Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2011-113/115 QPC

09/12/2022

Conformité

 

 

Par arrêt en date du 19 janvier 2011 (n° 516), la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Xavier P. et portant sur les articles 353 et 357 du code de procédure pénale (CPP). Le même jour (arrêt n° 515), elle a renvoyé une QPC posée par M. Jean-Louis M. et portant sur les articles 349, 350, 353 et 357 du CPP. Ces deux QPC portaient sur la question de l'absence de motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique.

 

Par sa décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution.

 

 

I. – Dispositions contestées

 

A. – Brève présentation de la cour d'assises

 

La cour d'assises est la juridiction pénale compétente pour juger les crimes commis par des personnes âgées de seize ans et plus. C'est une juridiction départementale, non permanente, qui se réunit en session chaque trimestre en fonction du nombre d'affaires à juger.

 

Sous réserve des règles particulières pour le jugement des mineurs et des crimes de terrorisme et de trafic de stupéfiants, la cour d'assises est composée de trois magistrats (un membre de la cour d'appel, président, et deux magistrats du tribunal de grande instance, assesseurs) désignés pour chaque session, ainsi que de neuf jurés qui sont tirés au sort, pour chaque affaire, sur une liste de trente-cinq jurés eux-mêmes tirés au sort pour chaque session.

 

Dans la cour d'assises, il faut distinguer :

 

 « le président » qui, outre les pouvoirs de police et de conduite des débats inhérents à la présidence d'audience, dispose d'un pouvoir « discrétionnaire » pour prendre toute mesure qu'il juge nécessaire à la manifestation de la vérité (article 310 du CPP) ;

 

 « la cour », c'est-à-dire les trois magistrats, compétente pour statuer sur tous les incidents d'instance, pour prendre certaines mesures et pour statuer sur les intérêts civils ;

 

 « la cour d'assises » qui réunit la cour et les jurés et dont la mission consiste principalement à statuer sur l'action publique (culpabilité et peine).

 

Depuis novembre 1941, le jury n'a plus de compétence propre : les jurés ne délibèrent jamais seuls.

 

La procédure devant la cour d'assises, précisément réglementée par le CPP, suit quelques grands principes : publicité, oralité, contradictoire, continuité des débats.

 

La délibération de la cour d'assises ne donne pas lieu à la rédaction d'une motivation au sens habituel du terme. Une liste de question est rédigée par le président. Elle comporte obligatoirement les questions principales, dictées par l'acte d'accusation qui a saisi la cour d'assises, et les questions supplémentaires, que les parties peuvent demander d'ajouter ou que le président peut ajouter d'office à l'issue des débats. À ces questions, dans le secret du délibéré, les jurés répondront par « oui » ou « non » par autant de votes distincts, exprimés à bulletin secret. Les décisions « défavorables » à l'accusé, doivent être prises à la majorité des deux tiers, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir été adoptées par au moins la majorité des jurés.

 

Depuis la loi du 15 juin 20001, les décisions des cours d'assises sont susceptibles d'un réexamen par une cour d'assises statuant en appel. Il s'agit non pas d'une véritable cour d'appel qui infirme ou confirme l'arrêt de la première cour, mais d'une nouvelle cour d'assises désignée pour rejuger l'affaire dans sa totalité. Elle statue dans une composition élargie : trois magistrats et douze jurés.

 

 

B. – Historique

 

Sous l'Ancien régime, la motivation des décisions de justice n'était pas obligatoire. C'est l'article 15 de la loi du 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire qui l'a imposée, les jugements devant désormais comporter « les motifs qui ont déterminé le juge ».

 

Le mode de délibération de la cour d'assises, repose sur l'addition des réponses par « oui » ou par « non » que chaque juré et chaque juge donne aux questions posées à la cour. Il constitue, depuis la Révolution, une dérogation à l'exposition des motifs du jugement.

