Non renvoi
CIV. 3
COUR DE CASSATION
CC
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Arrêt du 23 octobre 2025
NON-LIEU A RENVOI
Mme TEILLER, présidente
Arrêt n° 591 FS-D
Pourvoi n° E 25-13.927
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 OCTOBRE 2025
Par mémoire spécial présenté le 11 août 2025, M. [G] [U] [L], domicilié [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité (n° 1274) à l'occasion du pourvoi n° E 25-13.927 formé contre l'arrêt rendu le 6 février 2025 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans une instance l'opposant au préfet des Alpes-de-Haute-Provence, domicilié en cette qualité à la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence, [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [U] [L], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du préfet des Alpes-de-Haute-Provence, et l'avis de Mme Delpey-Corbaux, avocate générale, après débats en l'audience publique du 21 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer conseiller doyen, Mme Abgrall, M. Pety, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, Mme Delpey-Corbaux, avocate générale, et Mme Letourneur, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Par arrêté du 7 novembre 2006, M. [U] [L] (le pétitionnaire) a bénéficié d'un permis de construire en vue d'édifier un logement et un hangar agricole.
2. Cette autorisation de construire ayant été définitivement annulée en ce qui concerne le logement, un permis de construire aux fins de régularisation a été accordé au pétitionnaire par arrêté du 10 février 2015, lequel, à la suite d'un déféré préfectoral, a été annulé par jugement définitif d'un tribunal administratif du 20 avril 2017.
3. Par acte du 18 juin 2019, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence, agissant sur le fondement des articles L. 480-13 et L. 600-6 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, a assigné le pétitionnaire en démolition sous astreinte de cette construction.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
4. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 6 février 2025 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le pétitionnaire a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Tendant à faire constater qu'en édictant les dispositions de l'article 80-IV-7° de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi ELAN), codifiés à l'article L. 600-6 alinéa 2 du code de l'urbanisme, et l'article 80-V de cette même loi – en ce qu'elles permettent au préfet d'exercer une action civile en démolition quel que soit le lieu d'implantation de la construction, y compris lorsque le permis de construire a été définitivement annulé antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi et sans qu'aucune disposition transitoire n'aménage l'application immédiate de ce pouvoir – , le législateur a porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de garantie des droits assuré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'au droit de propriété et de respect des biens garantis par les articles 2, 4 et 17 de la même Déclaration, tels qu'éclairés par le principe de sécurité juridique. »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
5. Les dispositions contestées, qui se rapportent à la faculté offerte au préfet du département, après annulation, par la juridiction administrative, saisie d'un déféré préfectoral, du permis de construire pour un motif non susceptible de régularisation, d'agir en démolition de la construction concernée, même si celle-ci n'est pas située dans l'une des zones visées à l'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme, en ce qu'elles constituent le fondement de l'action engagée par le préfet contre le pétitionnaire, sont applicables au litige.
6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
8. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
9. En premier lieu, en étendant à l'ensemble du territoire l'action ouverte au préfet en démolition des constructions édifiées conformément au permis de construire délivré, après annulation dudit permis par une décision devenue définitive de la juridiction administrative, pour un motif non susceptible de régularisation, qui était réservée, depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, aux seules constructions édifiées dans l'une des zones spécialement protégées, énumérées à l'article L. 480-13, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général.
10. En effet, l'action en démolition ne constituant qu'une conséquence des restrictions apportées aux conditions d'exercice du droit de propriété par les règles d'urbanisme, elle contribue au respect effectif de celles-ci en permettant la maîtrise de l'occupation des sols et du développement urbain.
11. En deuxième lieu, il résulte des travaux parlementaires que le législateur, tout en réservant l'action en démolition ouverte aux particuliers par l'article L. 480 -13 du code de l'urbanisme aux seules constructions édifiées dans l'une des zones spécialement protégées, énumérées au 1° de ce texte, afin de lutter contre les recours abusifs, a entendu, d'une part, prévenir la construction d'ouvrages dans des lieux manifestement inconstructibles mais ne relevant pas de l'une de ces zones, d'autre part, contribuer à une meilleure protection d'espaces sensibles autres que ceux prévus par l'article L. 480-13 précité, en réservant l'action en démolition, hors les zones visées par ce texte, au seul représentant de l'Etat dans le département.
12. En troisième lieu, l'action en démolition des constructions édifiées hors des zones spécialement protégées n'est pas ouverte dans tous les cas d'annulation du permis de construire mais seulement lorsque celle-ci est prononcée sur déféré préfectoral.
13. Ce recours, réservé au représentant de l'Etat dans le département qui, par application de l'article 72 de la Constitution et des articles L. 2131-6 et suivants du code général des collectivités territoriales, a la charge notamment du contrôle de légalité des actes des collectivités locales, devant être notifié au pétitionnaire dans les quinze jours et pouvant être assorti d'une demande de suspension, laquelle est alors de droit dans les conditions prévues par l'article L. 2131-6 précité, c'est à ses risques et périls que le pétitionnaire, dûment informé, aura éventuellement fait le choix d'entreprendre les opérations de construction contestées.
14. Dès lors, l'exercice d'une action en démolition suivant l'annulation définitive d'un permis de construire, prononcée dans de telles conditions et pour un motif non susceptible de régularisation, antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, sanctionnant l'absence originaire de droit à construire du propriétaire en l'état de la réglementation d'urbanisme et n'ayant pour objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure à l'édification de la construction, ne porte atteinte à aucune attente légitime dont le propriétaire de celle-ci serait susceptible de se prévaloir.
15. Il en résulte que l'application immédiate de la loi nouvelle aux situations juridiques en cours à sa date d'entrée en vigueur ne porte pas d'atteinte excessive aux droits et libertés garantis par les articles 2, 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen invoqués au soutien de la question.
16. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question posée au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-trois octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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