Conformité - réserve
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 juillet 2022 par le Conseil d'État (décision n° 463180 du même jour) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l'établissement public territorial Paris Est Marne et Bois portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux derniers alinéas du 2 du G du paragraphe XV de l'article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 20211.
Dans sa décision n° 2022-1012 QPC du 6 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d'interprétation, déclaré conforme à la Constitution la seconde phrase du dernier alinéa du 2 du G du paragraphe XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015, dans cette rédaction.
Dans cette affaire, Mme Jacqueline Gourault a estimé devoir s'abstenir de siéger.
I. – Les dispositions contestées
A. – Objet des dispositions contestées
1. – L'organisation financière de la métropole du Grand Paris
* Créée au 1er janvier 2016 en application de l'article 12 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, la métropole du Grand Paris (MGP) est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à statut particulier.
Conformément à l'article L. 5219-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), elle regroupe la Ville de Paris2 et onze établissements publics territoriaux (EPT)3 constitués essentiellement par les communes de la « petite couronne parisienne » et certaines communes isolées4.
Ce schéma original, conçu pour « renforcer la coordination des politiques publiques structurantes engagées par les différentes collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre [situés sur ce périmètre] »5, repose ainsi sur un double échelon intercommunal – la MGP et les EPT – dont l'organisation et le financement résultent de règles complexes, adoptées dans le cadre de la loi du 7 août 2015 précitée, dite loi NOTRe.
* Ces règles ont tout d'abord pour objet de permettre une montée en puissance progressive de la MGP en conservant au niveau des EPT certaines compétences d'ordinaire dévolues aux métropoles6. La MGP, telle qu'elle résulte de l'article 59 de la loi NOTRe, est ainsi « moins intégrée, mais plus évolutive [que celle qui résultait de la loi MAPTAM] : d'abord centrée sur ses compétences stratégiques, elle bénéficierait ensuite d'attributions plus opérationnelles, dans un contexte d'intégration fiscale progressive. Les nouvelles dispositions [de la loi NOTRe] permettraient également de mieux tenir compte des spécificités du territoire parisien, tout en accentuant davantage le caractère sui generis de cette métropole »7.
Ces règles visent également à neutraliser les conséquences financières de l'instauration de ce nouvel échelon intercommunal sur les ressources perçues par les EPT et les communes : la MGP perçoit en effet certaines dotations budgétaires et recettes fiscales qui revenaient auparavant aux anciens EPCI. Le législateur a, par conséquent, mis en place des mécanismes de compensation de cette perte de ressources pour les EPT et les communes qui les financent, ainsi que des mesures d'ajustement pour éviter les surcompensations.
L'article 59 de la loi NOTRe instaure notamment à cette fin :
– une attribution de compensation entre les communes et la MGP permettant, lorsque les ressources attribuées à cette dernière sont supérieures à ses charges, de reverser ce surplus aux communes. Dans le cas contraire, la compensation est à la charge des communes ;
– un fonds de compensation des charges territoriales (FCCT) assurant le financement par les communes des compétences exercées par leur EPT ;
– une dotation d'équilibre visant à ce que l'excédent de ressources perçu par les EPT par rapport aux ressources que percevaient les anciens EPCI soit reversé à la MGP8.
* Ces différents flux financiers tiennent en particulier compte de la répartition de la fiscalité perçue sur le territoire parisien entre les communes, les EPT et la MGP.
De manière générale, les communes perçoivent la fiscalité reposant sur les ménages9, tandis que la fiscalité économique revient, selon le droit commun, à l'échelon intercommunal.
Toutefois, afin de tenir compte de la mise en place progressive de la MGP et des disparités de ressources importantes entre les EPT, le législateur a prévu deux régimes financiers successifs :
– un régime transitoire pour la période comprise entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2020 durant laquelle les EPT, conservant certaines compétences qui auraient dû revenir à la métropole, continuent de percevoir le produit de la cotisation foncière des entreprises (CFE)10 ;
– un régime pérenne, à compter du 1er janvier 2021, se traduisant par le transfert à la MGP de certaines compétences et de la CFE pour les financer. Cette dernière aurait alors bénéficié de l'ensemble de la fiscalité économique à l'instar des autres EPCI à fiscalité propre.
