Non lieu à statuer
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 avril 2025 par le Conseil d’État (décision n° 491849 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par les associations Cimade et Gisti. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2025–1144 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 572-1 et de l’article L. 572-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2020–1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– l’ordonnance n° 2020–1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 avril 2025 ;
– les observations présentées pour les associations requérantes par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 23 avril 2025 ;
– les secondes observations présentées pour les associations requérantes par la SCP Spinosi, enregistrées le 6 mai 2025 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les associations requérantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 17 juin 2025 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour les associations requérantes par la SCP Spinosi, enregistrée le 23 juin 2025 ;
Mme Jacqueline Gourault ayant estimé devoir s’abstenir de siéger ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le premier alinéa de l’article L. 572-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 16 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Sous réserve du troisième alinéa de l’article L. 571-1, l’étranger dont l’examen de la demande d’asile relève de la responsabilité d’un autre État peut faire l’objet d’un transfert vers l’État responsable de cet examen ».
2. L’article L. 572-3 du même code, dans la même rédaction, prévoit :« La procédure de transfert vers l’État responsable de l’examen de la demande d’asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l’État considéré mentionné au 2 de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ».
3. Les associations requérantes reprochent à ces dispositions, qui interdisent le transfert d’un étranger vers l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile dans le cas de défaillances systémiques, de ne pas prévoir la même interdiction lorsque cet État ne respecte pas les engagements en matière de protection internationale qui lui incombent en application du règlement du 26 juin 2013 mentionné ci-dessus. Il en résulterait une méconnaissance du droit d’asile garanti par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et le second alinéa de l’article 53-1 de la Constitution.
4. À cet égard, elles demandent au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle portant sur l’interprétation de certaines dispositions du règlement du 26 juin 2013, en tant qu’elles n’imposent pas à l’État requérant, en cas de refus unilatéral de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile de respecter ses engagements en matière de protection internationale, de prendre en charge l’examen de cette demande.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dans le cas de défaillances systémiques » figurant à l’article L. 572-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
6. Aux termes de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». La transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l’absence de mise en cause d’une telle règle ou d’un tel principe, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou des dispositions d’un règlement de l’Union européenne. Dans cette hypothèse, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne.
7. Le règlement du 26 juin 2013 fixe les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride. En application du paragraphe 2 de son article 3, un demandeur ne peut être transféré vers l’État membre initialement désigné comme responsable lorsqu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
8. Les dispositions contestées de l’article L. 572-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoient que la procédure de transfert d’un étranger vers l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile ne peut être engagée par l’autorité administrative dans le cas de défaillances systémiques dans cet État.
9. Ces dispositions se bornent ainsi à tirer les conséquences nécessaires de celles du paragraphe 2 de l’article 3 du règlement du 26 juin 2013 auxquelles elles font expressément référence.
10. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n’est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne, est inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
11. Or, d’une part, le Préambule de la Constitution de 1946 dispose en son quatrième alinéa : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il incombe au législateur d’assurer en toutes circonstances l’ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle.
12. En outre, en vertu de l’article 53-1 de la Constitution : « La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. - Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».
13. D’autre part, selon l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
14. Afin d’assurer le respect du droit d’asile garanti par cet article, l’article 17 du règlement du 26 juin 2013 prévoit notamment que, par dérogation à la règle prévue par son article 3, selon laquelle une demande de protection internationale est examinée par le seul État membre désigné comme responsable, chaque État membre peut décider discrétionnairement d’examiner la demande qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas.
15. Il en résulte que le droit d’asile, tel qu’il est garanti par les exigences constitutionnelles précitées, est également protégé par le droit de l’Union européenne. Ces exigences constitutionnelles ne constituent donc pas des règles ou des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France.
16. Par suite, il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mots « dans le cas de défaillances systémiques » figurant à l’article L. 572-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020–1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 juin 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 27 juin 2025.