 

L'origine de cette dérogation repose en premier lieu sur la suppression du régime de preuves légales en vigueur sous l'Ancien Régime, remplacé par le régime de la preuve morale, c'est-à-dire l'intime conviction et la liberté de la preuve. Ce sont MM. Duport et Thouret, à la séance du 26 décembre 1790, qui firent adopter le projet de supprimer devant le jury toute preuve écrite et de ne donner à la décision d'autre fondement que l'intime conviction fondée sur le débat oral. Le principe, adopté à l'article 24 du titre VI de la loi du 16–29 septembre 1791, fut développé par l'instruction criminelle du 29 septembre 1791 concernant la police de sûreté, la justice criminelle et l'établissement des jurés, repris par l'article 372 du code du 3 brumaire an IV, par l'article 342 du code d'instruction criminelle et, enfin, par l'article 353 du CPP.

 

Par la suite, d'autres justifications ont été apportées au mode particulier de délibération de la cour d'assises. Lorsque les jurés siégeaient seuls, il était argué de leur absence de compétence juridique pour formaliser, sans risque de cassation, les motifs de la décision. Depuis qu'ils siègent avec les magistrats professionnels (ce qui est le cas depuis novembre 1941), certains avancent que le recours à la motivation aurait excessivement renforcé la place des magistrats dans l'équilibre sensible et fragile que constitue la cour d'assises.

 

Le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle présenté par le garde des sceaux et déposé le 26 juin 1996 sur le bureau de l'Assemblée nationale prévoyait la motivation non seulement des jugements du tribunal criminel, mais également des arrêts de cour d'assises statuant en appel. Le projet d'article 375–3 du CPP prévoyait en effet la mise en forme des « raisons de l'arrêt », rédigées sur une feuille annexée à la feuille des questions qui devaient reprendre « pour chacun des faits reprochés à l'accusé, le résumé des principaux arguments par lesquels la cour d'assises s'est convaincue et qui ont été dégagés au cours de la délibération, ainsi que, en cas de condamnation, les principaux éléments de fait et de personnalité ayant justifié le choix de la peine ». Ce projet n'a jamais été adopté définitivement.

 

Si la question de la motivation des arrêts de cour d'assises fait débat, il n'est plus guère soutenu que l'absence de motivation est une nécessité inhérente à la composition et au mode de fonctionnement de la cour d'assises.

 

 Premièrement, les principes de l'oralité des débats et de l'intime conviction du juge n'interdisent pas la motivation de la décision. Ces principes sont applicables devant le tribunal correctionnel et le tribunal de police qui motivent leur décision.

 

 Deuxièmement, le fait que la cour d'assises délibère à bulletin secret n'interdit pas davantage la motivation. Ainsi la Cour de justice de la République, qui délibère par vote à bulletin secret2, rend des décisions motivées (elle est soumise à la procédure en matière correctionnelle3).

 

 Troisièmement, les expériences étrangères montrent qu'il est possible que la cour d'assises rende des décisions motivées alors que les jurés et les magistrats professionnels siègent ensemble. Ainsi, en Italie (où la motivation des décisions de justice est inscrite dans la Constitution), un magistrat de la cour d'assises est désigné pour rédiger la motivation. Il en va de même en Allemagne et en Espagne. Il n'y a qu'en Belgique (avant la réforme évoquée ci-après), en Angleterre et au Pays de Galles que les décisions prises par le jury ne sont pas motivées mais, dans ces pays, les jurés délibèrent seuls et non avec les magistrats.

 

 Quatrièmement, le fait que la cour d'assises spéciale, composée exclusivement de magistrats professionnels, délibère selon le même mode que la cour d'assises compétente pour juger des crimes de droit commun montre que le choix du mode de délibération de la cour d'assises n'est pas une nécessité inhérente à sa composition, mais un choix du législateur lié à une forme particulière pour juger des crimes.

 

C. – La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)

 

La jurisprudence de la CEDH est parfois invoquée pour mettre en cause la procédure de délibération de la cour d'assises. La motivation des décisions de justice n'est pas prévue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) mais elle résulte de la jurisprudence de la CEDH qui « rappelle que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (…). Si l'article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument. L'exigence de motivation doit aussi s'accommoder de particularités de la procédure, notamment devant les cours d'assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime conviction »4.