* Ces flux financiers tiennent également compte de la répartition de certaines dotations budgétaires entre la MGP et les EPT, et notamment de :
- la dotation d'intercommunalité perçue par les anciens EPCI et partagée entre les EPT et la MGP, initialement jusqu'en 2019, cette dernière devant par la suite la recevoir en intégralité ;
- la dotation de soutien à l'investissement territorial (DSIT) versée par la MGP aux EPCI, financée par la dynamique de la CVAE ainsi que par celle de la CFE lorsqu'elle sera perçue par la métropole.
* Toutefois, « faute d'évolution du schéma institutionnel de la MGP »11 conforme au calendrier fixé par la loi NOTRe, le législateur a été contraint d'intervenir à plusieurs reprises pour adapter ces versements croisés entre les communes, les EPT et la MGP au regard des compétences mises à leur charge respective et des ressources pour les financer.
Lors de l'examen des lois de finances initiales pour 201912 et 202013, le législateur a ainsi adopté des dispositions permettant de proroger d'un an la répartition de la dotation d'intercommunalité entre les EPT et la métropole, et de suspendre, en compensation, le versement par cette dernière de la DSIT aux EPT pour une même durée.
Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 202114, il a de nouveau adopté de telles mesures et les a assorties du report de 2021 à 2023 du transfert de la CFE des EPT à la métropole15.
L'objectif poursuivi par le législateur était ainsi de proroger le régime transitoire instauré par l'article 59 de la loi NOTRe afin de stabiliser les flux financiers entre les différents membres de la métropole et de préserver notamment la capacité des EPT à exercer leurs compétences. Toutefois, il a également dû accompagner cette prorogation de mesures exceptionnelles pour résoudre certaines difficultés financières rencontrées par la MGP.
2. – Le versement exceptionnel d'une fraction de la dynamique de la CFE à la MGP en 2021 (les dispositions objet de la décision commentée)
* Si le report du transfert de la CFE à la MGP a été adopté afin de tenir compte de la mise en place plus progressive que prévu de la métropole, cette décision est intervenue dans un contexte de baisse de rendement de la CVAE, liée pour partie à la crise sanitaire de la covid-19.
Le législateur a donc fait le choix d'accompagner le report de ce transfert de mesures exceptionnelles visant à soutenir financièrement la MGP.
À cette fin, et par la voie d'un amendement parlementaire déposé en première lecture du projet de loi de finances pour 2021 à l'Assemblée nationale16, la dotation d'équilibre versée par les EPT à la métropole, prévue au 2 du G de l'article 59 de la loi NOTRe, a été augmentée, à titre exceptionnel, de manière à prévoir le reversement en 2021 de la dynamique de la CFE à cette dernière.
Le Gouvernement, favorable à cette mesure, a toutefois complété ces dispositions de manière à prendre en compte la réforme des bases taxables de la CFE prévue, par ailleurs, à l'article 29 de la loi de finances pour 2021 : il a ainsi précisé que, la perte de recettes résultant de cette réforme étant compensée par le versement d'un prélèvement sur recettes (PSR) par l'État aux EPT, « il convient d'ajouter [cette compensation] au montant de la CFE 2021 pour faire la comparaison avec celle de 2020 »17.
En effet, en l'absence d'une telle prise en compte, la dynamique de la CFE à reverser à la MGP aurait été artificiellement faible ou nulle, et l'effort financier souhaité par le législateur en faveur de cette dernière s'en serait trouvé compromis.
À la suite de leur suppression par le Sénat, ces dispositions ont été réintroduites par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, dans une rédaction « de compromis »18 proposant deux ajustements :
– le montant à reverser à la MGP au titre de la dotation d'équilibre, qui correspondait initialement à la totalité de la dynamique de la CFE, a été fixé « seulement [aux] deux-tiers de cette dynamique, soit un montant estimé à 11,7 millions d'euros »19 ;
– un nouvel alinéa a été introduit pour prévoir explicitement la participation de la Ville de Paris à cet effort financier en faveur de la métropole par « un reversement identique », pour un montant estimé à « environ 3,2 millions d'euros »20.
