Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2012-227 QPC

09/12/2022

Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 170 du 18 janvier 2012) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Omar S., relative aux articles 21-2 et 26-4 du code civil.

 

Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces articles conformes à la Constitution tout en assortissant cette déclaration de conformité à la Constitution d'une réserve d'interprétation portant sur le troisième alinéa de l'article 26-4 du code civil.

 

 

I. – Disposition contestée et grief

 

A. – Historique

 

– Le code civil de 1804 attachait au mariage des effets sur la nationalité variables selon le sexe : l'étranger marié à une Française ne pouvait acquérir sa nationalité que par la voie de la naturalisation, tandis que l'étrangère mariée à un Français devenait française de façon quasi automatique.

 

La loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant, modifiant, abrogeant certaines dispositions du code de la nationalité et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française a mis fin à cette différence selon le sexe et donné une nouvelle rédaction de l'article 37-1 du code de la nationalité (créé en 1945) en permettant à toute personne étrangère qui épouse une personne française d'acquérir la nationalité par une déclaration reçue devant le juge d'instance et enregistrée par le ministre chargé des naturalisations. Le Gouvernement pouvait s'opposer à l'acquisition, notamment si la communauté de vie avait cessé ou n'avait pas existé.

 

La loi n° 84–341 du 7 mai 1984 tendant à modifier et à compléter la loi du 9 janvier 1973, a modifié cet article en imposant, comme condition de la recevabilité de la déclaration de nationalité, une durée de vie commune des époux de six mois.

 

L'article 9 de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité a porté ce délai de vie commune à deux ans et l'article 50 de cette même loi a transféré cette disposition à l'article 21-2 du code civil, le code de la nationalité étant abrogé.

 

L'article 21-2 du code civil a été modifié par l'article 1er de la loi no 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité qui a réduit de deux à un an le délai d'acquisition de la nationalité par mariage.

 

Ce délai a été par la suite porté à 4 ans par l'article 79 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. Enfin, l'article 3 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a ajouté des conditions de recevabilité de la déclaration d'acquisition de nationalité en imposant que l'étranger justifie également « d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'État ».

 

– L'article 26-4 du code civil est l'ancien article 107 du code de la nationalité. À l'origine, il prévoyait qu'en l'absence de refus d'enregistrement opposé à une déclaration d'acquisition de la nationalité, une copie de la déclaration avec mention de l'enregistrement est remise à l'intéressé, ce qui lui permet de justifier de l'acquisition de la nationalité française.

 

L'article 34 de la loi du 22 juillet 1993 a donné à cet article une nouvelle rédaction consistant principalement à ajouter un second alinéa. Cette-même loi a, en outre, opéré la translation du code de la nationalité dans le code civil, l'article 107 du premier devenant l'article 26-4 du second.

 

Enfin, la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 a inséré un alinéa permettant au procureur de la République de contester l'enregistrement de la déclaration dans un délai d'un an suivant sa date si les conditions ne sont pas satisfaites. La loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a porté ce délai à deux ans.

 

B. – Rédaction des dispositions contestées

 

La Cour de cassation n'avait pas précisé, dans sa décision de renvoi, quelle était la version applicable des textes contestés par la présente QPC. Or, les développements précédents soulignaient la fréquence des modifications législatives intervenues.

 

En outre, l'association « SOS ô sans papiers », dont le Conseil constitutionnel avait admis l'intervention dans cette procédure, soutenait qu'à défaut de précision, par la Cour de cassation, quant à la version contestée, il incombait au Conseil de se prononcer sur la dernière version applicable.

 

Sans même se prononcer sur la recevabilité d'une telle demande émanant d'une association intervenante, le Conseil constitutionnel a, « en tout état de cause », écarté la possibilité d'examiner d'autres dispositions que celles jugées applicables au litige. D'une part, il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle « il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites »1. Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil en a déduit : « par suite, le Conseil constitutionnel ne peut se prononcer que sur les dispositions qui lui sont renvoyées dans leur rédaction applicable au litige » (cons. 1).

 

Cette jurisprudence est conforme à l'objet de la QPC qui, en vertu de l'article 61-1 de la Constitution, trouve son origine dans un litige en cours devant une juridiction administrative ou judiciaire. Elle a conduit le Conseil, faute de précision sur ce point par la Cour de cassation, à s'intéresser au litige en cause et à statuer sur la question de la loi applicable au litige dans des conditions qui s'imposent aux juridictions saisies du litige.

