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Commentaire de la décision 2023-1056 QPC

18/10/2023

Conformité - réserve

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 710 du 11 mai 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Abdelhalim R. relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du code de procédure pénale (CPP) et de l’article 343 du même code.

 

Dans sa décision n° 2023-1056 QPC du 7 juillet 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré conformes à la Constitution les mots « s’il n’a pas comparu devant celle-ci » figurant au huitième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Objet des dispositions contestées

 

La détention provisoire est une mesure privative de liberté qui peut intervenir avant le jugement définitif d’une personne poursuivie. Elle est décidée par un ou plusieurs magistrats du siège, et relève principalement de la compétence du juge des libertés et de la détention (JLD)1.

 

1. – L’encadrement de la détention provisoire au cours de l’instruction

 

a. – Le placement en détention provisoire

 

* L’article 137 du code de procédure pénale (CPP) prévoit que le placement en détention provisoire ne peut être envisagé au cours de l’instruction qu’« à titre exceptionnel », « en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté » et si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence sous surveillance électronique « ne permettent pas d’atteindre ces objectifs ».

 

La détention provisoire peut être ordonnée par le JLD à l’égard d’une personne mise en examen pour un crime ou un délit puni d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement2. Elle peut également être ordonnée, quelle que soit la peine d’emprisonnement encourue, lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique3

 

Le JLD doit motiver l’ordonnance de placement en détention provisoire4 au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, afin d’établir que cette mesure constitue « l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs » mentionnés à l’article 144 du CPP, c’est-à-dire conserver les preuves ou les indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité, empêcher des pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que leur famille, empêcher une concertation frauduleuse entre les personnes mises en cause, protéger la personne mise en examen, garantir son maintien à la disposition de la justice, mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement, ou encore mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public en présence de faits de nature criminelle.

 

b. – La durée de la détention provisoire

 

* L’article 144-1 du CPP pose en principe que la détention provisoire « ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ». Le second alinéa de ce même article prévoit que le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le JLD, doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, « dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies ».

 

Ce principe se traduit par l’existence de bornes légales fixant la durée maximale de la détention provisoire à quatre mois en matière correctionnelle5 et un an en matière criminelle6. Passé ce délai, la mesure doit donc faire l’objet d’une décision de prolongation pour que la personne mise en examen soit maintenue en détention.

 

* La prolongation de la détention provisoire peut être décidée par le JLD, saisi par une ordonnance motivée du juge d’instruction.

 

– En matière correctionnelle, aucune prolongation n’est possible lorsque la personne détenue est mise en examen pour des faits passibles d’une peine inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement et qu’elle n’a pas déjà été condamnée pour un crime ou un délit de droit commun soit à une peine criminelle, soit à une peine d’au moins un an d’emprisonnement sans sursis.

 

Dans les autres cas, le JLD peut prolonger « à titre exceptionnel » la détention provisoire pour une durée qui ne peut excéder quatre mois. Cette décision peut toutefois être renouvelée jusqu’à porter la durée totale de la détention à un an au maximum7.

 

– En matière criminelle, la prolongation de la détention provisoire au-delà d’un an peut se faire par périodes d’une durée de six mois au maximum, dans la limite de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelle. Au-delà de ce seuil, la durée totale de la détention peut atteindre trois ans, voire quatre ans, lorsque l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national ou que la personne est poursuivie pour des crimes particulièrement graves. À chacune de ces durées totales peuvent s’ajouter quatre mois supplémentaires, renouvelables une fois, sur décision de la chambre de l’instruction.

 

Chacune de ces prolongations requiert l’intervention d’un juge, ce qui impose au juge d’instruction et, sur sa saisine éventuelle, au JLD « de s’interroger périodiquement sur la nécessité de maintenir la détention »8 au regard des exigences légales. Lorsque la durée de la détention provisoire excède un an en matière criminelle9, le premier alinéa de l’article 145-3 du CPP fait obligation au JLD de mentionner dans les décisions de prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté « les indications particulières qui justifient en l’espèce la poursuite de l’information et le délai prévisible d’achèvement de la procédure ».

 

2. – Le maintien en détention provisoire de l’accusé à l’issue de l’instruction

 

a. – La détention provisoire dans l’attente de la comparution et du jugement

 

* Le code de procédure pénale règle la situation, à l’issue de l’instruction, des personnes qui étaient soumises à certaines mesures privatives ou restrictives de liberté pendant cette phase, en fonction des suites retenues à leur encontre par le magistrat instructeur lorsqu’il rend l’ordonnance de règlement (non-lieu ou renvoi devant une juridiction de jugement), ainsi que de la nature et du quantum des peines encourues.

 

En particulier, l’article 181 du CPP prévoit que lorsque la juridiction d’instruction estime que les faits retenus à la charge des personnes mises en examen constituent une infraction qualifiée crime par la loi, elle ordonne leur mise en accusation devant la cour d’assises10.

 

En matière criminelle, et à la différence de la matière délictuelle11, l’ordonnance de mise en accusation devant la juridiction criminelle ne met alors pas fin à la détention provisoire.

 

En effet, le septième alinéa de l’article 181 du CPP prévoit que, lorsque « l’accusé est placé en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné contre lui conserve sa force exécutoire et l’intéressé reste détenu jusqu’à son jugement par la cour d’assises ».

