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Commentaire de la décision 2023-1058 QPC

15/09/2023

Conformité

 

 

* Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 797 du 24 mai 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Roméo N. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et de l’article 222-23-3 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

 

Dans sa décision n° 2023-1058 QPC du 21 juillet 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et la référence « 222-23-1 » figurant à l’article 222-23-3 du même code, dans cette rédaction.

 

* Dans cette affaire, Mme Véronique Malbec a estimé devoir s’abstenir de siéger.

 

De manière inédite, ce déport fait l’objet d’une mention dans les visas de la décision.

 

En effet, jusqu’à présent, l’information relative au déport de tel ou tel membre du Collège faisait uniquement l’objet d’une mention dans le commentaire de la décision correspondante. La décision objet du présent commentaire marque donc une évolution de la pratique du Conseil constitutionnel, afin d’en assurer pleinement la transparence au sein même des décisions concernées1.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Objet des dispositions contestées

 

Si le droit pénal des infractions sexuelles est organisé autour du critère de l’absence de consentement de la victime2, la nécessité d’assurer la protection des mineurs, et en particulier des mineurs âgés de moins de quinze ans, contre les abus sexuels a conduit le législateur à instituer des règles spécifiques qui ne font pas toutes appel à la notion de consentement (1.). Cette protection a été renforcée par la loi du 21 avril 2021 précitée qui a notamment créé deux nouvelles incriminations de viol et d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans (2.).

 

1. – La protection pénale des mineurs victimes d’infractions sexuelles

 

Le code pénal assure la protection des mineurs contre les abus sexuels de deux manières : d’une part, en faisant de la minorité une circonstance aggravante des infractions sexuelles de droit commun et, d’autre part, en instituant des infractions sexuelles spécifiques dont la minorité de la victime est un élément constitutif3.

 

a. – La minorité comme circonstance aggravante des infractions sexuelles de droit commun

 

* Parmi les infractions sexuelles, le code pénal distingue notamment le viol, qui implique un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur4, des autres agressions sexuelles.

 

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle5 et la peine est portée à vingt ans de réclusion lorsqu’il est commis sur un mineur de quinze ans6.

 

Les autres agressions sexuelles sont quant à elles punies de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende7 et la peine est portée à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque l’agression sexuelle est imposée à un mineur de quinze ans8.

 

La minorité de quinze ans constitue ainsi une circonstance aggravante des infractions de droit commun de viol et d’agression sexuelle.

 

* Ces infractions ont en commun de n’être constituées que si elles sont « commise[s] avec violence, contrainte, menace ou surprise »9.

 

Bien que l’absence de consentement de la victime ne soit pas expressément mentionnée comme élément constitutif de ces infractions, l’emploi de l’un de ces moyens – qualifiés d’adminicules10 – par l’auteur des faits est de nature à la caractériser. Il incombe donc au juge de déterminer les conditions dans lesquelles l’acte sexuel a été imposé à la victime, en caractérisant le recours à la violence, l’usage d’une contrainte, l’emploi de menaces ou l’existence de manœuvres destinées à tromper le consentement.

 

Compte tenu de la difficulté de procéder à cette caractérisation lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans, la Cour de cassation a admis que la contrainte ou la surprise et, par suite, le défaut de consentement, puissent se déduire du très jeune âge de la victime11.

 

L’application de cette jurisprudence par les juridictions du fond s’étant toutefois révélée incertaine, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour préciser les notions de contrainte et de surprise.

 

Ainsi, la loi du 8 février 201012 a introduit dans le code pénal un article 222-22-1 prévoyant que la contrainte « peut être physique ou morale » et précisant que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

 

Le législateur est intervenu à nouveau en 2018, à la suite de deux affaires judiciaires ayant suscité un vif émoi au sein de l’opinion publique13. L’exposé des motifs du projet de loi à l’origine de la loi du 3 août 201814, précitée, relevait en effet que les dispositions du code pénal relatives aux infractions sexuelles « suscitent devant les juridictions des débats complexes et parfois contestables quant à la possibilité pour un mineur en dessous d’un certain âge de consentir en connaissance de cause à un acte sexuel avec une personne majeure. Ces débats peuvent aboutir, dans certains cas, à des décisions d’acquittement ou de relaxe difficilement compréhensibles ».

 

L’article 222-22-1 du code pénal a donc été complété afin de préciser davantage ce que recouvrent les notions de contrainte morale et de surprise lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur. En ce cas, la contrainte morale ou la surprise peuvent, l’une et l’autre, résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, « cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur ». Par ailleurs, lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, « la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes »15.

 

Il s’agit ainsi de faciliter, en matière de viol ou d’agression sexuelle commise sur un mineur, la démonstration de la contrainte ou de la surprise.

 

b. – La minorité comme élément constitutif d’infractions sexuelles spéciales

 

* Les articles 227-21-1 à 227-28-3 du code pénal16 répriment certaines infractions sexuelles pour lesquelles la minorité de la victime est un élément constitutif de l’infraction17.

 

En particulier, l’article 227-25 de ce code punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende « le fait, pour un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans ». Cette disposition réprime ainsi tout acte de nature sexuelle, avec ou sans pénétration, commis par un majeur sur un mineur de quinze ans quand bien même il serait commis sans violence, contrainte, menace ou surprise18.

 

La peine est portée à dix d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque cette atteinte sexuelle est commise par une personne majeure ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ou par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, ou encore lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communication électronique19.

 

La « majorité sexuelle » est ainsi fixée à quinze ans : dès lors qu’elles sont consenties, les relations sexuelles entre un majeur et un mineur de quinze à dix-huit ans ne font en principe l’objet d’aucune incrimination.

