Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 986 du 28 juin 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. François F. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale (CPP).
Dans sa décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction » figurant au premier alinéa de l’article 385 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Dans cette affaire, MM. Alain Juppé, François Pillet et François Séners ont estimé devoir s’abstenir de siéger. Le Conseil constitutionnel a dûment constaté, conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, qu’il devait, en raison d’un cas de force majeure, déroger au quorum prévu par cet article.
I. – Les dispositions contestées
A. – Objet des dispositions contestées
1. – L’annulation des actes irréguliers de la procédure pénale
* La procédure pénale est constituée de l’ensemble des règles relatives à la constatation des infractions ainsi qu’à l’identification, l’appréhension, la poursuite et le jugement de leurs auteurs1. En vertu de l’article préliminaire du code de procédure pénale, elle doit « être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ».
Dans ce cadre, un acte ou une pièce qui méconnaît une règle de procédure peut être annulé par le juge si cette irrégularité porte sur une règle d’ordre public2, l’exercice des droits de la défense ou une « formalité substantielle » qui « a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne »3. Le caractère substantiel d’une formalité peut résulter de ce que le législateur a prévu qu’elle doit être respectée à peine de nullité ou être reconnu par la jurisprudence4.
Une telle nullité peut être soulevée, sous certaines conditions, tant au cours de la phase d’instruction que de la phase de jugement.
* Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, l’article 170 du CPP dispose que la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie, en toute matière, aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure. Peuvent être contestés sur ce fondement, d’une part, les actes accomplis par le juge d’instruction ou ses délégués5 afin d’approfondir les investigations et déterminer s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer l’affaire dont il est saisi devant une juridiction de jugement (interrogatoires, auditions, confrontations, transports, perquisitions, réquisitions, interceptions de correspondances, etc.) et, d’autre part, les actes d’enquête et de poursuite réalisés préalablement à la saisine du juge d’instruction6.
L’article 173 du CPP précise les conditions dans lesquelles la chambre de l’instruction peut être saisie par le juge d’instruction7, le procureur de la République8, la personne mise en examen, la partie civile ou le témoin assisté9, lorsqu’ils estiment qu’une nullité a été commise.
Les nullités ne peuvent toutefois pas être soulevées à tout moment de la phase d’instruction. Selon l’article 174 du CPP, lorsque la chambre de l’instruction est saisie d’une requête en nullité, tous les moyens pris de nullité de la procédure doivent lui être proposés. À défaut, les parties ne sont plus recevables à en faire état ultérieurement, sauf dans l’hypothèse où elles n’auraient pas pu les connaître10.
En outre, le premier alinéa de l’article 173-1 du CPP prévoit que, « sous peine d’irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf dans le cas où elle n’aurait pu les connaître » et ajoute qu’ « il en est de même s’agissant des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant chacun de ses interrogatoires ultérieurs »11.
Cette forclusion ne fait toutefois pas obstacle à l’annulation d’actes et de pièces de la procédure par la chambre de l’instruction elle-même qui dispose, sur le fondement de l’article 206 du CPP, de la possibilité de soulever d’office toute exception de nullité affectant une procédure dont elle est saisie12.
* En l’absence d’instruction préparatoire, qui n’est pas obligatoire en matière contraventionnelle ou correctionnelle, la juridiction de jugement peut être saisie directement d’une exception de nullité portant sur les actes effectués lors de l’enquête ou sur la citation directe13. Elle doit alors être présentée, sous peine d’irrecevabilité, in limine litis, c’est–à-dire avant toute défense au fond14.
* La nullité prononcée par la chambre de l’instruction ou la formation de jugement peut porter sur tout ou partie des actes ou pièces en cause15. Il est alors interdit d’en tirer aucun renseignement contre les parties, sous peine de poursuites disciplinaires pour les avocats et les magistrats.
La partie intéressée est ainsi assurée que l’acte ou la pièce en cause et les éventuels éléments de preuve qu’ils auraient permis de recueillir ne pourront pas être utilisés contre elle au cours de l’instruction ou de son jugement.
2. – La purge des nullités par l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement
Afin de sécuriser les procédures en cours, limiter les recours dilatoires et éviter, en particulier, l’annulation tardive d’une information, le législateur a encadré les conditions dans lesquelles l’annulation d’un acte peut être demandée en prévoyant un mécanisme de purge des nullités. Ce dernier rend en principe irrecevable devant la juridiction de jugement toute exception tirée de la nullité de la procédure antérieure à sa saisine.
Il s’applique tant en matière correctionnelle, lorsqu’une information judiciaire a été ordonnée, qu’en matière criminelle et constitue une forme de « déchéance du droit d’agir en nullité »16. La purge des nullités a pu être présentée comme « la contrepartie logique de la possibilité donnée aux parties de soulever les nullités de la procédure pendant le déroulement de l’instruction »17.
a. – La purge des nullités en matière correctionnelle
* En matière correctionnelle, le mécanisme de purge des nullités intervenant à la fin de l’information judiciaire a été institué par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale. Alors que seul le procureur de la République et le juge d’instruction disposaient jusqu’alors de la possibilité de saisir la chambre d’accusation18 d’une requête en nullité, cette loi a également ouvert cette possibilité aux parties. En contrepartie, le législateur les a privées du droit de se prévaloir, lors de l’audience de jugement devant le tribunal, de la nullité d’actes antérieurs à l’ordonnance de renvoi ou de la nullité de cette ordonnance, les parties ayant eu la possibilité de présenter des requêtes à cette fin pendant toute l’instruction préparatoire19.
