Renvoi partiel
CIV. 1
COUR DE CASSATION
LM
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Arrêt du 15 octobre 2025
RENVOI PARTIEL
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 774 F-D
Pourvoi n° K 25-13.702
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [M] [N].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 janvier 2025.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 OCTOBRE 2025
Par mémoire spécial présenté le 7 août 2025, Mme [M] [N], épouse [U], domiciliée [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° K 25-13.702 qu'elle a formé contre l'ordonnance rendue le 8 novembre 2024 par le premier président de la cour d'appel de Dijon, dans une instance l'opposant :
1°/ au préfet de la Côte-d'Or, domicilié [Adresse 4],
2°/ au directeur du centre hospitalier de [3], dont le siège est [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Grimbert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de Mme [N], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat du préfet de la Côte-d'Or, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du directeur du centre hospitalier de [3], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, M. Grimbert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseillère doyenne, et Mme Ben Belkacem, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Dijon, 8 novembre 2024) et les pièces de la procédure, le 18 juin 2020, une chambre de l'instruction a dit qu'il existait des charges suffisantes à l'encontre de Mme [N] d'avoir commis une tentative d'homicide volontaire, l'a déclarée pénalement irresponsable de ces faits en raison d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes et a décidé, sur le fondement des articles 122-1 du code pénal et 706-135 du code de procédure pénale, son admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète.
2. Le 9 octobre 2024, le représentant de l'État a saisi le juge aux fins de poursuite de la mesure de soins sans consentement sous la forme d'une d'hospitalisation complète sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
3. Par ordonnance du 22 octobre 2024, le juge a autorisé le maintien de la mesure d'hospitalisation complète.
4. Par ordonnance du 8 novembre 2024, le premier président, statuant sur l'appel de Mme [N], a confirmé cette décision.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
5. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre cette ordonnance, Mme [N] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 3211-9 du code de la santé publique, en ce qu'elles prévoient que l'état de santé de la personne hospitalisée sans consentement est apprécié par un collège de soignants appartenant tous à l'établissement dans lequel celle-ci est hospitalisée, méconnaissent-elles la liberté individuelle, telle qu'elle est garantie par l'article 66 de la Constitution, et le droit à la sûreté tel qu'il est garanti par l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
6. La disposition contestée prévoit, pour l'application du II des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 et des articles L. 3212-7, L. 3213-1, L. 3213-3 et L. 3213-8 du code de la santé publique, que le directeur de l'établissement d'accueil du patient convoque un collège composé de trois membres appartenant au personnel de l'établissement :
1° Un psychiatre participant à la prise en charge du patient ;
2° Un psychiatre ne participant pas à la prise en charge du patient ;
3° Un représentant de l'équipe pluridisciplinaire participant à la prise en charge du patient.
7. Elle est applicable au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, dès lors qu'un avis de ce collège est requis, conformément à l'article L. 3211-12-1 précité, dans le cas où la personne fait l'objet d'une mesure de soins ordonnée en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale à la suite de faits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux personnes et que le juge est saisi d'une demande de maintien de la mesure.
8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
9. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
10. D'autre part, la question posée, en ce qu'elle invoque une méconnaissance du droit à la sûreté, ne présente pas un caractère sérieux.
11. Le droit à la sûreté, qui est protégé par le droit de l'Union européenne, ne constitue pas une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
12. En revanche, la question posée présente un caractère sérieux en ce qu'elle met en cause le respect de la liberté individuelle, telle qu'elle est garantie par la Constitution.
13. En effet, en ce qu'elle institue un collège composé uniquement de membres appartenant au personnel de l'établissement, même si l'un d'eux ne participe pas à la prise en charge du patient, la disposition contestée est susceptible de présenter des garanties insuffisantes pour prévenir un risque d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle.
14. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée : « Les dispositions de l'article L. 3211-9 du code de la santé publique, en ce qu'elles prévoient que l'état de santé de la personne hospitalisée sans consentement est apprécié par un collège de soignants appartenant tous à l'établissement dans lequel celle-ci est hospitalisée, méconnaissent-elles la liberté individuelle, telle qu'elle est garantie par l'article 66 de la Constitution ? » ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quinze octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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