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Commentaire de la décision 2023-1048 QPC

09/08/2023

Conformité

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 février 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468561 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Jamal L. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 426–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

 

Dans sa décision n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du CESEDA, dans cette rédaction, aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Objet des dispositions contestées

 

1. – Présentation du régime des titres de séjour

 

* En application de l’article L. 411–1 du CESEDA, toute personne étrangère majeure1 qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être munie d’un titre de séjour2. À l’expiration de la durée de validité de son document de séjour, elle doit quitter le territoire, à moins qu’elle n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui en soit délivré un autre3.

 

Afin de tenir compte des situations différentes dans lesquelles peuvent se trouver les personnes sollicitant un titre de séjour, le législateur a progressivement introduit de nouvelles catégories de titres ouvrant droit au séjour pour des motifs et des durées variables4.

 

Les personnes étrangères peuvent ainsi se voir délivrer un visa de long séjour5, une autorisation provisoire de séjour (le cas échéant, dans l’attente de la délivrance d’un autre titre)6 ou une carte de séjour.

 

Cette dernière peut prendre la forme, selon les motifs du séjour, d’une carte de séjour temporaire, délivrée pour une durée maximale d’un an, d’une carte de séjour pluriannuelle, délivrée pour une durée maximale de quatre ans, ou d’une carte de résident, délivrée pour une durée de dix ans7.

 

* Parmi ces différents titres de séjour, la carte de résident offre à ses bénéficiaires, du fait de sa durée de dix ans, une garantie de stabilité du séjour. Par ailleurs, elle leur confère le droit d’exercer une activité professionnelle8.

 

La délivrance d’une telle carte – ou de la carte de résident de longue durée-UE dont le régime est très proche9– est toutefois subordonnée à un certain nombre de conditions.

 

Il peut ainsi être notamment demandé à la personne intéressée de faire la preuve d’un séjour régulier et ininterrompu en France, de son autonomie financière et de son intégration dans la société française.

 

Cette dernière condition est prévue par l’article L. 413–7 du CESEDA qui dispose que « La première délivrance de la carte de résident […] est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance de la langue française qui doit être au moins égale à un niveau défini par décret en Conseil d’État ».

 

D’autres conditions peuvent également être prévues selon la situation du demandeur et les motifs de délivrance de la carte de résident, qu’ils soient familiaux, professionnels ou qu’ils découlent de la protection internationale assurée à certaines personnes10.

 

Par ailleurs, cette délivrance est soumise à une clause d’ordre public : l’article L. 432-1 du CESEDA prévoit à cet effet qu’elle peut, « par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public ».

 

* Si le demandeur remplit les conditions prévues pour la délivrance de la carte de résident qu’il sollicite, cette dernière lui est délivrée pour une durée de dix ans.

 

Elle est alors renouvelable de plein droit, sous réserve qu’il n’ait pas quitté la France pendant une période de plus de trois ans consécutifs 11, qu’il ne soit pas en situation de polygamie et qu’il n’ait pas été condamné pour violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente12. Contrairement aux titres de séjour de plus courte durée, son renouvellement n’est pas conditionné au fait que sa présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public13.

 

* Aux termes de l’article L. 611–1 du CESEDA, l’étranger dont la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour a été refusé ou dont le titre qui lui avait été délivré a été retiré peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

 

L’OQTF peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif qui présente un caractère suspensif14.

 

L’article L. 611–3 du CESEDA précise toutefois que certains étrangers ne peuvent pas faire l’objet d’une telle décision d’éloignement, notamment lorsqu’ils justifient d’une durée particulière de séjour régulier en France ou de certains liens familiaux.

 

* Par ailleurs, l’article L. 631-1 du CESEDA permet à l’autorité administrative d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public. Si l’appréciation d’une telle menace ne repose pas nécessairement sur l’existence de condamnations pénales15, celles-ci constituent fréquemment la justification de cette mesure.

 

L’autorité administrative tient compte des conséquences de la mesure d’éloignement sur la vie personnelle et familiale de l’étranger. La gravité de la menace justifiant une telle mesure doit ainsi être d’autant plus forte que l’étranger présente des liens importants avec la France16.

 

2. – Le régime particulier de la carte de résident permanent

 

* Le législateur a introduit, lors de l’examen de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile17, une nouvelle carte de résident, dite permanente.

