Conseil constitutionnel

  • Commentaire QPC
  • Pénal
  • Droit de la procédure pénale
  • Droit pénal
  • peine de mort
  • recevabilité
  • prescription de peine
  • exécution de la peine

Commentaire de la décision 2019-827 QPC

09/12/2022

Conformité

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 décembre 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt no 2805 du même jour) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Gérard F. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa des articles 785 et 786 du code de procédure pénale (CPP).

 

Dans sa décision n° 2019-827 QPC du 28 février 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle » figurant au premier alinéa de l'article 786 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Historique et objet des dispositions contestées

 

1. – Présentation générale de la procédure de réhabilitation

 

* En vertu des dispositions de l'article 782 du CPP et de l'article 133-12 du code pénal (CP), toute personne condamnée à une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut être réhabilitée.

 

La réhabilitation a pour objet de rendre à la personne ayant fait l'objet d'une condamnation tous les droits qu'elle a perdus. Elle est définie par la doctrine comme le rétablissement du condamné dans son honneur et sa probité par l'effacement de la condamnation et de toutes les déchéances et incapacités qui peuvent en résulter1. Si la réhabilitation est traditionnellement fondée sur l'idée de pardon2, elle tend également, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé à plusieurs reprises, « au reclassement du condamné »3.

 

À cette fin, l'article 133-1 du CP prévoit que la réhabilitation « efface la condamnation ». Plus précisément, elle produit, en vertu de l'article 133-16 du CP, les mêmes effets que l'amnistie et « efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation ». Comme l'amnistie, la réhabilitation ne préjudicie donc pas aux tiers4 et interdit à toute personne qui, dans l'exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d'interdictions, déchéances et incapacités effacées par la réhabilitation, d'en rappeler l'existence5. Vis-à-vis du condamné, la réhabilitation entraîne l'effacement de la peine des bulletins n° 2 et n° 3 du casier judiciaire. Si la condamnation reste en principe inscrite au bulletin n° 1 et peut servir de premier terme de la récidive, son effacement peut également, en cas de réhabilitation, être ordonné par une décision expresse de la chambre de l'instruction6.

 

La réhabilitation ne peut en principe intervenir que lorsque le condamné a exécuté entièrement la peine principale prononcée à son encontre7. Elle emporte extinction de la totalité des peines complémentaires ou accessoires. Les seules exceptions à cette règle sont prévues à l'article 133-16 du CP, qui précise : « Lorsque la personne a été condamnée au suivi socio-judiciaire prévu à l'article 131-36-1 ou à la peine d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, la réhabilitation ne produit ses effets qu'à la fin de la mesure. Par ailleurs, la réhabilitation ne produit ses effets qu'à l'issue d'un délai de quarante ans lorsqu'a été prononcée, comme peine complémentaire, une interdiction, incapacité ou déchéance à titre définitif ».

 

* Deux modalités d'octroi de la réhabilitation ont été prévues par le législateur.

 

La réhabilitation légale

Depuis les lois dites « Bérenger » des 5 août 1899 et 11 juillet 1900, la réhabilitation peut être acquise de plein droit au terme d'un certain délai après l'exécution ou la prescription de la peine principale, dès lors qu'aucune nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle n'a été prononcée (articles 133-13 et suivants du CP). Elle est alors dite « légale ».

 

Le délai au terme duquel la réhabilitation légale est acquise pour une personne physique est défini à l'article 133-13 du CP. Il peut aller de trois à dix ans en fonction du type de peine, sous réserve du doublement des délais lorsque la personne a été condamnée pour des faits commis en état de récidive légale.

 

Toutefois, la réhabilitation légale est exclue pour les peines criminelles ainsi que pour les peines correctionnelles uniques dont le quantum est supérieur à dix ans et, en présence d'une pluralité de peines, dont le quantum est supérieur à cinq ans.  Ainsi, la réhabilitation ne peut jamais être automatiquement acquise pour les peines les plus lourdes.

 

La réhabilitation judiciaire

 

Pour les personnes condamnées à de lourdes peines, comme pour celles ne souhaitant pas attendre l'expiration des délais prévus au titre de la réhabilitation légale, une autre forme de réhabilitation, instaurée par une précédente loi « Bérenger » du 14 août 18858, est prévue par le code de procédure pénale : la réhabilitation dite « judiciaire » susceptible d'être accordée par une décision de la chambre de l'instruction, à la suite d'une demande formée en ce sens par la personne condamnée ou, en cas de décès, par son conjoint, ses ascendants ou ses descendants (article 785, alinéa 1er, du CPP).

 

La demande de réhabilitation doit être présentée au procureur de la République qui, aux termes de l'article 791 du CPP, « s'entoure de tous renseignements utiles aux différents lieux où le condamné a pu séjourner » et prend « l'avis du juge de l'application des peines ». Il se fait notamment transmettre « un extrait du registre des lieux de détention où la peine a été subie constatant quelle a été la conduite du condamné » (article 792 du CPP).

 

Au regard des éléments réunis, il émet ensuite un avis qu'il transmet avec l'ensemble des pièces du dossier au procureur général, compétent pour saisir la chambre de l'instruction (articles 792 et 793 du CPP).

 

L'article 788 du CPP précise que la chambre de l'instruction ne peut accorder la réhabilitation que si le condamné justifie du paiement de l'amende et des dommages-intérêts auxquels il a été, le cas échéant, condamné.

 

Pour le reste, la loi ne détermine pas les critères devant être pris en compte par la chambre de l'instruction, qui apprécie donc souverainement le bien-fondé de la demande de réhabilitation en considération de la situation particulière de l'intéressé.

