Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2023-1051 QPC

09/08/2023

Conformité

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 5 avril 2023 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 384 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mmes Catherine et Jocelyne R., portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 724 du code civil et des articles 641 et 1701 du code général des impôts (CGI).

 

Dans sa décision n° 2023-1051 QPC du 1er juin 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « les héritiers » figurant au premier alinéa de l’article 641 du CGI, dans sa rédaction issue du décret n° 72-685 du 4 juillet 1972 mettant en harmonie le code général des impôts avec les dispositions de la loi n° 69‐1168 du 26 décembre 1969 portant simplifications fiscales et incorporant à ce code diverses dispositions d’ordre financier.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Historique et objet des dispositions contestées

 

1. – La protection des héritiers réservataires en présence d’un légataire universel

 

a. – Les règles de dévolution et de saisine successorale et la réserve héréditaire

 

* Les règles de dévolution du patrimoine du défunt sont déterminées par la loi1. Le code civil désigne ainsi les personnes ayant la qualité d’héritiers (« héritiers légaux »), les classe par ordre de priorité2 puis par rang, et détermine leurs droits respectifs dans la succession (la part du patrimoine qui leur revient et, le cas échant, certains droits particuliers dont ils peuvent jouir).

 

La désignation des héritiers résultant des règles légales de dévolution peut toutefois se trouver modifiée par l’effet d’une manifestation de volonté exprimée, de son vivant, par le défunt.

 

À ce titre, le testament, acte juridique « par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits »3, permet au testateur de consentir une libéralité à cause de mort (ou « legs ») à un bénéficiaire déterminé (appelé « légataire »).

 

Parmi ces libéralités figure le legs universel, « disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l’universalité des biens qu’il laissera à son décès »4. Toutefois, comme le relève la doctrine, « le légataire universel est non celui qui recueille la totalité des biens du testateur, mais celui qui a vocation à recevoir le tout »5, puisque, s’il a bien un droit à l’universalité de la succession à la mort du défunt, il lui revient par ailleurs de tenir compte de la présence d’héritiers légaux qui peuvent également faire valoir leurs droits sur la succession.

 

* Le code civil prévoit l’articulation de ces règles et détermine les droits respectifs des héritiers légaux et des légataires.

 

- Concernant les règles de dévolution, l’article 721 du code civil dispose que « [l]es successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités » mais prévoit également que « [les successions] peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire ».

 

La loi fixe de la sorte des bornes au pouvoir de la volonté à l’égard des libéralités susceptibles d’être consenties : face au légataire universel qui recueille l’universalité des biens au décès, la loi réserve une part « incompressible » du patrimoine successoral en faveur de certains héritiers.

 

La notion de réserve héréditaire est définie à l’article 912 du code civil. Il s’agit de « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent »6.

 

Ainsi, le patrimoine successoral du défunt comporte deux fractions : d’une part, la réserve héréditaire qui a nécessairement vocation à être dévolue aux héritiers dits réservataires et, d’autre part, la seconde fraction, dite quotité disponible7, qui est abandonnée à la libre disposition du défunt, lui permettant à ce titre de gratifier le légataire de son choix, aussi bien parmi les héritiers (auquel cas on parle de « légataire héritier ») que parmi les tiers à la succession (les autres légataires).

 

Le principe de la réserve héréditaire, dont les racines sont anciennes dans le droit des successions et des libéralités, marque le souhait du législateur de préserver la transmission d’une partie du patrimoine du défunt à sa proche famille, en protégeant notamment ses descendants contre les risques d’exhérédation ou d’excès de générosité envers des tiers8. Il réalise un compromis entre volonté individuelle du propriétaire souhaitant régler la disposition de ses biens à sa mort et devoir de transmission sociale.

 

Ainsi, le code civil désigne les héritiers bénéficiant de la réserve (enfants ou conjoint9) et fixe les règles de calcul de la quotité disponible10, la loi déterminant la part minimale du patrimoine successoral qu’ils sont garantis de recevoir, alors même que le défunt aurait consenti un legs ou une donation à l’un des héritiers ou à un tiers.

 

- Concernant les modalités de la saisine (c’est-à-dire le pouvoir du successeur de se substituer au défunt et d’appréhender en lieu et place de ce dernier les biens héréditaires en accomplissant tous les actes matériels et juridiques sur ces biens, sans avoir à effectuer de formalités préalables), le code civil distingue également les héritiers et les légataires.

 

Le premier alinéa de l’article 724 du code civil (l’une des dispositions objet de la décision commentée) prévoit que « [l]es héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ».

 

À l’inverse, le légataire universel, en présence d’héritiers réservataires, n’a pas la saisine des biens et est tenu de demander (à celui qui a la saisine du bien) la délivrance du legs pour pouvoir prendre possession des biens légués11.

 

Toutefois, s’il est également héritier, le légataire est, du fait même de sa qualité d’héritier, saisi de l’ensemble des biens et n’a donc pas à demander la délivrance de son legs (ceci résulte du caractère indivisible de la saisine reconnue au légataire héritier12).

 

b. – Le principe de réduction en valeur des libéralités excédant la réserve depuis la réforme de 2006

 

* Pour assurer l’effectivité de la réserve héréditaire, le droit civil prévoit un mécanisme particulier qui peut être mis en œuvre par les héritiers au moment de l’ouverture de la succession : l’action en réduction des libéralités « excessives » – en ce qu’elles empiètent sur la réserve – qui vise à leur restitution, au bénéfice de la masse successorale à partager, et jusqu’à concurrence de la reconstitution de la réserve à laquelle les héritiers ont droit13.