 

En conséquence, si elle était détenue, la personne accusée reste en détention provisoire.

 

* Toutefois, les huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du CPP instaurent une limite spécifique à la durée de la détention provisoire qui s’ouvre alors pour l’accusé détenu :

 

– Le huitième alinéa prévoit, en principe, que l’accusé détenu « est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant [la juridiction criminelle] à l’expiration d’un délai d’un an »12.

 

Ces dispositions instaurent ainsi un délai de comparution, obligeant à ce que la personne accusée privée de liberté comparaisse dans un certain délai devant la juridiction criminelle ;

 

– Le neuvième alinéa prévoit, par dérogation, une possibilité de prolongation de ce délai si l’audience sur le fond ne peut débuter avant son expiration, en précisant que « la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à l’article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois »13. Cette prolongation peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes.

 

Ce délai de comparution ainsi fixé à un an, et prolongeable deux fois de six mois, a été instauré par le législateur en 2000 comme une mesure visant à réduire les délais d’audiencement criminel14.

 

Si l’accusé n’a pas comparu devant la juridiction criminelle à l’issue de cette nouvelle prolongation, il est immédiatement remis en liberté.

 

* En revanche, si l’accusé comparaît, ce délai n’a plus vocation à s’appliquer.

 

La jurisprudence de la Cour de cassation rappelle qu’il s’agit en effet d’un délai de comparution et non d’un délai de jugement. Précisant à cet égard la notion de « comparution », elle juge que celle-ci s’entend de la présentation de l’accusé devant le jury constitué15.

 

En conséquence, dès lors que l’accusé a régulièrement comparu devant la juridiction criminelle, il ne peut plus prétendre à être automatiquement remis en liberté en raison de l’écoulement du temps, et il restera en détention provisoire jusqu’au prononcé du jugement, sous réserve d’une mise en liberté décidée entre temps par une juridiction.

 

b. – Le renvoi d’audience et ses effets sur la détention de l’accusé

 

* Comme toute autre audience pénale, l’audience de jugement devant la cour d’assises peut faire l’objet de renvois.

 

Juridiction pénale compétente pour connaître, en premier ressort et en appel, des crimes commis par des personnes majeures, sous réserve des règles particulières pour le jugement de certaines catégories d’individus et de crimes, la cour d’assises présente la particularité d’être une juridiction échevinale, associant des citoyens aux magistrats professionnels. C’est ainsi une juridiction départementale, non permanente, qui se réunit en sessions en fonction du nombre d’affaires à juger16.

 

L’article 343 du CPP prévoit que « En tout état de cause la cour peut ordonner d’office, ou à la requête du ministère public ou de l’une des parties, le renvoi de l’affaire à la prochaine session »17.

 

Ce renvoi peut intervenir dans différentes hypothèses. Il peut par exemple être ordonné lorsqu’un assesseur est indisponible, lorsqu’il apparaît à l’audience que des mesures d’instruction supplémentaires doivent être réalisées, en cas de force majeure, en raison de l’état de santé de l’accusé, de l’absence de certains témoins ou bien encore en raison d’une grève des avocats.

 

C’est la cour proprement dite – c’est-à-dire le président et les assesseurs18 – qui apprécie la date du renvoi. Si l’article 343 du CPP précise que ce renvoi intervient « à la prochaine session », la doctrine relève qu’il s’agit en pratique de la « "plus proche session utile", ce qui n’est pas nécessairement la suivante »19. La date du renvoi est donc dépendante de la cause du renvoi et des circonstances de l’affaire.

La juridiction saisie d’une demande de renvoi statue par décision motivée. Son appréciation sur l’opportunité du renvoi est souveraine20.

 

* Si un renvoi à une autre session d’assises est ainsi ordonné au cours des débats, l’accusé détenu est regardé comme ayant bien comparu devant la cour d’assises : de ce fait, le délai maximal d’un an prévu par le huitième alinéa de l’article 181 du CPP et limitant la durée de la détention provisoire, qui est un délai de comparution et non de jugement, ne s’applique pas pour la prise en compte de la période séparant la comparution du jugement.

 

La Cour de cassation juge à cet égard qu’aucun délai fixe ne s’impose pour le jugement de l’accusé, qui a comparu devant la cour d’assises, jury constitué, lorsque cette juridiction a ordonné le renvoi de l’affaire à une session ultérieure21.

 

Comme le résume M. Henri Angevin, « Si l’accusé est détenu, l’arrêt n’a pas à prescrire le maintien en détention dès lors qu’en application de l’article 181, alinéa 7 du [c]ode de procédure pénale, le mandat de dépôt conserve, en matière criminelle, sa force exécutoire jusqu’au jugement. Par ailleurs, comme, en ce cas, l’accusé a comparu devant la cour d’assises avant que le renvoi ne soit ordonné, le délai de comparution fixé par l’alinéa 8 du même texte (un an) a été respecté et il cesse de recevoir application »22.

 

Le maintien en détention provisoire n’est cependant pas automatique en cas de renvoi ordonné au cours des débats à une session ultérieure de la cour d’assises, mais fait l’objet d’une appréciation par la juridiction.