 

L’objectif poursuivi était de « faciliter la vie des étrangers qui séjournent depuis très longtemps en France, qui respectent nos valeurs et qui, à ce titre, ont accompli un parcours d’intégration exemplaire »18. Cette carte leur permet ainsi, sous certaines conditions, de résider régulièrement en France et d’exercer une activité professionnelle sans limitation dans le temps.

 

* Le premier alinéa de l’article L. 426–4 du CESEDA prévoit que cette carte peut être attribuée à l’expiration d’une carte de résident19.

 

Sa délivrance est conditionnée au fait que la présence du ressortissant étranger ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’il satisfait aux conditions d’intégration républicaine prévues à l’article L. 413-7 du CESEDA.

 

Le deuxième alinéa du même article porte quant à lui sur les conditions dans lesquelles une carte de résident permanent peut être délivrée de plein droit (les dispositions objet de la décision commentée).

 

Il dispose à cet effet que « La délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident, sous réserve des mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa ». La délivrance de plein droit de cette carte est donc réservée aux personnes étrangères résidant régulièrement en France depuis au moins vingt ans qui remplissent la condition d’intégration républicaine et dont la présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public20.

 

À cet égard, les conditions de délivrance de la carte de résident permanent, qu’elle soit ou non de droit, sont plus strictes que celles encadrant le renouvellement d’une carte de résident, lesquelles ne conditionnent pas le bénéfice d’une telle carte à une clause d’ordre public.

 

* Le refus de délivrance de la carte de résident permanent est sans incidence sur le renouvellement de la carte de résident.

 

Par ailleurs, la carte de résident permanent peut être retirée à son bénéficiaire, en application de l’article L. 631-1 du CESEDA, dans le cas où il présenterait une menace grave pour l’ordre public. Dans ce cas, sauf s’il peut faire l’objet d’une expulsion en application des dispositions des articles L. 631-2 et L. 631-3, il lui est alors délivré une carte de séjour temporaire21.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Ressortissant étranger, M. Jamal L. bénéficiait de cartes de résident depuis 1992.

 

Par arrêté du 25 août 2022, le préfet avait rejeté sa demande de délivrance d’une carte de résident permanent au motif que sa présence en France constituait une menace pour l’ordre public. 

 

Par ordonnance du 12 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif avait rejeté la requête formée par le requérant tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté.

 

Le requérant avait alors formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il avait soulevé une QPC portant sur l’article L. 426–4 du CESEDA.

 

Dans sa décision précitée du 28 février 2023, le Conseil d’État avait jugé que le moyen tiré de ce que les dispositions du deuxième alinéa de cet article « portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment les dispositions du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* Le requérant reprochait à ces dispositions de prévoir qu’un ressortissant étranger peut se voir refuser la délivrance d’une carte de résident permanent au motif que sa présence constituerait une simple menace pour l’ordre public, alors même qu’il réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. Ce faisant, ces dispositions méconnaissaient, selon lui, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

 

* Au regard de ces griefs qui portaient uniquement sur la clause d’ordre public conditionnant la délivrance d’une carte de résident permanent, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426–4 du CESEDA aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article22 (paragr. 3).

 

* Par ailleurs, le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une demande d’intervention présentée par l’association SOS soutien ô sans papiers qui soulevait les mêmes griefs que le requérant et faisait valoir, pour les mêmes motifs, que les dispositions contestées méconnaissaient également un « droit des ressortissants étrangers au séjour » qu’elle demandait au Conseil constitutionnel de reconnaître (paragr. 4).

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale

 

* Aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Le Conseil constitutionnel juge de manière constante que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée23.

 

Il juge également que « Le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : "La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" »24.

 

* Le Conseil constitutionnel a eu, à plusieurs reprises, l’occasion de contrôler des dispositions relatives aux conditions du séjour en France de personnes étrangères au regard de ces deux normes.

 

- Dans sa décision n° 93–325 DC du 13 août 1993, le Conseil a posé le cadre du contrôle qu’il opère en matière de droit des étrangers.

 

Il a d’abord considéré « qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national » et « que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques »25.

 

Il a alors précisé que « dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux » et que « l’appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la comparaison entre les dispositions de lois successives ou de la conformité de la loi avec les stipulations de conventions internationales mais résulte de la confrontation de celle-ci avec les seules exigences de caractère constitutionnel »26.

 

Le Conseil a toutefois estimé que « si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République », et que « s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ; qu’en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu’ils doivent bénéficier de l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés »27.