 

Il convient de souligner que la demande de réhabilitation n'est soumise à aucune condition de temps ni d'exécution de peine dans l'hypothèse particulière où elle est demandée par un condamné qui, depuis l'infraction, « a rendu des services éminents au pays »9 (article 789 du CPP).

 

En dehors de cette situation exceptionnelle, la demande de réhabilitation est enfermée dans des délais prévus au premier alinéa des articles 785 et 786 du CPP.

 

2. – Les conditions de délai applicables à la demande de réhabilitation judiciaire (les dispositions renvoyées)

 

Pour être recevable, la demande de réhabilitation judiciaire doit être formée, au terme d'un délai d'épreuve (a.), par une personne ayant qualité pour agir. À ce délai d'épreuve s'ajoute, en cas de décès de la personne condamnée, un délai spécial d'un an applicable aux proches qui souhaitent demander sa réhabilitation à titre posthume (b.).

 

a. – Le délai d'épreuve à compter de l'exécution de la peine

 

* Le premier alinéa de l'article 786 du CPP prévoit que la demande de réhabilitation judiciaire « ne peut être formée qu'après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle, de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et d'un an pour les condamnés à une peine contraventionnelle ». Ces délais sont portés à six ou dix ans, en fonction de la nature correctionnelle ou criminelle de la peine, lorsque le condamné était en état de récidive légale, qu'il a été condamné après avoir antérieurement bénéficié d'une réhabilitation légale ou qu'il a prescrit contre l'exécution de la peine (article 787 du CPP).

 

Le point de départ de ce délai court, selon les alinéas suivants de l'article 786 :

pour les condamnés à une amende, du jour où la condamnation est devenue irrévocable (deuxième alinéa) ;

– pour les condamnés à une peine privative de liberté, du jour de leur libération définitive ou du jour de leur libération conditionnelle lorsque celle-ci n'a pas été suivie de révocation (deuxième alinéa) ;

– pour les condamnés à une sanction pénale autre que l'emprisonnement ou l'amende, prononcée à titre principal, du jour de l'expiration de la sanction subie (troisième alinéa).

 

La règle de computation prévue au troisième alinéa de l'article 786 du CPP concernant les peines autres que l'emprisonnement ou l'amende a pour effet d'exclure toute demande en réhabilitation judiciaire du vivant de l'intéressé en cas de condamnation à titre principal à une peine applicable sans limite de durée et imprescriptible, telle que l'interdiction définitive du territoire français10. Dans sa décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015, le Conseil constitutionnel a jugé qu'une telle exclusion ne méconnaissait pas le principe d'égalité devant la loi et la justice ainsi que le principe de proportionnalité des peines (cf. infra, II.B.).

 

* De manière constante, les délais prévus à l'alinéa 1er de l'article 786 du CPP sont considérés par la Cour de cassation comme des délais d'épreuve permettant d'apprécier la conduite du condamné, et donc l'opportunité de lui accorder la réhabilitation11.

 

Elle rappelle ainsi régulièrement que « la réhabilitation est une mesure de bienveillance instituée par la loi en faveur des individus qui, après avoir été condamnés et avoir subi leur peine ou avoir satisfait aux conditions du décret de grâce qui les en a dispensés, se sont rendus dignes, par les gages d'amendement qu'ils ont donnés pendant le délai d'épreuve, d'être replacés dans l'intégralité de leur état ancien »12.

 

La prise en compte du comportement de la personne condamnée pendant le délai d'épreuve devant s'écouler entre l'expiration de la peine et la demande de réhabilitation n'est pas seulement une faculté pour la chambre de l'instruction, mais une obligation. En effet, la Cour de cassation considère que l'institution par le législateur de ce délai d'épreuve exclut que la chambre de l'instruction fonde le rejet d'une demande de réhabilitation sur les seuls faits qui ont motivé les condamnations. Elle juge ainsi que, « si, pour apprécier les gages d'amendement, la chambre de l'instruction peut tenir compte des faits qui ont motivé les condamnations et leur gravité, elle ne peut se fonder uniquement sur ces faits et s'abstenir d'examiner la conduite du condamné pendant le délai prévu par les articles 786 et suivants du code de procédure pénale »13.

 

b. – Le délai spécial d'un an applicable aux demandes de réhabilitation à titre posthume

 

* En vertu du premier alinéa de l'article 785 du CPP, « la réhabilitation ne peut être demandée en justice, du vivant du condamné, que par celui-ci, ou s'il est interdit, par son représentant légal ». À partir du moment où s'est écoulé le délai d'épreuve prévu à l'article 786 du CPP, la demande de réhabilitation judiciaire peut donc être formée à tout moment par l'intéressé lui-même.

 

Le premier alinéa de l'article 785 ouvre également à certains proches de la personne condamnée la possibilité de demander sa réhabilitation en justice : « en cas de décès du condamné et si les conditions légales sont remplies, la demande peut être suivie par son conjoint ou par ses ascendants ou descendants et même formée par eux, mais dans le délai d'une année seulement à dater du décès ».  

 

Introduite à l'article 785 du CPP par l'ordonnance n° 58–1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale, cette faculté de réhabilitation à titre posthume trouve son origine dans l'ordonnance n° 45-1791 du 13 août 1945 concernant le casier judiciaire et la réhabilitation14.

 

* L'examen des travaux parlementaires sur le sujet témoigne de l'absence de consensus qui semble entourer, de longue date, la question de la réhabilitation judiciaire à titre posthume.