 

En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que, lorsque la juridiction criminelle ordonne le renvoi de l’examen de l’affaire, « il lui appartient alors de s’assurer si les conditions de l’article 144 du code de procédure pénale demeurent réunies et, conformément aux prescriptions de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, si la durée de la détention provisoire de l’accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable »23.

 

c. – Les recours à disposition de la personne détenue

Quel que soit le stade de la procédure au cours duquel la personne prévenue ou accusée est placée en détention provisoire, la loi lui reconnaît la possibilité de demander sa mise en liberté à tout moment.

 

* Durant l’instruction, les demandes de mise en liberté sont adressées au juge d’instruction et, sauf si ce dernier y donne une suite favorable, il revient au JLD de les examiner24. Ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables, par une ordonnance comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l’article 144 du même code25.

 

La chambre de l’instruction de la cour d’appel (juridiction collégiale) est compétente pour statuer sur le recours formé contre l’ordonnance du JLD26.

 

* Après la clôture de l’information judiciaire, il résulte du premier alinéa de l’article 148-1 du CPP que la « mise en liberté peut aussi être demandée en tout état de cause par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure » . Cette faculté est reconnue à la personne tant qu’elle est détenue sous le régime de la détention provisoire.

 

L’instruction étant clôturée, la compétence pour statuer sur les demandes de mise en liberté revient à la juridiction de jugement saisie, sous réserve de la compétence subsidiaire de la chambre de l’instruction.

 

Ainsi, en matière criminelle, c’est la cour d’assises (ou la cour criminelle départementale) qui est en principe compétente pour se prononcer sur la demande de mise en liberté formée par l’accusé renvoyé devant elle. Toutefois, le deuxième alinéa de l’article 148-1 du CPP précise que « la cour d’assises n’est compétente que lorsque la demande est formée durant la session au cours de laquelle elle doit juger l’accusé. Dans les autres cas, la demande est examinée par la chambre de l’instruction ». Il s’ensuit que, dans l’intervalle des sessions d’assises, que ce soit en première instance ou en appel, la chambre de l’instruction est compétente pour examiner la demande de mise en liberté de l’accusé.

 

* En application de l’article 148-2 du CPP, la juridiction appelée à statuer sur une demande de mise en liberté se prononce après avoir entendu le ministère public, le prévenu – auquel est désormais préalablement notifié son droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés – ou son avocat27.

 

Ce même article fixe les délais dans lesquels la juridiction doit se prononcer :

 

– lorsque la personne n’a pas encore été jugée en premier ressort, la juridiction saisie statue dans les dix jours ou les vingt jours de la réception de la demande, selon qu’elle est du premier ou du second degré ;

 

– lorsque la personne a déjà été jugée en premier ressort et qu’elle est en instance d’appel, la juridiction saisie (chambre des appels correctionnels ou cour d’assises d’appel) statue dans les deux mois suivant la demande28.

 

À défaut de décision à l’expiration du délai imparti par la loi, il est mis fin à la détention provisoire. Ainsi, sauf s’il est détenu pour une autre cause, le prévenu est d’office remis en liberté29.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

M. Abdelhalim R. avait été mis en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste le 13 mars 2020 et placé en détention provisoire le même jour. Il avait par la suite été mis en accusation le 24 novembre 2021 et sa détention avait ensuite été prolongée, par arrêt du 16 novembre 2022, pour une durée de six mois, sur le fondement de l’article 181 du code de procédure pénale. Alors que l’affaire avait commencé à être examinée à compter du 5 janvier 2023, la cour avait, le 26 janvier, ordonné le renvoi de l’affaire à une autre session d’assises en raison de l’indisponibilité d’un assesseur et maintenu M. R. en détention provisoire dans l’attente de sa comparution.

 

L’accusé avait formé une demande de mise en liberté, sur le fondement des articles 148-1 et 148-2 du CPP, rejetée par la chambre d’instruction. À l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, M. R. avait posé une QPC ainsi formulée : « En édictant les dispositions des articles 181, alinéas 8 et 9, et 343 du code de procédure pénale, sans encadrer la durée de la détention provisoire d’un accusé ayant régulièrement comparu devant la Cour d’assises mais dont l’examen de l’affaire a été renvoyé, le législateur a-t-il, d’une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l’occurrence, la liberté individuelle, et d’autre part, porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à cette liberté ? ».

 

Dans son arrêt du 11 mai 2023 mentionné ci-dessus, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé que cette question présentait un caractère sérieux, relevant que « L’absence de disposition législative relative, d’une part, à la durée maximale de la détention provisoire d’un accusé ayant comparu devant la cour d’assises, dont l’examen de l’affaire a été renvoyé, d’autre part, à l’intervention systématique du juge judiciaire pendant la période séparant, dans un tel cas, la comparution du jugement, porte une atteinte à la liberté individuelle susceptible de ne pas être nécessaire, adaptée et proportionnée ».


Elle avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* La Cour de cassation n’ayant pas précisé, dans son arrêt de renvoi, la version dans laquelle elle renvoyait les dispositions contestées, il revenait au Conseil de la déterminer lui-même, conformément à sa jurisprudence habituelle.