 

Action sui generis du droit civil, la réduction des libéralités excessives n’est, comme le souligne la doctrine, pas constitutive d’« une nullité, puisqu’elle ne vient pas sanctionner un vice de formation … De même, elle ne constitue pas une hypothèse de caducité, en l’absence de disparition d’un élément nécessaire à la validité de l’acte postérieurement à sa naissance. Enfin, elle n’est pas non plus assimilable à une résolution, dans la mesure où il n’est pas ici question d’inexécution d’une obligation contractuelle »14.

 

Si la réserve, qui est intangible pour le disposant, relève de l’ordre public successoral, la réduction n’est pas pour autant automatique : les héritiers réservataires doivent en faire la demande. L’article 921 du code civil prévoit que l’action en réduction ouverte à cette fin est soumise à un délai de prescription fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès15. Les héritiers peuvent par ailleurs, et sous certaines conditions, renoncer à exercer l’action en réduction16.

 

* Avant la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 (voir infra), la réduction avait lieu par principe « en nature » , c’est-à-dire sur les biens mobiliers ou immobiliers légués et ayant vocation à réintégrer le patrimoine successoral. Le bien, objet de la libéralité, retrouvait donc la masse à partager entre les héritiers.

 

Le mécanisme de réduction permettant aux héritiers réservataires de remettre en cause un legs universel, il leur était ainsi possible de se voir attribuer la propriété de certains biens au moment du partage de la succession17. La réduction en nature pouvait être source d’insécurité juridique puisqu’un gratifié pouvait se voir « dépossédé » d’un bien dont il avait l’usage depuis plusieurs années par le jeu de l’action en réduction.

 

Le bien légué pouvant être attribué, en totalité ou en partie, aux héritiers réservataires18, la réduction entraînait en outre, dans certains cas, une indivision successorale sur les biens du défunt entre le gratifié et les héritiers.

 

Dans le but de garantir une plus grande sécurité dans la transmission des biens, la réforme du droit des successions et des libéralités opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a abandonné le principe de la réduction « en nature » et consacré le principe d’une réduction « en valeur » des libéralités excédant la part des biens dont le défunt pouvait librement disposer.

 

Le premier alinéa de l’article 924 du code civil dispose désormais : « Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent »19.

 

Dans l’exposé des motifs du projet de loi à l’origine de ces dispositions, le ministre de la justice expliquait les raisons de cette réforme en s’appuyant sur certaines des critiques habituellement dirigées contre le principe de la réduction en nature des libéralités20.

 

L’objectif de cette réforme était de limiter, voire d’éviter la remise en cause matérielle d’une situation ancienne pour le bénéficiaire des libéralités excessives (en lui donnant par exemple la possibilité de continuer à utiliser comme domicile une propriété reçue du disposant par donation depuis plusieurs années, sans porter atteinte aux droits de l’héritier réservataire lésé, qui sera indemnisé à concurrence de ce qu’il aurait dû recevoir du défunt21).

 

La loi fixe également les modalités de calcul de l’indemnité de réduction due à l’héritier réservataire (date d’appréciation de la valeur des biens, etc.)22 et précise en particulier que l’indemnité de réduction est payable au moment du partage, sauf accord entre les cohéritiers23.

 

c. – Les conséquences de la réforme de 2006 sur la situation de l’héritier réservataire bénéficiaire de l’indemnité de réduction

 

* L’affirmation d’un principe de réduction en valeur a entraîné une modification de la nature même de l’objet de l’action en réduction : en effet, la réduction prend désormais la forme d’un droit à indemnité de l’héritier réservataire contre le bénéficiaire de la libéralité excessive. Le gratifié, quant à lui, demeure seul propriétaire des biens objets de cette libéralité.

 

Ce faisant, la loi fait désormais de l’héritier réservataire un créancier du légataire universel dans l’hypothèse particulière où ce dernier cumule cette qualité avec celle d’héritier24.

 

* La jurisprudence judiciaire a tiré les conséquences de la réforme de 2006 sur la nature des droits en cause lors de l’exercice de l’action en réduction intentée par les héritiers réservataires, notamment en présence d’un légataire universel également héritier.

 

- Ainsi, le légataire universel est saisi, de plein droit, et dès le décès, de l’universalité du patrimoine de la succession sans être contraint de demander la délivrance de son legs à ses co–héritiers25.

 

Il dispose ainsi de plusieurs attributs du titulaire d’un droit réel sur ces biens en ce qu’il peut occuper le bien qui ne lui appartient qu’en partie, cette jouissance étant exclusive de toute indemnité au profit de l’indivision pour l’occupation du bien, et en percevoir les fruits. En outre, il peut accomplir seul tous les actes conservatoires et d’administration, comme l’action en nullité d’un acte conclu par le de cujus, l’action en contestation d’une créance du de cujus ou le recouvrement de créances. En revanche, la saisine ne l’autorise pas à accomplir des actes de disposition sur des biens dont il ne serait pas exclusivement propriétaire26.