Ce mécanisme résulte de la combinaison du dernier alinéa de l’article 179 du CPP et du premier alinéa de l’article 385 du même code. En application des premières dispositions, « Lorsqu’elle est devenue définitive, l’ordonnance [de renvoi devant le tribunal correctionnel] couvre, s’il en existe, les vices de la procédure ». Aux termes des secondes, « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction ».
L’ordonnance de renvoi étant ainsi réputée avoir purgé tous les vices de la procédure, une exception en nullité portant sur cette dernière est désormais irrecevable devant le tribunal correctionnel.
* L’article 385 du CPP apporte, toutefois, deux tempéraments à ce mécanisme :
- son deuxième alinéa prévoit qu’en cas de défaut de notification de l’ordonnance ou de l’arrêt de renvoi20 ou d’absence de certaines mentions21, le tribunal correctionnel est tenu de renvoyer la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction afin qu’elle soit régularisée ;
- son troisième alinéa dispose, quant à lui, qu’en cas de méconnaissance de l’article 175 du CPP, selon lequel le juge d’instruction doit notifier aux avocats des parties ou aux parties elles-mêmes l’avis de fin d’information et leur accorder un délai pour exercer certains droits, dont notamment celui de former une requête en nullité devant la chambre de l’instruction, « les parties demeurent recevables, par dérogation aux dispositions du premier alinéa, à soulever devant le tribunal correctionnel les nullités de la procédure ».
Ces tempéraments sont justifiés par le fait que le défaut de notification de l’avis de fin d’information, de l’ordonnance ou de l’arrêt de renvoi, ainsi que l’absence de certaines mentions relatives notamment aux faits incriminés, peuvent faire obstacle à l’exercice effectif du droit reconnu aux parties de former des requêtes en annulation au stade de l’instruction. Le législateur a ainsi prévu, selon la nature de l’irrégularité, qu’il soit procédé au renvoi de la procédure devant la juridiction d’instruction ou, afin d’éviter la réouverture de l’information, que les parties puissent directement soulever l’irrecevabilité en cause devant le tribunal correctionnel afin qu’il en connaisse.
* La Cour de cassation a apporté plusieurs précisions sur le mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle.
Elle juge ainsi de manière constante que le principe de purge des nullités s’oppose à la possibilité de demander devant le tribunal correctionnel la nullité de l’ordonnance de renvoi en rappelant que : « en dehors des cas prévus par les alinéas 2 et 3 de l’article 385 du Code de procédure pénale, cette juridiction n’a pas qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises, lorsqu’elle est saisie par le renvoi ordonné par le juge d’instruction »22.
Par ailleurs, saisie de plusieurs QPC portant sur ce mécanisme, elle a également considéré que « la purge par l’ordonnance de renvoi des vices dont peut être entachée l’information n’est pas contraire aux principes ou règles constitutionnels invoqués23, qu’elle est seulement destinée à éviter une remise en cause tardive de la procédure, qu’elle est justifiée par l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, et alors qu’au surplus la personne mise en examen et, de façon générale toutes les personnes parties à l’information, disposent du droit de saisir la chambre de l’instruction de requêtes en annulation, cette juridiction ayant le pouvoir de relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité des procédures qui lui sont soumises »24.
b. – La purge des nullités en matière criminelle
* En matière criminelle, le mécanisme de purge des nullités est prévu par le quatrième alinéa de l’article 181 du CPP, en vertu duquel « lorsqu’elle est devenue définitive, l’ordonnance de mise en accusation couvre, s’il en existe, les vices de la procédure », et par l’article 305-1 du même code.
Le Conseil constitutionnel a examiné ces dispositions dans sa décision n° 2021–900 QPC du 23 avril 202125 par laquelle il a jugé qu’elles étaient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense, au motif qu’elles ne prévoyaient aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d’information de l’intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure, et alors même que cette défaillance ne procédait pas d’une manœuvre de sa part ou de sa négligence.
* Tirant les conséquences de cette décision, le législateur est intervenu, dans le cadre de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, en vue de garantir que « l’accusé pourra contester la régularité de la procédure, avant sa comparution en jugement, devant le président de la chambre de l’instruction »26. Ainsi, un nouvel article 269-1, introduit au sein du CPP, dispose désormais que, « Lorsque l’accusé n’a pas été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l’avis de fin d’information judiciaire ou de l’ordonnance de mise en accusation et que cette défaillance ne procède pas d’une manœuvre de sa part ou de sa négligence, il peut saisir le président de la chambre de l’instruction, alors même que l’ordonnance de mise en accusation est devenue définitive et au plus tard trois mois avant la date de sa comparution devant la cour d’assises, d’une requête contestant les éventuelles irrégularités de la procédure d’information ».
B. – Origine de la QPC et question posée
À la suite de l’ouverture d’une information judiciaire, M. François F. avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris. Lors de l’appel formé contre le jugement de condamnation, le requérant avait sollicité l’annulation de certains actes de procédure, au motif que des moyens de nullité avaient été, selon lui, révélés postérieurement à l’audience du tribunal correctionnel.
La cour d’appel de Paris avait, d’une part, jugé irrecevable l’exception de nullité de la procédure invoquée par le requérant, conformément au mécanisme de purge des nullités prévu par l’article 385 du CPP, et avait, d’autre part, réformé partiellement le jugement.
À l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, le prévenu avait soulevé une QPC ainsi formulée : « Les dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale, en ce qu’elles ne prévoient pas qu’il soit dérogé au principe de la purge des nullités de procédure prévu par l’article 179 in fine du même code s’agissant des moyens de nullité dont le prévenu ne pouvait avoir connaissance avant la clôture de l’instruction, méconnaissent-elles le principe des droits de la défense et le droit à un recours effectif garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ».