 

Le Conseil a jugé qu’il était saisi des huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et de l’article 343 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale, prise sur le fondement de l’ancien article 92 de la Constitution (paragr. 1).

 

* Le requérant, rejoint par l’association des avocats pénalistes, partie intervenante, reprochait d’abord à ces dispositions, dans le cas où la cour ordonne le renvoi de l’affaire à une prochaine session d’assises, de permettre que l’accusé soit maintenu en détention provisoire sans prévoir une durée maximale à cette détention ni un contrôle systématique du juge. Elles méconnaissaient ainsi, selon lui, la liberté individuelle.

 

Il faisait également valoir que ces dispositions instituaient une différence de traitement injustifiée entre les accusés détenus qui n’ont pas encore comparu devant la cour d’assises, pour lesquels la durée de la détention provisoire est strictement encadrée, et ceux qui ont déjà comparu mais dont l’audience a été renvoyée à une prochaine session, pour lesquels la durée de la détention est seulement soumise à l’exigence d’une durée raisonnable. Il en résultait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

 

Pour les mêmes motifs, ces dispositions étaient selon lui entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences constitutionnelles.

 

Au regard de ces griefs, le Conseil a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « s’il n’a pas comparu devant celle-ci » figurant au huitième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle sur la liberté individuelle

 

Aux termes de l’article 66 de la Constitution, « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Cet article est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoqué à l’appui d’une QPC30.

 

Après avoir retenu une conception large de la notion de « liberté individuelle », incluant notamment la liberté d’aller et de venir et le respect de la vie privée, le Conseil en a resserré le champ aux mesures privatives de liberté dans sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 199931. Seules de telles mesures sont en conséquence soumises aux exigences découlant de l’article 66 de la Constitution.

 

De l’article 66 de la Constitution, le Conseil déduit plusieurs exigences.

 

D’une part, depuis la décision n° 2008-562 DC du 21 février 200832, le Conseil constitutionnel exige que les dispositions portant atteinte à la liberté individuelle satisfassent à une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité en jugeant que : « La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis »33.

 

D’autre part, et pour veiller à l’effectivité du rôle du juge judiciaire dans la protection de la liberté individuelle, le Conseil s’attache au contrôle juridictionnel applicable à la mesure privative de liberté.

 

Il ressort de la jurisprudence du Conseil une différence de mise en œuvre des exigences résultant de l’article 66 de la Constitution selon que la mesure privative de liberté a été ordonnée ou non par un juge judiciaire.

 

1. – Lorsque la mesure privative de liberté a été prononcée par une autre autorité qu’un juge

 

* Cette hypothèse, qui est la plus fréquemment soulevée devant le Conseil, trouve son fondement dans le choix du législateur de confier la décision à l’origine de la privation de liberté à une autorité administrative (par exemple pour le maintien d’un étranger en zone d’attente), policière (pour un placement en garde à vue) ou médicale (dans le cas des soins sous contrainte). Suivant une formule bien établie, le Conseil constitutionnel juge que « si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté »34.

 

S’il admet donc qu’une mesure privative de liberté puisse être prononcée par une autre autorité que l’autorité judiciaire, le Conseil s’assure toutefois :

 

- en premier lieu, que les conditions dans lesquelles la mesure privative de liberté est prononcée permettent de s’assurer qu’elle est bien adaptée, nécessaire et proportionnée ;

 

- en second lieu, que la compétence du juge judiciaire est respectée.

 

Pour cela, il s’assure que le juge judiciaire intervient « dans le plus court délai possible ». Ce délai varie, cependant, selon la nature de la procédure à l’origine de la mesure en cause et de la justification de la privation de liberté. Ainsi, le Conseil l’a fixé à quinze jours pour une hospitalisation d’office35 et sept jours en matière de rétention administrative36. Il a jugé conforme à l’exigence fixée par l’article 66 le délai de quarante-huit heures prévu pour l’intervention d’un magistrat du siège en cas de garde à vue37 et celui de quatorze jours prévu pour une mise en quarantaine ou un placement en isolement « sanitaire »38.

 

Par ailleurs, le Conseil est attentif, dans cette hypothèse, à ce que le contrôle exercé par l’autorité judiciaire soit « systématique », c’est-à-dire qu’il ne soit pas laissé à la seule appréciation de la personne privée de liberté ou même du juge, et maintenu tout au long de l’exécution de la mesure privative de liberté.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, le Conseil était saisi de dispositions qui prévoyaient une intervention du juge judiciaire quarante-huit heures après la décision administrative de placement en rétention d’un étranger et permettaient au juge judiciaire de prolonger cette rétention pour une durée de trente jours. Pour répondre à un grief des saisissants qui faisaient valoir que l’intervention du juge judiciaire au bout de quarante-huit heures ne permettait pas de respecter les exigences de l’article 66 au motif qu’une fois la prolongation de trente jours décidée le juge n’était plus appelé à intervenir, le Conseil a émis une réserve d’interprétation en jugeant « que l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient »39.

 

* De manière plus inédite, le Conseil constitutionnel a été conduit, par deux décisions rendues dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, à examiner des dispositions habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant notamment à prolonger la durée des détentions provisoires et, sur la base de cette habilitation, à prévoir la prolongation de plein droit de telles détentions provisoires.