 

Toutefois, l’article 227-27 du code pénal punit d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende les atteintes sexuelles sur un mineur âgé de plus de quinze ans lorsqu’elles sont commises par toute personne majeure ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou par une personne majeure qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

 

2. – La création de deux nouvelles infractions spéciales par la loi du 21 avril 2021

 

* Ayant pour origine une proposition de loi déposée au Sénat20, la loi du 21 avril 2021 a créé, « dans le même objectif de mieux protéger les mineurs »21, deux nouvelles infractions de viol et d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans22.

 

– Un nouvel article 222-23-1 a été inséré au sein du code pénal, dont le premier alinéa dispose que, « Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans » (les premières dispositions objet de la décision commentée).

 

Ces dispositions répriment ainsi tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans23, à la condition qu’il existe une différence d’âge d’au moins cinq ans entre ces derniers24, sans donc qu’il soit besoin de caractériser le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise.

 

Le second alinéa de ce même article précise que cette condition de différence d’âge n’est pas applicable si les faits sont commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

 

En vertu de l’article 222-23-3 du code pénal, ce crime est puni de vingt ans de réclusion criminelle (les secondes dispositions objet de la décision commentée).

 

– Dans la même logique, un nouvel article 222-29-2 a été inséré au sein du code pénal afin de prévoir que, « Hors le cas prévu à l’article 222-29-1, constitue également une agression sexuelle punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende toute atteinte sexuelle autre qu’un viol commise par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ».

 

Son second alinéa précise, de la même manière, que la condition de différence d’âge n’est pas applicable si les faits ont été commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

 

Par coordination avec la création de ces deux nouvelles infractions, la définition générale de l’agression sexuelle figurant à l’article 222-22 du code pénal a été modifiée et, ainsi qu’il a été dit plus haut, son premier alinéa dispose désormais que « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur ».

 

* Ces nouvelles infractions présentent ainsi des éléments constitutifs distincts de ceux exigés pour caractériser le viol au sens de l’article 222-23 du code pénal ou les autres agressions sexuelles au sens de l’article 222-27 du même code. En particulier, elles font de la minorité de la victime et de la majorité de l’auteur des éléments constitutifs de l’infraction et n’exigent pas la preuve du défaut de consentement de la victime, au travers de la démonstration du recours à la violence, contrainte, menace ou surprise25.

 

Comme l’a souligné la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, « [ce] choix de créer des infractions autonomes [a] suscité un consensus parlementaire qui illustre le changement de regard de la société sur l’impérative protection des mineurs ». Elle ajoutait : « La conviction selon laquelle, d’une part, le consentement de l’enfant ne doit pas être recherché par la justice et, d’autre part, la responsabilité pénale d’un acte sexuel repose exclusivement sur l’adulte, a été unanimement partagée ».

 

Le législateur a néanmoins fait le choix de qualifier « également » ces infractions de viol et d’agression sexuelle. S’agissant plus particulièrement du viol sur mineur de quinze ans, la rapporteure du texte au Sénat a relevé, à cet égard, que, « En termes de lisibilité, certains pourront regretter que le même terme désigne deux infractions dont les éléments constitutifs sont si différents. Juridiquement, rien ne s’y oppose cependant. Et cette solution présente l’avantage de permettre aux mineurs de quinze ans ayant subi une pénétration ou un acte bucco-génital commis par un adulte de se présenter comme les victimes d’un viol, avec toute la charge symbolique et psychologique qui s’attache à cette qualification »26.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Le 26 juillet 2022, M. Roméo N. avait été mis en examen des chefs de viol commis sur un mineur de quinze ans avec une différence d’âge d’au moins cinq ans et corruption de mineur par une personne mise en contact avec la victime par un réseau de communication électronique, et placé en détention provisoire.

 

Le 6 février 2023, il avait formé une demande de mise en liberté qui avait été rejetée, le 15 février suivant, par ordonnance du juge des libertés et de la détention.

 

Par un arrêt du 7 mars 2023, la chambre de l’instruction avait confirmé cette ordonnance.

 

Le requérant avait alors formé un pourvoi en cassation et, à cette occasion, avait soulevé une QPC portant sur le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et l’article 222-23-3 du même code.

 

Dans son arrêt précité du 24 mai 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé que la question posée présentait un caractère sérieux au motif que « les dispositions critiquées punissent de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans, alors que cet acte est accompli sans violence, contrainte, menace ni surprise, sur une personne dont le consentement est indifférent et ne peut être prouvé, cependant qu’un tel acte est puni d’une peine identique, même lorsqu’il est commis par violence, contrainte, menace ou surprise, sur une personne non consentante, mais d’une peine de sept ans d’emprisonnement, lorsqu’il est commis sans violence, contrainte, menace ni surprise, et que la différence d’âge entre le majeur et le mineur est, fût-ce de très peu, inférieure à cinq ans. / Elles sont donc susceptibles de porter atteinte aux principes de nécessité des incriminations et des peines et d’égalité des justiciables devant la loi pénale ». Par conséquent, elle avait renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les griefs, la délimitation du champ de la QPC et la demande d’intervention

 

* Le requérant faisait tout d’abord valoir que, en créant une infraction de viol sur mineur de quinze ans punissable sans que soit rapportée la preuve que l’acte sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, les dispositions renvoyées, qui ne font ainsi pas de l’absence de consentement du mineur un des éléments constitutifs de l’infraction, instituaient une présomption irréfragable de culpabilité contraire au principe de la présomption d’innocence et aux droits de la défense.

 

Il soutenait également d’une part, que la culpabilité de l’auteur résultait du simple constat de la matérialité des faits, sans qu’il soit besoin pour l’autorité de poursuite de rapporter la preuve de l’intention du majeur d’imposer un acte sexuel au mineur, et, d’autre part, que la minorité de quinze ans de la victime était à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante de l’infraction. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

 

Le requérant faisait ensuite valoir que les seuils d’âge prévus par ces dispositions conduisaient à traiter différemment des personnes pourtant placées, selon lui, dans des situations comparables, en méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines ainsi que du principe d’égalité devant la loi.