 

Ainsi, à l'occasion des débats sur la loi sur la réhabilitation des condamnés du 29 avril 1852, un amendement avait déjà été proposé par le baron de Beauverger afin de permettre qu'un individu ayant exécuté sa peine puisse être réhabilité, même après sa mort, à la demande de ses héritiers. Cet amendement avait été rejeté à l'issue de débats opposant deux conceptions de la réhabilitation : l'une exclusivement centrée sur la réinsertion sociale du condamné, qui fait dès lors perdre tout objet à la réhabilitation en cas de décès de l'intéressé, l'autre qui attribue à la réhabilitation une dimension morale, que la famille du défunt peut légitimement rechercher malgré son décès.

 

Le rejet de l'amendement était motivé en ces termes dans le rapport fait par Jacques Langlais, au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la réhabilitation des condamnés : « Votre commission a dû rejeter d'abord l'amendement de l'honorable M. de Beauverger. La réhabilitation de l'ancien régime avait pour but, en effaçant l'infamie, de rendre l'honneur et la bonne renommée au condamné. L'objet actuel de la réhabilitation, c'est surtout de faire cesser les incapacités résultant des condamnations ; le réhabilité, c'est, comme l'indique le mot lui-même, l'individu qui, privé de ses droits politiques et civils, redevient habile à les exercer. Cette considération suffit pour écarter l'amendement »15.

 

Dans le même sens, lors des débats publics de la séance du 3 mai 1852, le commissaire du Gouvernement Rouher fit savoir qu'il estimait justifié le rejet de l'amendement du baron de Beauverger en indiquant : « Les législations positives ne doivent pas trop se préoccuper des questions de réhabilitation morale ; il faut laisser à l'opinion publique, à la considération qui entoure la famille du condamné, le soin d'opérer cette réhabilitation et d'effacer de tristes souvenirs. C'est pourquoi on a limité les effets de la réhabilitation à l'abolition des incapacités existantes. La réhabilitation légale se fonde sur l'appréciation des garanties offertes par le condamné. Ces garanties comme ces incapacités, encourues, disparaissent par la mort ; et, en conséquence, le grand intérêt social qui se rattache à la réhabilitation disparaît aussi en partie »16.

 

À l'inverse, le baron de Beauverger avait vainement fait valoir que, selon lui, « la réhabilitation a encore aujourd'hui le double caractère qu'elle avait dans l'ancien droit de faire disparaître la flétrissure et d'effacer les incapacités civiles résultant de la condamnation ». Le compte-rendu des débats précise « qu'il considère même que l'effet principal de la réhabilitation est d'effacer la tâche d'infamie »17.

 

* L'opposition entre ces deux conceptions de la réhabilitation s'est à nouveau exprimée récemment au sein des assemblées parlementaires. En effet, à l'occasion de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, un amendement adopté par le Sénat visait à allonger d'un an à vingt ans après le décès d'une personne condamnée le délai dans lequel ses ayants droit peuvent former une demande de réhabilitation judiciaire18.

 

La disposition ainsi introduite a toutefois été supprimée par un amendement du Gouvernement déposé à l'Assemblée nationale. Pour justifier cette suppression, le rapport fait au nom de la commission des lois par Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris souligne : « la réhabilitation judiciaire étant accordée au regard de la conduite de la personne après sa condamnation et l'article 790-1 prévoyant notamment que le procureur doit s'entourer de tous renseignements utiles aux différents lieux où la personne a pu séjourner, la permettre vingt ans après son décès n'aurait aucun sens »19. De même, la garde des Sceaux, Mme Nicole Belloubet, avait estimé ces dispositions « inutiles pour l'avenir, puisque le droit positif fixe désormais, pour les demandes de réhabilitation, un délai d'un an après le décès. Les héritiers peuvent donc, pendant ce délai, poursuivre la demande formée par la personne de son vivant ou même en déposer une si cette dernière n'a pas eu le temps de le faire elle-même. Ce délai d'une année paraît raisonnable ; il faut donc le conserver »20.

 

* Il semble, pour finir, que la réhabilitation à titre posthume n'ait jamais été envisagée ou même discutée dans l'hypothèse particulière où celle-ci serait demandée en faveur d'une personne décédée à la suite de sa condamnation à la peine de mort, du temps où celle-ci était susceptible de s'appliquer.

 

Interrogée pour la première fois sur ce point dans l'affaire à l'origine de la décision commentée, la Cour de cassation a considéré que « les articles 785 et 786 du code de procédure pénale subordonnent la recevabilité de la demande en réhabilitation à des exigences de délais cumulées, qui deviennent incompatibles entre elles lorsque la demande concerne un condamné à mort dont la peine a été exécutée. En effet, l'article 785 prévoit que la demande de réhabilitation doit être présentée du vivant du condamné, ou dans l'année de son décès, alors que l'article 786 exige qu'elle soit présentée après un délai de cinq ans, pour les condamnés à une peine criminelle, ce délai partant, pour les peines autres que l'emprisonnement ou l'amende, prononcées à titre de peine principale, à compter de l'expiration de la sanction subie ». Il en résulte qu'une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée ne peut donc pas bénéficier d'une réhabilitation judiciaire.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Jacques F. avait été condamné à mort par un arrêt de la cour d'assises de la Seine, le 6 avril 1957. Cette condamnation avait été exécutée le 1er octobre 1957.

 

Le 20 mars 2018, son fils, M. Gérard F., avait formé une demande en réhabilitation judiciaire devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes.

 

À cette occasion, il avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée : « Les dispositions des articles 785 et 786, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui font obstacle à une réhabilitation judiciaire consécutive à l'exécution d'une condamnation à la peine de mort, lorsque l'article 133-12 du code pénal et l'article 782 du code de procédure pénale prévoient que toute personne condamnée par un tribunal français à une peine criminelle peut bénéficier d'une telle réhabilitation, portent-elles atteinte au principe de nécessité des peines et au principe d'égalité, tels qu'ils sont garantis par les articles 6 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».