 

Dans sa décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, le Conseil avait été saisi de la loi habilitant le Gouvernement à adapter les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 pour permettre, notamment, l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle.

 

Après avoir rappelé que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », il a jugé que « les dispositions [de la loi d’habilitation] n’excluent pas toute intervention d’un juge lors de la prolongation d’un titre de détention provisoire venant à expiration durant la période d’application de l’état d’urgence sanitaire. Elles ne portent donc atteinte ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux exigences de l’article 66 de la Constitution imposant l’intervention d’un juge dans le plus court délai possible en cas de privation de liberté. L’inconstitutionnalité alléguée par les requérants ne pourrait résulter que de l’ordonnance prise sur le fondement de ces dispositions. / Les dispositions d’une loi d’habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, notamment les exigences résultant de son article 66 s’agissant des modalités de l’intervention du juge judiciaire en cas de prolongation d’une mesure de détention provisoire »40.

 

Dans sa décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a ensuite été conduit à statuer sur les dispositions prises par voie d’ordonnance sur la base des dispositions précitées de la loi d’habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020. À la différence de cette dernière, l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 avait bien pour objet et pour effet de prolonger « de plein droit et pour des durées variables selon la peine encourue, des détentions provisoires, au cours et à l’issue de l’instruction ». Le Conseil était ainsi saisi de mesures privatives de liberté dont la prolongation avait été décidée par le législateur lui-même.

 

Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions en jugeant : « D’une part, les dispositions contestées maintiennent en détention, de manière automatique, toutes les personnes dont la détention provisoire, précédemment décidée par le juge judiciaire, devait s’achever parce qu’elle avait atteint sa durée maximale ou que son éventuelle prolongation nécessitait une nouvelle décision du juge. / D’autre part, ces détentions sont prolongées pour des durées de deux ou trois mois en matière correctionnelle et de six mois en matière criminelle. / Enfin, si les dispositions contestées réservent, durant la période de maintien en détention qu’elles instaurent, la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment, d’office, sur demande du ministère public ou sur demande de l’intéressé, la mise en liberté, elles ne prévoient, durant cette période, aucune intervention systématique du juge judiciaire. En outre, l’article 16-1 de l’ordonnance du 23 mars 2020 ne prévoit de soumettre au juge judiciaire, dans un délai de trois mois après leur prolongation en application des dispositions contestées, que les seules détentions provisoires qui ont été prolongées pour une durée de six mois.

 

« Les dispositions contestées maintiennent donc de plein droit des personnes en détention provisoire sans que l’appréciation de la nécessité de ce maintien soit obligatoirement soumise, à bref délai, au contrôle du juge judiciaire.

 

« Or, l’objectif poursuivi par les dispositions contestées n’est pas de nature à justifier que l’appréciation de la nécessité du maintien en détention soit, durant de tels délais, soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire. Au demeurant, l’intervention du juge judiciaire pouvait, le cas échéant, faire l’objet d’aménagements procéduraux »41.

 

2. – Lorsque la mesure privative de liberté a été prononcée par un juge

 

Lorsque la privation de liberté a été prononcée par le juge judiciaire, les exigences de l’article 66 de la Constitution sont réputées satisfaites pour ce qui est de la décision de placement en détention elle-même. Le Conseil constitutionnel s’assure néanmoins qu’une possibilité de réexamen périodique de la situation de la personne privée de liberté par le juge reste ensuite possible, afin notamment que ce dernier puisse contrôler, à cette occasion, la durée de l’incarcération.

 

- Ainsi, dans sa décision n° 2016-561/562 QPC du 9 septembre 2016, le Conseil devait se prononcer sur certaines dispositions définissant la procédure de placement sous écrou extraditionnel et les conditions dans lesquelles la demande de mise en liberté de la personne réclamée est examinée par la chambre de l’instruction.

 

Le Conseil était saisi des dispositions du deuxième alinéa de l’article 696-19 du CPP relative à la procédure de placement sous écrou extraditionnel et il était en particulier reproché à ces dispositions d’accorder des délais excessifs à la chambre de l’instruction pour statuer sur une demande de mise en liberté formée par une personne dans le cadre d’une procédure d’extradition. Il leur était par ailleurs reproché de ne prévoir aucune durée à la privation de liberté résultant du placement sous écrou extraditionnel ni d’examen systématique d’un juge. 

 

Pour répondre à la première branche des griefs tirés de la méconnaissance des articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil a d’abord rappelé qu’« en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais. Il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence »42.

 

Le Conseil a ensuite relevé que, dans le cas d’espèce, il appartenait à la chambre de l’instruction de statuer « dans les plus brefs délais et au plus tard dans les vingt jours de la réception de la demande » ou, si la demande a été formée dans les quarante-huit heures de la mise sous écrou extraditionnel, dans les quinze jours. Il en a conclu que « ces délais maximums ne sont pas excessifs au regard, notamment, de la nécessité pour le juge de déterminer si la personne présente les garanties suffisantes de représentation à tous les actes de la procédure »43.

 

Dans la deuxième branche de l’argumentation, le Conseil constitutionnel était confronté à la question de savoir si une mesure privative de liberté prononcée par un juge judiciaire sans limite de durée ni réexamen systématique par le juge lors de son exécution était conforme à la Constitution.

