Conformité
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 juillet 2025 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 601 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Catherine I. épouse C. par Me Marie-Claire Di Dia, avocate au barreau de Bordeaux. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1170 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 345-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 prise en application de l’article 18 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code civil ;
– l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 prise en application de l’article 18 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption ;
– l’arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 2011 (première chambre civile, n° 09-16.527) ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23 juillet 2025 ;
– les observations en intervention présentées pour l’association « Le syndicat de la famille » par Me Sophie Herren, avocate au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
– les secondes observations présentées pour la requérante par Me Di Dia, enregistrées les 5 et 13 août 2025 ;
– les secondes observations présentées pour l’association intervenante par Me Herren, enregistrées le 13 août 2025 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Di Dia, pour la requérante, Me Herren, pour l’association intervenante, et M. Thibault Cayssials, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 30 septembre 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article 345-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 5 octobre 2022 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins.
« Toutefois, une nouvelle adoption simple ou plénière peut être prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants, et une adoption simple peut être prononcée au profit d’un enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière s’il existe des motifs graves ».
2. La requérante reproche à ces dispositions de faire obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint de l’un de ses parents lorsque celle–ci a déjà été adoptée par le conjoint de son autre parent. Elles institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre les beaux–parents d’une même personne, dès lors que l’un des beaux-parents serait empêché de la faire bénéficier des conséquences familiales, sociales et patrimoniales d’une adoption, du fait de son adoption préalable par l’autre beau-parent. Elles institueraient également une différence de traitement injustifiée entre les membres d’un même couple ayant chacun un enfant d’une précédente union, lorsqu’un seul d’entre eux est empêché d’adopter l’enfant de son conjoint en raison d’une précédente adoption. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
3. La requérante considère par ailleurs qu’en faisant ainsi obstacle à la reconnaissance juridique des liens familiaux et affectifs établis entre un enfant et son beau-parent, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Elle soutient que, pour les mêmes motifs, ces dispositions méconnaîtraient également l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes » figurant au premier alinéa de l’article 345-2 du code civil.
5. En premier lieu, en vertu de l’article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant … l’état et la capacité des personnes ». À ce titre, il appartient au législateur de déterminer les règles relatives à l’établissement des liens de filiation, notamment en matière d’adoption. L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit.
6. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, le principe d’égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
7. Aux termes de l’article 343 du code civil, l’adoption peut être demandée, sous certaines conditions, par deux époux, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins. Selon l’article 343-1 du même code, l’adoption peut également être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-six ans. Par ailleurs, en vertu de l’article 353-1, l’adoption est prononcée par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.
8. Selon l’article 345-2 du code civil, une personne peut être adoptée par plusieurs personnes seulement s’il s’agit de deux époux, de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de deux concubins, si l’adoption est prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants ou, dans le cadre d’une adoption simple pour un enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption plénière, s’il existe des motifs graves. En dehors de tels cas, en application des dispositions contestées du premier alinéa de cet article, nul ne peut être adopté par plusieurs personnes.
9. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces dispositions font obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint d’un de ses parents si cette personne a déjà fait l’objet d’une adoption par le conjoint de son autre parent. Il en résulte une différence de traitement entre les conjoints respectifs des parents d’une personne, seul l’un d’entre eux pouvant établir un lien de filiation adoptive avec elle.
10. Par les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir à la personne adoptée une stabilité dans ses liens de parenté, compte tenu notamment des difficultés juridiques qui résulteraient de l’établissement de multiples liens de filiation adoptive.
11. Ce faisant, il a estimé, dans l’exercice de sa compétence, qu’un tel motif d’intérêt général pouvait justifier une différence de traitement entre les personnes souhaitant établir un lien de filiation adoptive avec l’enfant de leur conjoint, selon que ce dernier a déjà fait ou non l’objet d’une première adoption. Cette différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu’il convient de tirer, en matière de filiation adoptive, de la situation particulière des conjoints des parents d’une personne.
12. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
13. En second lieu, le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
14. D’une part, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir qu’une personne ne peut en principe faire l’objet que d’une seule adoption, n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le conjoint de l’un des parents soit associé à l’éducation et à la vie de l’enfant.
15. D’autre part, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le conjoint du parent d’une personne à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec celle-ci.
16. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée, ni l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les mots « Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes » figurant au premier alinéa de l’article 345-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 prise en application de l’article 18 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 octobre 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 9 octobre 2025.