 

Par un arrêt du 5 septembre 2019, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes avait transmis cette QPC à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par l'arrêt précité du 11 décembre 2019, a jugé que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité était sérieux dans la mesure, d'une part, où « le principe constitutionnel d'égalité, posé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, ne paraît pas conduire à considérer, de manière évidente, que les condamnés à la peine de mort se trouvent, au regard des autres condamnés à des peines criminelles, dans une situation dont la particularité justifie que la réhabilitation leur soit fermée, une telle différence de traitement avec les autres condamnés à une peine criminelle ne paraissant pas en rapport avec l'objet de la loi qui l'a établie ». D'autre part, la chambre criminelle a estimé que « cette différence de traitement paraît d'autant moins justifiée que l'interdiction constitutionnelle de la peine de mort, résultant de la loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007, qui a introduit, dans la Constitution, un article 66-1, aux termes duquel nul ne peut être condamné à la peine de mort, peut être de nature à empêcher que les condamnations à mort soient l'objet d'une restriction, conduisant à rendre impossible leur réhabilitation, ouverte à toutes les autres condamnations criminelles ».

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les questions préalables

 

* La Cour de cassation n'ayant pas précisé dans quelle version les dispositions du premier alinéa des articles 785 et 786 du CPP étaient renvoyées au Conseil constitutionnel, celui-ci a jugé, conformément à sa jurisprudence habituelle, que « la question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ». Il s'agissait en l'occurrence du premier alinéa de l'article 785 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi n° 92–1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale et du premier alinéa de l'article 786 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 précitée (paragr. 1).

 

* Le requérant faisait valoir que, en conditionnant la recevabilité d'une demande en réhabilitation judiciaire au respect d'un délai d'épreuve de cinq ans à compter de l'expiration de la sanction subie, ces dispositions privaient les proches d'une personne condamnée à la peine de mort, dont la peine a été exécutée, de la possibilité de former en son nom une telle demande dans l'année de son décès. Cette différence de traitement entre les personnes condamnées à mort, dont la peine a été exécutée, et celles condamnées à d'autres peines criminelles, ou qui ont été graciées par le Président de la République, et les autres personnes condamnées pour un crime, méconnaissait selon lui les principes d'égalité devant la loi et devant la justice ainsi que le principe de proportionnalité des peines.

 

Au regard des griefs formulés par le requérant, qui imputaient plus particulièrement l'impossibilité pour une personne condamnée à mort ou pour ses proches d'obtenir une réhabilitation judiciaire à la condition de respect du délai d'épreuve prévue au premier alinéa de l'article 786 du CPP, le Conseil constitutionnel a restreint le champ de la QPC aux mots « de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle » figurant à cet alinéa (paragr. 5).

 

B. – L'examen des griefs

 

1. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

a. – La jurisprudence relative aux principes d'égalité devant la loi et devant la justice

 

* Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi … doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d'égalité devant la loi « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit »21.

 

Sur ce fondement, le Conseil veille, de manière générale, à ce que les différences de traitement opérées par la loi soient tout à la fois justifiées par une raison suffisante – qu'elle procède d'une différence de situation ou d'un motif d'intérêt général – et en adéquation avec les objectifs du législateur.

 

* En matière de justice, l'exigence d'égalité est renforcée. Le Conseil constitutionnel se fonde alors en effet à la fois sur l'article 6 et sur l'article 16 de la Déclaration de 1789, en vertu duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

 

Il en conclut que, « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties »22.

 

Cette jurisprudence a un double objet : elle permet de protéger, d'une part, l'égalité entre les parties à une même procédure et, d'autre part, le droit des justiciables dans une situation identique à être jugés devant les mêmes formations de jugement ou selon des garanties de procédure égales.

 

S'agissant de l'égalité entre les parties à une même procédure, le Conseil constitutionnel veille à assurer « l'équilibre des droits des parties » dans la procédure. Sur ce fondement, il examine les différences dans les droits reconnus à chaque partie. Il en va ainsi, notamment en procédure pénale, s'agissant des règles procédurales différentes applicables au parquet, au prévenu et à la partie civile, du droit à recours23, de la communication de pièces de procédure aux parties24 ou des frais irrépétibles25. Il en va également ainsi dans une procédure civile lorsqu'une disposition confère un avantage à une partie26. Cette dimension du principe constitutionnel d'égalité devant la justice ne joue toutefois que lorsque l'on compare la situation des parties à une même procédure. Elle n'est pas en cause dans la présente QPC.

 

D'autre part, cette formulation de principe fonde le contrôle, par le Conseil constitutionnel, du droit des justiciables dans une situation identique à être jugés devant les mêmes formations de jugement ou selon les mêmes garanties de procédure et à ne pas voir celles-ci varier en fonction de critères qui ne seraient pas objectifs ou rationnels27.

 

Sur ce fondement, le Conseil veille donc à ce qu'une différence de traitement, qu'elle soit d'ordre juridictionnel28 ou procédural29, soit justifiée par une différence de situation ou à ce qu'elle ne prive pas le justiciable d'une garantie reconnue à d'autres.

 

* Comme indiqué précédemment, le Conseil constitutionnel a déjà été amené à examiner, sur le fondement du principe d'égalité, des dispositions relatives aux conditions de recevabilité d'une demande de réhabilitation judiciaire. Dans sa décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015, il s'est plus précisément prononcé sur le troisième alinéa de l'article 786 du CPP, qui fixe à « l'expiration de la sanction subie » le point de départ du délai au terme duquel peut être formée une demande de réhabilitation en cas de peine autre que l'emprisonnement ou l'amende prononcée à titre principal.