 

Sur ce fondement, la CEDH a, le 15 novembre 2001, déclaré irrecevable le recours présenté sur ce point par Maurice Papon. Elle a relevé que la cour d'assises s'était prononcée sur 768 questions et que, « si le jury n'a pu répondre que par "oui" ou par "non" à chacune des questions posées par le président, ces questions formaient une trame sur laquelle s'est fondée sa décision. La Cour estime que la précision de ces questions permet de compenser adéquatement l'absence de motivation des réponses du jury. Dès lors, la Cour considère que l'arrêt de la cour d'assises était suffisamment motivé aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention »5.

 

Toutefois, dans un arrêt du 13 janvier 2009, la deuxième section de la CEDH a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la CESDH du fait de l'insuffisance de la motivation d'un arrêt d'assises belge qui avait condamné M. Taxquet pour sa participation à l'assassinat, en 1991, d'André Cools, bourgmestre de Flémalle et ministre wallon. Après avoir cité les jurisprudences antérieures et la motivation de principe précitée, la CEDH a relevé que « toutefois », depuis ces précédents, « une évolution se fait sentir tant sur le plan de la jurisprudence de la Cour que dans les législations des États Contractants. Dans sa jurisprudence, la Cour ne cesse d'affirmer que la motivation des décisions de justice est étroitement liée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de la défense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre l'arbitraire. Ainsi, certains États, à l'instar de la France, ont institué un double degré de juridiction pour les procès en assises ainsi que la mise en forme des raisons dans les décisions des juridictions d'assises. – La Cour considère que si l'on peut admettre qu'une juridiction supérieure motive ses décisions de manière succincte, en se bornant à faire sienne la motivation retenue par le premier juge, il n'en va pas forcément de même pour une juridiction de première instance, statuant au plus au pénal »6.

 

En l'espèce, la CEDH a jugé que les questions posées au jury, au nombre de trente-deux pour huit accusés, manquaient de précision compte tenu du fait que ces questions étaient identiques pour les différents accusés, que la cour d'assises avait refusé de poser des questions individualisées permettant d'identifier la responsabilité pénale de chaque accusé et que « des réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l'impression d'une justice arbitraire et peu transparente »7.

 

La lecture des questions posée à propos de M. Taxquet permet de comprendre la portée de la décision de la Cour : l'accusé était condamné sur la base d'une réponse « oui » à une question ainsi formulée : « TAXQUET Richard, accusé ici présent, est-il coupable, comme auteur ou coauteur de l'infraction,

 

« – soit pour avoir exécuté l'infraction ou avoir coopéré directement à son exécution,

 

« – soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans son assistance l'infraction n'eût pu être commise,

 

« – soit pour avoir par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machination ou artifices coupables, directement provoqué à l'infraction,

 

« – soit pour avoir soit par des discours tenus dans des réunions ou des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou des emblèmes quelconques affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public directement provoqué à commettre l'infraction, 

 

« D'avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l'intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [C.A.] ?»

 

On imagine que le condamné pouvait éprouver des doutes, en lisant la question, sur la nature exacte de l'accusation que la cour d'assises avait retenue contre lui.

 

En Belgique, la décision de la CEDH du 13 janvier 2009 a conduit la Cour de cassation à écarter l'application des articles 342 et 348 du code d'instruction criminelle « en tant qu'ils consacrent la règle, aujourd'hui condamnée par la Cour européenne, suivant laquelle la déclaration du jury n'est pas motivée »8. Le législateur belge a confirmé ce choix par une loi du 21 décembre 2009.

 

La décision de la CEDH a soulevé un certain émoi et des interrogations en France. Certes, la situation française paraissait relativement préservée par l'incise, dans la motivation de la CEDH, d'une allusion à la loi française du 15 juin 2000 qui a introduit l'appel en matière criminelle9. Toutefois, la référence à « l'évolution qui se fait sentir… » et à la théorie de l'apparence, par laquelle la CEDH apprécie le respect du droit au procès équitable en prenant en compte le possible ressenti du justiciable, faisaient peser une forte incertitude.