* Le 2 du G de l'article 59 de la loi NOTRe, dans sa rédaction résultant de l'article 255 de la loi de finances pour 2021, comporte ainsi deux alinéas prévoyant les modalités de calcul de la dotation d'équilibre versée en 2021 à la MGP applicables respectivement aux EPT et à la Ville de Paris.
Son avant-dernier alinéa prévoit qu'« À titre exceptionnel, la dotation d'équilibre versée en 2021 par chaque établissement public territorial à la métropole du Grand Paris est augmentée d'un montant égal aux deux-tiers de la différence, si elle est positive, entre le produit de la cotisation foncière des entreprises perçu en 2021 et celui perçu en 2020 par chaque établissement public territorial. Le produit de la cotisation foncière des entreprises perçue en 2021 est majoré du montant du prélèvement sur recettes prévu au 3 du A du III de l'article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 ».
Son dernier alinéa prévoit le versement exceptionnel par la Ville de Paris à la MGP d'une dotation d'équilibre en 2021, dans les mêmes termes. Toutefois, il ne précise pas, au contraire du régime prévu pour les EPT, que, pour le calcul de la dynamique de la CFE, le montant de la CFE perçue en 2021 doit être majoré du montant du PSR versé en compensation de la réforme de ses bases taxables21.
B. – Origine de la QPC et question posée
L'EPT Paris Est Marne et Bois avait saisi le tribunal administratif de Paris afin d'obtenir l'annulation de l'avis de somme à payer émis par la MGP au titre de la dotation d'équilibre devant lui être versée pour 2021, et la décharge de cette somme.
À l'occasion de ce recours, cet établissement avait soulevé une QPC portant sur le 3° du paragraphe II de l'article 255 de la loi n° 2020-1721 de finances pour 2021, que le tribunal administratif de Paris avait transmise au Conseil d'État le 14 avril 2022.
Dans sa décision précitée du 7 juillet 2022, le Conseil d'État avait jugé que « Le moyen tiré de ce [que les dispositions faisant l'objet de la QPC] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
* L'établissement public territorial requérant n'ayant pas produit de premières observations devant le Conseil constitutionnel, ce dernier était saisi des griefs soulevés devant le juge du filtre.
Le requérant faisait valoir que ces dispositions méconnaissaient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dès lors que les modalités de calcul de la dotation d'équilibre versée à la métropole du Grand Paris par la Ville de Paris étaient, selon lui, plus favorables que celles de la dotation d'équilibre versée par les établissements publics territoriaux. Il soutenait également que ces dispositions méconnaissaient le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
* Au regard de ces griefs, le Conseil a considéré que la QPC portait sur la seconde phrase du dernier alinéa du 2 du G du paragraphe XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 précitée (paragr. 3).
* Par ailleurs, la MGP, partie au litige à l'occasion duquel avait été soulevée la QPC, défendait la constitutionnalité des dispositions renvoyées.
A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d'égalité
* Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d'égalité devant la loi « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit »22.
Le principe d'égalité implique qu'à des situations semblables il soit fait application de règles semblables. En revanche, si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes23.
Ainsi, lorsqu'il est saisi d'un grief reposant sur une méconnaissance du principe d'égalité, le Conseil constitutionnel s'attache, en premier lieu, à identifier l'existence, ou non, d'une différence de traitement instituée par les dispositions mêmes de la loi. Le seul fait que l'application uniforme d'une même disposition législative produise des effets différents en fonction des circonstances de fait particulières ou des choix des personnes à laquelle elle s'applique ne suffit pas à caractériser une différence de traitement établie par la loi.
Toujours selon cette jurisprudence, une différence de situation ou un motif d'intérêt général peut justifier un traitement différencié institué par la loi, à la seule condition cependant que celui-ci soit en lien direct avec l'objet de cette loi. Cette seconde condition permet, en particulier, d'éviter que des situations objectivement différentes soient le prétexte à des différences de traitement incohérentes avec l'objet même des dispositions examinées par le Conseil.
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion d'apprécier à l'aune de cette jurisprudence des différences de traitement résultant de dispositions applicables à la Ville de Paris.