 

Il soutenait enfin que, en réprimant d’une même peine de vingt ans de réclusion criminelle des actes sexuels entre un majeur et un mineur de quinze ans, qu’ils soient ou non commis avec violence, menace, contrainte ou surprise, ces dispositions méconnaissaient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

 

* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal ainsi que sur la référence « 222–23-1 » figurant à l’article 222-23-3 du même code (paragr. 7).

 

* Le Conseil constitutionnel avait, par ailleurs, été saisi d’une demande d’intervention formée par M. Pierre-Ange M.

 

Après avoir énoncé, dans une formulation inédite, qu’il résulte du deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC « qu’une personne justifiant d’un intérêt spécial doit adresser au secrétariat général du Conseil constitutionnel ses observations en intervention avant la date fixée pour la présentation des premières observations des parties et autorités mentionnées à l’article 1er de ce règlement », le Conseil a rappelé que le troisième alinéa de ce même article dispose toutefois que « Le dépassement du délai échu à cette date n’est pas opposable à une partie qui a posé devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, devant le Conseil d’État ou devant la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause une disposition législative dont le Conseil constitutionnel est déjà saisi lorsque, pour cette raison, cette question n’a pas été renvoyée ou transmise » (paragr. 8 et 9).

 

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a constaté que M. Pierre-Ange M. avait adressé ses observations en intervention au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 juin 2023, soit après la date de présentation des premières observations qui avait été fixée au 9 juin 2023 (paragr. 10).

 

Ces observations tardives ne pouvaient dès lors être considérées comme recevables que si les conditions prévues par les dispositions précitées étaient réunies.

 

Or, le Conseil a relevé que « M. Pierre-Ange M., qui aurait posé devant la chambre de l’instruction une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions contestées, ne justifie pas que cette juridiction aurait refusé de transmettre cette question à la Cour de cassation au motif que le Conseil constitutionnel était déjà saisi de ces dispositions » (paragr. 11).

 

Il en a déduit que son intervention ne pouvait pas être admise (paragr. 12).

 

B. – L’examen des griefs tirés de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence et des droits de la défense

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative aux présomptions de culpabilité instituées en matière répressive

 

* Le droit au respect de la présomption d’innocence résulte de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

 

C’est sur ce fondement que sont examinées les présomptions de culpabilité.

 

Le Conseil constitutionnel juge que de telles présomptions sont en principe interdites en matière répressive. Il affirme ainsi, de manière constante, qu’« en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive »27.

 

Le Conseil ménage toutefois la possibilité de déroger, à titre exceptionnel, à ce principe. Ainsi, dans sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, il a pour la première fois jugé que, « à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité »28.

 

Dans cette affaire, il était saisi de dispositions qui instituaient une présomption en matière contraventionnelle : le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule était redevable pécuniairement de l’amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu’il n’apporte tous éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction.

 

Pour admettre la constitutionnalité de ce dispositif, le Conseil a relevé que « le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est tenu au paiement d’une somme équivalant au montant de l’amende encourue pour des contraventions au code de la route en raison d’une présomption simple, qui repose sur une vraisemblance raisonnable d’imputabilité des faits incriminés ; que le législateur permet à l’intéressé de renverser la présomption de faute par la preuve de la force majeure ou en apportant tous éléments justificatifs de nature à établir qu’il n’est pas l’auteur de l’infraction ; qu’en outre, le titulaire du certificat d’immatriculation ne peut être déclaré redevable pécuniairement de l’amende que par une décision juridictionnelle prenant en considération les faits de l’espèce et les facultés contributives de la personne intéressée ; que, sous réserve que le titulaire du certificat d’immatriculation puisse utilement faire valoir ses moyens de défense à tout stade de la procédure, est dès lors assuré le respect des droits de la défense ; que, par ailleurs, manque en fait le moyen tiré du caractère automatique de la sanction » 29.

 

Les présomptions de culpabilité en matière répressive, outre leur caractère exceptionnel, doivent donc satisfaire à trois conditions cumulatives :

- la présomption ne doit pas revêtir de caractère irréfragable ;

- le respect des droits de la défense doit être assuré ;

- les faits doivent induire raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité.

 

* Le Conseil constitutionnel a depuis lors eu l’occasion, à plusieurs reprises, de faire application de ces principes.

 

- Ainsi, dans sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions qui instituaient à la charge du titulaire d’un contrat d’abonnement d’accès à internet une obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de contrefaçon et qui, en cas de téléchargement illicite, réprimaient non l’acte de téléchargement, mais la méconnaissance de cette obligation de vigilance.

 

Il a jugé « qu’il résulte des dispositions déférées que la réalisation d’un acte de contrefaçon à partir de l’adresse internet de l’abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de l’article L. 331-21 [du code de la propriété intellectuelle], "la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3" ; que seul le titulaire du contrat d’abonnement d’accès à internet peut faire l’objet des sanctions instituées par le dispositif déféré ; que, pour s’exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l’article L. 331-38, de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ; qu’ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l’article L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ». Le Conseil a donc censuré ces dispositions30.

 

- Dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions réprimant d’une peine contraventionnelle le fait pour le représentant légal d’un mineur de ne pas s’être assuré du respect par ce dernier de la décision préfectorale imposant un « couvre-feu ». Après avoir cité son considérant de principe sur l’interdiction des présomptions de culpabilité en matière répressive, il a jugé « qu’en permettant de punir le représentant légal à raison d’une infraction commise par le mineur, [ces dispositions ont] pour effet d’instituer, à l’encontre du représentant légal, une présomption irréfragable de culpabilité ». Il les a donc déclarées contraires à la Constitution31.

 

- Dans sa décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions qui, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, prévoyaient que la personne qui a pris l’initiative de créer un service de communication au public en ligne en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance peut être poursuivie en sa qualité de producteur, sans pouvoir opposer ni le fait que les messages mis en ligne n’ont pas fait l’objet d’une fixation préalable ni l’absence d’identification de l’auteur des messages.