 

En l'espèce, le Conseil a jugé, selon le droit commun de l'application de la loi dans le temps, que la date de la déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité en cause conduisait à retenir que l'article 21-2 du code civil était contesté dans sa rédaction résultant de la loi du 16 mars 1998 précitée tandis que la date de l'acte introductif d'instance du ministère public conduisait à retenir que l'article 26-4 était contesté dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2006.

 

 

C. – Portée des dispositions contestées

 

– L'article 21-2 du code civil a trait aux conditions d'acquisition de la nationalité par mariage. Il vient après l'article 21-1 qui dispose : « Le mariage n'exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité ». Il apporte un tempérament à cette règle en permettant au conjoint d'une personne de nationalité française d'acquérir la nationalité par une déclaration au tribunal d'instance. D'une part, cette déclaration peut être contestée par le ministère public si les conditions légales ne sont pas remplies (c'est l'objet de l'article 26–4 du code civil). D'autre part, si la déclaration a été enregistrée sans être contestée, ou si les motifs de la contestation ont été rejetés, le Gouvernement peut s'opposer à l'acquisition de la nationalité française pour des motifs qui sont énoncés à l'article 21-4 du code civil (indignité ou défaut d'assimilation).

 

Dans sa rédaction contestée, l'article 21-2 fixe principalement une condition de délai entre le mariage et la déclaration et impose qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé. Contrairement à ce que peut laisser penser l'intitulé du § 2 de la section 1 du chapitre III du titre Ier bis du livre Ier du code civil précité, la nationalité française n'est pas seulement acquise « à raison du mariage », mais à raison du mariage et d'une certaine durée de communauté de vie des époux.

 

– Les articles 26 à 26-5 du code civil organisent la réception et l'enregistrement de la déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité française, les modalités selon lesquelles l'autorité qui la reçoit peut s'y opposer et prévoient les voies de recours contre cette opposition.

 

Dans sa rédaction contestée, l'article 26-4 prévoit, en son premier alinéa, la délivrance d'un justificatif de l'enregistrement de la déclaration en l'absence d'opposition2. Il prévoit, en son deuxième alinéa que le procureur de la République peut contester la déclaration dans un délai de deux ans à compter de l'enregistrement si les conditions légales ne sont pas satisfaites. Le troisième alinéa prévoit qu'en cas de mensonge ou fraude le ministère public peut encore agir dans un délai de deux ans à compter de leur découverte. Il s'agit donc d'un délai de prescription « glissant ». Ce troisième alinéa institue en outre une présomption de fraude lorsque la communauté de vie a cessé entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration d'acquisition de la nationalité par mariage.

 

D. – Grief

 

Le grief du requérant, dans son mémoire distinct et motivé, était sommairement présenté : « La présente question de constitutionnalité présente un caractère substantiel indéniable, dans la mesure où les dispositions en cause apportent des restrictions à l'intimité de la vie privée de l'individu, noyau des libertés fondamentales ».

 

La Cour de cassation a décidé de renvoyer la question en estimant qu'elle présentait un caractère sérieux « sur le point de savoir si la présomption de fraude édictée par l'article 26-4 du code civil porte au respect dû à la vie privée que garantit la Constitution une atteinte excessive dès lors qu'elle induit d'un événement survenu dans un délai pouvant atteindre deux ans après la célébration du mariage l'existence d'une fraude concomitante à celle-ci, partant d'une simulation de vie commune pendant ce même délai ».

 

Il faut sans doute lire cette motivation comme renvoyant à une fraude concomitante à la déclaration de nationalité et non à la célébration du mariage. En effet, la condition de l'acquisition de la nationalité française n'est pas la validité du mariage mais l'existence d'une certaine durée de vie commune des époux.