 

Le Conseil avait notamment été saisi d'un grief tiré de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant la justice résultant du fait que cette règle de computation excluait la formation d'une demande de réhabilitation en cas de condamnation à une interdiction définitive du territoire prononcée à titre de peine principale, alors que les condamnés à cette même peine prononcée à titre complémentaire pouvaient bénéficier d'une réhabilitation.

 

Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief en jugeant : « d'une part, qu'au regard de la réhabilitation judiciaire, les personnes condamnées à une peine à titre principal sont dans une situation différente de celles condamnées à la même peine à titre complémentaire ; que, d'autre part, la réhabilitation judiciaire a pour objet de favoriser le reclassement du condamné ; que, dans cette perspective, le législateur a pu décider que la réhabilitation ne peut être prononcée que lorsque la peine principale est exécutée ou prescrite et qu'elle entraîne l'effacement tant de la peine principale que des peines complémentaires ; que, par suite, la différence de traitement entre le condamné à une peine définitive autre que l'emprisonnement ou l'amende prononcée à titre complémentaire, qui peut bénéficier d'un effacement de cette peine par l'effet d'une réhabilitation judiciaire, et le condamné à la même peine prononcée à titre principal, qui ne peut bénéficier d'un même effacement, est en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit »30.

 

b. – La jurisprudence relative aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines

 

* Les principes de nécessité et de proportionnalité des peines découlent de l'article 8 de la Déclaration de 1789 selon lequel la loi « ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

 

Dans le cadre de la jurisprudence relative à ces principes, le Conseil constitutionnel n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Il juge ainsi que « si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue »31.

 

Pour s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, le Conseil tient compte de la peine elle-même, mais également, depuis sa décision n° 2015-501 QPC précitée, « du régime juridique d'exécution de cette peine »32.

 

L'extension du champ d'application de l'article 8 de la Déclaration de 1789 au régime d'exécution de la peine avait été initiée par la jurisprudence relative à la période de sureté. Le Conseil avait en effet, dès sa décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, examiné au regard de cet article les dispositions fixant la durée de la période de sûreté durant laquelle les condamnés ne peuvent bénéficier des dispositions concernant le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle33. Par ailleurs, le Conseil avait ensuite pris en compte, dans le cadre de l'appréciation de la constitutionnalité d'une peine d'interdiction d'inscription sur les listes électorales au regard du principe d'individualisation des peines, les conditions d'exécution de celle-ci34. Enfin, dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil avait examiné au regard du principe de nécessité des peines les dispositions relatives à la période de sûreté pouvant être prononcée en cas de condamnation pour meurtre ou assassinat « sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions »35.

 

La décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015 a permis de consacrer à titre général l'extension du champ d'application de l'article 8 de la Déclaration de 1789 aux dispositions relatives au régime d'exécution des peines. Ainsi, dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a jugé opérant le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines à l'encontre de dispositions relatives à la procédure de réhabilitation judiciaire.

 

* À ce jour, le Conseil n'a prononcé qu'une censure concernant des dispositions relatives au régime d'exécution de la peine, fondée spécifiquement sur le principe de proportionnalité des peines, en raison de l'exclusion de toute possibilité d'aménagement de la peine de réclusion criminelle à perpétuité pour les étrangers condamnés pour certains faits de terrorisme.

 

Dans sa décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, le Conseil constitutionnel était saisi du cinquième alinéa de l'article 730-2-1 du CPP, qui subordonnait l'octroi d'une libération conditionnelle à une personne condamnée à une peine privative de liberté pour des faits de terrorisme autres que la provocation, l'apologie ou l'entrave au blocage de sites internet terroristes, lorsqu'une telle libération n'était pas assortie d'un placement sous surveillance électronique mobile, à l'exécution préalable, à titre probatoire, d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d'un an à trois ans. Or, il résultait de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que ces dispositions faisaient obstacle, pour les condamnés étrangers sous le coup d'une décision d'éloignement du territoire, telle qu'une expulsion ou une interdiction du territoire français, à toute mesure de libération conditionnelle, dès lors que l'exécution de mesures probatoires est incompatible avec la décision d'éloignement du territoire.

 

Après avoir rappelé que « l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion »36, le Conseil a constaté que « dès lors que les dispositions contestées ont pour conséquence de priver les personnes en cause de toute possibilité d'aménagement de leur peine, en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines »37.

 

* En ce qui concerne la procédure de réhabilitation judiciaire, dans sa décision n° 2015-501 QPC précitée, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines à l'encontre du troisième alinéa de l'article 786 du CPP, qui fixe à l'expiration de la peine le point de départ du délai au terme duquel peut être formée une demande de réhabilitation judiciaire lorsqu'est concernée une personne condamnée à une peine principale autre que l'emprisonnement ou l'amende.

 

Pour ce faire, le Conseil constitutionnel a procédé à un raisonnement en deux temps.

 

En premier lieu, compte tenu du caractère abstrait du contrôle exercé, et comme le souligne le commentaire, le Conseil a examiné les dispositions contestées « indépendamment de la question des peines pour lesquelles la réhabilitation judiciaire est impossible ». Sur ce point, il a considéré que le fait que certaines peines puissent donner lieu à réhabilitation à l'issue d'un délai long ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité dès lors que « les dispositions contestées font varier le délai à l'issue duquel la réhabilitation peut être obtenue en fonction de la durée de cette peine ou de la nature de l'infraction qu'elle sanctionne »38.