Dans son arrêt du 28 juin 2023 précité, la Cour de cassation avait jugé que « la question posée présente un caractère sérieux, en ce que le mécanisme de la purge des nullités résultant de l’article 385, alinéa 1, du code de procédure pénale, ne prévoit pas d’exception en faveur de la personne prévenue qui n’a pu avoir connaissance du moyen de nullité que postérieurement à la clôture de l’instruction et n’a ainsi pu contester la régularité d’un acte de la procédure, ce qui est de nature à la priver du droit à un recours juridictionnel effectif et à porter atteinte à l’exercice des droits de la défense ». Elle l’avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
* La Cour de cassation n’ayant pas précisé, dans son arrêt de renvoi, la version dans laquelle étaient renvoyées les dispositions de l’article 385 du CPP, il revenait au Conseil constitutionnel de la déterminer lui-même, conformément à sa jurisprudence habituelle.
Le Conseil a ainsi jugé qu’il était saisi du premier alinéa de l’article 385 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes (paragr. 1).
* Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reprochait à ces dispositions de priver le prévenu de toute possibilité d’invoquer devant le tribunal correctionnel, saisi par une juridiction d’instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’avait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.
* Au regard de ces griefs, le Conseil a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction » figurant au premier alinéa de l’article 385 du CPP (paragr. 4).
* Certaines parties intervenantes faisaient par ailleurs valoir que les dispositions contestées ne prévoyaient pas devant le tribunal correctionnel d’exception au mécanisme de purge des nullités en cas de connaissance tardive des moyens de nullité, alors que des exceptions étaient prévues dans d’autres hypothèses où le prévenu a pu ignorer un élément de la procédure ou n’a pas été mis en mesure d’exercer ses droits. L’une d’elles critiquait en outre le fait que le prévenu ne bénéficiait pas de la même possibilité de soulever des nullités selon que le tribunal était saisi à la suite d’une enquête ou d’une information judiciaire. Il en résultait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice. Pour les mêmes motifs, certaines parties intervenantes considéraient que ces dispositions méconnaissaient le droit à un procès équitable et le « principe de sécurité juridique ».
A. – La jurisprudence constitutionnelle
1. – La jurisprudence relative aux droits de la défense
Le principe des droits de la défense trouve son fondement dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »27. Il a pour corollaire le principe du caractère contradictoire de la procédure, qui « implique notamment qu’aucune sanction ayant le caractère d’une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés »28, et fait partie, avec le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, des droits constitutionnels processuels qui découlent de la garantie des droits29.
Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le respect des droits de la défense s’impose tout au long de la procédure pénale – depuis la phase d’enquête30 jusqu’à celle de l’exécution des peines31.
Le Conseil a plusieurs fois appliqué ce principe à des procédures dans lesquelles la possibilité pour un justiciable de contester des irrégularités était limitée voire exclue. Par exemple :
– dans sa décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 201032, le Conseil a censuré l’article 575 du CPP qui avait pour effet, en l’absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer par la Cour de cassation la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l’instruction ;
– dans sa décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 201133, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation pour l’application de l’article 186 du CPP : cet article ne saurait, sans apporter une restriction injustifiée aux droits de la défense, être interprété comme excluant le droit du mis en examen de former appel d’une ordonnance du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention faisant grief à ses droits et qu’il ne pourrait plus utilement contester par la suite ;
– dans sa décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, le Conseil a censuré des dispositions qui permettaient que des informations de géolocalisation non versées au dossier de la procédure, auxquelles les parties n’avaient donc pas accès, soient utilisées comme élément de preuve dans le procès et prises en compte par la juridiction de jugement lorsqu'elle déclare le prévenu ou l'accusé coupable. Le Conseil a estimé qu’en permettant ainsi qu’une condamnation puisse être prononcée sur le fondement d’éléments de preuve alors que la personne mise en cause n’a pas été mise à même de contester les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis, ces dispositions méconnaissaient le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense qui « impliquent en particulier qu’une personne mise en cause devant une juridiction répressive ait été mise en mesure, par elle-même ou par son avocat, de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause »34 ;
– dans sa décision n° 2018-712 QPC du 8 juin 201835, le Conseil a censuré, sur le double fondement de l’atteinte aux droits de la défense et de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, l’impossibilité pour un justiciable, une fois la peine prescrite, de faire opposition au jugement qui l’a condamné par défaut, « lorsqu’[il] n’a pas eu connaissance de sa condamnation avant cette prescription et alors que des conséquences restent attachées à une peine même prescrite ». Deux éléments fondaient ainsi la censure. D’une part, l’impossibilité dans laquelle s’est trouvée la personne condamnée d’agir avant la prescription ; d’autre part, le fait que des conséquences soient encore attachées à la condamnation à laquelle on lui refuse d’agir en opposition ;
– dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui ont réformé le régime applicable lors de la fin de l’information judiciaire, tel que prévu par l’article 175 du CPP. Le Conseil a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable après avoir jugé que : « D’une part, en imposant aux parties un délai de quinze jours après l’envoi de l’avis de fin d’information pour décider si elles entendent présenter des observations sur cet avis et formuler ou présenter des demandes ou des requêtes, le législateur a entendu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, permettre un règlement plus rapide de l’information judiciaire qui ne puisse être remis en cause par l’exercice tardif de ses droits par une partie. / D’autre part, une fois que la partie a fait connaître son intention d’exercer ses droits, elle dispose pour ce faire, en vertu du dernier alinéa du paragraphe III de l’article 175, d’un délai d’un mois, si une personne mise en examen est placée en détention, ou de trois mois, dans les autres cas »36.