 

Si l'arrêt de grande chambre de la CEDH du 16 novembre 2010 a confirmé la condamnation de la Belgique en raison du cas d'espèce, cet arrêt a retenu une formulation très différente s'agissant de l'énonciation des règles de principe. Il précise qu'il n'appartient pas à la Cour d'uniformiser les législations criminelles des différents États et qu'il « ne saurait donc être question ici de remettre en cause l'institution du jury populaire »10.

 

« Devant les cours d'assises avec participation d'un jury populaire, il faut s'accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (paragraphes 85 à 89 ci-dessus). Dans ce cas également, l'article 6 exige de rechercher si l'accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d'arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation (paragraphe 90 ci-dessus). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d'assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits (voir paragraphes 43 et suivants ci-dessus), et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l'absence de motivation des réponses du jury (voir Papon c. France, précité). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu'elle existe, la possibilité pour l'accusé d'exercer des voies de recours. »11.

 

Comme le relève un commentateur, « l'arrêt n'affirme plus le caractère indispensable de la motivation en tant que rempart à l'arbitraire. Ce qui constitue une garantie essentielle contre l'arbitraire, ce n'est pas tant la motivation que la possibilité donnée au public et à l'accusé de comprendre la décision rendue (…) Enfin, et dans le prolongement de ce qui précède, le recul par rapport à 2009 provient de l'abaissement du niveau des exigences permettant de garantir la compréhension du verdict. Alors que la chambre critiquait le caractère laconique des réponses – à des questions elles-mêmes vagues et non individualisées, la Grande chambre, quant à elle, se contente d'adresser ce même reproche aux questions posées. Autrement dit, il suffit que l'explication de la décision puisse être trouvée à l'aide des questions, ce qui s'éloigne de la notion même de motivation. De toute ceci, il se dégage une filiation directe avec la jurisprudence antérieure à l'arrêt Taxquet de 2009, notamment la décision Papon c. France (…) »12.

 

Si la jurisprudence de la CEDH ne met pas en cause le principe selon lequel une décision de justice peut être rendue par les réponses affirmatives ou négatives à une série de question, l'enjeu lié au respect des exigences conventionnelles porte non pas sur la règle générale mais sur l'application de celle-ci. C'est le caractère suffisamment simple, précis et individualisé des questions posées dans chaque cas d'espèce qui détermine le respect ou non de la CESDH en ce que cette précision constitue une garantie contre l'arbitraire.

 

 

D – La jurisprudence de la Cour de cassation

 

L'article 485 du CPP, qui impose que tout jugement contienne des motifs, est applicable au tribunal correctionnel. L'article 543 le rend applicable au jugement des contraventions. En revanche, le titre du CPP qui traite de la cour d'assises n'y fait pas référence.

 

Toutefois, le premier alinéa de l'article 593 du CPP, relatif aux ouvertures de cassation, prévoit : « les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif. » Cet article est applicable y compris aux arrêts des cours d'assises. Par conséquent, pour l'application de l'article 593 du CPP, la Cour de cassation juge que l'ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées « tient lieu de motivation ».

 

 Premièrement, la Cour de cassation casse les arrêts d'assises qui comportent « d'autres énonciations relatives à la culpabilité que celles qui, tenant lieu de motivation, sont constituées par l'ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées conformément à l'arrêt de renvoi »13.

 

 Deuxièmement, la Cour de cassation rejette les pourvois fondés sur l'absence de motivation de la cour d'assises dès lors qu'il a été répondu aux questions14. S'agissant des griefs spécialement fondés sur l'article 6 § 1 de la CESDH, la Cour répond, dans le dernier état de sa jurisprudence : « Attendu que sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d'assises d'appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité, les unes, principales, posées conformément au dispositif de la décision de renvoi, les autres, subsidiaires, soumises à la discussion des parties ;

 

« Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l'arrêt satisfait aux exigences légales et conventionnelles invoquées. »15

 

 Troisièmement, la Cour de cassation contrôle la précision, par rapport aux faits et au dispositif de l'acte d'accusation, des questions posées à la cour et aux jurés ainsi que leur individualisation en cas de pluralité d'accusés. Elle prohibe les questions complexes ou alternatives. La jurisprudence par laquelle la Cour de cassation rappelle cette exigence est constante et abondante16.