 

Pour y répondre, le Conseil a tout d’abord constaté qu’effectivement, aucune disposition législative ne prévoyait de durée maximale au placement sous écrou extraditionnel, pas plus qu’une obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge.

 

Cependant, il a relevé que « la personne réclamée peut solliciter à tout instant de la procédure, qu’elle soit juridictionnelle ou administrative, sa mise en liberté devant la chambre de l’instruction »44.

 

Il a alors énoncé une réserve d’interprétation en ces termes : « La liberté individuelle ne saurait, toutefois, être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de l’incarcération, en tenant compte notamment des éventuels recours exercés par la personne et des délais dans lesquels les autorités juridictionnelles et administratives ont statué. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention, dans le cadre de la procédure d’extradition, excède un délai raisonnable »45.

 

- Dans sa décision n° 2016-602 QPC du 9 décembre 2016 relative à l’incarcération intervenant lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, le Conseil était notamment saisi de l’article 695-34 du CPP donnant compétence à la chambre de l’instruction pour statuer sur les demandes de mise en liberté de la personne incarcérée. Le requérant critiquait également l’absence de durée maximale de l’incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et l’absence de procédure de réexamen systématique de la mesure d’incarcération.

 

Réitérant le raisonnement qu’il avait tenu dans la décision n° 2016-561/562 QPC du 9 septembre 2016 précitée, le Conseil a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration de 1789 en jugeant, que :

 

« D’une part, en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais. Il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence. / La deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 695-34 du code de procédure pénale prévoit que la chambre de l’instruction doit, lorsqu’elle est saisie d’une demande de mise en liberté formée par une personne incarcérée dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, statuer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de la réception de la demande. En vertu de la troisième phrase de ce même alinéa, lorsque la personne n’a pas encore comparu devant la chambre de l’instruction, ces délais ne courent qu’à compter de sa première comparution devant cette juridiction. Ces délais maximum ne sont pas excessifs au regard, notamment, de la nécessité pour le juge de déterminer si la personne présente les garanties suffisantes de représentation à tous les actes de la procédure »46.

 

D’autre part, le Conseil a constaté, là encore, qu’effectivement, ni l’article 695-34 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition législative ne prévoyaient de durée maximum à l’incarcération de la personne recherchée, et qu’en outre, il n’existait pas d’obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge.

 

Cependant, après les avoir analysées, il a jugé que les dispositions régissant l’exécution du mandat d’arrêt européen garantissaient que l’incarcération de la personne recherchée ne puisse excéder un délai raisonnable47 et a tenu compte du fait que « la personne recherchée peut solliciter, à tout instant de la procédure, sa mise en liberté devant la chambre de l’instruction »48.

 

B. – L’application à l’espèce

 

Le Conseil constitutionnel a commencé par énoncer les termes de l’article 66 de la Constitution et les exigences qui en résultent. Il a ainsi rappelé que « La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis » (paragr. 8).

 

Puis, s’attachant aux dispositions contestées de l’article 181 du code de procédure pénale, le Conseil a d’abord relevé que, lorsqu’une personne mise en accusation est placée en détention provisoire, « le mandat de dépôt décerné à son encontre conserve sa force exécutoire, de sorte qu’elle reste détenue jusqu’à son jugement par la cour d’assises, sous réserve que, en application des dispositions contestées, elle comparaisse dans un délai déterminé » (paragr. 9).

 

Il a ensuite constaté que lorsque le renvoi de l’affaire est ordonné par la cour en application de l’article 343 du CPP, la détention provisoire de l’accusé se poursuit jusqu’au jugement, sans que les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximale à cette détention. Il a également relevé qu’il n’existait aucune obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge (paragr. 10).

 

Le Conseil devait donc déterminer si, dans le cas particulier où un renvoi intervient au cours des débats en matière criminelle, l’absence de durée fixe de privation de liberté de l’accusé porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle.

 

Pour ce faire, il a pris en compte les garanties existantes, qui tiennent, en premier lieu, au contrôle, par la juridiction, de la privation de liberté au moment où le renvoi de l’affaire est ordonné. Le Conseil a relevé à cet égard qu’en application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour qui ordonne le renvoi de l’affaire doit se prononcer sur le maintien en détention provisoire de l’accusé. Cet examen suppose alors que la juridiction s’assure, d’une part, que les conditions de fond de la détention provisoire, prévues par l’article 144 du CPP, demeurent réunies et, d’autre part, que la durée de la détention ne dépasse pas la limite du raisonnable (paragr. 11).

 

Il peut être relevé sur ce point que, au soutien des griefs qu’il développait sur le double terrain de l’article 66 de la Constitution et de son article 34, qu’il adossait à la liberté individuelle, le requérant faisait valoir que ces exigences impliquaient l’intervention systématique du juge judiciaire dans les plus brefs délais pour contrôler la privation de liberté. Ce faisant, il mobilisait toutefois la jurisprudence que le Conseil a développée dans le cas où la mesure privative de liberté en cause n’a pas été ordonnée par un juge, mais par une autre autorité.