2. – La jurisprudence relative au droit à un recours juridictionnel effectif
Le droit à un recours juridictionnel effectif découle, comme les droits de la défense, de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Il implique qu’il ne doit pas « être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »37. Il s’applique en matière pénale, comme en matière civile ou administrative.
* Si la mise en œuvre de ce principe est susceptible d’être restreinte au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, le législateur est néanmoins tenu de prévoir des garanties de nature à assurer qu’il ne soit pas porté d’atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif38. La restriction ne saurait ainsi aller jusqu’à une privation complète de tout recours contre une décision défavorable.
Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré contraires à la Constitution les dispositions, en matière criminelle, selon lesquelles l’appel formé par l’accusé est caduc lorsque le président de la cour d’assises constate qu’il a pris la fuite et qu’il n’a pu être retrouvé avant l’ouverture du procès ou au cours de son déroulement. Il a considéré que si « ces dernières dispositions poursuivent l’objectif d’intérêt général d’assurer la comparution personnelle de l’accusé en cause d’appel afin que le procès puisse être utilement conduit à son terme et qu’il soit définitivement statué sur l’accusation », elles portent toutefois une atteinte disproportionnée au droit au recours, dès lors qu’elles « s’appliquent à l’accusé qui a régulièrement relevé appel de sa condamnation ; qu’elles le privent du droit de faire réexaminer l’affaire par la juridiction saisie du seul fait que, à un moment quelconque du procès, il s’est soustrait à l’obligation de comparaître tout en rendant immédiatement exécutoire la condamnation contestée »39.
* Une censure de la loi sur le fondement du droit à un recours juridictionnel effectif n’est cependant encourue que s’il n’existe aucune autre voie de droit susceptible de suppléer l’absence d’action directe contre la décision défavorable.
Dans sa décision n° 2011-153 QPC précitée, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé qu’« il est loisible au législateur, afin d’éviter, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les recours dilatoires provoquant l’encombrement des juridictions et l’allongement des délais de jugement des auteurs d’infraction, d’exclure la possibilité d’un appel par la personne mise en examen des ordonnances du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention qui feraient grief à ses droits lorsqu’existent d’autres moyens de procédure lui permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions qu’elles contiennent »40.
De la même manière, le Conseil constitutionnel juge que le droit à un recours juridictionnel effectif n’est pas méconnu par :
– l’impossibilité de déposer un recours contre une décision d’incarcération en vue d’une extradition ou de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, dans la mesure où l’intéressé peut à tout moment déposer une demande de mise en liberté à l’occasion de laquelle la régularité de son incarcération peut être contestée (décisions nos 2016-561/562 QPC du 9 septembre 201641 et 2016-602 QPC du 9 décembre 201642) ;
– l’impossibilité de former un recours contre la décision du président de la cour d’assises refusant d’approuver les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par un avocat commis d’office, dès lors que la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion du pourvoi en cassation contre sa condamnation éventuelle ainsi que par l’avocat lors d’une procédure disciplinaire43 ;
– ou encore la possibilité reconnue au juge d’instruction d’adopter une ordonnance de renvoi en dépit du recours exercé par la personne mise en examen contre une autre de ses ordonnances, dès lors, d’une part, que le justiciable a la possibilité d’alerter le président de la chambre de l’instruction du fait que le juge d’instruction l’a informé de son intention de clore son instruction dans le mois ; d’autre part, que l’irrégularité des premières ordonnances peut être contestée à l’occasion de l’appel formé contre l’ordonnance de règlement ; et, enfin, que, « en cas de saisine d’une juridiction de jugement à la suite d’une information judiciaire, les parties peuvent toujours solliciter un supplément d’information auprès de la cour d’assises, du tribunal correctionnel ou de la chambre des appels correctionnels »44.
* Par ailleurs, le droit à un recours juridictionnel effectif n’empêche pas l’existence de règles de recevabilité pour engager certaines actions en justice.
Le Conseil constitutionnel n’a ainsi pas censuré les exigences procédurales particulièrement strictes applicables aux recours contre les visites domiciliaires en matière fiscale, dès lors que « ces dispositions, indispensables à l’efficacité de la procédure de visite et destinées à assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte au droit du requérant d’obtenir, le cas échéant, l’annulation des opérations de visite »45.
Il en est allé de même dans la décision n° 2013-311 QPC du 17 mai 2013 s’agissant des règles de recevabilité strictes pour engager une action à l’encontre d’une entreprise de presse46.
* Ce droit impose toutefois, pour qu’une voie de contestation soit considérée comme une garantie, que la personne intéressée ait eu connaissance de la procédure engagée à son encontre.
Dans sa décision n° 2018-712 QPC précitée, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré, sur le double fondement de l’atteinte aux droits de la défense et de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, l’impossibilité pour un justiciable, une fois la peine prescrite, de faire opposition au jugement qui l’a condamné par défaut.
C’est également ce que le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021 relative à la purge des nullités en matière criminelle présentée ci-après.
D’une manière générale, le Conseil exige que la personne intéressée ait été régulièrement informée de la procédure pour être en mesure d’exercer utilement les recours dont elle dispose. Ainsi, il a jugé que ne respecteraient pas les exigences constitutionnelles précitées des dispositions qui, bien que prévoyant formellement un recours contre une décision faisant grief, ne garantiraient pas qu’il puisse être effectivement exercé en raison d’un délai qui commencerait à courir sans que la décision ait été portée à la connaissance du justiciable47.