 

Ayant ainsi défini la nature de son contrôle, il a notamment examiné des dispositions prévoyant la subordination de la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire à l’étranger mineur ou dans l’année qui suit son dix–huitième anniversaire au fait que sa présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public.

 

Après avoir rappelé qu’« il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif à valeur constitutionnelle et les exigences de la liberté individuelle et du droit à une vie familiale normale », il a constaté, « d’une part, […] que ne peuvent être reconduits à la frontière les étrangers qui justifient par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’ils ont atteint l’âge de six ans ; que la prise en compte d’une menace à l’ordre public ne peut sans circonstance aggravante être de nature à motiver une mesure d’expulsion ; / […] d’autre part, qu’il appartient au législateur d’apprécier les conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être conciliés avec les impératifs d’intérêt public s’agissant d’étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire français ». Il a donc jugé ces dispositions conformes à la Constitution28.

 

Dans cette décision, le Conseil était également saisi de dispositions renforçant les conditions de délivrance de plein droit de la carte de résident.

 

Il a d’abord rappelé que « la carte de résident, valable pour une durée de dix ans, est renouvelable de plein droit ». Puis il a notamment considéré « qu’eu égard aux exigences de la sauvegarde de l’ordre public et compte tenu des objectifs d’intérêt général qu’il s’est assignés, le législateur a pu exiger que l’obtention de cette carte soit soumise à la double condition de l’absence de menace à l’ordre public et de la régularité du séjour préalable des intéressés sans porter des atteintes excessives aux principes de valeur constitutionnelle invoqués par les députés auteurs de la saisine »29.

 

Enfin, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions restreignant les cas dans lesquels un étranger ne peut pas faire l’objet d’un arrêté d’expulsion.

 

Il a considéré « en premier lieu qu’au regard de leurs attaches avec la France, les étrangers qui n’ont résidé sur le territoire français que pour y effectuer des études ne sont pas dans la même situation que ceux qui y ont résidé pendant la même durée pour d’autres motifs ; que, dès lors, compte tenu du but que s’est assigné le législateur, la réserve qu’il a prévue concernant certains étudiants ne méconnaît pas le principe d’égalité ; […] en deuxième lieu, qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation du droit à mener une vie familiale normale avec les exigences de l’ordre public ; que s’il peut permettre à l’autorité chargée de se prononcer sur l’expulsion d’un étranger de tenir compte de tous éléments d’appréciation, notamment de sa situation personnelle et familiale, il ne transgresse aucune disposition constitutionnelle en faisant prévaloir en cas de menace grave à l’ordre public les nécessités de ce dernier »30.

 

- Dans sa décision n° 97–389 DC du 22 avril 1997, le Conseil était saisi de dispositions qui soumettaient le renouvellement de la carte de résident notamment au fait que la présence du demandeur ne constitue pas une menace pour l’ordre public.

 

Il a d’abord rappelé que si le législateur peut, s’agissant de l’entrée et du séjour des étrangers, prendre des dispositions spécifiques destinées, notamment, à assurer la sauvegarde de l’ordre public, il lui appartient de concilier cet objectif avec les libertés et droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République31.

 

Il s’est ensuite fondé sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 pour affirmer que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale » et que « les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle »32.

 

Puis il a jugé « qu’au moment où il formule une demande de renouvellement de sa carte de résident, l’étranger peut se prévaloir d’une présence régulière sur le territoire français d’une durée de dix ans au moins ; qu’en raison d’une telle stabilité, de nature à avoir fait naître entre l’étranger et le pays d’accueil des liens multiples, une simple menace pour l’ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour sans atteintes excessives au droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale et privée, alors qu’à tout moment la préservation de l’ordre public permet à l’autorité administrative, en cas de menace grave, de prononcer son expulsion selon les conditions et procédures prévues par les articles 23 à 26 de l’ordonnance précitée du 2 novembre 1945 ». Il a donc déclaré les dispositions instituant cette condition contraires à la Constitution33.

 

- Dans sa décision n° 2003–467 DC du 13 mars 2003, le Conseil était notamment saisi de dispositions prévoyant que la carte de séjour temporaire pouvait être retirée à tout étranger passible de certaines poursuites pénales. 