 

En second lieu, le Conseil constitutionnel a examiné la proportionnalité de la disposition contestée en ce qu'elle a pour effet de rendre impossible la formation d'une demande de réhabilitation judiciaire par une personne condamnée à titre principal à une peine autre que l'emprisonnement ou l'amende, dès lors que cette peine est sans limite de durée et imprescriptible. Il a jugé que cette impossibilité n'était pas non plus manifestement contraire au principe de proportionnalité des peines dès lors que, « dans cette hypothèse, le condamné peut toutefois être dispensé d'exécuter la peine s'il est gracié ; que sa condamnation peut être effacée par l'effet d'une loi d'amnistie ; qu'en application de l'article 789 du code de procédure pénale, il peut bénéficier d'une réhabilitation judiciaire s'il a rendu des services éminents à la France ; qu'il bénéficie des dispositions du troisième alinéa de l'article 769 du code de procédure pénale, qui prévoit le retrait du casier judiciaire des fiches relatives à des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans, dès lors que l'intéressé n'a pas été condamné à une nouvelle peine criminelle ou correctionnelle ; qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne sont pas manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines »39

 

2. – L'application à l'espèce

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a répondu en premier lieu au grief tiré de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant la justice après avoir rappelé les formulations de principe applicables en la matière (paragr. 6 à 8).

 

Il a pris soin de rappeler, à cet égard, l'objet de la réhabilitation judiciaire, qui « vise à favoriser le reclassement du condamné » comme il avait déjà eu l'occasion de l'affirmer à plusieurs reprises. Le Conseil a également indiqué les effets que le législateur attache à la réhabilitation judiciaire, relevant que celle-ci « efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent d'une condamnation pénale et interdit d'en rappeler l'existence à toute personne qui en a connaissance dans l'exercice de ses fonctions » mais qu'elle  « ne supprime pas de plein droit la condamnation qui peut être prise en compte par les autorités judiciaires en cas de nouvelles poursuites, pour l'application de la récidive légale » (paragr. 9).

 

En circonscrivant la portée de l'objet et des effets de cette procédure, le Conseil a ainsi rappelé quelle était la finalité principale de la réhabilitation judiciaire, dont l'intérêt apparaît avant tout du vivant de la personne qui souhaite en bénéficier. Si le requérant insistait sur la dimension symbolique de cette mesure, qui pouvait être regardée comme découlant de la faculté ouverte à certains proches de demander la réhabilitation à titre posthume, celle-ci ne trouvait, dans le droit en vigueur, aucune autre concrétisation que l'interdiction de rappeler l'existence de la condamnation, interdiction toutefois limitée dans son ampleur puisque s'appliquant uniquement aux personnes en ayant connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite précisé la portée des dispositions contestées du premier alinéa de l'article 786 du CPP, dont il résulte, en particulier, qu'une demande en réhabilitation judiciaire ne peut être formée par une personne condamnée à une peine criminelle qu'après un délai de cinq ans à compter de l'expiration de la sanction, sauf dans l'hypothèse, prévue à l'article 789 du même code, où cette personne aurait « rendu des services éminents au pays » depuis l'infraction (paragr. 10).

 

Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées font obstacle, d'une part, « à ce qu'une demande en réhabilitation judiciaire puisse être formée par une personne condamnée à la peine de mort, dont la peine a été exécutée » et, d'autre part, « à ce qu'une telle demande soit formée par ses proches dans l'année de son décès, conformément au premier alinéa de l'article 785 du même code » (paragr.  11). En effet, lorsque la peine de mort était encourue pour certains crimes, une personne condamnée à une telle peine ne pouvait pas former elle-même de demande en réhabilitation judiciaire si celle-ci était mise à exécution puisque le délai d'épreuve prévu au premier alinéa de l'article 786 du CPP ne pouvait, par hypothèse, pas être observé.

 

Les proches de la personne condamnée, plus précisément son conjoint, ses ascendants ou ses descendants, ne pouvaient pas davantage introduire une telle demande à titre posthume puisque la faculté prévue à cet égard au premier alinéa de l'article 785 du CPP est enfermée dans un délai d'un an à compter du décès de la personne et conditionnée, elle aussi, au respect du délai d'épreuve de cinq ans précité.

 

Le Conseil constitutionnel ne pouvait ainsi qu'aboutir au constat que l'application du délai d'épreuve conduit à une différence de traitement entre les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation à la peine de mort qui a été exécutée et les personnes condamnées à une autre peine criminelle.

S'attachant à l'objectif poursuivi à travers l'institution de ce délai d'épreuve, il a toutefois relevé que « le législateur a entendu subordonner le bénéfice de la réhabilitation à la conduite adoptée par le condamné une fois qu'il n'était plus soumis aux rigueurs de la peine prononcée à son encontre. À cet égard, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la réhabilitation judiciaire ne peut être accordée qu'aux personnes qui, après avoir été condamnées et avoir subi leur peine, se sont rendues dignes, par les gages d'amendement qu'elles ont donnés pendant le délai d'épreuve, d'être replacées dans l'intégrité de leur état ancien. Dès lors, les personnes condamnées à la peine de mort et exécutées se trouvaient dans l'impossibilité de remplir les conditions prévues par la loi » (paragr. 12).

 

Le Conseil a ainsi pu mesurer, à l'aune de la ratio legis des dispositions contestées et de la jurisprudence relative à celles-ci, que ces personnes étaient placées dans une situation différente des personnes condamnées à une autre peine criminelle, compte tenu non seulement de la nature même de la peine de mort, mais aussi de l'objet propre de la réhabilitation judiciaire. À cet égard, le seul fait que la réhabilitation puisse être demandée par les proches d'un condamné après son décès ne contrarie pas cette ratio legis puisque, comme cela a été indiqué supra, une telle possibilité ne remet pas en cause le fait que la réhabilitation soit subordonnée à l'existence d'une période d'épreuve, après l'exécution de la condamnation, durant laquelle le condamné doit donner des gages d'amendement. Le Conseil constitutionnel en a dès lors conclu que « la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées repose sur une différence de situation et est en rapport direct avec l'objet de la loi » (paragr. 13).