* Le Conseil s’est prononcé à plusieurs reprises sur des mécanismes de purge des nullités interdisant, passé un certain délai ou à certains stades de la procédure, de contester, par voie d’exception, l’irrégularité de la procédure suivie jusqu’alors.
- Ainsi, dans sa décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, le Conseil constitutionnel a eu à connaître des dispositions de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme qui, afin de limiter certains contentieux en matière d’urbanisme, privait les requérants, passé six mois après la publication de documents d’urbanisme, de la faculté d’invoquer par voie d’exception devant les juridictions administratives l’illégalité tirée de vices de forme ou de procédure de ces documents. Après avoir constaté que « le risque d’instabilité juridique en résultant, qui est particulièrement marqué en matière d’urbanisme, s’agissant des décisions prises sur la base de ces actes [… et] eu égard à la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes », il s’est attaché au régime juridique de ce mécanisme. Il a alors observé que la restriction contestée était limitée à certains actes, que le législateur avait fait réserve des vices de forme ou de procédure qu’il a considérés comme substantiels et qu’il avait maintenu un délai de six mois au cours duquel toute exception d’illégalité peut être invoquée. Constatant par ailleurs que cette restriction n’avait « ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité ouverte à tout requérant de demander l’abrogation d’actes réglementaires illégaux ou devenus illégaux et de former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus explicites ou implicites », le Conseil a jugé qu’elle ne portait pas d’atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif48.
- Le Conseil constitutionnel a également validé, dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, les articles 12 et 57 de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité qui rendent irrecevables, devant le juge des libertés et de la détention, les irrégularités soulevées postérieurement à la première audience de prolongation du maintien en zone d’attente ou en rétention administrative. Pour écarter le grief tiré de l’atteinte au droit à un recours effectif, le Conseil a considéré « que les irrégularités qui ne pourront plus être soulevées postérieurement à la première audience de prolongation sont celles qu’il était possible d’invoquer lors de celle-ci ; qu’en exigeant que ces irrégularités soient soulevées lors de la première audience devant le juge des libertés et de la détention, les dispositions contestées poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice sans méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif »49.
* Le Conseil a été amené à se prononcer plus particulièrement sur les conditions dans lesquelles peuvent être soulevées des nullités de la procédure pénale.
- Dans sa décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, il était directement saisi des dispositions de l’article 179 du CPP instituant le mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle.
Dans cette affaire, les saisissants faisaient valoir que la purge par l’ordonnance du juge d’instruction des vices de la procédure avait pour effet qu’en l’absence de l’assistance obligatoire d’un avocat, les droits de la défense ne seraient pas également assurés pour tous.
Le Conseil constitutionnel a jugé, d’une part, que la purge des nullités de procédure par l’ordonnance de renvoi ne méconnaît, en elle-même, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle. D’autre part, il a constaté que la personne mise en examen et, de façon générale, toutes les parties à la procédure d’instruction, « disposent du droit de saisir la chambre d’accusation de requêtes en annulation au cours de l’information ». Enfin, relevant que la personne mise en examen est informée dès le début de l’instruction de sa possibilité d’en contester les actes et qu’elle a pu librement choisir d’être ou non assistée d’un avocat, le Conseil a rejeté le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense50.
- Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions de l’article 175 du CPP organisant le règlement de l’information judiciaire. Il a jugé que : « D’une part, en imposant aux parties un délai de quinze jours après l’envoi de l’avis de fin d’information pour décider si elles entendent présenter des observations sur cet avis et formuler ou présenter des demandes ou des requêtes, le législateur a entendu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, permettre un règlement plus rapide de l’information judiciaire qui ne puisse être remis en cause par l’exercice tardif de ses droits par une partie. D’autre part, une fois que la partie a fait connaître son intention d’exercer ses droits, elle dispose pour ce faire, en vertu du dernier alinéa du paragraphe III de l’article 175, d’un délai d’un mois, si une personne mise en examen est placée en détention, ou de trois mois, dans les autres cas »51. En conséquence, il a rejeté les griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit au procès équitable.
- En revanche, dans sa décision n° 2021-929/941 QPC du 14 septembre 2021, le Conseil a censuré, sur le fondement de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, des dispositions qui privaient les parties de la possibilité, en fin d’information judiciaire, d’obtenir l’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure qui serait entaché d’une irrégularité affectant leurs droits en matière d’injure ou de diffamation publiques52.
Comme l’expose le commentaire de cette décision, « cette restriction des droits des parties à la procédure d’instruction spécifiquement prévue en matière d’injure et de diffamation était intensifiée, s’agissant de la faculté de soulever des requêtes en annulation, par le mécanisme de purge des nullités applicable en matière correctionnelle. Or, en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, si les parties demeurent recevables à formuler des observations ou solliciter un supplément d’information devant le tribunal correctionnel, "il résulte de l’article 385 du code de procédure pénale qu’elles ne sont plus recevables, en principe, à soulever les nullités de la procédure antérieure" (paragr. 10). Les parties ne disposaient ainsi plus d’aucun moyen de soulever des nullités au stade du règlement de l’instruction, en dehors des cas limités tenant aux causes de nullité d’ordre public ou à la méconnaissance par le juge d’instruction des formalités prévues au titre des deux premiers paragraphes de l’article 175 du CPP ».
Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’« en matière d’injure ou diffamation publiques, les parties sont privées, dès l’envoi de l’avis de fin d’information, de la possibilité d’obtenir l’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure qui serait entaché d’une irrégularité affectant leurs droits »53, et ce, jusqu'au terme de la procédure. Il a donc censuré ces dispositions.