 

Après avoir rappelé sa formule de principe aux termes de laquelle « aucun principe, non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle, n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu de séjour sur le territoire national », il en a déduit que « le législateur peut, sans méconnaître aucun droit ni aucun principe de valeur constitutionnelle, subordonner le maintien ou la délivrance d’un titre temporaire de séjour à l’absence de menace pour l’ordre public »34.

 

- Dans le même sens, saisi de dispositions qui restreignaient la délivrance de plein droit d’une carte de résident pour certains motifs familiaux, le Conseil a jugé, dans sa décision n° 2003–484 DC du 20 novembre 2003, que ces dispositions n’étaient pas contraires à la liberté du mariage et au droit de mener une vie familiale normale au motif que « sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public, les étrangers perdant le bénéfice de la carte de résident en application des dispositions critiquées conservent celui de la carte de séjour temporaire, qui leur sera délivrée de plein droit »35.

 

Le commentaire de cette décision précisait à cet égard que « Le grief tiré d’une atteinte au "droit de mener une vie familiale normale" était infondé à propos des conséquences de la loi déférée sur le regroupement familial. En effet, à défaut de s’être vu délivrer une carte de résident, le conjoint et les enfants d’un étranger entrés régulièrement en France au titre du regroupement familial (article 29 de l’ordonnance modifié par l’article 42 de la loi déférée) se verront en tout état de cause délivrer et renouveler de plein droit la carte de séjour temporaire, en vertu du 1° de l’article 12 bis de l’ordonnance dans sa rédaction issue de l’article 17 de la loi déférée ».

 

- Dans sa décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017, saisi de dispositions permettant l’assignation à résidence d’une personne étrangère jusqu’à l’exécution de son obligation de quitter le territoire, le Conseil constitutionnel a précisé sa formulation de principe en énonçant qu’« Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de cette déclaration, et le droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ». Puis, il a notamment jugé qu’« Il était loisible au législateur de ne pas fixer de durée maximale à l’assignation à résidence afin de permettre à l’autorité administrative d’exercer un contrôle sur l’étranger compte tenu de la menace à l’ordre public qu’il représente ou afin d’assurer l’exécution d’une décision de justice »36.

 

* Il peut également être rappelé que le Conseil constitutionnel a récemment examiné des dispositions prévoyant que la délivrance ou le renouvellement de tout titre de séjour pouvait être refusé à un étranger s’il était établi qu’il avait manifesté un rejet des principes de la République.

 

Saisi d’un grief tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, il a jugé, dans sa décision n° 2021–823 DC du 13 août 2021, que « s’il est loisible au législateur de prévoir des mesures de police administrative à cette fin, il n’a pas, en faisant référence aux "principes de la République", sans autre précision, et en se bornant à exiger que la personne étrangère ait "manifesté un rejet" de ces principes, adopté des dispositions permettant de déterminer avec suffisamment de précision les comportements justifiant le refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ou le retrait d’un tel titre ». Il les a donc déclarées contraires à la Constitution37.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tout d’abord énoncé la norme sur laquelle il lui revenait de fonder son contrôle.

 

S’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence précitée, il a ainsi rappelé, dans une rédaction formellement remaniée, sa formule de principe selon laquelle « Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques » (paragr. 5).

 

* Le Conseil a ensuite décrit les conditions dans lesquelles une carte de résident permanent peut être délivrée en application de l’article L. 426-4 du CESEDA. Il a ainsi observé que, selon le premier alinéa de cet article, les titulaires d’une carte de résident de dix ans, qui en font la demande, peuvent, à son expiration, se voir délivrer une carte de résident permanent, à durée indéterminée, à condition que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’ils satisfassent à la condition d’intégration républicaine (paragr. 6). Puis il a relevé que, selon son deuxième alinéa, la délivrance d’une carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident sous réserve, en application des dispositions contestées de cet alinéa, que la présence de la personne étrangère ne constitue pas une menace pour l’ordre public (paragr. 7).

 

Il revenait alors au Conseil de s’assurer que cette condition ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale de la personne étrangère. À cette fin, il s’est attaché à identifier, d’une part, les raisons pour lesquelles le législateur avait prévu une telle condition et, d’autre part, les garanties prévues par la loi en cas de refus de délivrance d’une carte de résident permanent.

 

En premier lieu, le Conseil a considéré qu’en subordonnant à une clause d’ordre public la délivrance de droit de cette carte, le législateur avait poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public (paragr. 8).

