Conformité
La Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel le 16 mars 2012 (décision n° 355087 du 16 mars 2012) une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Mathieu E. et portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles (CASF).
Par sa décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution.
I. – Dispositions contestées
Les articles L. 222-6 et L. 147-6 du code de l'action sociale et des familles portent, respectivement, sur le droit de toute femme d'accoucher dans le secret et la procédure permettant la réversibilité de ce secret à la demande de l'enfant.
A. – Contexte
1. – L'accouchement sous X
Le droit français reconnaît de longue date la faculté pour une femme d'abandonner son nouveau-né aux services de l'État et le droit de demeurer anonyme aux yeux de la société1. Ce dispositif est traditionnellement connu sous le terme d'accouchement sous X, en référence à l'expression employée par la loi du 27 juin 1904 sur le service des enfants assistés. La possibilité pour une femme de demander le secret de son accouchement et de son identité est généralement considérée comme une garantie contre l'accouchement clandestin, l'abandon sauvage et l'infanticide. Afin de renforcer la portée de cette garantie, la loi a établi, en outre, la gratuité des frais d'hébergement et d'accouchement de l'intéressée2.
Jusqu'à la loi du 8 janvier 19933, l'accouchement sous X n'était reconnu dans la loi qu'indirectement, par les dispositions du code de la famille et de l'aide sociale garantissant la prise en charge de ces frais par la collectivité publique. Cette loi a introduit l'accouchement sous X dans le code civil, premièrement, en insérant un article 341-1 qui pose le principe selon lequel : « Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé », deuxièmement, en modifiant l'article 62 du code civil (relatif aux mentions portées sur l'acte de naissance) pour garantir qu'en cas d'accouchement sous X les informations relatives à la mère n'y soient pas inscrites et, troisièmement, en modifiant l'article 341 du code civil, relatif à l'action en recherche de maternité, pour faire de l'existence de l'accouchement sous X une fin de non-recevoir opposable à cette action.
La réforme de la filiation, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a conservé ces principes en transférant les dispositions figurant aux articles 341 et 341-1 du code civil aux articles 325 et 326 du même code. Toutefois, la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation a supprimé, à l'article 325 du code civil, la fin de non-recevoir opposable à l'action en recherche de maternité en cas d'accouchement sous X. Ainsi, en l'état de la législation civile, le droit de la mère de demander le secret de son admission lors de l'accouchement est préservé, mais, si l'enfant découvre l'identité de sa mère, la législation civile ne fait plus de l'accouchement sous X un obstacle à l'engagement d'une action aux fins d'établissement de la filiation maternelle.
2. – Les autres causes de secret de l'identité des parents de naissance
L'accouchement sous X n'est pas la seule cause pouvant conduire un enfant à se voir opposer le secret quant à l'identité de ses parents de naissance.
L'ancien article 62 (4°) du code de la famille et de l'aide sociale, devenu l'article L. 224-5 du code de l'action sociale et des familles, permettait aux parents de remettre leur enfant aux services de l'aide sociale à l'enfance en demandant le secret de leur identité. Le lien de filiation établi dans l'acte de naissance était annulé et il était procédé à un acte de naissance fictif appelé « état civil provisoire ». Une telle faculté, restreinte en 19964 aux seuls enfants remis avant l'âge d'un an, a été supprimée par la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 dont sont par ailleurs issues les dispositions contestées.
Par ailleurs, même si c'est exceptionnel, lors de l'établissement de l'acte de naissance, l'officier de l'état civil peut ne pas disposer des éléments d'information sur l'identité de l'enfant (enfant trouvé, article 58 du code civil).
Il se peut donc, même si cela dépend de la règlementation et des pratiques en cours au moment de la remise de l'enfant aux services de l'aide sociale à l'enfance ou au moment de l'adoption, qu'un enfant qui n'est pas né sous X soit dans l'impossibilité de retrouver par ses propres moyens l'identité de ses parents de naissance.