- Par ailleurs, comme précédemment mentionné, le Conseil s’est prononcé sur le mécanisme de purge des nullités en matière criminelle dans sa décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021. Après avoir constaté que l’accusé disposait de la possibilité de contester utilement les nullités avant qu’intervienne la purge des nullités, le Conseil a relevé que « l’exercice de ces voies de recours suppose que l’accusé ait été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l’avis de fin d'information ou de l’ordonnance de mise en accusation ».
Or, le Conseil constitutionnel a constaté que « les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d’information de l’intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure » et cela, « alors même que cette défaillance ne procède pas d’une manœuvre de sa part ou de sa négligence ». Il a dès lors jugé que les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense54.
Le commentaire de cette décision relevait à cet égard que, « Par ce constat, le Conseil constitutionnel a mis en exergue le fait que, dans ce cas, la garantie d’un recours utile avant la purge des nullités est privée d’effectivité. Or, ces situations ne résultent pas nécessairement d’une manœuvre de l’intéressé, comme le serait sa fuite, ni de sa négligence, comme le fait de ne pas avoir communiqué une nouvelle adresse ».
B. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tout d’abord rappelé les termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et la formulation de principe qui en résulte, selon laquelle « il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense » (paragr. 7).
Puis, le Conseil a décrit le mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle. À cet égard, il a relevé que l’article 179 du CPP prévoit que l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d’instruction couvre, s’il en existe, les vices de la procédure. Il a alors constaté que « Dans ce cas, en application des dispositions contestées de l’article 385 du même code, les parties ne sont plus recevables, en principe, à soulever devant ce tribunal les nullités de la procédure antérieure » (paragr. 8).
Le Conseil constitutionnel a ensuite examiné les différentes voies de droit ouvertes aux parties pour contester la régularité des actes de la procédure antérieure à leur renvoi devant le tribunal correctionnel.
À cet égard, il a relevé, d’une part, qu’en vertu de l’article 170 du CPP, en toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté. Par ailleurs, les articles 173-1 et 174 du même code soumettent à certaines conditions de recevabilité la possibilité de contester de tels actes ou pièces, « sauf dans le cas où les parties n’auraient pu connaître le moyen de nullité ». En outre, l’article 175 du CPP prévoit que des requêtes en nullité peuvent être présentées, dans un certain délai, à compter de l’envoi de l’avis de fin d’information (paragr. 9). Les parties disposent ainsi de la possibilité de contester, sous certaines conditions, la régularité d’un acte ou d’une pièce à différents moments de l’instruction.
D’autre part, le Conseil a relevé que, par dérogation au mécanisme de la purge des nullités prévu par les dispositions contestées, lorsque l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction a été rendue sans que les conditions prévues par le même article 175 aient été respectées, les parties demeurent recevables à soulever devant le tribunal correctionnel les nullités de la procédure (paragr. 10). Ce tempérament, prévu par le troisième alinéa de l’article 385 du CPP, permet ainsi de faire obstacle à la purge des nullités lorsque le juge d’instruction n’a pas notifié aux parties l’avis de fin d’information et qu’elles ont, de ce fait, pu être privées de la possibilité de soulever une nullité au stade de l’instruction55.
Le Conseil a dès lors constaté que l’ensemble de ces dispositions « garantissent [ainsi] que le prévenu a été en mesure de soulever utilement les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l’instruction » (paragr. 11).
Toutefois, le Conseil a relevé que « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient d’exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction » (paragr. 12). Il convient à cet égard de préciser que, si ces motifs font écho à ceux que le Conseil constitutionnel avait retenus dans sa décision n° 2021-900 QPC précitée pour fonder la censure des dispositions de l’article 181 du CPP ne prévoyant aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d’information de l’intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de la procédure56, le Conseil a ici constaté une lacune d’une autre nature. Au cas présent, l’ignorance dans laquelle pouvait se trouver le prévenu auquel était opposée la purge des nullités trouvait en effet son origine, non dans un défaut de communication d’un acte ou d’une pièce de la procédure, mais dans le seul constat qu’il pouvait avoir été dans l’incapacité même de connaître des informations susceptibles d’avoir une incidence sur la régularité de ces actes ou pièces avant que n’intervienne la clôture de l’instruction.
Or, dans cette hypothèse, le prévenu ne disposait d’aucune voie de droit lui permettant de contester l’irrégularité dont il pouvait avoir ainsi connaissance tardivement.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution (paragr. 13).
* S’agissant des effets dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil a considéré que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait entraîné des conséquences manifestement excessives et a reporté la date de leur abrogation au 1er octobre 2024 (paragr. 15).
En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il jugé que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction. Il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité » (paragr. 16). Par cette référence expresse à l’office de la juridiction compétente, le Conseil a entendu préciser que sa décision ne préjugeait en rien l’incidence de la présente déclaration d’inconstitutionnalité sur les procédures pénales en cours.
_______________________________________
1 Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, 4e édition, 2015.
2 Soit une règle relative notamment au fonctionnement des juridictions ou à la procédure.
3 Article 171 du CPP.
4 Voir notamment, Cass. crim. 10 octobre 2006, n° 06-81.841.
5 Officiers et agents de police judiciaire agissant en commission rogatoire.
6 En revanche, les actes juridictionnels susceptibles d’appel ne peuvent faire l’objet d’une requête en annulation (quatrième alinéa de l’article 173 du CPP). Ces actes sont pris, suivant les cas, par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention (JLD) pour restreindre ou priver de liberté les individus mis en examen (contrôle judiciaire, assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique, détention provisoire), pour arbitrer les demandes qui leur sont adressées par les parties tout au long de l’information et, enfin, pour organiser celle-ci (depuis l’ouverture jusqu’à la clôture de l’instruction).
