Non lieu à statuer
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 novembre 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 6624 du 22 novembre 2011) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Patrick É., relative à l'article 5 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques et aux articles L. 3123-1 et L. 3123-2 du code des transports.
Dans sa décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, le Conseil constitutionnel a dit n'y avoir lieu à statuer sur ces dispositions.
Le requérant avait posé devant le tribunal correctionnel de Paris une QPC qui visait, outre l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 et les articles L. 3123-1 et L. 3123-2 du code des transports, « le décret d'application du 11 octobre 2010 ». Il s'agit du décret n° 2010-1223 du 11 octobre 2010 relatif au transport public de personnes avec conducteur. S'agissant de ce décret, la Cour de cassation a, dans sa décision précitée, déclaré la QPC irrecevable. Elle a renvoyé la QPC « pour le surplus ».
L'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 a été codifié dans le code des transports par l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports. Sous réserve de modifications rédactionnelles tenant au renvoi au décret d'une partie des dispositions qui figuraient dans l'article 5 de la loi, l'article L. 3123-1 est l'exacte reprise des paragraphes I et II de cet article 5 tandis que l'article L. 3123-2 reprend son paragraphe III.
Il s'agit en effet d'une codification à droit constant conformément à l'habilitation donnée par l'article 92 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures. L'habilitation précisait que « les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication de l'ordonnance ». Cette habilitation encadrait strictement la possibilité de procéder à des modifications pour des motifs tenant, d'une part, à la qualité de la législation (hiérarchie des normes, cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, harmonisation, corrections d'erreurs) et, d'autre part, à l'adaptation outre-mer.
Or, à ce jour1, l'ordonnance du 28 octobre 2010 n'a pas été ratifiée. Il est de jurisprudence constante que, tant qu'elle n'a pas été ratifiée, une ordonnance a le caractère d'un acte réglementaire2. Par conséquent, les articles du code des transports ne constituent pas des dispositions législatives au sens de l'article 61–1 de la Constitution. Le Conseil a donc jugé qu'il n'était pas compétent pour apprécier leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. C'est la deuxième décision de non-lieu rendue par le Conseil constitutionnel au motif que les dispositions contestées n'ont pas le caractère de dispositions législatives3. L'appréciation de leur conformité à la Constitution relève donc de la compétence du juge du décret, soit, en l'espèce, en application de l'article 111-5 du code pénal4, les juridictions judiciaires saisies des poursuites.
S'agissant de l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009, la question était plus délicate. Il ne faisait pas de doute que cet article a constitué une disposition législative.
Comme le soulignait le gouvernement dans ses observations, l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 a été abrogé le 1er décembre 2010 par le 124° de l'article 7 de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports. Toutefois, dans sa décision n° 2010-55 QPC du 18 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que « la modification ou l'abrogation ultérieure de la disposition contestée ne fait pas disparaître l'atteinte éventuelle à ces droits et libertés ; qu'elle n'ôte pas son effet utile à la procédure voulue par le constituant ; que, par suite, elle ne saurait faire obstacle, par elle-même, à la transmission de la question au Conseil constitutionnel au motif de l'absence de caractère sérieux de cette dernière »5. En effet, une disposition abrogée pour l'avenir ne cesse pas pour autant de pouvoir être appliquée à l'occasion de litiges portant sur des situations de fait antérieures à cette abrogation. Dès lors, l'argument tiré de l'abrogation de l'article 5 ne pouvait être retenu.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel juge de façon constante depuis la première décision rendue sur une QPC qu'il ne lui appartient pas « de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites »6. Le Conseil n'a admis de déroger à cette règle et ne s'est reconnu le pouvoir de s'assurer de l'applicabilité au litige d'une modification de la loi que dans le cas où elle est intervenue postérieurement à la saisine du Conseil constitutionnel7. Tel n'était pas le cas dans la présente QPC. Dès lors, le fait, qu'en l'espèce, le requérant n'avait fait l'objet de poursuites que sur le fondement du code des transports pour des faits commis postérieurement à l'abrogation de l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 était sans incidence sur le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a toutefois relevé que l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 renvoie à des mesures réglementaires le soin de fixer les modalités d'application de cet article, notamment en ce qui concerne la qualification des conducteurs et les caractéristiques du véhicule (paragraphes II et V de l'article 5). L'article 5 ne pouvait dès lors entrer en vigueur de lui-même au lendemain de la publication de la loi au Journal officiel comme le prévoit la première phrase de l'article 1er du code civil.
Les dispositions réglementaires nécessaires à l'entrée en vigueur de ce dispositif ont été adoptées par le décret du 11 octobre 2010 précité. Son article 13 prévoit une entrée en vigueur le premier jour du sixième mois suivant sa publication, soit le 1er avril 2011. En réalité, à cette date, c'est non pas l'article 5 de la loi du 22 juillet 2009 qui est entré en vigueur mais, compte tenu de la codification, les articles du code des transports qui l'ont remplacé. Par suite, cet article 5 a été abrogé avant son entrée en vigueur : il n'est jamais entré en vigueur. Le Conseil constitutionnel a jugé que, dans ces conditions, cet article était insusceptible d'avoir porté atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne pouvait, par suite, faire l'objet d'une QPC.
Le Conseil constitutionnel a donc dit n'y avoir lieu à statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 5 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques et les articles L. 3123-1 et L. 3123-2 du code des transports.
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1 Lors de la discussion à l'Assemblée nationale de la proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (PPL n° 3991), un amendement de ratification a été adopté. Cette proposition de loi est actuellement en discussion au Sénat.
2 Conseil d'État, 8 décembre 2000, Hoffer et autres, n° 199072 ; Tribunal des conflits, 19 mars 2007, Préfet de l'Essonne, n° C3622.
3 Décision n° 2011-152 QPC du 22 juillet 2011, M. Claude C. (Disposition réglementaire – Incompétence).
4 « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. »
5 Décision n° 2010-55 QPC du 18 octobre 2010, M. Rachid M. et autres (Prohibition des machines à sous), cons. 2.
6 Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L. (Cristallisation des pensions), cons. 6.
7 Décision n° 2011-133 QPC du 24 juin 2011, M. Kiril Z. (Exécution du mandat d'arrêt et du mandat d'amener), cons. 6.