3. – L'accès aux origines personnelles
À la suite de plusieurs rapports rendus dans les années 1990, le législateur a recherché la conciliation entre le caractère absolu du droit de la mère d'accoucher ou d'abandonner son enfant sans révéler son identité et le souhait de l'enfant de connaître ses origines. C'est cette recherche qui a conduit à la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État, dont sont issues les dispositions contestées. Cette loi n'a pas remis en cause le principe du droit à l'accouchement anonyme. Mais elle a organisé la réversibilité du secret de l'identité, sous réserve de l'accord exprès de la mère et de l'enfant, au moyen du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), organisme chargé, à la demande des enfants, de rechercher la mère et de recueillir le cas échéant son consentement à ce que son identité soit révélée à l'enfant.
Ce dispositif, introduit dans le code de l'action sociale et des familles, est toutefois distinct du droit de la filiation, l'article L. 147-7 du CASF disposant : « L'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit ». Si cette affirmation revêtait un caractère absolu avant 2009, compte tenu de la fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité en cas d'accouchement sous X, la loi du 16 janvier 2009 en a atténué la portée.
4. – La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Le droit français permettant d'opposer à un enfant le secret de ses origines a été contesté devant le Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui a statué par un arrêt Odièvre du 13 février 20035, relatif à une situation antérieure à la loi du 22 janvier 2002, mais dans laquelle la Cour européenne a pris en compte la nouvelle législation :
« 45. L'intérêt général n'est pas non plus absent dans la mesure où la loi française s'inscrit, depuis longtemps, dans le souci de protéger la santé de la mère et de l'enfant lors de la grossesse et de l'accouchement, et d'éviter des avortements, en particulier des avortements clandestins, ou des abandons « sauvages ». Le droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention, n'est ainsi pas étranger aux buts que recherche le système français. (…)
« 46. La Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l'observation de l'article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d'appréciation des États contractants. Il existe à cet égard différentes manières d'assurer le « respect de la vie privée » et « la nature de l'obligation de l'État dépend de l'aspect de la vie privée qui se trouve en cause » (arrêt X et Y c. Pays-Bas précité, p. 12, § 24).
« 47. La Cour observe que les États contractants ne connaissent pas, pour la plupart d'entre eux, de législations comparables à celle de la France, au moins sur l'impossibilité à jamais d'établir un lien de filiation à l'égard de sa mère biologique, dans le cas où celle-ci persiste à maintenir le secret de son identité vis-à-vis de l'enfant qu'elle a mis au monde. Elle note cependant que certains pays ne prévoient pas l'obligation de déclarer le nom des parents biologiques lors de la naissance et que des pratiques d'abandon sont avérées dans plusieurs autres engendrant de nouveaux débats sur l'accouchement anonyme. Elle en déduit que face à la diversité des systèmes et traditions juridiques, ainsi d'ailleurs que des pratiques d'abandon, les États doivent jouir d'une certaine marge d'appréciation pour décider des mesures propres à assurer la reconnaissance des droits garantis par la Convention à toute personne relevant de leur juridiction.
« 48. En l'espèce, la Cour observe que la requérante a eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d'établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers.
« 49. Par ailleurs, le système mis en place par la France récemment, s'il conserve le principe de l'admission de l'accouchement sous X, renforce la possibilité de lever le secret de l'identité qui existait au demeurant à tout moment avant l'adoption de la loi du 22 janvier 2002. La nouvelle loi facilitera la recherche des origines biologiques grâce à la mise en place d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, organe indépendant, composé de magistrats, de représentants d'associations concernées par l'objet de la loi et de professionnels ayant une bonne connaissance pratique des enjeux de la question. D'application immédiate, elle peut désormais permettre à la requérante de solliciter la réversibilité du secret de l'identité de sa mère sous réserve de l'accord de celle-ci de manière à assurer équitablement la conciliation entre la protection de cette dernière et la demande légitime de l'intéressée, et il n'est même pas exclu, encore que cela soit peu probable, que, grâce au nouveau conseil institué par le législateur, la requérante puisse obtenir ce qu'elle recherche.