- Dans sa décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, saisi de dispositions prévoyant des règles propres à la Ville de Paris pour l'application de dérogations au principe du repos dominical, le Conseil a jugé « que la ville de Paris, soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics, constitue, à elle seule, une catégorie de collectivités territoriales ; que, toutefois, au regard de l'objet du nouvel article L. 3132-25, c'est-à-dire de la procédure de classement d'une commune ou d'une zone touristique au sens du code du travail, aucune différence de situation ne justifie que le pouvoir de proposition, qui appartient dans la législation en vigueur au conseil de Paris, ne soit pas confié au maire de Paris comme dans l'ensemble des autres communes, y compris Lyon et Marseille » 24.
- Dans sa décision n° 2016-547 QPC du 24 juin 2016, le Conseil a de nouveau jugé que « le fait que la ville de Paris soit soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics ne la place pas dans une situation différente des autres communes au regard de l'objet des dispositions contestées, qui désignent l'autorité compétente pour déterminer les règles de repos hebdomadaire dominical des salariés des établissements de commerce de détail »25.
De même, le Conseil constitutionnel a pu prendre en compte certaines spécificités de l'organisation institutionnelle du territoire parisien pour apprécier la constitutionnalité de dispositions précisant la répartition des compétences entre la MGP et les communes situées sur son territoire : dans sa décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, le Conseil a ainsi jugé « qu'en autorisant, au paragraphe III de l'article L. 5219-5, des modalités particulières d'exercice en commun de compétences par des communes appartenant au même territoire pour les compétences restituées par la métropole du Grand Paris aux communes en application du paragraphe I de l'article L. 5219-5, le législateur a entendu permettre aux communes de continuer à exercer à l'échelle d'un espace cohérent et de manière concertée les compétences qui étaient exercées par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2014 ; que la différence de traitement qui en résulte en matière d'exercice en commun de compétences communales qui ne sont pas exercées par la métropole du Grand Paris repose sur une différence de situation en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur ; que le principe d'égalité devant la loi n'est pas méconnu »26.
* Par ailleurs, dans le cadre de son contrôle du respect du principe d'égalité devant la loi, le Conseil a pu subordonner la conformité des dispositions dont il était saisi à la formulation de réserves d'interprétation dont l'objet est de mettre fin à la différence de traitement injustifiée constatée et de rétablir l'égalité.
- Dans la décision n° 2010-101 QPC du 11 février 2011, le Conseil était saisi de dispositions qui ne prévoyaient la remise de pénalités, majorations de retard et frais de poursuite en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire que pour « un commerçant, un artisan ou une personne morale de droit privé même non commerçante » et, par là même, ne se référaient pas aux membres des professions libérales exerçant à titre individuel. Le Conseil a alors, par une réserve d'interprétation, étendu son application aux professions libérales pour mettre fin à cette différence de traitement injustifiée en jugeant : « qu'en étendant l'application des procédures collectives à l'ensemble des membres des professions libérales par la loi du 26 juillet 2005 susvisée, le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d'un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières ; que, par suite, les dispositions précitées des premier et sixième alinéas de l'article L. 243-5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprétées comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale »27.
- De même, dans sa décision n° 2014-689 DC du 13 février 2014, le Conseil était saisi de dispositions qui prévoyaient une interdiction de cumul du mandat de député avec les fonctions de vice-président de toutes les collectivités territoriales dotées d'une assemblée délibérante en métropole, outre-mer et en Nouvelle-Calédonie sans y faire figurer les vice-présidents de l'assemblée de Corse. Pour mettre fin à cette inégalité, le Conseil a formulé une réserve d'interprétation étendant aux vice-présidents de l'assemblée de Corse cette incompatibilité en jugeant : « que, pour toutes les collectivités territoriales dotées d'une assemblée délibérante en métropole, outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, le législateur organique a, en adoptant l'article 1er, estimé que les fonctions de vice-président d'une telle assemblée ne pouvaient être cumulées avec l'exercice du mandat de député ou de sénateur ; que, par suite, les dispositions du 6° de l'article L.O. 141-1 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprétées comme permettant le cumul du mandat de député ou de sénateur avec les fonctions de vice-président élu par l'assemblée de Corse en application de l'article L. 4422-9 du code général des collectivités territoriales »28.