 

Désormais, en outre, aucune indivision successorale ne s’ouvre entre ce légataire universel et les héritiers réservataires, le legs étant réductible en valeur et non en nature 27. La Cour de cassation en a déduit que le patrimoine du défunt étant transmis à son décès au légataire universel, les héritiers réservataires ne peuvent donc prétendre ni à l’attribution préférentielle28, ni à la licitation29 des biens de la succession30.

 

- Quant à l’héritier réservataire, il « ne dispose d’aucun droit réel sur les biens du défunt qui ne lui sont pas transmis, mais seulement d’une créance à l’égard du légataire universel, consistant en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve », ainsi que l’a jugé la Cour de Cassation dans l’arrêt de renvoi à l’origine de la décision commentée.

 

2. – La fiscalité des successions

 

Ce nouvel équilibre entre le légataire universel et l’héritier réservataire n’est pas sans conséquence sur le volet fiscal des opérations de règlement de la succession.

 

Tous les héritiers sont soumis, de façon générale, à des obligations déclaratives et au paiement de droits de mutation à titre gratuit.

 

En vertu de l’article 800 du code général des impôts (CGI), les héritiers, légataires ou donataires sont tenus de souscrire une « déclaration détaillée »31, qui doit notamment comporter la détermination des personnes qui vont hériter ainsi que l’énumération et l’estimation détaillée de tous les biens de la succession, qu’ils soient imposables ou exonérés (actif), ainsi que l’énumération et le montant des dettes du défunt (passif).

 

Conformément aux dispositions de l’article 641 du CGI (l’une des dispositions objet de la décision commentée), la déclaration détaillée doit être enregistrée dans le délai de six mois à compter du jour du décès (lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine32).

 

Ce délai est impératif. En effet, de manière constante, la Cour de cassation juge que, étant considérés comme saisis de plein droit de la succession en vertu de l’article 724 du code civil, les héritiers réservataires restent soumis à ce délai même lorsque la succession est contestée33.

 

De plus, selon l’article 1701 du CGI (l’une des dispositions objet de la décision commentée), les droits de succession doivent être payés avant l’exécution de l’enregistrement. Ce même article précise que nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s’il y a lieu.

 

À défaut de remplir ces formalités et d’acquitter ces droits, l’héritier s’expose au paiement des indemnités de retard et à une majoration de droits dus.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Décédé en octobre 2012 M. Jean R. laissait pour héritiers deux filles d’un premier mariage (Mmes Jocelyne R et Catherine R.), et un fils d’un second mariage (M. Patrick R.) ainsi que sa seconde épouse (Mme Annick R.), qu’il avait par ailleurs instituée légataire universel par testament en 1986.

 

Mmes Jocelyne et Catherine R. n’avaient pas déposé de déclaration de succession dans le délai prévu à l’article 641 du CGI, ni acquitté les droits de succession correspondants. Après avoir contesté la déclaration de succession déposée par Mme Annick R., elles l’avaient assignée, ainsi que M Patrick R., devant le tribunal judiciaire afin de faire valoir leurs droits de réserve héréditaire. À cette occasion, elles avaient demandé au juge la désignation d’un mandataire successoral.

 

Le 25 janvier 2017, un accord transactionnel avait été signé entre les parties, fixant l’actif net successoral et déterminant le montant des indemnités de réduction dues par Mme Annick R. à chacun des trois héritiers réservataires.

 

Le 31 janvier 2017, après avoir perçu leurs indemnités, Mmes Jocelyne et Catherine R. avaient acquitté auprès de l’administration fiscale les droits de succession correspondants. Le 6 mars 2017, Mme Annick R. et M. Patrick R. avaient déposé une déclaration de succession et ce dernier avait payé les droits de succession correspondant à ses indemnités de réduction.

 

Le 4 avril 2017, l’administration fiscale avait notifié aux trois enfants R. une proposition de redressement fondée sur les articles 1840 E et 1709 du CGI dont il résulte le principe de solidarité des cohéritiers pour le paiement des pénalités et indemnités de retard. Considérant qu’ils n’avaient pas respecté le délai de six mois pour déposer la déclaration de succession et payer les droits afférents, l’administration leur avait demandé de payer des indemnités de retard et une pénalité de 10 %.

 

Le 16 août 2017, l’administration fiscale avait émis un avis de recouvrement des sommes correspondantes, que les trois enfants R. avaient contesté. Cette réclamation avait été implicitement rejetée.

 

Le 4 mars 2019, M. Patrick R. avait saisi le tribunal judiciaire afin d’obtenir le dégrèvement des droits de succession dont il s’était acquitté. Dans le cadre de cette procédure, il avait assigné en intervention forcée Mmes Catherine et Jocelyne R. afin que, dans le cas où les pénalités et indemnités de retard seraient confirmées, elles soient tenues de payer leur part.

 

À l’occasion de cette procédure, les sœurs R. avaient soulevé une QPC devant le juge de la mise en état, ainsi formulée : « Les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 724 du code civil combinées à celles des articles 641 et 1701 du code général des impôts, en ce qu’elles imposent le règlement des droits de succession avant l’enregistrement de la déclaration de succession, soit dans un délai de six mois à compter du décès, et conduisent à ce qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritier, les héritiers réservataires soient tenus de verser des droits de succession au titre de biens qui ne leur sont pas transmis et dont ils n’auraient pas reçu la contre-valeur imposable, indépendamment de leur volonté, portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lesquelles chaque citoyen contribue aux charges publiques à raison de ses facultés ? ».