7 Premier alinéa de l’article 173 du CPP.
8 Deuxième alinéa du même article.
9 Troisième alinéa du même article.
10 La Cour de cassation a, par exemple, approuvé la chambre de l’instruction qui, pour déclarer irrecevables des requêtes aux fins d’annulation d’une ordonnance d’expertise et de deux ordonnances complémentaires et indivisibles, avait constaté que ces requêtes avaient été déposées plus de six mois après des interrogatoires des mis en examen au cours desquels leurs avocats avaient émis les plus expresses réserves sur la régularité de la désignation de l’expert, « dès lors que l’intérêt à agir des demandeurs était né avant que leur soient notifiées les conclusions du pré-rapport et du rapport d’expertise » (Cass. crim., 25 octobre 2011, n° 11-84.485).
11 Les deuxième et troisième alinéas de cet article précisent : « Il en est de même pour le témoin assisté à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieures. / Il en est de même pour la partie civile à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieures ». La Cour de cassation a refusé de renvoyer une QPC relative à ces dispositions en relevant que : « le délai imparti à la personne mise en examen, par la disposition législative contestée, qui est destiné à éviter une remise en cause tardive de l’information de nature à fragiliser la procédure, est justifié par l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, et alors qu’au surplus, d’une part, la chambre de l’instruction a le pouvoir de relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité des procédures qui lui sont soumises, et, d’autre part, la personne mise en examen a toujours la faculté de discuter la valeur probante des pièces de la procédure devant la juridiction de jugement » (Cass. crim. 20 juillet 2011, n° 11–83.194 ; v. également : Cass. crim., 8 janvier 2013, n° 12-86.591).
12 Cet article prévoit ainsi que « la chambre de l’instruction examine la régularité des procédures qui lui sont soumises » et précise que, « si elle découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l’acte qui en est entaché et, s’il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure ». La chambre de l’instruction dispose en particulier de cette faculté en cas d’appel formé contre l’ordonnance de règlement adoptée à l’issue de l’information renvoyant une affaire devant une juridiction de jugement.
13 Quatrième alinéa de l’article 385 du CPP.
14 Sixième alinéa de l’article 385 du CPP (voir, à cet égard, Cass. crim., 19 septembre 1994, n° 93-85.641, 10 juin 1998, n° 97–80.421 ou 26 janvier 2005, n° 04-81.396).
15 Lorsqu’ils sont annulés en totalité, ces actes et pièces sont retirés du dossier d’information et classés au greffe de la cour d’appel. Lorsqu’ils ne le sont que partiellement, ils sont cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original, classée au greffe de la cour d’appel (dernier alinéa de l’article 174 du CPP).
16 Thomas Lebreton, « Les nullités devant les juridictions pénales de jugement », La Gazette du Palais, n° 26, 13 juillet 2020, p. 18. Le champ d’application de ce mécanisme a toutefois été restreint par la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en matière criminelle comme en matière correctionnelle, considère que les nullités d’ordre public ne peuvent jamais faire l’objet d’une purge par l’effet de l’ordonnance de renvoi. Parmi ces nullités, figurent par exemple le défaut de prestation de serment des experts non-inscrits (Cass. crim., 25 juillet 1979, n° 79-91.258) ou le manquement aux règles de désignation du juge d’instruction (Cass. crim., 24 janvier 1984, n° 83-94.417).
17 Exposé des motifs du projet de loi n° 434 (Sénat, 1997-1998), relatif aux alternatives aux poursuites et renforçant l’efficacité de la procédure pénale, déposé le 14 mai 1998.
18 Il s’agit de l’ancienne appellation de la chambre de l’instruction, juridiction d’instruction du second degré.
19 Exposé des motifs du projet de loi portant réforme de la procédure pénale, n° 2585, déposé le 26 février 1992 à l’Assemblée nationale.
20 Les modalités de la notification de l’ordonnance du juge d’instruction sont prévues par l’article 183 du CPP. Celles relatives à la notification de l’arrêt de la chambre de l’instruction sont prévues par l’article 217 du CPP.
21 Ces mentions sont prévues à l’article 184 du CPP : il s’agit des nom, prénoms, date, lieu de naissance, domicile et profession de la personne mise en examen, de la qualification légale du fait qui lui est imputé et, de façon précise, des motifs pour lesquels il existe ou non contre elle des charges suffisantes.