 

Bien sûr, la validité du mariage est une condition nécessaire pour que la déclaration de nationalité soit valable. Ainsi, une déclaration de nationalité faite après dissolution du lien matrimonial serait sans effet3, de même que l'annulation du mariage rend la déclaration caduque (sauf si la bonne foi de l'époux étranger est reconnue4). Toutefois, l'article 26-4 n'a pas pour objet de permettre au procureur de la République de remettre en cause la validité du mariage (ce pouvoir lui est reconnu par l'article 184 du code civil), mais de contester la déclaration de nationalité. La question de savoir si le mariage était nul ou non est inopérante au regard de la disposition en cause. Ce qui importe, c'est l'absence de fraude lors de la déclaration de nationalité. Cette fraude peut exister même si le mariage a été valablement célébré – mais trop rapidement suivi d'une séparation pour que la condition d'une année de vie commune fût satisfaite…

 

 

II. – Le droit au respect de la vie privée

 

A. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

Après avoir estimé que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée affectent la liberté individuelle5, le Conseil constitutionnel a, à compter de 1999, rattaché le respect de la vie privée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il a jugé que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 « implique le respect de la vie privée »6 et figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit qui peuvent, par suite, être invoqués en matière de QPC7.

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit au respect de la vie privée est abondante. Elle s'applique :

 

– aux traitements de données à caractère personnel (fichiers de police et de justice, inscriptions au casier judiciaire, protection des données médicales) ;

 

– en matière d'inviolabilité du domicile et d'interception des correspondances, le droit au respect de la vie privée devant spécialement être concilié, dans ces domaines, avec les exigences tenant à la recherche des auteurs d'infractions ;

 

– en matière de vidéosurveillance, d'opérations de sonorisation et de fixation d'images, selon la même exigence de conciliation et de prévention des atteintes à l'ordre public ;

 

– à la protection du secret médical, notamment à l'égard des étrangers en matière de délivrance de titres de séjour8, du secret fiscal et du secret professionnel ;

 

– au droit des étrangers dans le cadre de l'examen des dispositions relatives au regroupement familial ou à la délivrance des titres de séjour9.

 

B. – La conformité des dispositions contestées

 

– Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion d'examiner des dispositions du droit des étrangers comparables à celles de l'article 21-2 du code civil, relatives non pas à l'acquisition de la nationalité à raison du mariage, mais à la délivrance de la carte de résident ou de la carte de séjour.

 

Ainsi, en 1997, il a validé les dispositifs subordonnant la délivrance d'un titre de séjour à la condition que la communauté de vie n'ait pas cessé : « Considérant en troisième lieu que, compte tenu des objectifs d'intérêt public qu'il s'est assignés, le législateur a pu, sans méconnaître la liberté du mariage ni porter une atteinte excessive au droit à une vie familiale normale, soumettre la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire au conjoint d'un ressortissant français à la condition que le mariage ait été contracté depuis au moins un an et que la communauté de vie n'ait pas cessé »10.

 

Le Conseil a confirmé cette jurisprudence dans sa décision du 20 novembre 2003 (cons. 44 à 46)11.

 

Le Conseil a également validé les dispositions qui attachaient la délivrance d'une carte de résident à une certaine durée de la vie commune entre époux. Il a ainsi jugé une première fois en 1993 : « Considérant (…) que la carte de résident, valable pour une durée de dix ans, est renouvelable de plein droit ; qu'eu égard aux exigences de la sauvegarde de l'ordre public et compte tenu des objectifs d'intérêt général qu'il s'est assignés, le législateur a pu exiger que l'obtention de cette carte soit soumise à la double condition de l'absence de menace à l'ordre public et de la régularité du séjour préalable des intéressés sans porter des atteintes excessives aux principes de valeur constitutionnelle invoqués par les députés auteurs de la saisine ; qu'il a également pu imposer, pour cette obtention, aux conjoints de ressortissants français, une durée d'une année de mariage sans cessation de la communauté de vie »12.

 

La décision du 20 novembre 2003 confirme également cette jurisprudence (cons. 35 à 39)13.

 

– Il n'est pas contestable que la communauté de vie des époux est une situation de fait qui relève de leur vie privée. Toutefois, dès lors qu'il est permis à un époux de se prévaloir de cette situation de fait pour acquérir un droit, il est logique de prévoir qu'une contestation puisse porter sur la réalité de ces faits. La possibilité que la contestation de l'acquisition de la nationalité conduise à un débat sur des éléments de vie privée est inhérente à la décision de l'étranger de se prévaloir de sa vie privée pour obtenir la nationalité française.