B. – L'application à l'espèce
* Dans sa décision commentée, le Conseil constitutionnel a principalement examiné la conformité des dispositions contestées au principe d'égalité devant la loi.
À cette fin, il a rappelé que ce principe, fondé sur l'article 6 de la Déclaration de 1789, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (paragr. 4).
Après avoir observé que « La métropole du Grand Paris est un établissement public de coopération intercommunale composé de la Ville de Paris et de communes regroupées au sein d'établissements publics territoriaux, et dont les modalités de financement sont prévues par l'article 59 de la loi du 7 août 2015 », le Conseil s'est attaché à décrire l'objet des dispositions contestées.
Il a ainsi rappelé que les deux derniers alinéas du 2 du G du paragraphe XV de cet article prévoient un versement exceptionnel en 2021 à la MGP par les EPT et la Ville de Paris (paragr. 5).
Il a constaté que ce versement prend, pour les EPT, la forme d'une augmentation de la dotation d'équilibre versée à la MGP égale aux deux-tiers de la différence, si elle est positive, entre le produit de la CFE perçu en 2021 et celui perçu en 2020. Il a relevé en outre que le produit de CFE perçu en 2021 est majoré du montant du PSR versé par l'État aux EPT en compensation de la perte de recettes de cette cotisation résultant de la révision de ses bases imposables, prévue par ailleurs par la loi de finances pour 2021 (paragr. 6).
Pour la Ville de Paris, il a noté que ce versement prend la forme d'une dotation exceptionnelle à la MGP dont le montant est égal aux deux-tiers de la différence entre le produit de CFE perçu en 2021 et celui perçu en 2020. Il a toutefois constaté, que, contrairement aux dispositions applicables aux EPT, ces dispositions ne prévoient pas expressément que le produit de CFE perçu en 2021 par la Ville de Paris doit être majoré du montant du PSR que lui a versé l'État (paragr. 7).
* Pour exercer son contrôle, le Conseil a d'abord constaté que l'objet des dispositions renvoyées était « d'affecter une partie des recettes de la cotisation foncière des entreprises perçue en 2021 par la Ville de Paris et les établissements publics territoriaux à la métropole du Grand Paris afin d'assurer son équilibre financier » (paragr. 8).
Puis, il a estimé qu'au regard de cet objet, d'une part, la Ville de Paris n'était pas placée dans une situation différente de celle des EPT et, d'autre part, qu'aucun motif d'intérêt général ne justifiait que le calcul de la dotation versée par la Ville de Paris à la métropole soit différent de celui de la dotation versée par les EPT (paragr. 9).
Considérant ainsi que le principe d'égalité devant la loi serait méconnu si ces dispositions étaient interprétées comme ne prévoyant pas l'application des mêmes règles pour la détermination du produit de CFE perçu en 2021 par la Ville de Paris et les EPT, le Conseil a formulé une réserve d'interprétation selon laquelle « les dispositions contestées ne sauraient être interprétées que comme impliquant que le produit de la cotisation foncière des entreprises perçu par la Ville de Paris en 2021 soit majoré du montant du prélèvement sur recettes que l'État lui a versé en application de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2020 » (paragr. 10).
Après avoir écarté, sous cette réserve d'interprétation, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi (paragr. 11), le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions, qui ne méconnaissaient pas non plus le principe d'égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, devaient être déclarées conformes à la Constitution (paragr. 12).
_______________________________________
1 Le Conseil d'État a renvoyé, comme le demandaient les requérants, le 3° du paragraphe II de l'article 255 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, qui complète par deux alinéas le 2 du G du paragraphe XV de l'article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Comme il le fait par exemple pour des dispositions de codification, le Conseil constitutionnel s'est estimé saisi des dispositions modifiées, et non des dispositions modificatrices, c'est-à-dire, en l'espèce, des deux derniers alinéas du 2 du G du paragraphe XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015, dans sa rédaction résultant de l'article 255 de la loi du 29 décembre 2020. (Pour des exemples récents voir la décision n° 2020-882 QPC du 5 février 2021, Société Bouygues télécom et autre [Autorisation administrative préalable à l'exploitation des équipements de réseaux 5G] ou la décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021, M. Pablo A. et autres [Contrôle des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement II]).