 

Par une ordonnance du 11 janvier 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire avait transmis la QPC à la Cour de cassation.

 

Dans son arrêt précité du 5 avril 2023, la Cour de cassation avait jugé : « La question posée présente un caractère sérieux au regard de l’exigence de prise en compte des facultés contributives telle qu’elle résulte de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. / En effet, cette exigence, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. / Or, il résulte de la combinaison des dispositions des articles 724, alinéa 1er, et 924 du code civil, 641, 800 et 1701 du code général des impôts qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritier et, partant, saisi de plein droit de l’ensemble de la succession, l’héritier réservataire, qui ne dispose d’aucun droit réel sur les biens du défunt qui ne lui sont pas transmis, mais seulement d’une créance à l’égard du légataire universel, consistant en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve, est cependant tenu de déposer une déclaration de succession dans les six mois suivant le décès et de s’acquitter des droits de mutation à titre gratuit, de sorte qu’il est assujetti au paiement de droits sur des sommes qu’il peut ne pas avoir perçues, et ce, pour des raisons indépendantes de sa volonté ». La Cour de cassation avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les questions préalables

 

* La Cour de cassation n’ayant pas précisé, dans son arrêt de renvoi précité, la version dans laquelle les dispositions de l’article 724 du code civil et des articles 641 et 1701 du CGI étaient renvoyées, il appartenait donc au Conseil constitutionnel de la déterminer lui-même.

 

Faisant application de sa jurisprudence constante selon laquelle « La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée »34, le Conseil constitutionnel a jugé, en l’espèce, qu’il était saisi du premier alinéa de l’article 724 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 3 décembre 200135, de l’article 641 du CGI dans sa rédaction issue du décret du 4 juillet 197236 et de l’article 1701 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1969 (paragr. 1).

 

Mmes Catherine et Jocelyne R., rejointes par Patrick R., partie au litige à l’occasion duquel a été posée la QPC, reprochaient à ces dispositions d’obliger les héritiers réservataires à s’acquitter de droits de succession alors même qu’ils n’auraient pas encore perçu les sommes imposables, en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques. Au soutien de ce grief, les requérantes faisaient valoir que, dans le cas où un légataire universel du défunt a également la qualité d’héritier légal et est ainsi tenu de verser aux héritiers réservataires une indemnité correspondant à la portion du legs excédant leur réserve, le versement de cette somme dépendrait de la seule diligence du légataire universel. Ainsi, les héritiers réservataires ne seraient pas toujours en mesure d’en disposer au moment où ils doivent s’acquitter des droits de succession.

 

Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « les héritiers » figurant au premier alinéa de l’article 641 du CGI (paragr. 6).

 

B. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant les charges publiques

 

* Aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

 

De manière constante, le Conseil juge que « Cette exigence ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques »37.

 

Sur le fondement de cet article 13, le Conseil opère un contrôle qui, sans examiner spécifiquement une différence de traitement entre deux catégories de contribuables, s’assure que les critères choisis par le législateur pour apprécier les facultés contributives des contribuables sont objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il poursuit et que leur application ne conduit pas à une rupture caractérisée de l’égalité.

 

* Le Conseil s’assure également que les dispositions dont il est saisi ne conduisent pas à soumettre le contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il déduit du principe d’égalité devant les charges publiques l’exigence selon laquelle « en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource »38. S’il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.

 

Le Conseil a prononcé quatre censures sur ce fondement :

 

– dans sa décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, saisi de dispositions prévoyant l’extension de l’assiette de la taxe acquittée par les éditeurs de services de télévision39, il a ainsi jugé « qu’en posant le principe de l’assujettissement des éditeurs de télévision, quelles que soient les circonstances, au paiement d’une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences précitées »40 ;

 

– dans sa décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014, portant sur un autre versant de cette même taxe41, il a également jugé « que les dispositions contestées incluent dans l’assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les recettes tirées des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages, que ces recettes soient perçues par les éditeurs de services de télévision ou par un tiers qui les encaisse pour son propre compte ; que, dans ce dernier cas, ces dispositions ont pour effet d’assujettir un contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas ; […] qu’en posant le principe de l’assujettissement, dans tous les cas, des éditeurs de services de télévision, quelles que soient les circonstances, au paiement d’une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences précitées »42 ;

 

– de la même façon, dans sa décision n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017, le Conseil constitutionnel, saisi de dispositions relatives à la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision43, a confirmé sa jurisprudence en considérant que « Les dispositions contestées incluent dans l’assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les sommes versées par les annonceurs aux régisseurs de messages publicitaires. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas. / En posant le principe de l’assujettissement, dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, des éditeurs de services de télévision au paiement d’une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 »44 ;

 

– enfin, dans sa décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017, le Conseil, de nouveau saisi de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision45, a constaté, pour les mêmes motifs, la méconnaissance des exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 178946.

 

Ces quatre décisions reposent toutes sur le constat qu’en incluant dans l’assiette de ces taxes, dont étaient redevables les éditeurs, des sommes perçues par des tiers (« personnes en assurant l’encaissement » ou régisseurs), les dispositions contestées avaient pour effet de soumettre les contribuables à une imposition sur des revenus dont ils ne disposaient pas, en méconnaissance de l’exigence de prise en compte des facultés contributives.