 

Or, au cas présent, le maintien en détention provisoire en raison du renvoi de l’affaire à une prochaine session d’assises est bien prononcé par la cour après un examen de sa nécessité et de sa proportionnalité. C’est la raison pour laquelle le Conseil s’est inscrit dans la ligne des deux décisions QPC précitées du 9 septembre 2016 et du 9 décembre 2016, dont il résulte que, lorsque la privation de liberté a été ordonnée par le juge judiciaire, son contrôle porte sur l’existence d’une possibilité de réexamen périodique de la situation de la personne privée de liberté par le juge49.

 

À cet égard, en second lieu, le Conseil a relevé, au titre des garanties prévues par le législateur, que la personne privée de liberté a bien la possibilité de former à tout moment une demande de mise en liberté (paragr. 12). Comme il l’avait fait dans sa décision n° 2016–561/562 QPC du 9 septembre 2016 précitée, il a cependant réitéré la réserve selon laquelle « la liberté individuelle ne saurait être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de la détention. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable » (paragr. 13).

 

Il a conclu que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 devait être écarté (paragr. 14).

 

Après avoir constaté que les dispositions contestées n’étaient pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissaient pas non plus le principe d’égalité, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 15).

_______________________________________

1 Depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Dans certaines circonstances particulières, elle peut relever de la compétence d’autres juges. Si elle intervient essentiellement dans le cadre de l’instruction, la détention provisoire peut également être ordonnée par le JLD dans le cadre de la comparution immédiate, lorsque le prévenu refuse d’être jugé le jour même, ou bien encore dans le cadre de la comparution à délai différé.

2 Il peut également être recouru au placement en détention provisoire en cas de comparution immédiate, de comparution à délai différé ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Ce type de détention qui peut aller de quelques jours à quatre mois ne peut jamais donner lieu à prolongation.

3 Article 143-1 du CPP.

4 Le placement en détention provisoire intervient à l’issue d’un débat contradictoire, qui se tient en principe en audience publique et au cours duquel le JLD entend le ministère public et la personne mise en examen, assistée le cas échéant de son avocat (article 145 du CPP).

5 Article 145-1 du CPP.

6 Article 145-2 du CPP.

7 Dans certaines situations spécifiques, la durée maximale de la détention provisoire en matière correctionnelle peut aller jusqu’à deux voire trois ans (article 145-1, dernier alinéa, du CPP).

8 Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e édition, Economica, 2015, § 2728.

9 Ou huit mois en matière délictuelle.

10 Ou, depuis le 1er janvier 2023, devant la cour criminelle départementale, dans les cas prévus à l’article 181-1 du CPP (s’il existe, à l’issue de l’information, des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis, hors récidive, un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle).

11 Si la personne détenue est renvoyée devant le tribunal correctionnel, l’ordonnance de règlement met en principe fin à la détention provisoire. Toutefois, le juge d’instruction peut, par ordonnance spécialement motivée, maintenir le prévenu en détention jusqu’à sa comparution devant la juridiction compétente (art. 179, alinéa 3, du CPP). Cette décision peut également être prise par la chambre de l’instruction, dans les mêmes conditions, lorsque cette dernière procède au renvoi du prévenu devant le tribunal correctionnel (art. 213, alinéa 2, du CPP). L’ordonnance de maintien en détention provisoire doit alors être motivée par l’un des objectifs prévus aux 2°, 4°, 5° et 6° de l’article 144 précité.

12 Le délai court à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive ou de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire.

13 La Cour de cassation a déjà refusé de transmettre une QPC sur ces dispositions, en jugeant que la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire décidée par la chambre de l’instruction ne portait atteinte ni à l’égalité devant la loi ni au droit à un recours juridictionnel effectif : Crim. 7 juin 2011, n° 11-90.030.

14 Article 77 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (dispositions initialement codifiées à l’article 215-2 du CPP), issu d’un amendement du rapporteur au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Lazerges, adopté en première lecture. Dans sa version initiale, l’amendement envisageait un délai de 8 mois renouvelable deux fois, soit 24 mois au maximum. Le garde des sceaux avait suggéré sa rectification, pour porter respectivement à un an le premier délai et à 6 mois les deux prolongations possibles. (« Le délai global de deux ans me paraît opportun mais le premier délai de huit mois renouvelable deux fois peut paraître un peu trop court. / Dans plusieurs ressorts comme Paris, Bobigny ou Douai, où les cours d’assises sont encore surchargées, malgré l’amélioration des effectifs, les délais d’audiencement sont supérieurs à un an. Il est sûr que ce retard ne pourra pas être résorbé en un jour. On risque donc d’utiliser de façon systématique la première prolongation au bout de huit mois, ce qui portera, dans certains cas, le délai d’audiencement à seize mois au lieu d’un an. » Compte-rendu des débats – 3e séance du 25 mars 1999). Voté sous cette forme par l’Assemblée, l’article sera ensuite adopté conforme par le Sénat sans faire l’objet de discussion.

15 Voir, notamment, Cass. crim., 27 mars 2018, n° 18-80.123 (« il résulte de [l’article 181, alinéas 8 et 9, du code de procédure pénale] que le délai d’un an, à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, dans lequel la personne détenue en raison des faits pour lesquels elle est renvoyée devant la cour d’assises doit comparaître devant cette juridiction ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement ») et Cass. crim., 21 mai 2019, n° 19-81.753.

