Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 mars 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 561 du 26 mars 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Mohamed Z. par Me Laurent Goldman, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1143 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code de la justice pénale des mineurs ;
– le code de procédure pénale ;
– l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, ratifiée par l’article 1er de la loi n° 2021-218 du 26 février 2021 ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18 avril 2025 ;
– les observations en intervention présentées pour M. Sabir M. par Me Pamela Lemasson de Nercy, avocate au barreau de Rennes, enregistrées le même jour ;
– les observations en intervention présentées pour l’association Ligue des droits de l’homme par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
– les secondes observations en intervention présentées pour l’association Ligue des droits de l’homme par la SCP Spinosi, enregistrées le 2 mai 2025 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association Ligue des droits de l’homme, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 17 juin 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 11 septembre 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Lorsque le juge d’instruction a ordonné la mise en accusation d’un mineur âgé d’au moins seize ans devant la cour d’assises des mineurs, il est fait application des dispositions de l’article 181 du code de procédure pénale ».
2. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de permettre le maintien en détention provisoire de l’accusé mineur, dans l’attente de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs, pendant la même durée qu’un majeur, sans prévoir de procédure spécifique. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ainsi que, selon l’un des intervenants, de l’intérêt supérieur de l’enfant.
– Sur le fond :
3. Du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs découle, notamment, la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. Toutefois, ces exigences n’excluent pas que, en cas de nécessité, soient prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention.
4. Si le législateur peut prévoir qu’au-dessus d’un âge minimum, des mineurs soient placés et maintenus en détention provisoire pour les nécessités d’une procédure pénale, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s’agissant d’infractions graves. En outre, la mise en œuvre de cette procédure, qui doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d’un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance, nécessite des garanties particulières.
5. En vertu des articles L. 334-1 et L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs, la détention provisoire du mineur âgé d’au moins treize ans ne peut être ordonnée ou prolongée par le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou le juge des libertés et de la détention que si cette mesure est indispensable et s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure et des éléments de personnalité préalablement recueillis, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs mentionnés à l’article 144 du code de procédure pénale et que ces objectifs ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou en cas d’assignation à résidence avec surveillance électronique.
6. En application des dispositions contestées, qui renvoient à celles de l’article 181 du code de procédure pénale applicables aux majeurs, lorsqu’un mineur âgé d’au moins seize ans ainsi placé en détention provisoire est mis en accusation devant une cour d’assises des mineurs pour y être jugé en raison d’un crime, le mandat de dépôt décerné à son encontre conserve sa force exécutoire et l’intéressé reste détenu jusqu’à son jugement. Cette détention provisoire du mineur dans l’attente de sa comparution peut se poursuivre pendant une durée d’un an, puis faire l’objet d’une prolongation, à titre exceptionnel, pour une période maximale de six mois, renouvelable une fois.
7. En prévoyant le maintien en détention provisoire de mineurs âgés d’au moins seize ans mis en accusation pour crime, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
8. Toutefois, d’une part, le maintien en détention provisoire de l’accusé mineur procède alors du seul effet de la loi et non de la décision d’un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance chargé de contrôler la nécessité et la rigueur de la mesure au regard de la situation du mineur.
9. D’autre part, la durée maximale de la détention provisoire du mineur dans l’attente de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs, qui peut atteindre deux ans, ne fait l’objet d’aucune adaptation par rapport à celle applicable aux majeurs mis en accusation devant une juridiction criminelle.
10. Dès lors, en permettant pour une telle durée le maintien en détention provisoire du mineur sans prévoir de procédure appropriée, les dispositions contestées méconnaissent les exigences du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
11. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution.
– Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. D’une part, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée. En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles conduirait à exclure toute possibilité de maintien en détention provisoire d’un accusé mineur dans l’attente de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2026 la date de l’abrogation de ces dispositions.
14. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le mineur accusé âgé d’au moins seize ans mis en accusation devant la cour d’assises pour mineurs ne peut être maintenu en détention provisoire que sur décision de la juridiction d’instruction compétente. Il lui appartient de contrôler si, au regard des conditions prévues à l’article L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs, le maintien en détention provisoire n’excède pas la rigueur nécessaire.
15. D’autre part, les mesures prises avant cette date en application de ces dispositions ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – L’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019–950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, est contraire à la Constitution.
Article 2. – La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 13 à 15 de cette décision.
Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 juin 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 27 juin 2025.