 

* En revanche, dans sa décision n° 2021-921 QPC du 25 juin 2021, s’agissant de dispositions qui désignaient expressément comme redevables de la taxe en cause les personnes qui exercent une activité de régie, et qui fixaient comme seule assiette les revenus publicitaires payés par les annonceurs à ces mêmes régies, le Conseil constitutionnel a jugé que « En premier lieu, les régies publicitaires sont imposées sur des sommes qui leur sont effectivement versées par les annonceurs. / En second lieu, la circonstance qu’une partie de ces sommes doive être reversée aux éditeurs lorsqu’une régie publicitaire agit pour le compte d’un éditeur relève de la forme contractuelle librement choisie pour régler leurs relations. / Dès lors, le législateur n’a pas inclus dans l’assiette de cette taxe des sommes qui ne seraient pas à la disposition des personnes qui y sont assujetties. Les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas le principe d’égalité devant les charges publiques »47.

 

* Pour s’assurer du respect de l’exigence de prise en compte des facultés contributives, le Conseil prend ainsi en considération le revenu ou les ressources dont le redevable a la « disposition ».

 

- Le Conseil a d’abord envisagé la notion de revenus disponibles de manière négative, c’est-à-dire en la définissant par opposition à celle de revenus « potentiels » ou « latents », dont il a jugé à plusieurs reprises qu’ils ne pouvaient être intégrés, en tant que tels, dans le revenu d’un contribuable pour le calcul du plafonnement à l’impôt de solidarité sur la fortune (devenu impôt sur la fortune immobilière).

 

Ainsi, dans la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la prise en compte de tels revenus : « en intégrant ainsi, dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune et de la totalité des impôts dus au titre des revenus, des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l’exigence de prise en compte des facultés contributives »48. Ce faisant, il a jugé que seuls des revenus réalisés ou disponibles, et non des revenus « potentiels » ou « latents », pouvaient figurer au dénominateur du calcul du plafonnement de l’ISF.

 

- Dans sa décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017, le Conseil constitutionnel avait examiné les modalités de la contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites. En application des dispositions contestées, la contribution patronale est exigible le mois suivant la date de la décision d’attribution des actions gratuites. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que cette contribution ne pouvait pas être remboursée alors même que les actions n’étaient finalement pas attribuées.

 

Le Conseil a formulé une réserve d’interprétation, en relevant que « s’il est loisible au législateur de prévoir l’exigibilité de cette contribution avant l’attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, imposer l’employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l’attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites »49.

 

Le commentaire de cette décision soulignait, à ce titre, que « les dispositions contestées conduisaient à la taxation, non pas de l’octroi d’une rémunération, mais de la décision non irrévocable de l’octroi de cette rémunération ». Il précisait par ailleurs que « Cette réserve ne vaut ainsi que pour les actions qui ne seraient pas effectivement attribuées, et non dans l’hypothèse où la valeur des actions sur laquelle est assise la contribution a diminué entre la date de la décision d’attribution et la date d’attribution effective ».

 

L’imposition s’applique donc au revenu considéré comme disponible en application d’un acte d’attribution effectif (en l’occurrence, une décision d’attribution d’une action), sans que les événements postérieurs à cet acte ne soient pris en considération.

 

- La récente décision n° 2021-962 QPC du 14 janvier 2022 a conduit le Conseil à se prononcer sur la « disponibilité » du revenu tiré d’une créance.

 

Le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions du paragraphe I de l'article 150–0 A du CGI qui soumettent à l’impôt sur le revenu les plus-values réalisées à l’occasion de la vente de certains biens, dans le cas particulier d’un paiement différé du prix de cette cession.

 

Après avoir relevé qu’il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que la date à laquelle la cession doit être regardée comme réalisée est celle à laquelle s’opère le transfert de propriété, indépendamment des modalités de paiement et des événements postérieurs à ce fait générateur, le Conseil a jugé que, « en application de l’article 1583 du code civil, la vente "est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé". Ainsi, à la date de la vente, le contribuable a acquis une créance certaine dont il peut disposer librement »50.

 

Le commentaire précise sur ce point qu’« En effet, dès la vente conclue, le contribuable dispose tout au moins d’une créance dont il peut faire librement usage, le cas échéant, en acceptant d’accorder un crédit-vendeur au profit du cessionnaire ».

 

C. – L’application à l’espèce

 

Dans la décision commentée, après avoir rappelé les exigences qu’il tire de l’article 13 de la Déclaration de 1789 et, en particulier, celle relative à la prise en compte des facultés contributives, qui « implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource » (paragr. 8), le Conseil constitutionnel a présenté l’objet des dispositions contestées.

 

* À cet égard, le Conseil a commencé par resituer la situation particulière dans laquelle se trouve, en vertu des règles du droit civil, l’héritier réservataire face à un légataire universel qui cumule cette qualité avec celle d’héritier.

 

En ce sens, il a d’abord rappelé la définition de la réserve héréditaire, telle qu’elle résulte de l’article 912 du code civil, et le mécanisme de réduction des libéralités excédant la quotité disponible ouvert aux héritiers réservataires, qui est prévu à l’article 924 du même code (paragr. 9).