 

Afin de tenir compte de l'abolition de la peine de mort par la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 et, plus encore, de l'interdiction de cette peine par la loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 qui a introduit l'article 66-1 dans la Constitution, le Conseil a toutefois ajouté, en des termes inédits, que « Dans ces conditions, le législateur serait donc fondé à instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants droit d'une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir » (paragr. 14).

 

Ce faisant, il a entendu souligner que l'impossibilité pour les proches d'une personne condamnée à mort d'obtenir sa réhabilitation judiciaire à titre posthume, si elle ne heurte pas les exigences découlant des principes d'égalité devant la loi et la justice, ne faisait pas obstacle à la possibilité pour le législateur, s'il le jugeait opportun, d'aménager en faveur des ayants droit une procédure ad hoc qui poursuivrait spécifiquement une finalité symbolique ou morale. Cette procédure se distinguerait de la réhabilitation telle que conçue actuellement puisque celle-ci est fondée sur l'existence d'une période d'épreuve après la condamnation. Il appartiendrait en conséquence au législateur de déterminer, notamment, dans quelles conditions la personne condamnée à mort et exécutée aura dû fournir des gages d'amendement pour bénéficier d'une décision de rétablissement dans son honneur.

 

Par suite, le Conseil constitutionnel a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et la justice (paragr. 15).

 

En second lieu, le Conseil a écarté le grief fondé sur le principe de proportionnalité des peines après avoir considéré que le fait que les ayants droit d'un condamné à mort dont la peine a été exécutée ne puissent engager une action en réhabilitation en son nom ne méconnaissait pas ce principe (paragr. 17).

 

Après avoir relevé que les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun autre droit ou liberté constitutionnellement garanti, il les a en conséquence déclarées conformes à la Constitution (paragr. 18).

_______________________________________

1 Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 16e édition, 2009, p. 1072.

2 Un auteur a pu écrire que « la réhabilitation est la forme la plus achevée du pardon. En opérant simultanément la clôture du passé et l'inauguration du futur, elle défait les effets du crime sur le criminel en effaçant la trace de son déshonneur » (Caroline Gatto, Le pardon en droit pénal, PUAM, 2014, § 414). D'autres auteurs insistent sur la dimension psychologique de la réhabilitation, « laquelle, de ce point de vue, est sans doute la plus belle mesure d'effacement qu'offre notre système juridique. Elle opère, selon les termes de certains condamnés un véritable "nettoyage", non seulement des mentions du casier judiciaire ou des condamnations, mais un "effacement" du passé lui-même, en tant qu'il a pu être infâmant. Les condamnés le vivent comme une authentique restauration de leur honneur » (Jean Danet, Sylvie Grunvald, Martine Herzog-Evans et Yvon Le Gall [dir.], Prescription, amnistie et grâce en France, Rapport de recherche subventionnée par le GIP « Mission de recherche Droit et Justice », mars 2006, p. 330).

3 Décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, M. Philippe B.  (Exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision), cons. 6 ; décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015, M. Anis T. (Computation du délai pour former une demande de réhabilitation judiciaire pour une peine autre que l'emprisonnement ou l'amende), cons. 9 .

4 Article 133-10 du CP.

5 Article 133-11 du CP.

6 Voir, pour la réhabilitation judiciaire, le deuxième alinéa de l'article 798 du CPP et le 8° de l'article 769 du même code. Cette règle spécifique au bulletin n° 1 a été introduite par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le législateur ayant alors estimé que « contrairement à la réhabilitation légale, automatique, la réhabilitation judiciaire résulte d'une appréciation de la personnalité du condamné » (rapport n° 132 [Sénat – 2006-2007] de M. Jean-René Lecerf fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 décembre 2006, p. 92).

7 Ce principe connaît quelques tempéraments, une exécution fictive pouvant être regardée comme suffisante. Ainsi, en application de l'article 133-17 du CP, la remise gracieuse d'une peine équivaut à son exécution pour l'application des règles sur la réhabilitation. De la même manière, la réhabilitation est possible en cas de prescription de la peine et la jurisprudence a admis qu'une peine assortie du sursis puisse faire l'objet d'une réhabilitation judiciaire (Cass. crim., 17 février 1998, Bull. crim. n° 42).

8 Loi du 14 août 1885 sur les moyens de prévenir la récidive.

9 Cette double dérogation à l'exigence d'exécution de la peine et de respect d'un délai d'épreuve trouve son origine dans l'ordonnance n° 45-1791 du 13 août 1945 qui, pour tenir compte des nombreux actes héroïques durant la Seconde Guerre mondiale, entendait ainsi favoriser la personne qui aurait rendu des services éminents au pays « au péril de sa vie » (cette condition, initialement prévue à l'article 625 du code d'instruction criminelle, n'a pas été reprise par l'article 789 du CPP). Sur ce point, voir Delphine Gibaud-Croset, « Le rétablissement de la légalité pénale républicaine à la Libération : entre ruptures et continuité », Cahiers Jean Moulin [En ligne], n° 1, mis à jour le 05/10/2017, URL : http://publications-prairial.fr/cjm/index.php?id=119, § 70.