 

Après avoir rappelé que, « s’agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés », il a constaté qu’« il résulte des dispositions déférées que le créateur ou l’animateur d’un tel site de communication au public en ligne peut voir sa responsabilité pénale recherchée, en qualité de producteur, à raison du contenu de messages dont il n’est pas l’auteur et qui n’ont fait l’objet d’aucune fixation préalable ; qu’il ne peut s’exonérer des sanctions pénales qu’il encourt qu’en désignant l’auteur du message ou en démontrant que la responsabilité pénale du directeur de la publication est encourue ; que cette responsabilité expose le producteur à des peines privatives ou restrictives de droits et affecte l’exercice de la liberté d’expression et de communication protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 ».

 

Formulant une réserve d’interprétation, il a jugé que, « compte tenu, d’une part, du régime de responsabilité spécifique dont bénéficie le directeur de la publication en vertu des premier et dernier alinéas de l’article 93-3 et, d’autre part, des caractéristiques d’internet qui, en l’état des règles et des techniques, permettent à l’auteur d’un message diffusé sur internet de préserver son anonymat, les dispositions contestées ne sauraient, sans instaurer une présomption irréfragable de responsabilité pénale en méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que le créateur ou l’animateur d’un site de communication au public en ligne mettant à la disposition du public des messages adressés par des internautes, voie sa responsabilité pénale engagée en qualité de producteur à raison du seul contenu d’un message dont il n’avait pas connaissance avant la mise en ligne »32.

 

* Le grief tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence est en revanche écarté lorsque les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’instaurer une présomption de culpabilité33.

 

2. – L’application à l’espèce

 

Dans la décision commentée, après avoir rappelé le fondement constitutionnel de la présomption d’innocence et l’interdiction de principe qui en découle, selon laquelle le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive (paragr. 13), le Conseil constitutionnel s’est d’abord attaché à décrire l’objet des dispositions contestées.

 

À cet égard, il a rappelé que, « Aux termes de l’article 222-23 du code pénal, tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » et que « Ce crime est puni de quinze ans de réclusion et, conformément au 2° de l’article 222-24 du même code, de vingt ans de réclusion lorsqu’il est commis sur un mineur de quinze ans » (paragr. 14).

 

Puis, il a constaté que les dispositions contestées « instituent une nouvelle infraction afin de punir de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans » (paragr. 15).

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé que, « En adoptant ces dispositions, le législateur a interdit tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans » (paragr. 16).

 

Si l’incrimination ainsi édictée traduit la volonté du législateur de mieux assurer la répression de tels comportements, elle ne conduit nullement, contrairement à ce que soutenait le requérant, à instituer à cette fin une présomption irréfragable de culpabilité à l’encontre de l’auteur des faits. Le Conseil a ainsi constaté que, d’une part, cette incrimination, dont la caractérisation n’exige pas que les actes sexuels en cause soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ne repose pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. En effet, comme le soutenait la Première ministre dans ses observations, le consentement du mineur est indifférent à la constitution de l’infraction. D’autre part, il a rappelé que, conformément au droit commun de la preuve en matière pénale, « il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs », qu’il s’agisse de l’élément matériel ou de l’élément moral de cette infraction (même paragr.).

 

Le Conseil constitutionnel en a déduit que « les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer une présomption de culpabilité ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence et, pour les mêmes motifs, celui tiré de la méconnaissance des droits de la défense (paragr. 17).

 

C. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

* Le principe de légalité des délits et des peines découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Sa valeur constitutionnelle a été affirmée dès la décision n° 80-127 DC du 20 janvier 198134.

 

Le Conseil constitutionnel juge de manière constante que « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire »35.

 

Il en résulte que le principe de légalité des délits et des peines impose que la loi donne une définition précise des éléments constitutifs de l’infraction.

 

* Sur ce fondement, le Conseil a censuré, à plusieurs reprises, des dispositions dont les termes étaient insuffisamment précis.

 

Tel est le cas de l’emploi du terme « famille » comme critère de définition des viols, agressions et atteintes sexuelles « incestueux », au motif que « s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille »36. De la même manière, le Conseil a jugé que le délit de harcèlement sexuel, qui était défini de manière tautologique comme le fait de « harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle », était « punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis »37.

 

L’imprécision du texte d’incrimination peut aussi tenir au fait que l’un des éléments constitutifs de l’infraction est également susceptible de constituer une circonstance aggravante de la même infraction.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions de l’article 222-22-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 8 février 2010 précitée, qui précisaient la notion de contrainte morale en matière de viols et d’agressions sexuelles.

 

Le requérant soutenait qu’en prévoyant qu’un élément constitutif du délit d’agression sexuelle peut résulter de l’autorité de droit ou de fait que l’auteur des faits exerce sur la victime, alors que cette même autorité de droit ou de fait constitue, en vertu du 2° de l’article 222-30 du code pénal, une circonstance aggravante de ce délit, ces dispositions méconnaissaient notamment le principe de légalité des délits et des peines.

 

Le Conseil a jugé « qu’en précisant que la contrainte peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime, la seconde phrase de l’article 222–22–1 du code pénal a pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte ; qu’elle n’a en conséquence pas pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction ; qu’il s’ensuit que, dès lors qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits ; que, par suite, le grief tiré de l’atteinte au principe de légalité des délits et des peines doit être écarté »38.

 

* Par ailleurs, sur le fondement du principe de légalité des délits et des peines combiné avec les dispositions de l’article 9 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 précitée, énoncé que « la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle–ci »39.

 

Saisi de dispositions du code de la route sanctionnant notamment d’une peine d’emprisonnement l’infraction de grand excès de vitesse lorsqu’elle est commise en état de récidive, il a ainsi jugé qu’« en l’espèce, en l’absence de précision sur l’élément moral de l’infraction prévue à l’article L. 4-1 du code de la route, il appartiendra au juge de faire application des dispositions générales de l’article 121–3 du code pénal aux termes desquelles "il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre" ; que, sous cette stricte réserve, l’article 7 est conforme aux prescriptions constitutionnelles ci-dessus rappelées »40.