 

La Cour veille ainsi scrupuleusement au respect des dispositions des articles 349 à 351 du CPP qui imposent la précision de ces questions. Dans ses conclusions sur l'arrêt précité du 14 octobre 2009, l'avocat général Claude Mathon pouvait ainsi affirmer : « Ces exigences nées de la jurisprudence de la chambre criminelle sont très exactement dans la ligne des points 47 et 48 (…) de l'arrêt Taxquet. »

 

Dans un premier temps, la formation spéciale de la Cour de cassation avait, le 19 mai 2010, refusé de transmettre une série de QPC portant sur ces dispositions au motif que la question « tend en réalité à contester non la constitutionnalité des dispositions qu'elle vise, mais à l'interprétation qu'en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique »17. Toutefois, la chambre criminelle, désormais compétente pour statuer sur le renvoi des QPC au Conseil constitutionnel en matière pénale, n'a pas repris cette analyse. Elle a décidé de saisir le Conseil en précisant, dans sa motivation, que la question n'était ni juridiquement nouvelle, ni sérieuse, mais nouvelle « au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine ». Il s'agit du même motif de renvoi que celui employé par la Cour de cassation pour renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC sur le mariage entre personnes de même sexe18.

 

 

II. – Examen de la constitutionnalité

 

A. – Les griefs

 

L'argumentation de MP. était fondée sur la violation du « principe de motivation des décisions de justice » que le Conseil constitutionnel aurait reconnu dans ses décisions nos 88-248 DC du 17 décembre 1988 et 2000- 433 DC du 27 juillet 2000.

 

M. M., quant à lui, soutenait que les articles contestés sont « contraires à la Constitution au regard des articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'aux principes du droit à une procédure juste et équitable, d'égalité devant la loi et d'égalité devant la justice, en ce qu'ils ne permettent pas de motiver et d'expliquer les raisons de la décision de la déclaration de culpabilité d'un accusé et le quantum de sa condamnation, autrement que par des réponses affirmatives à des questions posées de façon abstraite se bornant à rappeler chacune des infractions, objet de l'accusation et ses éléments constitutifs légaux, et ne faisant aucune référence au comportement et à la personnalité de l'accusé ».

 

Étaient également invoquées la violation des principes d'égalité devant la loi et la violation des droits de la défense. Toutefois, le Conseil constitutionnel a écarté ce grief peu sérieux : le législateur peut instaurer une différence de traitement fondée sur la gravité des infractions poursuivies en décidant de soumettre les personnes jugées pour crimes à des règles de procédure différentes de celles qui s'appliquent au jugement des contraventions et des délits par les juridictions de police et correctionnelles. D'autre part, les droits de la défense trouvent, dans la procédure en matière criminelle, une multitude de dispositions qui les protègent avec une méticulosité qui ne se rencontre que devant la cour d'assises. Les dispositions relatives à la délibération de la cour d'assises ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux droits de la défense.

 

B. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la motivation

 

 S'agissant des jurisprudences invoquées par le premier requérant, elles ne visent pas les décisions de justice, mais les décisions des autorités administratives indépendantes. Elles témoignent du fait que le Conseil constitutionnel a rangé la motivation des décisions en matière de sanction au nombre des garanties légales des droits de la défense (s'agissant des sanctions prononcées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel)19. Toutefois, il s'agit d'éléments qui figurent au nombre d'autres garanties dans le cadre d'une appréciation d'ensemble du respect de la conformité d'une procédure aux droits de la défense.