« La législation française tente ainsi d'atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. La Cour observe à cet égard que les États doivent pouvoir choisir les moyens qu'ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi recherchée. Au total, la Cour estime que la France n'a pas excédé la marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question que soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial existant et des parents adoptifs.
« Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention. »
B. – Objet des dispositions contestées
Les dispositions contestées mettent en œuvre la procédure de préservation de secret de la naissance.
L'article L. 222-6 garantit le droit au secret à toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité. Il institue, de plus, la prise en charge des frais d'hébergement et d'accouchement par le service de l'aide sociale à l'enfance.
Par ailleurs, il est prévu que l'intéressée est informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou laisser des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance. Elle est également informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6.
L'article L. 147-6 établit la compétence du CNAOP pour traiter les dossiers révélant une demande expresse de secret, les dossiers dans lesquels la volonté des parents de naissance n'est pas certaine ou les dossiers dans lesquels les parents de naissance sont décédés sans avoir procédé à la levée du secret.
Le CNAOP délivre à la personne qui en fait la demande des renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère de naissance, transmis, notamment, par les établissements de santé et les services départementaux ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un de ses membres ou une personne mandatée par lui.
En l'absence de manifestation expresse de la volonté du parent biologique de préserver le secret de son identité, le CNAOP, saisi d'une demande d'accès aux origines, doit s'assurer de la volonté de ce parent d'autoriser l'accès de l'enfant à ses origines. Il ne peut communiquer au demandeur l'identité du parent biologique qu'à la condition que celui-ci ait consenti, expressément ou tacitement, à la levée du secret de son identité ou, s'il est décédé, ne l'ait pas refusée de son vivant à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Ainsi, si la mère de naissance, contactée par le CNAOP, a refusé de lever le secret de son identité mais que le CNAOP a constaté, lors de cette demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant, qu'elle n'a pas exprimé de volonté contraire à la communication de son identité après sa mort, il communique l'identité de la mère de naissance après son décès.
Si le parent a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès, s'il ne s'était pas opposé à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le CNAOP communique au demandeur l'identité des ascendants, descendants ou des collatéraux privilégiés du parent biologique, à condition que ceux-ci aient fait une déclaration d'identité.
II. – L'examen de constitutionnalité des dispositions contestées
Selon le requérant, en autorisant une femme à accoucher sans révéler son identité et en ne permettant la levée du secret qu'avec l'accord de cette femme, ou, en cas de décès, dans le seul cas où elle n'a pas exprimé préalablement une volonté contraire, les dispositions contestées méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.
A. – Les exigences constitutionnelles applicables
1. – Le droit à la protection de la vie privée
Selon le Conseil constitutionnel, la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée6 qui peut être invoqué en matière de QPC7.
Dans la jurisprudence constitutionnelle, ce droit est entendu de manière assez classique, comme une protection contre les intrusions publiques ou privées au sein de la sphère d'intimité de chacun. Ainsi ce droit a-t-il été appliqué :
– aux traitements de données à caractère personnel (fichiers de police et de justice, inscriptions au casier judiciaire, protection des données médicales) ;
– en matière d'inviolabilité du domicile et d'interception des correspondances, le droit au respect de la vie privée devant spécialement être concilié, dans ces domaines, avec les exigences tenant à la recherche des auteurs d'infractions ;
– en matière de vidéosurveillance, d'opérations de sonorisation et de fixation d'images, selon la même exigence de conciliation et de prévention des atteintes à l'ordre public ;
– à la protection du secret médical, du secret fiscal et du secret professionnel.
En l'état actuel de la jurisprudence, le droit au respect de la vie privée n'implique pas un droit d'accès aux origines.