 

De la même manière, dans sa décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions réprimant le fait de participer, « en connaissance de cause », à un groupement qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des dégradations de biens.

 

Il a d’abord rappelé « que, s’agissant des crimes et des délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence, la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral de celle-ci, intentionnel ou non ». Puis il a relevé que « le nouvel article 222-14-2 du code pénal réprime le fait, pour une personne, de participer sciemment à un groupement ; qu’il doit être établi qu’elle l’a fait en vue de commettre des violences contre les personnes ou des dommages aux biens, à la condition que la préparation de ces infractions soit caractérisée par un ou plusieurs faits matériels accomplis par l’auteur lui-même ou connus de lui ; que, dans ces conditions, la disposition critiquée n’instaure pas de responsabilité pénale pour des faits commis par un tiers ; qu’elle n’est pas contraire au principe selon lequel il n’y a ni crime ni délit sans intention de le commettre »41.

 

Plus récemment, dans sa décision n° 2021-933 QPC du 30 septembre 2021, le Conseil était saisi de dispositions réprimant le fait de diffuser, sans l’accord de la personne intéressée, des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenues avec son consentement. La requérante soutenait notamment que législateur n’avait pas prévu d’élément intentionnel particulier pour caractériser cette infraction.

 

Pour rejeter ce grief, le Conseil a jugé, sur le seul fondement du principe de légalité des délits et des peines, que « ces dispositions n’ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a pas de délit sans intention de le commettre » 42.

 

2. – L’application à l’espèce

 

Après avoir rappelé sa formulation de principe relative au principe de légalité des délits et des peines (paragr. 18), le Conseil constitutionnel a, dans le droit fil de ses décisions n° 99-411 DC et n° 2021-933 QPC précitées, jugé que « les dispositions contestées n’ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a pas de crime sans intention de le commettre, la seule imputabilité matérielle des actes réprimés ne suffisant pas à caractériser l’infraction » (paragr. 19). Il a ainsi rejeté l’argumentation du requérant qui, ainsi qu’il a été dit plus haut, soutenait que la culpabilité de l’auteur pouvait résulter du simple constat de la matérialité des faits.

 

Répondant à une autre branche de son argumentation, le Conseil a par ailleurs relevé qu’« il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la minorité de quinze ans de la victime, qui est un élément constitutif de l’infraction, n’est pas, dans le même temps, une circonstance aggravante de cette même infraction » (paragr. 20).

 

Il en a déduit que le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines devait être écarté (paragr. 21).

 

D. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

* Le principe d’égalité devant la loi pénale trouve, comme le principe d’égalité en général, son fondement exclusivement dans l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

 

Il a pour champ d’application la loi pénale elle-même, c’est-à-dire la loi qui définit les incriminations, désigne leurs auteurs, fixe les conditions d’engagement de la responsabilité ainsi que les peines encourues.

 

Dans ce domaine, qui se rapproche de la nécessité et de la proportionnalité des peines, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel est plus restreint que celui qu’il opère notamment en matière d’égalité devant la justice. Le Conseil juge ainsi que « Le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente »43. Ceci ouvre au législateur une large marge d’appréciation pour distinguer les comportements susceptibles d’être réprimés en fonction de leurs éléments constitutifs.

 

Pour autant, le Conseil y apporte une limite : « la loi pénale ne saurait, pour une même infraction, instituer des peines de nature différente, sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi »44. Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel en la matière est plus rigoureux que celui qu’il met en œuvre pour le principe plus général d’égalité devant la loi, puisqu’il exclut que le législateur puisse déroger à l’égalité devant la loi pénale pour un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi établissant la différence de traitement45.

 

* D’une manière générale, les censures sur le fondement du principe d’égalité devant la loi pénale demeurent rares.

 

Le Conseil constitutionnel s’assure cependant que la différence de répression opérée par le législateur trouve sa justification dans une différence de situation.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, le Conseil était saisi de dispositions du code pénal aggravant les peines encourues pour les faits d’outrage sexiste et sexuel commis dans certaines circonstances. Les députés requérants reprochaient à ces dispositions d’opérer une confusion entre l’incrimination qu’elles édictent et celles de harcèlement sexuel et d’injure publique à caractère discriminatoire, respectivement prévues par l’article 222-33 du code pénal et l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il en résultait selon eux notamment une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale.

 

Le Conseil a constaté, d’une part, qu’« Il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que le délit d’outrage sexiste et sexuel qu’elles prévoient ne peut s’appliquer qu’en dehors des cas où les faits sont constitutifs du délit de harcèlement sexuel ». D’autre part, il a relevé que « Si les faits d’outrage réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du délit d’injure publique prévu à l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, ils s’en distinguent dès lors que, à la différence de l’injure publique, ils peuvent être commis sans moyen de publicité et prendre la forme non seulement de propos mais aussi de comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés à une personne déterminée. Il doit en outre être établi que l’auteur de l’outrage a voulu, par ces agissements, porter atteinte à la dignité de la victime ou créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

 

Il en a déduit que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale devait être écarté46.

 

* Dans quelques décisions, le Conseil constitutionnel a pu considérer que les différences de répression n’étaient pas justifiées par une différence de situation au regard de l’infraction réprimée. Il en a jugé ainsi au sujet :

 

– des différences de répression pénale (qualification contraventionnelle ou délictuelle) portant sur la contrefaçon sur internet, selon qu’elle est commise ou non au moyen d’un logiciel de pair à pair47 ;

 

– des différences très fortes de répression (soit cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, soit une peine de 5 000 euros d’amende) entre, d’une manière générale, la fraude aux prestations d’aide sociale et des infractions de fraude spécifique portant sur certaines de ces prestations48. Le Conseil en a jugé de même pour la répression du non-respect des délais de paiement, qui pouvait être punie soit de 15 000 euros d’amende, soit d’une sanction administrative d’un montant cinq fois supérieur (et égale à 375 000 euros pour une personne morale) en vertu de article L. 441-6 du code de commerce49.