 

S’appuyant ensuite sur ces dispositions et sur le premier alinéa de l’article 724 du code civil, le Conseil a constaté que, « en présence d’un légataire universel ayant également la qualité d’héritier, ce dernier est seul saisi de plein droit de l’ensemble de la succession et doit indemniser les héritiers réservataires » (paragr. 10), rendant compte ainsi de la réforme issue de la loi du 23 juin 2006 et de ses effets sur les héritiers réservataires.

 

Afin de mettre en exergue le point critiqué par les requérantes, le Conseil a alors fait le lien entre ces règles successorales et les obligations fiscales résultant des dispositions contestées de l’article 641 du CGI. Il a relevé en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de payer les droits de succession dans un délai déterminé, qui ne tient pas compte du versement effectif par le légataire universel de l’indemnité de réduction qu’il doit aux héritiers (paragr. 11).

 

* Après avoir ainsi posé le cadre dans lequel s’appliquent les dispositions contestées, le Conseil a examiné la conformité de ces dispositions aux exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789. À cet égard, il lui appartenait plus particulièrement de se prononcer sur le point de savoir si, ce faisant, les héritiers réservataires sont imposés sur des revenus dont ils ne disposent pas, au sens de sa jurisprudence.

 

En premier lieu, s’appuyant notamment sur l’arrêt de renvoi précité de la Cour de cassation, le Conseil a souligné que « l’héritier réservataire dispose, en vertu de la loi, d’une créance à l’égard du légataire universel qui consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve » (paragr. 12). De ce constat, il a tiré la conséquence que, « dès l’ouverture de la succession, l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel » (paragr. 13).

 

En second lieu, le Conseil a considéré que « la circonstance que, dans certains cas, le versement effectif de l’indemnité à l’héritier réservataire pourrait être retardé du fait du comportement du légataire universel est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier à raison de l’actif que constitue cette créance, qui est certaine » (paragr. 14).

 

Le raisonnement suivi par le Conseil s’inscrit dans le droit fil de sa décision n° 2021–962 QPC précitée rendue au sujet du dispositif de crédit-vendeur : il avait en effet constaté que, à la date de la vente, le contribuable avait acquis une créance certaine dont il pouvait disposer librement. De la même manière, ici, pour apprécier le caractère disponible de la créance revenant à l’héritier réservataire, le Conseil s’en est tenu au constat que, à la date d’ouverture de la succession, cette créance revêtait bien un caractère certain, refusant ainsi de suivre l’argumentation des requérantes qui l’invitaient à privilégier une conception matérielle ou comptable de la ressource imposée.

 

Il s’ensuit que le fait que, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’héritier réservataire n’ait pas encore perçu les sommes correspondant à l’indemnité de réduction au moment où il est tenu de s’acquitter des droits de succession ne signifie nullement qu’il ne dispose pas de cette ressource au sens de l’exigence qui résulte de l’article 13 de la Déclaration de 1789.

 

Pour finir, le Conseil a rappelé, au surplus, certaines des voies de droit générales et particulières ouvertes aux héritiers réservataires. Disposant en principe d’un délai de six mois à compter du jour du décès pour déclarer la succession et payer les droits de mutation afférents, ils ont d’abord, de manière générale, la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance ainsi que la possibilité de demander au juge civil la désignation d’un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale (paragr. 15).

 

Après avoir jugé que les dispositions contestées ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant les charges publiques, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 17).

_______________________________________

1 Article 731 du code civil (« La succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt dans les conditions définies ci-après. »)

2 Articles 734 à 767 du code civil. En particulier, les parents héritiers sont classés en quatre catégories constituant chacune un ordre d’héritiers qui exclut les suivants, dans l’ordre ci-après, en l’absence de conjoint survivant : 1° Les enfants et leurs descendants ; 2° les père et mère, les frères et sœurs ; 3° les autres ascendants ; 4° les autres collatéraux. En présence d’un époux survivant lors de l’ouverture de la succession, si ce dernier est désigné comme héritier dans tous les cas (aux termes de l’article 756 du code civil, « Le conjoint successible est appelé à la succession … »), sa part sur la succession varie toutefois en fonction de la présence d’autres héritiers au jour du décès (et, en particulier selon que le défunt avait ou non des enfants) et du régime matrimonial des époux.

3 Article 895 du code civil.

4 Selon l’article 1003 du code civil.

5 François Terré, Yves Lequette, Sophie Gaudemet, Droit civil – Les successions – Les libéralités, Précis Dalloz, 4e éd., 2013, § 384.

6 Cette définition est issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Pour autant, la loi s’appuie sur une définition classique. En effet, la notion de réserve héréditaire est ancienne et emprunte au droit romain et au droit coutumier, dont la synthèse est réalisée avec l’adoption du code civil napoléonien. Sur l’histoire de cette notion, voir François Letellier, « Le passé de la réserve héréditaire : une leçon pour le futur ? – Bref historique de la réserve héréditaire », La Semaine juridique – Notariale et immobilière, n° 39, 25 septembre 2020, p. 32.

7 Le second alinéa de l’article 912 du code civil définit la quotité disponible comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».