22 Cass. crim., 5 mars 2003, n° 01-87.045.
23 Il s’agissait « des principes fondamentaux » et du principe d’égalité des citoyens devant la justice.
24 Cass. crim., 27 septembre 2011, n° 11-90.082. Voir également : Cass. crim., 12 février 2013, n° 12-90.072. Sur l’impossibilité pour la juridiction de jugement de relever d’office une exception de nullité, voir notamment Cass. crim., 7 mai 2018, n° 17-82.826. Plus récemment, saisie d’une QPC dans laquelle le requérant critiquait ce mécanisme au motif qu’il ne prévoyait pas d’exception « notamment dans le cas où la personne poursuivie n’a pas été régulièrement mise en examen et n’a pas pu exercer les droits attachés à la qualité de partie à la procédure », la Cour de cassation a jugé, en se référant au second tempérament précité, que « La question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que le mécanisme de la purge des nullités résultant des articles 179, alinéa 6, et 385, 1er alinéa, du code de procédure pénale, s’accompagne d’une exception prévue à l’alinéa 3 de l’article 385 précité, tel qu’interprété par la Cour de cassation, permettant à la personne poursuivie, lorsque les conditions prévues à l’article 175 du même code n’ont pas été respectées, de soulever devant le tribunal les nullités de la procédure. Les juges ne peuvent écarter l’application de cette disposition que s’ils constatent que l’intéressé est en fuite (Crim., 11 janvier 2017, pourvoi n° 16-80.619, Bull. crim. 2017, n° 16), ce qui n’est pas le cas lorsque la personne est seulement détenue à l’étranger (Crim., 5 janvier 2022, pourvoi n° 21-82.484, publié au bulletin) » (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 22-81.806). La Cour juge, par ailleurs, que le mécanisme de la purge des nullités n’est pas contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison de la possibilité pour les parties de discuter contradictoirement des éléments de preuve devant la juridiction de jugement (voir, par exemple, Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-87.757 ; Cass. crim., 16 janvier 2013, n° 11-83.689).
25 Pour une présentation exhaustive de la purge des nullités en matière criminelle, voir le commentaire de la décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, M. Vladimir M. (Purge des nullités en matière criminelle).
26 Exposé sommaire de l’amendement n° COM-74 de M. Bonnecarrère et Mme Canayer, rapporteurs pour la commission des lois du Sénat du projet de loi n° 630 (Sénat, 2020-2021) pour la confiance dans l’institution judiciaire, transmis par l’Assemblée nationale le 26 mai 2021.
27 Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 41.
28 Décision n° 2020-864 QPC du 13 novembre 2020, Société Route destination voyages (Redressement des cotisations et contributions sociales sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé), paragr. 5.
29 Décision n° 2011-168 QPC du 30 septembre 2011, M. Samir A. (Maintien en détention lors de la correctionnalisation en cours d’instruction), cons. 4.
30 Le Conseil constitutionnel a notamment affirmé que le principe du libre entretien avec un avocat d’une personne gardée à vue constitue « un droit de la défense qui s’exerce durant la phase d’enquête de la procédure pénale » (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale, cons. 12).
31 Décision n° 86-214 DC du 3 septembre 1986, Loi relative à l’application des peines.
32 Décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc-Roussillon et autres (Article 575 du code de procédure pénale).
33 Décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, M. Samir A. (Appel des ordonnances du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention).
34 Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, Loi relative à la géolocalisation, cons. 25 et 26.
35 Décision n° 2018-712 QPC du 8 juin 2018, M. Thierry D. (Irrecevabilité de l’opposition à un jugement par défaut lorsque la peine est prescrite), paragr. 7 à 14.
36 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 238 à 240.
37 Décision n° 2023-1061 QPC du 28 septembre 2023, Mme Cindy B. (Prescription de l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice), paragr. 5.
38 Décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020, Mme Samiha B. (Condition de paiement préalable pour la contestation des forfaits de post-stationnement), paragr. 9.
39 Décision n° 2014-403 QPC du 13 juin 2014, M. Laurent L. (Caducité de l’appel de l’accusé en fuite), cons. 5 et 6.
40 Décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, M. Samir A. (Appel des ordonnances du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention), cons. 5.
41 Décision n° 2016-561/562 QPC du 9 septembre 2016, M. Mukhtar A. (Écrou extraditionnel), paragr. 14.
42 Décision n° 2016-602 QPC du 9 décembre 2016, M. Patrick H (Incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen), paragr. 17.
43 Décision n° 2018-704 QPC du 4 mai 2018, M. Franck B. et autre (Obligation pour l’avocat commis d’office de faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le président de la cour d’assises), paragr. 9.
44 Décision n° 2018-705 QPC du 18 mai 2018, Mme Arlette R. et autres (Possibilité de clôturer l’instruction en dépit d’un appel pendant devant la chambre de l’instruction), paragr. 6 à 11.
45 Décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres (Perquisitions fiscales), cons. 9.
46 Décision n° 2013-311 QPC du 17 mai 2013, Société Écocert France (Formalités de l’acte introductif d’instance en matière de presse), cons. 5.
47 Décision n° 2014-406 QPC du 9 juillet 2014, M. Franck I. (Transfert de propriété à l’État des biens placés sous main de justice), paragr. 12.
48 Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, cons. 2 et 4.
49 Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cons. 27.
50 Décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale, cons. 25.
51 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 238 et 239.
52 Décision n° 2021-929/941 QPC du 14 septembre 2021, Mme Mireille F. et autre (Limitation des droits des parties en fin d’information judiciaire en matière d’injure ou de diffamation publiques).
53 Ibidem, paragr. 11.
54 Décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021 précitée, paragr. 8 à 13.
55 Auparavant, ce tempérament était spécifique à la purge en matière correctionnelle. Tirant les conséquences de la décision n° 2021-900 QPC précitée, le législateur a introduit un tempérament semblable pour la purge en matière criminelle à l’article 269-1 du CPP.
56 Dans cette dernière décision, le Conseil avait considéré que le défaut d’information de l’intéressé de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l’avis de fin d’information ou de l’ordonnance de mise en accusation était susceptible de ne pas lui avoir permis de contester utilement les irrégularités de procédure avant qu’intervienne la purge des nullités. Dans la présente affaire, le Conseil reconnaît que l’impossibilité pour le prévenu de connaître d’une irrégularité avant la clôture de l’instruction, quelle qu’en soit la cause, peut également faire obstacle à ce qu’il puisse la contester utilement.