 

En second lieu, il a relevé que « si la délivrance d’une carte de résident permanent peut être refusée à une personne étrangère établie régulièrement en France depuis plus de vingt ans et titulaire d’une carte de résident au motif que sa présence constitue une menace pour l’ordre public, cette seule circonstance est sans incidence sur le droit au séjour dont elle bénéficie ». Il a en effet rappelé que le renouvellement de la carte de résident de dix ans, qui n’est pas soumis à une clause d’ordre public, est de droit, sous réserve que la personne étrangère n’ait pas quitté le territoire français depuis plus de trois ans, qu’elle ne se trouve pas en situation de polygamie et qu’elle n’ait pas été condamnée pour violences sur mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (paragr. 9).

 

Ainsi, à la différence des dispositions que le Conseil constitutionnel avait censurées dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 précitée, les dispositions contestées en l’espèce ne conduisent pas à dégrader les conditions de séjour de l’étranger. Elles le privent d’accès à un droit au séjour permanent, mais sont sans incidence sur son droit au renouvellement de sa carte de résident de dix ans.

 

Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur n’avait pas procédé à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Il a donc écarté les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles (paragr. 10).

 

Les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, il les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 11).

_______________________________________

1 Conformément à leur lettre, les dispositions de l’article L. 411-1 du CESEDA ne s’appliquent pas aux personnes mineures qui ne sont pas tenues d’être en possession d’un document établissant la régularité de leur séjour en France.

2 Sous réserve des dispositions prévues par les accords internationaux en la matière, le droit au séjour de moins de trois mois s’exerce sans formalité particulière si l’intéressé ne constitue pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale et s’il n’est pas soumis à une obligation de visa.

3 Article L. 411-2 du CESEDA.

4 Depuis sa réorganisation par l’ordonnance du 16 décembre 2020 précitée, le CESEDA ne présente plus les titres de séjour en fonction de leur durée de validité, mais en fonction des motifs de leur délivrance. Les différents titres de séjour sont listés à l’article L. 411-1 du CESEDA. Ils font l’objet du titre II, intitulé « Catégories de titres de séjour », du livre IV du CESEDA qui présente notamment les motifs et conditions de leur délivrance (articles L. 420-1 à L. 426-23 du CESEDA).

5 D’une durée de quatre mois à un an, ce visa peut notamment être délivré, sous certaines conditions, pour des motifs familiaux ou à des personnes ayant un statut de visiteur, d’étudiant, de stagiaire ou souhaitant exercer une activité professionnelle. Il est également délivré de plein droit aux conjoints de ressortissants français (articles L. 312-2 à L. 312-4 du CESEDA).

6 Une autorisation provisoire de séjour peut notamment être accordée, sous certaines conditions, aux personnes souhaitant effectuer une mission de volontariat auprès d’une fondation ou d’une association reconnue d’utilité publique (article L. 426-21 du CESEDA), aux parents étrangers d’un enfant souffrant de problèmes de santé exigeant des soins qu’il ne peut recevoir dans son pays d’origine (article L. 425-10 du même code) et aux victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme et aux demandeurs de l’asile (article L. 425-4). Peuvent également bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour les personnes bénéficiant d’une régularisation provisoire de leur situation dans l’attente d’une décision administrative portant par exemple sur une demande d’asile ou une obligation de quitter le territoire français.

7 Articles L. 411-3 et L. 411-4 du CESEDA.

8 Article L. 414–10 du CESEDA. C’est le cas également, sauf exceptions, de la carte de séjour temporaire et de la carte de séjour pluriannuelle.

9 Cette variante de la carte de résident a été instaurée en application de la directive européenne 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Elle est ouverte aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé en France de manière légale et ininterrompue pendant cinq ans, qui jouissent de ressources stables et régulières et d’une assurance maladie (articles, L. 421-12, L. 421-25, L. 426-11 et L. 426-17 du CESEDA).