8 Ainsi que le résument Éric Fongaro et Marc Nicod, « La faculté reconnue au propriétaire de disposer de ses biens à titre gratuit ne va pas jusqu’à lui permettre de ne rien laisser, au jour de son décès, à ses enfants, ni à son conjoint. Les libéralités qu’il lui est loisible de consentir, comme il le souhaite et à qui bon lui semble, ne doivent pas avoir pour conséquence d’entraîner la ruine de ceux qui pouvaient légitimement en attendre soutien et secours. Soucieuse d’assurer la pérennité économique et sociale de la famille, la loi pose pour principe qu’au moins une partie du patrimoine successoral – éventuellement reconstitué en cas de donations entre vifs – doit être affectée à ses descendants ou, à défaut, à son conjoint survivant. Ainsi n’est-il pas permis de déshériter totalement certains héritiers, dits pour cela "réservataires" » (Éric Fongaro et Marc Nicod, « Réserve héréditaire – Quotité disponible », Répertoire de droit civil, Dalloz, avril 2022, paragr. 1 et s.). S’agissant toujours des objectifs poursuivis par la réserve héréditaire, Cécile Pérès et Christophe Vernières soulignent que ce dispositif juridique permet également de préserver la liberté individuelle des enfants contre le « despotisme parental » en empêchant les parents de menacer d’exhéréder les enfants dont ils n’approuveraient pas les choix personnels (Cécile Pérès et Christophe Vernières, Droit des successions, PUF, Thémis droit, 2018, n° 428).

9 Lorsque le défunt laisse des descendants, ils ont seuls la qualité de réservataires sans distinction selon la nature de la filiation (art. 913-1). En l’absence de descendants venant à la succession, le conjoint survivant non divorcé est héritier réservataire (art. 914-1), et ce, depuis la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral. À l’inverse, depuis la loi du 23 juin 2006 précitée, les ascendants du défunt ont perdu cette qualité.

10 Articles 913 à 917 du code civil. La quotité disponible dépend, notamment, du nombre d’héritiers réservataires.

11 Article 1004 du code civil. La délivrance est en général amiable, voire tacite, par mise en possession du légataire sans opposition des héritiers. Mais elle peut être judiciaire, l’action étant introduite par voie d’assignation devant le tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession.

12 Sur ce point, voir notamment Christophe Vernières, « Transmission et administration de la succession : saisine », in Droit patrimonial de la famille 2022/2023, Dalloz action, 7e édition, 2021, n° 245.42.

13 Les méthodes de calcul sont fixées à l’article 922 du code civil. L’action peut être exercée dès lors que le défunt a consenti au moins une libéralité et qu’il laisse au moins un héritier réservataire. Pour savoir s’il y a lieu de réduire cette libéralité, il faut après avoir calculé le montant de la réserve et de la quotité disponible, procéder à l’imputation des libéralités. Si la libéralité empiète sur la réserve héréditaire, elle est réduite à hauteur de la quotité disponible.

14 Sophie Deville et Marc Nicod, « Réserve héréditaire – Réduction des libéralités », Répertoire de droit civil, Dalloz, avril 2020, actualisation : juillet 2022, paragr. 4.

15 En vertu de l’article 921 du code civil.

16 L’héritier réservataire peut ainsi renoncer à sa réserve soit à l’ouverture de la succession, soit de façon anticipée en renonçant à exercer l’action en réduction (article 929 du code civil).

17 La restitution des fruits générés par ces biens pouvait également être demandée (article 928 du code civil).

18 Loi du 3 juillet 1971. Voir Claire Farge, « Masse partageable en présence de libéralités : la réduction des libéralités », Droit patrimonial de la famille 2022/2023, op. cit., n° 264.280 et suivants, spéc.  n° 264.370 et s. sur les effets de la réduction en nature.

19  Le second alinéa de l’article 924 prévoit le cas particulier où le bénéficiaire de la libéralité excessive est lui-même un héritier réservataire (« Le paiement de l’indemnité par l’héritier réservataire se fait en moins prenant et en priorité par voie d’imputation sur ses droits dans la réserve »). En outre, par exception au principe de la réduction en valeur, l’article 924-1 du code civil prévoit que « Le gratifié peut exécuter la réduction en nature, par dérogation à l’article 924, lorsque le bien donné ou légué lui appartient encore et qu’il est libre de toute charge dont il n’aurait pas déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il n’aurait pas déjà fait l’objet à cette même date. / Cette faculté s’éteint s’il n’exprime pas son choix pour cette modalité de réduction dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle un héritier réservataire l’a mis en demeure de prendre parti ».

20 « Ce principe est aujourd’hui critiquable pour deux raisons, d’une part il empêche le donataire non réservataire de disposer à son tour du bien au nom de la sécurité juridique car l’aliénation du bien peut, lors du décès du donateur être rétroactivement annulée, d’autre part, il porte atteinte au respect de la volonté du défunt qui a souhaité attribuer en priorité certains biens déterminés à certains héritiers. / Ainsi le texte prévoit que la réduction des libéralités excessives s’effectue en valeur (article 924 nouveau du code civil). Par exception, si le bénéficiaire de la libéralité le souhaite, il pourra exécuter la réduction en nature » (exposé des motifs du projet de loi n° 2427 rectifié, déposé à l’Assemblée nationale le 29 juin 2005).

21 Voir en ce sens, Sébastien Huyghe, rapport n° 2850 (Assemblée nationale – XIIe législature) fait au nom de la commission des lois, 8 février 2006.