 

En outre, l'institution d'une présomption de fraude lorsque la vie commune a cessé pendant l'année qui suit l'enregistrement de la déclaration ne porte aucunement atteinte à la vie privée. Au contraire, par l'effet de cette présomption, le parquet, pour engager l'action en contestation, ne doit rapporter la preuve que d'un élément de fait objectif : la séparation survenue dans un délai d'un an à compter de l'enregistrement de la déclaration. Il n'est pas nécessaire que le parquet enquête sur la vie privée des époux – ce qui conduirait à une ingérence plus intrusive et subie dans leur vie privée. Par suite, si les éléments de vie privée seront versés dans les débats judiciaires, ce sera à l'initiative de l'intéressé à qui il est loisible de prouver par tous moyens que la vie commune n'avait pas cessé14 (par exemple en produisant des factures, des documents fiscaux ou des témoignages).

 

Ainsi, sauf à interdire toute contestation de la déclaration ou à remettre en cause le principe même de la règle selon laquelle l'acquisition de la nationalité résulte non du mariage mais d'une certaine durée de vie commune des époux, on ne voit pas comment la disposition contestée pourrait méconnaître le droit au respect de la vie privée.

 

Or, chacune de ces deux options est exclue, la première parce qu'elle reviendrait à reconnaître le droit de frauder au nom du respect de la vie privée, la seconde parce qu'elle interdirait au législateur d'accorder des droits (ou d'imposer des sujétions) en fonction de critères reposant sur la vie privée des intéressés.

 

Certes, la législation antérieure à 1984, qui permettait à tout époux étranger d'acquérir la nationalité par déclaration en produisant un acte de mariage, était moins attentatoire à la vie privée. Toutefois dès lors que se sont développées des pratiques tendant à utiliser le mariage à des fins étrangères à son objet matrimonial, le législateur était placé devant une alternative : soit il privait le mariage de tout effet sur la nationalité (c'est la solution retenue par certains pays étrangers), soit il fixait des règles permettant que seuls les mariages correspondant à une véritable union matrimoniale puissent produire de tels effets. Aucune de ces deux options ne paraît incompatible avec le respect de la vie privée.

 

Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que « ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose que le conjoint d'une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce titre » (cons. 8) et a précisé que le fait de subordonner l'acquisition de la nationalité française à une durée de mariage sans cessation de la communauté de vie n'est pas contraire au droit au respect de la vie privée. Cette décision s'inscrit dans le prolongement de la décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 dans laquelle le Conseil a jugé que les droits des étrangers « ne comprennent aucun droit de caractère général et absolu d'acquérir la nationalité française »15.

 

S'agissant de la présomption de fraude, il a jugé « que la présomption instituée par l'article 26-4 en cas de cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration est destinée à faire obstacle à l'acquisition de la nationalité par des moyens frauduleux tout en protégeant le mariage contre un détournement des fins de l'union matrimoniale ; qu'eu égard aux exigences de la sauvegarde de l'ordre public et compte tenu des objectifs d'intérêt général qu'il s'est assignés, le législateur, en instituant cette présomption, n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » (cons. 9).

 

 

III. – Le respect des droits de la défense

 

Le troisième alinéa de l'article 26-4 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2006, dispose : « L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude. »

 

Au cours de la procédure, le Conseil constitutionnel a, en application de l'article 4 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, informé les parties de ce qu'il était susceptible de soulever d'office un grief « tiré de ce qu'en permettant l'application combinée du report du point de départ du délai de prescription de l'action du procureur de la République à la date de la découverte du mensonge ou de la fraude et de la présomption de fraude lorsque la communauté de vie a cessé dans l'année de l'enregistrement de la déclaration », le dernier alinéa de l'article 26-4 du code civil méconnaîtrait le respect des droits de la défense.

 

L'instauration d'une présomption de fraude méritait en effet d'être examinée au regard du respect des droits de la défense.

 

Certes, la disposition contestée est étrangère à la matière répressive et la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui prohibe, en principe, les présomptions de culpabilité16 n'est donc pas applicable.

 

Toutefois, l'inversion de la charge de la preuve au profit du demandeur, même en matière civile, mérite un examen au regard des droits de la défense. Le Conseil a ainsi déjà formulé une réserve au regard de règles de présomption civiles en matière de discrimination dans sa décision du 12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale. Il a alors jugé : « Considérant que les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées ne sauraient dispenser celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle la décision prise à son égard constituerait une discrimination en matière de logement ou procéderait d'un harcèlement moral ou sexuel au travail ; qu'ainsi, la partie défenderesse sera mise en mesure de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés et de prouver que sa décision est motivée, selon le cas, par la gestion normale de son patrimoine immobilier ou par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en cas de doute, il appartiendra au juge, pour forger sa conviction, d'ordonner toutes mesures d'instruction utiles à la résolution du litige ; que, sous ces strictes réserves d'interprétation, les articles 158 et 169 ne méconnaissent pas le principe constitutionnel du respect des droits de la défense »17.