À titre de comparaison, la Cour européenne des droits de l'homme retient une interprétation plus extensive du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui exige que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain8. Toutefois, cela n'a pas empêché la Cour de Strasbourg de juger, dans l'arrêt Odièvre du 13 février 2003 précité, que la législation française de l'accouchement sous X n'était pas contraire à l'article 8 de la Convention. Selon la CEDH, la France « tente ainsi d'atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause » ; elle « n'a pas excédé la marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question que soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial existant et des parents adoptifs »9.
2. – Le droit de mener une vie familiale normale
Le droit de mener une vie familiale normale qui, selon la jurisprudence constitutionnelle, résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 194610, possède également une portée bien circonscrite. Il a essentiellement été appliqué par le Conseil dans les cas où la disposition législative contestée empêche les membres d'une famille de vivre ensemble.
Ainsi, dans la décision n° 93-325 DC, était en cause la faculté offerte aux étrangers de faire venir auprès d'eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs. Au-delà des évolutions quant au fond du droit, c'est encore la même question du regroupement familial qui se posait dans la décision n° 2003-484 DC11 qui a confirmé la valeur constitutionnelle de ce droit. D'une manière générale, la situation des étrangers est le plus souvent en cause dans les décisions faisant application du droit de mener une vie familiale normale, sauf quelques exceptions également éloignées des difficultés posées par la présente affaire12.
Les récentes décisions relatives à l'adoption par les couples homosexuels13 et au mariage entre personnes de même sexe14 sont une confirmation de cette conception restrictive du droit de mener une vie familiale normale.
Ainsi, dans la seconde de ces deux décisions, le Conseil a jugé que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ». Dans la première, le Conseil a considéré que l'article 365 du code civil, qui empêche que, par la voie de l'adoption simple, un enfant mineur puisse voir établi un deuxième lien de filiation à l'égard du concubin ou du partenaire de sa mère « ne fait aucunement obstacle à la liberté du parent d'un enfant mineur de vivre en concubinage ou de conclure un pacte civil de solidarité avec la personne de son choix » et qu'il ne « fait pas davantage obstacle à ce que ce parent associe son concubin ou son partenaire à l'éducation et la vie de l'enfant ». Dans cette décision, le Conseil a également jugé que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que la relation entre un enfant et la personne qui vit en couple avec son père ou sa mère ouvre droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive ».
Au-delà de la particularité de ces deux précédents, le droit constitutionnel à une vie familiale normale doit être entendu dans un sens concret (possibilité de vivre ensemble), plus que dans un sens proprement formel qui impliquerait une consécration en droit des liens biologiques.
Ainsi, le droit pour toute personne de connaître ses origines ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit de mener une vie familiale normale.
3. – La protection de la santé
Aux termes du onzième alinéa du Préambule de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Le Conseil constitutionnel juge de façon constante qu'il « incombe, tant au législateur qu'au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, les modalités de leur mise en œuvre »15. Une telle conception rapproche le onzième alinéa du Préambule de 1946 des objectifs de valeur constitutionnelle qui fondent principalement des objectifs de politique publique qu'il appartient à l'État de mettre en œuvre. Cela conduit à reconnaître au législateur une grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre de ces principes. Cela étant, l'exigence constitutionnelle de protection de la santé qui découle du Préambule de 1946 figure parmi les « droits et libertés que la Constitution garantit » qui peuvent, par suite, être invoqués à l'appui d'une QPC16.
B. – Application au cas d'espèce
Si les requérants invitaient le Conseil constitutionnel à ne regarder les dispositions contestées qu'à l'aune du droit au respect de la vie privée et du droit à mener une vie familiale normale, le Conseil constitutionnel a d'abord examiné ces dispositions au regard du principe principalement opérant, à savoir le droit à la protection de la santé. En effet, le Conseil a constaté qu'en garantissant un droit à l'anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l'accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur avait entendu « éviter le déroulement de grossesses et d'accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l'enfant et prévenir les infanticides ou des abandons17 d'enfants » (cons. 6). Le législateur avait donc poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Puis, le Conseil a pris en considération le fait que les dispositions contestées visent également à « faciliter la connaissance par l'enfant de ses origines personnelles » (cons. 7). Ces dispositions prévoient que la femme qui demande la préservation du secret est informée de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire et est invitée à laisser des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance. En outre, la loi de 2002 a créé une structure d'intermédiation (le CNAOP) chargée de favoriser cet accès et de contribuer à créer des conditions favorables à l'expression du consentement des parents à la levée de l'anonymat. Enfin, en cas de décès du parent, le législateur a prévu une présomption simple de révocation du secret : pour que ce secret soit maintenu, il faut que le parent ait reçu une demande de levée de l'anonymat de son vivant et qu'il ait expressément fait savoir qu'il souhaitait le maintien de cet anonymat, y compris après son décès.