2 La Ville de Paris constitue elle-même une collectivité à statut particulier en application de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain.
3 Article L. 5219-2 du CGCT.
4 Ces EPT remplacent les EPCI qui existaient avant la création de la métropole, mais n'en n'ont plus le statut. Assimilables à des syndicats de communes, ils regroupent toutes les communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que, sous certaines conditions, les communes des autres départements de la région d'Ile-de-France qui appartenaient au 31 décembre 2014 à un EPCI comprenant au moins l'une des communes de ces trois départements (3° du paragraphe I de l'article L. 5219-1 du CGCT), les communes dont le territoire était en continuité avec l'une de ces communes (4° du même paragraphe) et les communes des EPCI disposant d'une infrastructure aéroportuaire sur leur périmètre (5° du même paragraphe).
5 Exposé des motifs du projet de loi n° 495 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, déposé sur le bureau du Sénat le 10 avril 2013.
6 Les compétences de plein droit de la MGP et des EPT sont rappelés aux articles L. 5219-1 et L. 5219-5 du CGCT. Les compétences facultatives exercées par les EPT varient, quant à elles, d'un établissement à l'autre.
7 Rapport n° 2553 (2012-2013) de M. Olivier Dussopt, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déposé le 5 février 2015.
8 En cas de différentiel négatif, c'est la MGP qui doit verser une dotation équivalente aux EPT.
9 Notamment la taxe d'habitation avant sa suppression et la taxe sur les propriétés bâties et non bâties.
10 La CFE est une imposition locale assise sur la valeur locative des biens immobiliers utilisés par les personnes assujetties pour les besoins de leur activité professionnelle. Elle participe avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à la contribution économique territoriale (CET), dont elle a accompagné la création par la loi de finances pour 2010, en remplacement de la taxe professionnelle. La CVAE est quant à elle perçue par la MGP ainsi que certaines taxes annexes (taxe relative à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, taxe additionnelle sur le foncier non bâti).
11 Rapport n° 163 (2021-2022) de MM. Charles Guené et Claude Raynal, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021.
12 Article 254 et 255 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
13 Article 257 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
14 Si certaines dispositions de cette loi ont fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité a priori dans la décision n° 2020-813 DC du 28 décembre 2020, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, à cette occasion, sur les dispositions renvoyées.
15 Article 255 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 précitée.
16 Amendement n° II-1609 (Rect.) du 26 octobre 2020, présenté par M. Pacôme Rupin et autres lors de la séance publique du 12 novembre 2020.
17 Sous-amendement n° II-3593 (Rect.) du 12 novembre 2020, présenté par le gouvernement lors de la même séance publique.
18 Selon l'exposé sommaire de l'amendement n° 602 du 11 décembre 2020, présenté par M. Laurent Saint-Martin et adopté lors de la séance publique du 16 décembre 2020.
19 Ibidem.
20 Ibid.
21 Pour mémoire, ces dispositions ont été reconduites pour l'année 2022 par l'article 198 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
22 Par exemple, récemment, décision n° 2022-1008 QPC du 5 août 2022, M. Frédéric B. (Incompatibilité de la qualité de mandataire judiciaire avec la profession d'avocat), paragr. 5.
23 Décisions nos 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004, cons. 37 et 2006-541 DC du 28 septembre 2006, Accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens (Accord de Londres), cons. 9.
24 Décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, cons. 23.
25 Décision n° 2016-547 QPC du 24 juin 2016, Ville de Paris (Dérogations temporaires au repos dominical des salariés des commerces de détail à Paris), paragr. 6.
26 Décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, cons. 34.
27 Décision n° 2010-101 QPC du 11 février 2011, Mme Monique P. et autre (Professionnels libéraux soumis à une procédure collective), cons. 5.
28 Décision n° 2014-689 DC du 13 février 2014, Loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, cons. 11.