 

2. – L’application à l’espèce

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a rappelé le fondement et la portée du principe d’égalité devant la loi pénale, qui « ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente » (paragr. 22).

 

Il s’est ensuite assuré que les deux incriminations en cause réprimaient bien des agissements de nature différente. À cet égard, il a relevé que, « Si les faits réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du crime de viol aggravé commis sur un mineur de quinze ans, prévu aux articles 222-23 et 222-24 du code pénal, ils sont punis, à la différence de ceux réprimés par cette dernière infraction, même lorsqu’ils sont commis sans violence, contrainte, menace ou surprise et supposent qu’il existe entre l’auteur majeur et la victime mineure une différence d’âge d’au moins cinq ans » (paragr. 23).

 

Le Conseil constitutionnel en a déduit que le crime de viol sur mineur de quinze ans institué par les dispositions contestées et le crime de viol aggravé sur mineur prévu aux articles 222-23 et 222-24 du code pénal « punissent des agissements de nature différente ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale (paragr. 24).

 

E. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

Les exigences de nécessité et de proportionnalité des peines découlent de l’article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

 

Sur le fondement de ces principes, le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle restreint. Il juge ainsi, de manière constante, que « Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue »50.

 

Le Conseil constitutionnel n’a donc que très rarement censuré des infractions pénales en raison de leur absence de « nécessité » procédant, en la matière, à un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation51.

 

De la même manière, sur le terrain de la proportionnalité des peines, il ne procède qu’à un contrôle de l’inadéquation manifeste de la sanction à l’infraction.

 

Ainsi, le Conseil a notamment déclaré conformes à la Constitution les dispositions qui instauraient, pour certains crimes les plus graves, la peine de perpétuité « incompressible » (réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de trente ans)52.

 

Les censures qu’il a prononcées portaient sur des dispositions prévoyant des peines ou des sanctions punitives dont le caractère manifestement disproportionné ne faisait aucun doute. Il en a été ainsi de :

 

– l’amende fiscale encourue en cas de divulgation du montant du revenu d’une personne et fixée, en toute hypothèse, au montant des revenus divulgués53 ;

 

– une disposition qui prévoyait que « tout arrêté de reconduite à la frontière entraîne automatiquement une sanction d’interdiction du territoire pour une durée d’un an sans égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté, sans possibilité d’en dispenser l’intéressé ni même d’en faire varier la durée »54 ;

 

– la peine complémentaire d’interdiction « pour une durée de cinq ans au plus, d’entrer et de séjourner dans l’enceinte d’une ou plusieurs infrastructures aéroportuaires ou portuaires, d’une gare ferroviaire ou routière, ou de leurs dépendances, sans y avoir été préalablement autorisé par les autorités de police territorialement compétentes » en cas de méconnaissance des règles applicables aux moto-taxis55 ;

 

– l’amende civile pouvant être prononcée en cas de méconnaissance, par l’entreprise qui envisage de fermer un établissement, de ses obligations en matière de recherche d’un repreneur. Cette amende pouvait atteindre « vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé dans le cadre du licenciement collectif, dans la limite de 2 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise »56 ;

 

– la privation pour des personnes condamnées à une peine privative de liberté de toute possibilité d’aménagement de peine, en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité57.

 

2. – L’application à l’espèce

 

Après avoir rappelé sa formulation de principe relative aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines (paragr. 25), le Conseil constitutionnel a souligné l’objectif poursuivi par le législateur à travers l’incrimination spéciale de viol sur mineur de quinze ans : « En réprimant d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans, le législateur, qui a entendu renforcer la protection de ces mineurs victimes d’infractions sexuelles, n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée » (paragr. 26).

 

Conformément à sa jurisprudence constante, il s’est ainsi borné à opérer un contrôle de l’inadéquation manifeste de la sanction à l’infraction et s’est refusé à procéder, comme l’y invitait le requérant, à une comparaison entre la peine applicable au crime institué par les dispositions contestées et celle prévue à l’article 222-23 du code pénal. Le contrôle de proportionnalité que le Conseil exerce sur le fondement des exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 s’opère en effet par la seule confrontation entre la peine et le comportement qu’elle réprime.

 

Le Conseil constitutionnel a en outre relevé que « les modalités de répression de cette infraction n’ont ni pour objet ni pour effet de déroger au principe de l’individualisation des peines confiée au juge conformément à l’article 8 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 27). Il a ainsi entendu rappeler que la peine de vingt ans de réclusion criminelle prévue à l’article 222-23-3 du code pénal constitue une peine maximale et qu’il appartient au juge de prononcer une sanction en prenant en considération les circonstances propres à chaque espèce.

 

Pour ces motifs, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines a donc été écarté (paragr. 28).

 

Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 29).

_______________________________________

1 De la même manière, les décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel statue sur une demande de récusation d’un ou plusieurs de ses membres seront à l’avenir rendues publiques dès leur adoption, et non plus seulement à l’issue de la procédure.

2 Pour une présentation générale des infractions sexuelles, voir : Michèle-Laure Rassat, « Agressions sexuelles – Viol – Autres agressions sexuelles – Exhibition sexuelle – Harcèlement sexuel », Jurisclasseur Pénal Code, fascicule 20, art. 222-22 à 222-33-1, 28 février 2022.

3 Le code de procédure pénale (CPP) contient des règles de procédure spécifiques également destinées à assurer la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, telles que, par exemple, l’allongement des délais de prescription de l’action publique et le recul du point de départ de la prescription (articles 7 et 8 du CPP).