 

La décision du 1er juillet 2004 dite « paquet Télécom » est plus directement invocable. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que « les règles et principes de valeur constitutionnelle n'imposent pas par eux-mêmes aux autorités administratives de motiver leurs décisions dès lors qu'elles ne prononcent pas une sanction ayant le caractère d'une punition »20. A contrario, cette décision se lit comme imposant aux autorités administratives de motiver les décisions par lesquelles elles prononcent des sanctions. Toutefois, cette décision doit se comprendre dans le contexte plus large du contentieux administratif dans lequel l'administration bénéficie du privilège du préalable de sorte que les recours n'ont, en principe, pas un caractère suspensif. On ne peut en déduire que toute décision répressive devrait nécessairement être motivée. Les procédures d'ordonnance pénale ou d'amende forfaitaire, qui ne sont évidemment pas motivées mais qui reposent sur une inversion du contentieux selon laquelle la personne condamnée peut demander à être jugée selon une procédure contradictoire qui donnera lieu à un jugement motivé, ne sont pas remises en cause par cette jurisprudence du Conseil constitutionnel.

 

 En matière pénale, la prise en compte, par le Conseil constitutionnel, de l'obligation faite au juge de motiver sa décision a principalement été rattachée au principe de légalité des délits et des peines. Ainsi, dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a pris en compte l'obligation d'une motivation spéciale pour juger que la peine d'interdiction du territoire pour certaines infractions au séjour « au regard de la gravité de l'infraction » ne méconnaît pas le principe de légalité des peines et la liberté individuelle21. C'est également comme une garantie du principe de légalité des délits et des peines que le Conseil constitutionnel a jugé, s'agissant de la Cour pénale internationale, « que sont également de nature à éviter l'arbitraire la motivation, exigée par l'article 74 du statut, de la décision rendue par la chambre de première instance, ainsi que la motivation de l'arrêt de la chambre d'appel prévue par l'article 83 »22.

 

La principale norme pertinente consiste donc dans le principe de légalité des délits et des peines et, plus spécialement, dans la conséquence qu'en tire le Conseil constitutionnel selon laquelle les lois encadrant la mise en œuvre de la poursuite et du jugement en matière pénale doivent exclure l'arbitraire. Si, à l'origine, le Conseil a rappelé cette exigence en matière de définition des incriminations, il en a progressivement étendu le champ à l'ensemble des règles du droit pénal et de la procédure pénale en jugeant, selon une formulation fréquemment reprise, qu'il résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789 « que le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s'impose non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions » 23.

 

Dans sa décision du 1er avril 2011, le Conseil constitutionnel a donc jugé que la motivation des décision en matière répressive constitue une garantie légale de l'exigence constitutionnelle faite au législateur d'empêcher tout pouvoir arbitraire des juridictions. Il a précisé que, « si la Constitution ne confère pas à cette obligation un caractère général et absolu, l'absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu'à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l'arbitraire ».

 

 

C. – Applications aux dispositions contestées

 

Le raisonnement du Conseil constitutionnel procède d'un examen d'ensemble de la procédure devant la cour d'assises afin d'apprécier le caractère suffisant ou non des garanties contre l'arbitraire. Ce raisonnement procède en cinq points.

 

 En premier lieu, le Conseil a pris en compte les principes d'oralité et de continuité des débats devant la cour d'assises. Le premier interdit (en droit comme en fait) que la cour d'assises prenne en compte, dans son délibéré, des éléments de preuve qui n'auraient pas été effectivement produits oralement et débattus contradictoirement devant l'accusé, lequel doit être présent au procès. Sur ce point, cela constitue une garantie par rapport à la procédure correctionnelle où, certes, il est procédé à l'instruction des faits à l'audience, mais où il n'est pas interdit au tribunal, qui se retire pour délibérer en emmenant le dossier avec lui, de prendre en compte des éléments du dossier sur lesquels les débats, à l'audience, ont pu être rapides (ce dossier ne comportant, bien sûr, que des pièces que l'avocat du prévenu a pu consulter avant). À cela s'ajoute le principe de continuité des débats qui impose que la cour d'assises se retire pour délibérer immédiatement après la fin des débats. C'est donc sur les seules impressions laissées par ces derniers que les juges et les jurés forment leur intime conviction.