Dans ces circonstances, et dans la mesure où, ainsi qu'il le rappelle, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur, le Conseil a jugé que la conciliation définie dans la loi entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant ne privait pas de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé.
D'abord, le juge constitutionnel a été attentif au fait « qu'en permettant à la mère de s'opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l'accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines personnelles » (cons. 8).
Ensuite, le Conseil s'est référé simplement aux « intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant » (cons. 8). En évoquant les « intérêts » et non les « droits », le Conseil constitutionnel a souligné que les dispositions relatives au droit de la femme d'accoucher sous X et celles relatives au droit de l'enfant de connaître ses origines personnelles ne résultent pas d'exigences constitutionnelles.
Par suite, la décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012 conclut que les conditions d'accès aux origines personnelles ne peuvent être regardées comme portant atteinte au respect dû à la vie privée ou bien au droit de mener une vie familiale normale.
La solution retenue se situe dans la continuité de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.
Le Conseil a déjà jugé conforme à la Constitution la disposition de l'ancien article L. 152-5 du code de la santé publique, issue de l'article 8 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, qui interdit de donner les moyens aux enfants conçus grâce à l'assistance médicale à la procréation de connaître l'identité des donneurs18.
Il a également admis la constitutionnalité de la dernière phrase du cinquième alinéa de l'article 16-11 du code civil qui ne permet, à l'occasion d'une action en justice tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou à la suppression de subsides, de recourir à l'identification par empreintes génétiques sur une personne décédée, que si celle-ci avait, de son vivant, donné son accord exprès à l'exécution d'une telle mesure d'instruction19.
Au total, les dispositions contestées ont donc été déclarées conformes à la Constitution.
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1 Cette pratique, antérieure à la Révolution, a été codifiée par un décret du 28 juin 1793.
2 Décret-loi du 2 septembre 1941.
3 Loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales.
4 Loi no 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption, article 31.
5 CEDH, 13 février 2003, Odièvre c/ France, n° 42326/98
6 Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons. 45.
7 Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean Victor C. (Fichier empreintes génétiques), cons. 6 et 16.
8 CEDH, 7 juillet 1989, Gaskin c. Royaume-Uni, n°10454/83 ; 6 février 2001, Bensaid c. Royaume-Uni, n° 44599/98, § 47.
9 CEDH, 13 février 2003, précité, § 49.
10 Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 69 et 70.
11 Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 37 et 38.
12 Dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, cons. 77 et s., le Conseil a par exemple décidé que le PACS (qui ne comporte aucune disposition relative au droit de la famille) ne portait pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale dans la mesure où les dispositions du code civil relatives à la filiation et à l'autorité parentale ont vocation à s'appliquer.
13 Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. (Adoption au sein d'un couple non marié), cons. 7.
14 Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre (Interdiction du mariage entre personnes de même sexe), cons. 8.
15 Voir notamment les décisions nos 86-225 DC du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d'ordre social, cons. 17, et 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 19.
16 Décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011, M. Mohamed T. (Conditions d'octroi de l'allocation adulte handicapé).
17 La CEDH utilise les termes d'abandons « sauvages », c'est-à-dire ceux qui, réalisés hors de tout cadre légal, mettent la vie de l'enfant en danger.
18 Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 11
19 Décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres (Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d'actions en matière de filiation), cons. 6.