Abstracts
3.7.2.1
Adoption
En vertu de l’article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant … l’état et la capacité des personnes ». À ce titre, il appartient au législateur de déterminer les règles relatives à l’établissement des liens de filiation, notamment en matière d’adoption.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 5
4.6.2
Portée du principe
Le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 345-2 du code civil qui prévoit qu'une personne peut être adoptée par plusieurs personnes seulement s’il s’agit de deux époux, de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de deux concubins, si l’adoption est prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants ou, dans le cadre d’une adoption simple pour un enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption plénière, s’il existe des motifs graves. En dehors de tels cas, en application des dispositions contestées du premier alinéa de cet article, nul ne peut être adopté par plusieurs personnes. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces dispositions font obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint d’un de ses parents si cette personne a déjà fait l’objet d’une adoption par le conjoint de son autre parent. D’une part, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir qu’une personne ne peut en principe faire l’objet que d’une seule adoption, n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le conjoint de l’un des parents soit associé à l’éducation et à la vie de l’enfant. D’autre part, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le conjoint du parent d’une personne à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec celle-ci. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 14 15 16
5.1.5.5
Droit civil
Aux termes de l’article 343 du code civil, l’adoption peut être demandée, sous certaines conditions, par deux époux, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins. Selon l’article 343-1 du même code, l’adoption peut également être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-six ans. Par ailleurs, en vertu de l’article 353-1, l’adoption est prononcée par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant. Selon l’article 345-2 du code civil, une personne peut être adoptée par plusieurs personnes seulement s’il s’agit de deux époux, de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de deux concubins, si l’adoption est prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants ou, dans le cadre d’une adoption simple pour un enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption plénière, s’il existe des motifs graves. En dehors de tels cas, en application des dispositions contestées du premier alinéa de cet article, nul ne peut être adopté par plusieurs personnes. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces dispositions font obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint d’un de ses parents si cette personne a déjà fait l’objet d’une adoption par le conjoint de son autre parent. Il en résulte une différence de traitement entre les conjoints respectifs des parents d’une personne, seul l’un d’entre eux pouvant établir un lien de filiation adoptive avec elle. Par les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir à la personne adoptée une stabilité dans ses liens de parenté, compte tenu notamment des difficultés juridiques qui résulteraient de l’établissement de multiples liens de filiation adoptive. Ce faisant, il a estimé, dans l’exercice de sa compétence, qu’un tel motif d’intérêt général pouvait justifier une différence de traitement entre les personnes souhaitant établir un lien de filiation adoptive avec l’enfant de leur conjoint, selon que ce dernier a déjà fait ou non l’objet d’une première adoption. Cette différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu’il convient de tirer, en matière de filiation adoptive, de la situation particulière des conjoints des parents d’une personne. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 7 8 9 10 11 12
11.6.2.1.2
Caractère législatif des dispositions
Les dispositions contestées du premier alinéa de l'article 345-2 du code civil sont issues, à l'origine, de l'ancien article 346 du code civil qui prévoyait déjà le principe d'interdiction des adoptions successives de la même personne. Ces dispositions ont été recodifiées à droit constant par l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022. Par suite, les dispositions contestées revêtent le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Il y a lieu pour le Conseil constitutionnel d'en connaître.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 8
11.6.3.5.1
Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 4
11.6.3.5.3
Examen des dispositions telles qu'interprétées par une jurisprudence constante
Aux termes de l’article 343 du code civil, l’adoption peut être demandée, sous certaines conditions, par deux époux, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins. Selon l’article 343-1 du même code, l’adoption peut également être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-six ans. Par ailleurs, en vertu de l’article 353-1, l’adoption est prononcée par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant. Selon l’article 345-2 du code civil, une personne peut être adoptée par plusieurs personnes seulement s’il s’agit de deux époux, de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de deux concubins, si l’adoption est prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants ou, dans le cadre d’une adoption simple pour un enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption plénière, s’il existe des motifs graves. En dehors de tels cas, en application des dispositions contestées du premier alinéa de cet article, nul ne peut être adopté par plusieurs personnes. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces dispositions font obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint d’un de ses parents si cette personne a déjà fait l’objet d’une adoption par le conjoint de son autre parent. Il en résulte une différence de traitement entre les conjoints respectifs des parents d’une personne, seul l’un d’entre eux pouvant établir un lien de filiation adoptive avec elle.
2025-1170 QPC, 9 octobre 2025, paragr. 7 8 9