 

 En deuxième lieu, la cour d'assises est saisie par un acte juridictionnel motivé (l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction ou l'arrêt de renvoi de la chambre de l'instruction). Cette décision est lue par le greffe au début des débats. Elle détermine la saisine de la cour et les questions principales sur lesquelles les jurés statueront.

 

En matière correctionnelle ou de police, il n'en va pas de même puisque, hors les cas des procédures soumises à l'instruction préparatoire, la juridiction est saisie par un acte du parquet qui vise précisément les faits poursuivis et la qualification pénale sous laquelle ils le sont, mais qui n'est nullement motivée. Ainsi l'accusé non seulement sait parfaitement ce qu'on lui reproche dès le début des débats criminels, mais, d'une part, il a l'assurance que la cour d'assises ne statuera que sur une liste déterminée de questions qu'il connaît à l'avance et, d'autre part, il peut demander que la liste des questions soit complétée s'il souhaite que la cour délibère spécialement sur un élément de fait évoqué aux cours des débats.

 

 En troisième lieu, le processus de délibération est lui-même codifié non seulement quant au mode de scrutin, mais également quant à l'ordre des questions et le processus par lequel il est statué sur la culpabilité et, le cas échéant, sur la peine. Le condamné ignore, certes, les motifs profonds pour lesquels les juges ont décidé de fixer la peine. Mais les connaît-il davantage s'agissant du tribunal correctionnel ? La motivation n'est pas l'expression des raisons qui ont déterminé le juge dans la solution retenue, c'est l'exposition de l'argumentation que le juge retient pour convaincre du bien-fondé de sa décision24.

 

Devant la cour d'assises, en revanche, l'accusé connaît, parce que cela résulte des dispositions du CPP, les différentes étapes du processus par lequel la cour d'assises a statué. Aucune décision juridictionnelle ne résulte d'un processus de décision aussi précisément encadré et organisé que celui de la cour d'assises.

 

 En quatrième lieu, le Conseil a pris en compte la jurisprudence de la Cour de cassation qui veille à ce que les questions posées à la cour d'assises soient claires, précises et individualisées. Il a rappelé qu'il appartient au président de faire respecter cette exigence, ainsi qu'à la cour si elle est saisie d'un incident contentieux sur les questions. Il se peut que ces exigences soient parfois méconnues ; toutefois, une telle méconnaissance dans la mise en œuvre des dispositions du CPP n'affecte pas leur constitutionnalité.

 

 En dernier lieur, le Conseil a pris en compte le fait que la délibération de la cour d'assises est organisée pour que la décision rendue soit l'expression directe de l'intime conviction de la cour d'assises et en particulier des jurés, puisque toute décision défavorable à l'accusé ne peut être adoptée sans un vote d'au moins la majorité d'entre eux.

 

Toute l'histoire de la cour d'assises, en France, est celle de la recherche d'un équilibre entre le poids respectif des jurés et celui des magistrats, entre une tendance plus libérale et démocratique, méfiante à l'égard des magistrats, ou une tendance plus technocratique et directive, tendant à renforcer un certain contrôle de la cour sur les jurés. Depuis novembre 1941, la cour et les jurés délibèrent ensemble sur la culpabilité et la peine. Cette orientation a été conservée après-guerre et, par la suite, le poids des jurés (portés à neuf en 1958) et le caractère démocratique de leur mode de sélection (tirage au sort sur les listes électorale depuis 1980) ont été renforcés.

 

Depuis la Révolution, la cour d'assises est donc un enjeu politique : c'est la place des citoyens dans le procès criminel. L'instauration d'une motivation littérale des décisions ne mettrait pas à bas la cour d'assises ou le jury criminel, mais elle en modifierait l'équilibre. Comme l'écrit un président de cour d'assises : « Magistrats et jurés n'ont ni le même statut ou la même formation, ni souvent la même culture ou la même logique ; leur démarche intellectuelle est davantage déductive pour les premiers et inductive pour les seconds (…) Rendre obligatoire la motivation de la décision aboutirait à renforcer l'influence des magistrats sur les jurés car la méthodologie du délibéré ne serait plus la même : au lieu de permettre à chacun de se forger une conviction personnelle, l'objectif serait de tendre vers une décision rationnelle et cohérente. »25

 

Estimer que la décision de la cour d'assises doit être motivée revient à remettre en question le principe selon lequel le verdict est l'expression directe du choix des jurés : c'est le vote des jurés qui exprime la condamnation non le raisonnement juridique que le magistrat pourrait construire pour présenter la rigueur de la solution retenue.