16 La date de l’ouverture des sessions de la cour d’assises est fixée « chaque fois qu’il est nécessaire », sur proposition du procureur général, par le premier président de la cour d’appel (art. 236 du CPP), la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 ayant assoupli la règle qui imposait auparavant une tenue trimestrielle des assises, afin de faciliter l’audiencement des affaires criminelles. Le rôle de chaque session est arrêté sur proposition du ministère public, par le président de la cour d’assises (art. 238 du CPP). Le ministère public avise l’accusé de la date à laquelle celui-ci doit comparaître (art. 239 du CPP).

17 Un renvoi peut également intervenir avant l’ouverture des débats, en application de l’article 287 du CPP, si le président de la juridiction estime que l’affaire n’est pas en état d’être jugée. Ce renvoi n’a aucun effet sur le délai de comparution qui continue à courir.

18 Article 243 du CPP.

19 Henri Angevin, « Cour d’assises – Débats – Production des preuves – Déroulement des débats », JurisClasseur Procédure pénale, art. 323 à 346, fasc. 20, 2008, n° 87.

20 Cass. crim., 21 mars 1984, n° 83-91.409.

21 Cass. crim., 14 octobre 2015, n° 15-84.385. Il peut être relevé que, de manière comparable, lorsqu’un renvoi est ordonné par le tribunal correctionnel du fait, par exemple, de la nécessité de requalifier un délit en crime (article 469 du CPP), la Cour de cassation juge que les dispositions de l’article 145-2 du CPP relatives à la durée maximum de la détention ne s’appliquent pas et que la durée de la détention s’apprécie au regard du délai raisonnable (Cass. crim., 29 mai 2018, n° 18-81.533).

22 Henri Angevin, La pratique de la cour d’assises, LexisNexis, 2016, 6e éd., n° 375.

23 Cass. crim., 15 mars 2011, n° 10-90.126. Cet arrêt avait été rendu à l’occasion d’une QPC, non renvoyée par la Cour de cassation, dirigée contre l’article 181 du CPP, et qui faisait valoir qu’aucun autre texte du code de procédure pénale ne prévoyait de délai ni n’exigeait qu’une juridiction statue de façon spécialement motivée dans l’hypothèse d’une privation de liberté résultant d’une décision de renvoi de la cour d’assises à une audience ultérieure.

24 Article 148, alinéa 2, du CPP.

25 Article 148, alinéa 3, du CPP. Par ailleurs, l’article 144-1 du CPP dispose que le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le JLD doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire dès que les conditions prévues aux 144 et 144-1 ne sont plus remplies.

26 La chambre de l’instruction peut également être directement saisie lorsque le JLD ne statue pas dans le délai légal sur une demande de mise en liberté (article 148, dernier alinéa, du CPP).

27 Toutefois, si la personne a déjà comparu devant la juridiction moins de quatre mois auparavant, le président de cette juridiction peut en cas de demande de mise en liberté refuser la comparution personnelle de l’intéressé par une décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours.

28 Il faut ajouter le cas de la personne déjà jugée en second ressort et qui a formé un pourvoi en cassation : la juridiction saisie (chambre des appels correctionnels ou chambre de l’instruction) statue alors dans les quatre mois de la demande.

29 Article 148-2, alinéa 4, du CPP.

30 Voir, par exemple, les décisions n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin J. (Compétence du juge administratif en cas de contestation de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formulée en rétention), paragr. 5 à 12, et n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021, M. Pablo A. et autres (Contrôle des mesures d’isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement II), paragr. 14 à 20.

31 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 2 et 20.

32 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 13.

33 Voir, par exemple, les décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 16, n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cons. 66, n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, M. Sofiyan I. (Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II), paragr. 5 et, en dernier lieu, n° 2021-824 DC du 5 août 2021, Loi relative à la gestion de la crise sanitaire, paragr. 111.

34 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Daniele S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 20.

35 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, précitée, cons. 25 et décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement), cons. 16 à 18.

36 Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cons. 73.

37 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (Garde à vue), cons. 26.

38 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, paragr. 43.

39 Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 64 à 66. Cette réserve a été réitéré dans les décisions n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 précitée, cons. 75 et n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, paragr. 75.

40 Décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre (Habilitation à prolonger la durée des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire), paragr. 12 à 16.

41 Décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, M. Ion Andronie R. et autre (Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire), paragr. 7 à 11.

42 Décision n° 2016-561/562 QPC du 9 septembre 2016, M. Mukhtar A. (Ecrou extraditionnel), paragr. 17.

43 Ibid., paragr. 18.

44 Ibid., paragr. 20.

45 Ibid., paragr. 21.

46 Décision n° 2016-602 QPC du 9 décembre 2016, M. Patrick H (Incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen), paragr. 20 et 21.

47 Ibid., paragr. 23 à 26.

48 Ibid., paragr. 27.

49 La situation en cause était également distincte de celle examinée par le Conseil dans sa décision n° 2020–878/879 QPC du 29 janvier 2021 mentionnée précédemment, où la prolongation de la détention provisoire pouvait intervenir par le seul effet de dispositions législatives nouvelles.