Non conformité totale
La chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel le 16 décembre 2011 (arrêt n° 7050 du 7 décembre 2011) une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Bruno L. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 2272-27-2 du code pénal.
Dans sa décision n° 2011-222 QPC du 17 février 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article contraire à la Constitution.
I. – Dispositions contestées
A. – La notion d'atteinte sexuelle
Jusqu'en 1994, le code pénal réprimait « l'attentat à la pudeur sans violence » d'un mineur de 15 ans (article 331 du code pénal). Le nouveau code pénal a supprimé l'infraction d'attentat à la pudeur et y a substitué l'atteinte sexuelle. La différence principale tient dans le fait que seul un majeur peut se rendre coupable d'une atteinte sexuelle sur un mineur alors que l'attentat à la pudeur réprimait également les faits commis par les mineurs.
L'article 227-25 du code pénal punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende « le fait par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans ». En 1994, le nouveau code pénal avait entrepris d'adoucir la répression en réduisant à 2 ans d'emprisonnement la peine encourue, mais la loi du 17 juin 19981 a relevé le quantum de peine.
L'article 227-26 fixe la liste des circonstances aggravantes qui ont pour objet de porter la peine à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Il vise notamment le cas dans lequel l'atteinte est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. Enfin, l'article 227-27 prévoit un délit d'atteinte sexuelle sur une personne mineure de plus de quinze ans qui n'est punissable que si l'atteinte est commise soit par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, soit par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.
Ces articles ne figurent pas dans le chapitre du code pénal consacré aux atteintes à l'intégrité physique ou psychique contre les personnes mais dans le chapitre consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille. Ces infractions sont constituées en cas d'atteinte sexuelles « sans violence, contrainte, menace ni surprise ». Ils visent à réprimer certaines relations sexuelles consenties ou, à tout le moins, pour lesquelles la preuve de l'absence de consentement n'est pas rapportée.
Ces dispositions ont pour effet de fixer à quinze ans l'âge de la majorité sexuelle définie comme l'âge à partir duquel un mineur peut valablement consentir à des relations sexuelles (avec ou sans pénétration) avec une personne majeure à condition que cette dernière ne soit pas en position d'autorité à l'égard du mineur.
L'âge de la majorité sexuelle a été progressivement élevé : il était fixé à 11 ans par la loi du 28 avril 1832. Il a été porté à 13 ans par la loi du 13 mai 1863 puis à 15 ans par l'ordonnance n° 45-1456 du 2 juillet 1945 et la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.
Il résulte en outre de la jurisprudence relative aux infractions sexuelles que la possibilité de consentir à une relation sexuelle suppose la capacité de discernement conçue comme la capacité de réaliser la nature des actes accomplis. En l'absence de discernement, l'existence d'une contrainte, d'une menace ou d'une surprise, qui conduit à la qualification de viols ou d'agression sexuelle, se déduit de l'incapacité des mineurs, en raison de leur très jeune âge, à réaliser la nature de ces actes2. La loi ne fixe pas d'âge de discernement, il appartient aux juridictions d'apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause.
La statistique judiciaire pour 2010 recense 313 condamnations pour des faits d'atteinte sexuelle sur mineur sans circonstance aggravante (les atteintes sexuelles avec circonstances aggravante sont recensées avec les agressions sexuelles commises sur mineur avec circonstances aggravantes, il n'est pas possible de distinguer dans le chiffre total de près de 2 900 condamnations)3.
B. – La notion d'inceste
La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux a fait entrer l'adjectif « incestueux » dans le droit français. Avant cette loi, d'une part, des dispositions civiles faisaient déjà obstacle à ce qu'un quelconque statut juridique puisse être conféré à une relation incestueuse et, d'autre part, des dispositions pénales réprimaient certains actes sexuels incestueux mais sans que ce terme n'apparaisse dans la loi.
La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 a introduit la notion d'inceste dans le code pénal pour qualifier d'incestueux d'une part, certains viols et certaines agressions sexuelles et d'autre part, certains délits d'atteinte sexuelle.
S'agissant des premiers, l'article 222-31-1 du code pénal disposait : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
S'agissant des seconds, c'est la disposition contestée qui, dans les mêmes termes, qualifie d'incestueuses les atteintes sexuelles : « lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
Il s'agit ainsi, selon les termes retenus par la Chancellerie dans la circulaire d'application de la loi du 8 février 20104 d'une « surqualification » pénale qui s'ajoute à la qualification, qui n'entraîne pas d'aggravation de la peine et qui tend principalement à faire inscrire cette qualification au casier judiciaire.
II. – Examen de la constitutionnalité
Le requérant invoquait la violation du principe de légalité des délits et des peines en ce que la nouvelle qualification pénale fait référence à la famille sans la définir. L'argumentation est fondée sur la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N., qui a déclaré contraire à la Constitution l'article 222-31-1 du code pénal.
Dans cette décision, le Conseil a en effet jugé :
« 3. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;
« 4. Considérant que, s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution ».
Après cette décision, le garde des Sceaux avait, par dépêche du 20 septembre 2011, donné instruction aux parquets de ne plus retenir la qualification pénale d'inceste dans les poursuites pour atteinte sexuelle : « Le Conseil ne s'est pas prononcé sur la conformité à la Constitution de l'article 227-27-22 du code pénal prévoyant les atteintes sexuelles "incestueuses".
« Cependant, il conviendra de tirer bien évidemment les mêmes conséquences pour cet article de la décision du Conseil constitutionnel et de considérer cette disposition non conforme à la Constitution. »
Il a ainsi reconnu, ce que le Gouvernement a confirmé dans ses observations produites devant le Conseil constitutionnel, que l'inconstitutionnalité constatée le 16 septembre 2011 de l'article 222-31-1 du code pénal emportait nécessairement celle de son article 227-27-2.
Les dispositions de l'article 227-27-2 du code pénal constituaient en effet la reprise à l'identique, s'agissant du délit d'atteinte sexuelle, des dispositions censurées le 16 septembre 2011 à propos des viols et agressions sexuelles.
Elles ont donc été censurées pour les mêmes motifs.
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1 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.
2 Cour de cassation, chambre criminelle, 7 décembre 2005, bull. crim., n° 326.
3 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_condamnations_en_2010.pdf.
4 Circulaire du Directeur des affaires criminelles et de grâces n° JUSD1003942 du 9 février 2010, p. 4.