 

Ainsi, fondamentalement, le choix du jury criminel, en France, n'est pas qu'un choix procédural, c'est la traduction de l'idée que le constat du crime n'est pas seulement une question d'argumentation juridique. Le crime doit pouvoir être constaté par tout citoyen qui doit pouvoir dire : « ceci est un crime ». Le choix de faire juger les crimes par la cour d'assises et les délits par des magistrats professionnels confère à la différence entre crime et délit une portée qui ne tient pas seulement au degré de gravité. Il s'agit de renvoyer à une conception plus sociale du crime, comme l'action qui « offense les états forts et définis de la conscience collective »26. En ce sens, il y a une justification à la non-motivation littérale de l'arrêt criminel. On peut ne pas partager les motifs de cette justification et les trouver insuffisants. Toutefois, une part du débat sur ce point relève de l'opportunité politique qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de trancher.

 

Pour l'ensemble de ces raisons, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de ce que le mode de délibération de la cour d'assises méconnaîtrait le principe selon lequel les règles de procédure pénale doivent exclure l'arbitraire. Il a donc déclaré conformes à la Constitution les articles 349, 350, 353 et 357 du CPP.

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1 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

2 Loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 relative à la Cour de justice de la République, article 32.

3 Id. article 26.

4  CEDH, 1ère section,  décision sur la recevabilité, 15 novembre 2001, Papon c. France, n° 54210/00, § 6 f).

5  Ibid.

6  CEDH, 2ème section, 13 janvier 2009, Taxquet c. Belgique, n° 926/05, §43 et 44.

7  Ibid. § 48.

8  Cour de cassation belge, arrêt no 2505 (P.09.0547.F) du 10 juin 2009.

9  Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

10 CEDH, Grande chambre, 16 novembre 2010, Taxquet c. Blegique, n° 926/05, §84.

11 Ibid. § 92.

12 Caroline Renaud-Duparc, « Motivation des arrêts d'assises : les exigences européennes en recul », AJ pénal, n° 1, janvier 2011, p. 37.

13 Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2009, n° 99-83910.

14 Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mars 2008, n° 07-83965.

15 Cour de cassation, chambre criminelle, 14 octobre 2009, n° 08-86480.

16 Cour de cassation, chambre criminelle, 5 décembre 1963, n° 63-18000, 14 février 1979, n° 78-92787, 23 janvier 1985, n° 84-93163, 29 novembre 1989, n° 89-82400, 17 octobre 1990, n° 89-87132, 20 janvier 2010, n° 08-88301.

17 Cour de cassation, formation spéciale de constitutionnalité, 19 mai 2010, n° 12019, 12020 et 12023.

18 Cour de cassation, civ. 1ère, 16 novembre 2010, n° 1088.

19 Décisions n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons 30 et n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons. 56.

20 Décision n° 2004-497 DC du 1 juillet 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, cons. 14.

21 Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 41 et 42.

22 Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, cons. 22.

23 Décisions n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 5, n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, cons. 10 et n° 2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, cons. 8.

24 « Une simple description des opérations de l'esprit du juge ne fournit pas nécessairement une bonne motivation, c'est-à-dire une légitimation ou une justification qui persuaderait les parties, les instances supérieures et l'opinion publique du bien fondé de la décision » (Chaïm. Perelman, La motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 420).

25 Bernard Fayolle, « La procédure criminelle entre permanence et réforme », in Association française pour l'histoire de la justice, La cour d'assises, Bilan d'un héritage démocratique, Paris, La documentation française, 2001, p. 88.

26 Emile Durkheim, De la division du travail social, Livre Ier, chapitre II.