 

Toute présomption civile ne saurait, en elle-même, être inconstitutionnelle, ni même être un indice d'atteinte inconstitutionnelle aux droits de la défense, mais le Conseil doit vérifier si une présomption civile instituée ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense, en examinant ses conditions, sa portée (la nature des droits qui sont affectés) et ses effets (caractère irréfragable ou non).

 

En l'espèce, la présomption instituée est une présomption simple qui ne porte que sur la question de savoir si, à la date de la déclaration, la vie commune avait ou non cessé. L'époux qui a acquis la nationalité française peut la combattre en apportant la preuve de la vie commune par tous moyens. En elle-même, cette présomption pourrait apparaître indolore.

 

Toutefois, cette règle pourrait se cumuler avec celle figurant à la première phrase du troisième alinéa de l'article 26-4 qui prévoit que le délai de prescription de l'action du ministère public est glissant, sans limite de temps et quel que soit le délai entre la célébration du mariage et la déclaration.

 

Une telle application combinée des deux phrases du troisième alinéa de l'article 26–4 du code civil permettrait au procureur de la République, en prouvant simplement qu'il y a eu séparation dans l'année suivant l'enregistrement de la déclaration (preuve qui se rapporte notamment au moyen du jugement de divorce), d'inverser la charge de la preuve et de placer le défendeur dans la situation de devoir prouver que sa communauté de vie avec le conjoint français avait duré suffisamment longtemps et n'avait pas cessé à la date de la déclaration. Une telle inversion de la charge de la preuve paraît particulièrement redoutable pour le défendeur. Cela revient à imposer aux personnes qui ont acquis la nationalité par mariage et qui se sont séparées de leur conjoint dans l'année qui a suivi l'enregistrement de la déclaration de conserver, leur vie durant, les preuves de leur vie conjugale à la date de la déclaration et pour la période antérieure. Ils ne sont en effet jamais à l'abri d'une contestation aux fins d'extranéité, laquelle exigerait qu'ils prouvent qu'ils satisfaisaient alors les conditions pour acquérir la nationalité française.

 

En droit de la nationalité, la règle de preuve est fixée à l'article 30 du code civil qui dispose que la charge de la preuve « incombe à celui dont la nationalité est en cause » mais qui inverse la règle si celui dont la nationalité est contestée est titulaire d'un certificat de nationalité. Il s'agit d'assurer une certaine sécurité à celui qui, ayant acquis la nationalité française, s'est vu délivrer le certificat qui atteste que cette acquisition n'est plus litigieuse. L'article 26-4 introduit une dérogation à cette règle. Cette dérogation se justifie par la nécessité de ne pas rendre l'action du ministère public trop difficile par la délivrance rapide d'un certificat de nationalité après l'enregistrement de la déclaration de nationalité.

 

Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé  que, si cette dérogation aux règles de preuve pouvait se prolonger sans limite de temps, il en résulterait une atteinte injustifiée aux droits de la défense.

 

Le Conseil a donc formulé une réserve d'interprétation dont l'objet est d'exclure l'application cumulée de la présomption de fraude et du report dans le temps de la prescription : « la présomption prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 26-4 ne saurait s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration ; que, dans les instances engagées postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoqué » (cons. 14).

_______________________________________

1  Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L. (Cristallisation des pensions), cons. 6.

2  L'enregistrement de la déclaration intervient dans un délai d'un an, en vertu de l'article 26-3 du code civil.

3  Cour d'appel de Dijon, 3 juillet 1991, D. 1992. 231.

4  Article 21-5 du code civil.

5  Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, cons. 44.

6  Voir notamment décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons. 45 ; décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 75 ; décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, cons. 21.

7  Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean Victor C. (Fichier empreintes génétiques), cons. 6 et 16.

8  Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, cons. 34 à 36.

9  Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, précitée, cons. 44 et 45.

10  Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, précitée, cons. 38.

11 Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 44 à 46.

12 Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 25.

13 Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, précitée., cons. 35 à 39.

14 Cour de cassation, première chambre civile, 5 mars 1991, n° 89-19194.

15 Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 35.

16 Décisions n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 5 et 6 et n° Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, cons. 17 et 18.

17 Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 89.