22 Articles 924-2 et suivants du code civil.

23 Article 924-3, premier alinéa, du code civil.

24 Sur cette évolution, voir notamment les commentaires critiques de Martine Blanck-Dap, « La virtualité de la réserve héréditaire en présence d’un légataire universel », La Semaine juridique – Notariale et immobilière, n° 24, 16 juin 2017, p. 30 à 34 ; Alice Tisserand-Martin, « La réserve héréditaire, une institution mise à mal par la réduction en valeur des dispositions universelles », Mélanges en l’honneur de la professeure Annick Batteur : Regards humanistes sur le droit, LGDJ, 2021, p. 589.

25 Cass. civ. 1re, 20 mars 1984, n° 83-11.143 ; 3 février 2004, n° 02-19.077 ; 6 décembre 2005, n° 03-10.211. 

26 Christophe Vernières, op. cit., n° 245.61.

27 Cass. civ. 1re, 11 mai 2016, n° 14-16.967 : « … il résulte des articles 924 et suivants du code civil qu’en principe, le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire ». Voir également Cass. civ. 1re, 23 novembre 2016, n° 15-28.931.

28 Mécanisme qui permet à un héritier, sous certaines conditions, de se voir conférer la pleine propriété d’un bien, au lieu que ce dernier soit soumis à l’indivision.

29 Acte par lequel des cohéritiers ou indivisaires d’une chose la mettent en vente entre eux aux enchères pour être adjugée au plus offrant.

30 Cass. civ. 1re, 11 mai 2016, précité.

31 En vertu de l’article 1709 du CGI, les héritiers étant solidaires pour le paiement des droits, chacun d’eux a qualité pour souscrire la déclaration au nom de tous.

32 Dans les autres cas, le délai est d’un an à compter du décès.

33 La Cour de cassation a jugé, à plusieurs reprises, que l’héritier légitime étant, en application de l’article 724 du code civil, saisi de plein droit de la succession, il est tenu de souscrire la déclaration de succession dans le délai légal décompté du jour du décès, même lorsque ses droits sont contestés dans ce délai par des tiers revendiquant le bénéfice d’un legs (Cass. com., 17 octobre 1995, n° 93-19.043), ou s’il existe un litige ayant pour objet de contester la dévolution successorale (Cass. com., 18 octobre 2011, n° 10-25.074). En revanche, lorsque les droits du légataire universel sont contestés, le point de départ du délai de six mois au cours duquel il doit faire sa déclaration de succession est reporté au jour où ses droits sont définitivement reconnus par une décision de justice (Cass. com., 1er avril 1997, n° 95-13.181).

34 Pour une illustration récente, voir la décision n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023, M. Sami G. et autre (Notification des droits du patient faisant l’objet d’une mesure d’isolement ou de contention - Assistance ou représentation par un avocat dans le cadre du contrôle des mesures d’isolement ou de contention), paragr. 2.

35 Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

36 Le décret du 4 juillet 1972 procédant seulement à une nouvelle numérotation de ces dispositions, n’était pas affectée leur nature législative (issues pour l’essentiel de l’article 40 de la loi sur les finances du 28 avril 1816).

37 Voir par exemple en QPC la décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, M. Pierre-Yves M. (Lutte contre l’évasion fiscale), cons. 3. Pour une décision récente : décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, paragr. 43.

38 Décisions n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances rectificative pour 2013, cons. 29, n° 2013-362 QPC du 6 février 2014, TF1 SA (Taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision), cons. 4, n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017, Société EDI-TV (Taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision), paragr. 5, et n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017, Société EDI-TV (Taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision II), paragr. 5.

39 Définie au a du 1° de l’article L. 115-7 du code du cinéma et de l’image animée.

40 Décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013 précitée, cons. 27 à 30.

41 Défini au c du 1° du même article L. 115-7 du code du cinéma et de l’image animée.

42 Décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014 précitée, cons. 5 et 6.

43 Prévue à l’article 302 bis KG du CGI.

44 Décision n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017 précitée, paragr. 6 et 7.

45 Prévue à l’article L. 115-7 du code du cinéma et de l’image animée.

46 Décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017 précitée, paragr. 6 et 7.

47 Décision n° 2021-921 QPC du 25 juin 2021, Société M6 Publicité (Taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision), paragr. 98 à 10

48 Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, cons. 95. Voir aussi, dans le même sens, les décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014, cons. 11, et n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016, Loi de finances pour 2017, paragr. 15.

49 Décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017, Société Orange (Contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites), paragr. 8.

50 Décision n° 2021-962 QPC du 14 janvier 2022, Époux B. (Imposition des plus-values résultant de la cession à titre onéreux de titres financiers au moyen d’un crédit-vendeur), paragr. 9. Par cette même décision, le Conseil a par ailleurs considéré que le choix du contribuable d'accepter le paiement différé ou échelonné du prix de la cession n'avait pas d'incidence sur l'appréciation de ses capacités contributives au titre de l'année d'imposition (paragr. 10 : « En second lieu, d’une part, le fait qu’une partie du prix de cession doive être versée de manière différée par le cessionnaire au contribuable, le cas échéant par le biais d’un crédit-vendeur, relève de la forme contractuelle qu’ils ont librement choisie. D’autre part, la circonstance que des événements postérieurs affectent le montant du prix effectivement versé au contribuable est sans incidence sur l’appréciation de ses capacités contributives au titre de l’année d’imposition »).