10 Peuvent ainsi bénéficier de plein droit d’une carte de résident, sous certaines conditions, l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français (article L. 423-6 du CESEDA), le parent d’un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle (article L. 423-10 du même code), l’étranger parent à charge d’un français et de son conjoint, sous réserve de la production d’un visa de long séjour et de la régularité du séjour (article L. 423–11), l’enfant étranger d’un ressortissant français s’il est âgé de dix-huit à vingt et un ans, qu’il entre dans les prévisions de l’article L.421–35 ou qu’il est à la charge de ses parents, et sous réserve de la production d’un visa de long séjour et de la régularité du séjour (article L. 423–12) ou encore le conjoint d’un étranger titulaire de la carte de résident, qui a été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial et qui justifie d’une résidence régulière non interrompue d’au moins trois années en France (article L. 423–16). Peuvent également en bénéficier, au titre de la protection internationale, notamment les étrangers ayant la qualité de réfugié (article L. 424–1), leur famille (article L. 424–3), les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (article L. 424–13), et les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride (article L. 424–21). Par ailleurs, l’article L. 425–3 du même code prévoit qu’une carte de résident est délivrée à l’étranger qui a déposé plainte ou témoigné contre une personne accusée d’avoir commis une infraction concernant la traite des êtres humains ou le proxénétisme, condamnée au titre de ces chefs. Une telle carte est également délivrée de plein droit aux étrangers qui remplissent les conditions d’acquisition de la nationalité française prévues à l’article 21-7 du code civil (Article L. 426–1), aux étrangers qui ont servi dans une unité combattante de l’armée française (article L. 426–2), aux étrangers bénéficiaires d’une rente de décès pour accident de travail ou maladie professionnelle versée par un organisme français (article L. 426–2), aux ayants droit de ces derniers (article L. 426–7), ainsi qu’aux étrangers titulaires d’une carte de séjour portant la mention « retraité » (article L. 426–10).

11 Article L. 411-5 du CESEDA.

12 Article L. 432–3 du CESEDA.

13 Sur ce point, voir la décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration, cons. 41 à 45, présentée ci-après.

14 En application des articles L. 521-1 et L.  521-2 du code de justice administrative.

15 CE, 24 janvier 1994, n° 127546 ; CE, 12 décembre 2014, n° 365644.

16 Articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA.

17 Article 17 de la loi n° 2007–1631 du 20 novembre 2007.

18 Exposé sommaire de l’amendement n° 263 du Gouvernement.

19 Selon le quatrième alinéa du même article, « Lors du dépôt de sa demande de renouvellement d’une carte de résident, l’étranger est dûment informé des conditions dans lesquelles il pourra se voir accorder une carte de résident permanent ».

20 Le troisième alinéa de l’article L. 426-4 du CESEDA prévoit également que les personnes âgées de plus de soixante ans titulaires d’une carte de résident dont elles sollicitent le renouvellement et qui remplissent les conditions prévues à son premier alinéa se voient délivrer une carte de résident permanent.

21 Dernier alinéa de l’article L. 426-4 du CESEDA.

22 Depuis sa décision n° 2019-782 QPC du 17 mai 2019, Mme Élise D. (Déductibilité de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune des dettes du redevable à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées), le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence pour tenir compte d’une manière d’écrire la loi consistant, au sein d’une disposition législative, à opérer un renvoi à d’autres dispositions. La délimitation du champ de la QPC peut donc consister à identifier, compte tenu des griefs du requérant, le renvoi particulier opéré par les dispositions dont le Conseil constitutionnel est saisi à une disposition dont la constitutionnalité est effectivement contestée.

23 Voir, récemment, décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, M. Mounir S. (Droit de visite des agents des douanes), paragr. 4.

24 Voir, par exemple, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, paragr. 55.

25 Décision n° 93–325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 2.

26 Ibid. 

27 Ibid, cons. 3.

28 Ibid, cons. 17 à 22.

29 Ibid, cons. 25.

30 Ibid, cons. 55 et 56.

31 Décision n° 97–389 DC du 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration, cons. 43.

32 Ibid, cons. 44.

33 Ibid, cons. 45.

34 Décision n° 2003–467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 83. Le commentaire de cette décision précise, sur ce point, que, « eu égard à la nature des infractions visées, dont plusieurs sont liées au trafic des êtres humains et qui portent toutes un préjudice grave à l’ordre public, il était loisible au législateur de permettre le retrait de la carte de séjour temporaire des personnes passibles de poursuites de ce chef ».

35 Décision n° 2003–484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 39.

36 Décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017, M. Kamel D. (Assignation à résidence de l’étranger faisant l’objet d’une interdiction du territoire ou d’un arrêté d’expulsion), paragr. 4 et 9. Voir également, dans le même sens, décision n° 2018–770 DC du 6 septembre 2018, précitée, paragr. 87.

37 Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, Loi confortant le respect des principes de la République, paragr. 54 et 55.