 Ibidem, paragr. 8.
42 Ibid.
43 Décision n° 2019–813 QPC précitée, paragr. 9.
44 Décision n° 2019–832/833 QPC du 3 avril 2020, précitée, paragr. 13 et 14.
45 Décision n° 2022–1014 QPC du 14 octobre 2022, Société Schneider electric et autres (précompte mobilier), paragr. 9.
46 Ibid, paragr. 10.
47 Ibid, paragr. 10 et 11.
48 Voir, par exemple, la décision n° 2021-951 QPC du 3 décembre 2021, M. Nicolas R. (Refus de restitution d’objets placés sous main de justice), paragr. 8, et le commentaire de cette décision. Ainsi, lorsqu’il est saisi d’un grief qui s’attache à critiquer tant la portée originelle des dispositions de la loi que celle résultant de son interprétation par la jurisprudence, le Conseil refuse de contrôler les différents niveaux de lecture de la disposition qui lui est renvoyée dans une version donnée. En présence d’une interprétation de la Cour de cassation ou du Conseil d’État de la disposition contestée, il juge que son contrôle porte, non sur la disposition prise en elle-même, mais sur la portée que lui confère le juge en l’interprétant. Une telle interprétation est présumée s’appliquer rétroactivement à la disposition qu’elle concerne et, une fois intervenue, elle n’est plus dissociable du texte. Le Conseil constitutionnel considère donc qu’il lui appartient d’examiner les dispositions contestées uniquement à l’aune de l’interprétation jurisprudentielle constante que le Conseil d’État ou la Cour de cassation leur confère. Cette position se fonde sur les articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 qui précisent que la disposition législative contestée doit être « applicable au litige ou à la procédure ». Il n’en va différemment que dans le cas particulier dans lequel l’interprétation de la disposition contestée retenue par le juge du filtre qu’impose sa conformité aux engagements internationaux de la France conduirait à réfuter le caractère sérieux de la QPC. Dans un tel cas, « il n’appartient pas (…) au Conseil constitutionnel saisi d’une telle question prioritaire de constitutionnalité de tenir compte de cette interprétation pour conclure à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. /En revanche, ces mêmes exigences ne s’opposent nullement à ce que soit contestée, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la portée effective qu’une telle interprétation confère à une disposition législative, si l’inconstitutionnalité alléguée procède bien de cette interprétation » (sur ce point, voir la décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 M. Geoffrey F. et autre [Conditions d’incarcération des détenus], paragr. 9 et 10).