4 Article 222-23 du code pénal. Le viol était initialement défini par cet article comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes est venue préciser que l’acte de pénétration sexuelle peut également avoir été commis, par de tels moyens, « sur la personne de l’auteur », puis la loi du 21 avril 2021 précitée a étendu la qualification de viol à « tout acte bucco-génital ».

5 Article 222-23 du code pénal.

6 2° de l’article 222-24 du code pénal. Ce même article prévoit d’autres circonstances aggravantes, telles que notamment l’usage ou la menace d’une arme ou le viol en réunion.

7 Article 222-27 du code pénal.

8 Article 222-29-1 du même code.

9 L’article 222-22 du code pénal dispose ainsi que : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». La loi du 21 avril 2021 a ajouté à cette définition : « ou, dans les cas prévus par loi, commise sur un mineur par un majeur » (sur ce point, voir infra).

10 L’adminicule peut se définir comme un « Élément (on dit aussi commencement) de preuve qui, rendant vraisemblable le fait à prouver sans en constituer une preuve parfaite, est parfois exigé par la loi, à titre préalable, pour rendre admissibles d’autres modes de preuve imparfaits » (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 14e édition).

11 Voir, par exemple, en ce sens : Cass. crim., 3 avril 2001, n° 01-80.623 ; 28 avril 2004, n° 03-85.789 ; 7 décembre 2005, n° 05-81.316.

12 Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

13 Voir, sur ce point, le rapport n° 938 (Assemblée nationale – XVe législature) de Mme Alexandra Louis, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, déposé le 10 mai 2018.

14 Ce projet de loi avait été précédé de plusieurs rapports d’information parlementaires formulant diverses propositions pour améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises contre les mineurs (voir, par exemple, le rapport d’information n° 289 [Sénat – 2017-2018] de Mme Marie Mercier fait au nom de la commission des lois par le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs).

15 Ces dispositions diffèrent de celles que le Gouvernement avait initialement envisagées pour améliorer la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs. Ce dernier avait en effet souhaité, dans un premier temps, modifier les articles 222-22 et 222-23 du code pénal afin de prévoir que, lorsque l’agression sexuelle ou le viol est commis par un majeur sur un mineur de quinze ans, les adminicules de violence, contrainte, menace ou surprise sont remplacés par le fait que l’auteur « connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». Cependant, dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État avait estimé qu’« en détachant les éléments constitutifs du viol du socle actuellement constitué par l’existence de "violence, contrainte, menace ou surprise", qui ne sont qu’une manière de caractériser l’absence de consentement de la victime, pour y substituer le seul fait que l’auteur "connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime", le projet de loi, du fait de cette seconde branche de l’alternative, qui sera d’autant plus retenue en pratique que la première sera facile à contester, ne caractérise pas suffisamment l’élément intentionnel du crime spécifiquement réprimé » (CE, section de l’intérieur, avis n° 394437 du 15 mars 2018). Il en avait déduit que « la seule circonstance que l’auteur "ne pouvait ignorer" l’âge de la victime – rédaction qui n’est utilisée de manière explicite, s’agissant d’une incrimination, que pour certains éléments des délits non-intentionnels prévus à l’article 121-3 du code pénal – ne répond pas à l’exigence constitutionnelle relative à l’élément intentionnel en matière criminelle ». Tenant compte de ces réserves, le Gouvernement avait supprimé ces dispositions du projet de loi finalement déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

16 Ces articles figurent dans le chapitre VII, intitulé « Des atteintes aux mineurs et à la famille », du titre II du livre II du code pénal et, plus précisément, dans la section 5 de ce chapitre, intitulée « De la mise en péril des mineurs ».

17 Sont par exemple réprimés le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur (article 227-22 du code pénal), le fait de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique (article 227-22-1), le fait d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique (article 227-23) ou encore le fait de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique (article 227-23-1).

18 Dans sa rédaction initiale, l’article 227-25 du code pénal précisait expressément que l’atteinte sexuelle devait être commise « sans violence, contrainte, menace ni surprise ». La loi du 3 août 2018 précitée a supprimé cette mention et aggravé les peines applicables.

19 Article 227-26 du code pénal.

20 Proposition de loi n° 158 (Sénat – 2020-2021) visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, présentée par Mme Annick Billon et autre, le 26 novembre 2020. Cette proposition de loi prévoyait initialement d’insérer dans la section du code pénal relative à la « mise en péril des mineurs » un nouvel article 227-24-2 dont le premier alinéa disposait que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». Elle visait ainsi à qualifier de crime tout acte de pénétration sexuelle sur un mineur de treize ans.

21 Rapport n° 4048 (Assemblée nationale – XVe législature) de Mme Alexandra Louis, fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, déposé le 7 avril 2021.

22 La loi du 21 avril 2021 crée également deux nouvelles infractions de viol incestueux sur mineur et d’agression sexuelle incestueuse sur mineur et procède plus largement à une réforme du régime des infractions sexuelles commises sur les mineurs (voir, pour une présentation générale : Carole Hardouin-Le Goff, « La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date … au goût d’inachevé », La Semaine juridique – édition générale, n° 19-20, 10 mai 2021, p. 905-909 ; Claudia Ghica-Lemarchand, « Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste », Recueil Dalloz, 2021, p. 1552).

23 Le Sénat avait initialement fixé ce seuil d’âge à treize ans. Mais les députés de la Commission de lois, rejoints par le Gouvernement, ont considéré que ce seuil « ne correspondait ni aux attentes de la société, ni aux capacités de discernement d’un mineur en matière sexuelle. Dans ce domaine, le législateur a retenu, depuis l’ordonnance précitée du 2 juillet 1945, un seuil de quinze ans en deçà duquel l’atteinte sexuelle par un majeur constitue une infraction délictuelle. Il est donc cohérent de conserver cet âge pour limite en-deçà de laquelle il n’y a pas lieu de rechercher une violence, une contrainte, une menace ou une surprise pour caractériser un comportement répréhensible » (Rapport n° 3939 [Assemblée nationale – XVe législature] de Mme Alexandra Louis, fait au nom de la commission des lois, déposé le 3 mars 2021).