10 L'interdiction définitive du territoire français, prévue à l'article 131-30 du CP, peut être prononcée à titre de peine complémentaire ou principale en matière correctionnelle. Dans cette seconde hypothèse, son caractère définitif a pour effet de la rendre imprescriptible, puisqu'elle ne finit jamais d'être exécutée (Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-84.441). Il en résulte que la demande de réhabilitation ne peut intervenir qu'au décès de la personne visée par l'interdiction définitive du territoire (en ce sens, Benoît Laurent, « Chronique de jurisprudence », Recueil Dalloz, 2018, p. 1711).

11 Si le respect de cette condition temporelle n'ouvre pas droit, à lui seul, à la réhabilitation judiciaire (Cass. crim., 23 juin 2004, n° 03-87.647, inédit), il doit nécessairement amener la chambre de l'instruction à apprécier, au vu des pièces produites par l'intéressé et des éléments recueillis par le procureur de la République, le comportement dont il a fait preuve pendant le délai d'épreuve (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.839).

12 Voir par exemple : Cass. crim., 12 février 1963, n° 62-90.725, Bull. crim. n° 72, et, plus récemment, Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16–86.423, inédit.

13 Cass. crim., 11 juillet 2017, précité.

14 L'ordonnance du 13 août 1945 avait alors introduit l'énoncé de cette faculté à l'article 621 du CPP.

15 Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d'État, Recueil Duvergier, 1852.

16 Ibidem.

17 Ibidem.

18 Amendement n° 141 déposé au Sénat par M. Jean-Pierre Sueur et autres. Cet amendement avait pour objet de « permettre aux conjoints et descendants de Raymond Mis et Gabriel Thiennot de demander leur réhabilitation après leur décès. / MM. Mis et Thiennot avaient été condamnés il y a plus de 60 ans pour meurtre. Les deux hommes, aujourd'hui décédés, avaient été condamnés à quinze ans de prison pour le meurtre du garde-chasse Louis Boistard, retrouvé mort le 31 décembre 1946 dans un étang de Saint-Michel-en-Brenne (Indre). Arrêtés avec un groupe de chasseurs début 1947, ils étaient passés aux aveux avant de se rétracter. Ils n'ont ensuite jamais cessé de clamer leur innocence, affirmant avoir subi de graves sévices durant leur garde à vue de huit jours et avoir été obligés de signer des aveux sous la torture. Les doutes sur une possible erreur judiciaire ont été tels qu'en juillet 1954, René Coty leur a accordé sa grâce. MM. Mis et Thiennot ont été libérés à la moitié de leur peine ».

19 Rapport n° 1396 et 1397 (Assemblée nationale – XVème législature) de Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris fait au nom de la commission des lois, tome I, p. 440.

20 Rapport n° 1396 et 1397 précité, tome II, p. 445.

21 Voir, par exemple, récemment, la décision n° 2019-796 QPC du 5 juillet 2019, Société Autolille (Annulation des réductions ou exonérations des cotisations et contributions sociales des donneurs d'ordre en cas de travail dissimulé), paragr. 10.

22 Décision n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. (Frais irrépétibles devant la Cour de cassation), cons. 3. Dans le même sens, voir aussi décision n° 2016-544 QPC du 3 juin 2016, M. Mohamadi C. (Règles de formation, de composition et de délibération de la cour d'assises de Mayotte), paragr. 6.

23 Décisions n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010, M. Boubakar B. (Détention provisoire : réserve de compétence de la chambre de l'instruction), cons. 4 ; n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, M. Samir A. (Appel des ordonnances du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention), cons. 3 et n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc-Roussillon et autres (Article 575 du code de procédure pénale), cons. 4.

24 Décisions n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. (Communication du réquisitoire définitif aux parties), cons. 4 et n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012, Mme Maryse L. (Droit des parties non assistées par un avocat et expertise pénale), cons. 3.

25 Décisions n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. (Frais irrépétibles devant la Cour de cassation), cons. 3, n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011, M. Bruno L. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales), cons. 4, et n° 2019-773 QPC du 5 avril 2019, Société Uber B.V. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales II), paragr. 4.

26 Décision n° 2011-213 QPC du 27 janvier 2012, COFACE (Suspension des poursuites en faveur de certains rapatriés), cons. 3.

27 Cf., par exemple, s'agissant de compositions différentes du conseils de discipline des avocats de Paris et des autres barreaux, décision n° 2011-179 QPC du 29 septembre 2011, Mme Marie-Claude A. (Conseil de discipline des avocats) ou, pour la réduction de peine encourue dont peuvent bénéficier certains délinquants, selon le concours qu'ils ont apporté aux services enquêteurs, décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, cons. 15 et 16.

28 À travers, par exemple, l'existence de dispositions attribuant un contentieux spécifique à une juridiction spécialisée. Voir, en dernier lieu, la décision n° 2018-756 QPC du 17 janvier 2019, M. Jean-Pierre F. (Compétence des juridictions spécialisées en matière militaire pour les infractions commises par des militaires de la gendarmerie dans le service du maintien de l'ordre).

29 Voir, récemment, décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V. (Mise en mouvement de l'action publique en cas d'infraction commise par un militaire lors d'une opération extérieure).

30 Décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015 précitée, cons. 6. 

31 Voir, par exemple, récemment la décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, Mme Alaitz A. et autre (Conditions de la libération conditionnelle pour les étrangers condamnés pour terrorisme), paragr. 5.

32 Décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015 précitée, cons. 8.

33 Décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance, cons. 8 à 11.

34 Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres (Article L. 7 du code électoral), cons. 5.

35 Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 28 à 31.

36 Décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019 précitée, paragr. 6.

37 Ibidem, paragr. 8.

38 Décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015 précitée, cons. 10.

39 Ibidem, cons. 11.