24 Cette condition, qualifiée au cours des débats parlementaires de « clause Roméo et Juliette », a pour objet de ne pas criminaliser les amours adolescentes. Si elle a suscité certaines réserves, le garde des sceaux a rappelé que, « si la réalité n’est pas celle d’amours consenties, elle tombe sous le coup de la loi pénale » (compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale, deuxième lecture, deuxième séance du 15 avril 2021).

25 Au cours des débats parlementaires, plusieurs amendements avaient été déposés afin d’instituer une présomption irréfragable de contrainte (voir, par exemple, l’amendement n° 3 rectifié ter de Mme Valérie Boyer, déposé lors des travaux en commission au Sénat, en première lecture, qui proposait d’insérer à l’article 222-22-1 du code pénal un alinéa prévoyant que « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, par une personne majeure, la contrainte est présumée sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime »). Le Gouvernement ainsi que les rapporteurs s’y sont systématiquement opposés. Le garde des Sceaux relevait à cet égard qu’« Il y aurait un véritable danger à instaurer une présomption de contrainte irréfragable. Cela n’est pas possible : c’est la négation de la présomption d’innocence et de tous nos principes en matière probatoire. À l’évidence, cela marquerait un recul de notre droit et le Gouvernement ne saurait être favorable à un tel amendement » (compte-rendu des débats au Sénat, séance du 21 janvier 2021).

26 Rapport n° 467 (Sénat – 2020-2021) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 mars 2021.

27 Décision n° 2017-645 QPC du 21 juillet 2017, M. Gérard B. (Huis clos de droit à la demande de la victime partie civile pour le jugement de certains crimes), paragr. 8 ; voir également, dans le même sens, la décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, cons. 11.

28 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 5.

29 Ibidem, cons. 6.

30 Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, cons. 17 à 19.

31 Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 38 à 40.

32 Décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J. (Responsabilité du « producteur » d’un site en ligne), cons. 3 à 7.

33 Voir, en ce sens, les décisions n° 2015-484 QPC du 22 septembre 2015, Société UBER France SAS et autre (II) (Incrimination de la mise en relation de clients avec des conducteurs non professionnels), cons. 15, et n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016, M. Abdel Manane M. K. (Gel administratif des avoirs), cons. 13.

34 Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 7.

35 Voir, en dernier lieu, la décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023, Loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, paragr. 85.

36 Décisions n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N. (Définition des délits et crimes incestueux), cons. 4, et n° 2011-222 QPC du 17 février 2012, M. Bruno L. (Définition du délit d’atteintes sexuelles incestueuses), cons. 4.

37 Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D. (Définition du délit de harcèlement sexuel), cons. 3 à 5.

38 Décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, M. Claude A. (Agression sexuelle commise avec une contrainte morale), cons. 7.

39 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, précitée, cons. 16.

40 Ibidem, cons. 17.

41 Décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, cons. 11 et 12.

42 Décision n° 2021-933 QPC du 30 septembre 2021, Mme Saadia K. (Diffusion d’enregistrements ou de documents portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel), paragr. 7. Voir également, dans le même sens, la décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dans laquelle le Conseil constitutionnel, saisi de dispositions réprimant le fait pour une personne de proposer, par l’intermédiaire de plateformes en ligne, des prestations d’intermédiation ou de séquestre qui ont pour objet unique ou principal de mettre en œuvre, de dissimuler ou de faciliter des opérations de cession manifestement illicites, a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines au motif qu’« Il appartient au juge d’apprécier les éléments constitutifs de l’infraction dans le respect de l’exigence d’interprétation stricte de la loi pénale et de faire application des dispositions générales de l’article 121-3 du code pénal aux termes desquelles "Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre" » (paragr. 9).

43 Voir, par exemple, la décision n° 2021-896 QPC du 9 avril 2021, M. Alain P. (Infractions d’outrage et d’injure publique), paragr. 10. Pour des exemples antérieurs, voir notamment les décisions n° 80-125 DC du 19 décembre 1980, Loi relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, cons. 3, et n° 2010-612 DC du 5 août 2010, Loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, cons. 6.

44 Décisions n° 2011-161 QPC du 9 septembre 2011, Mme Catherine F., épouse L. (Sanction de la rétention de précompte des cotisations sociales agricoles), cons. 3, et n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013, Association Emmaüs Forbach (Incrimination de la perception frauduleuse de prestations d’aide sociale), cons. 3.

45 Décisions nos 2011-161 QPC et 2013-328 QPC précitées.

46 Décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, précitée, paragr. 54 à 61.

47 Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 65.

48 Décision n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013 précitée, cons. 6.

49 Décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, cons. 74. Voir aussi, plus récemment, la décision n° 2021-906 QPC du 14 mai 2021, M. Dominique A. et autres (Rétention de précompte en Polynésie française).

50 Voir, en dernier lieu, décision n° 2023-1054 QPC du 16 juin 2023, Société Angelini Filliat (Pénalités pour facture inexacte ou incomplète), paragr. 3.

51 Pour un exemple de censure, voir les décisions n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, cons. 8 et 9, et n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 43.

52 Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, cons. 13.

53 Décision n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988, cons. 16 et 17.

54 Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 49.

55 Décision n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013, M. Mohamed T. (Activité de transport public de personnes à motocyclette ou tricycle à moteur), cons. 18 et 19.

56 Décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014, Loi visant à reconquérir l'économie réelle, cons. 24 et 25.

57 Décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, Mme Alaitz A. et autre (Conditions de la libération conditionnelle pour les étrangers condamnés pour terrorisme), paragr. 8. Il convient à cet égard de rappeler que le Conseil tient compte, lorsqu’il contrôle la proportionnalité d’une peine, de son régime d’exécution.