Tribunal administratif de Melun

Décision du 26 juin 2025 n° 2210172

26/06/2025

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 20 octobre 2022, le 23 novembre 2022, le 30 novembre 2022, le 18 janvier 2023 et le 26 octobre 2023, M. A B, représenté par Me Matouandou Massengo, doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler les décisions par lesquelles le juge d'application des peines chargé de son dossier a rejeté sa demande de permission de sortir, de placement en semi-liberté et de libération conditionnelle parentale ;

2°) d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de " faire quelque chose concernant [ses] frais téléphoniques " ;

3°) d'enjoindre au juge d'application des peines de procéder à la modification des minutes du débat contradictoire auquel il a été convié le 8 novembre 2022 afin d'y faire figurer d'autres éléments que ceux " nuisibles et défavorables à [sa] personne " et rectifier les erreurs dont elles sont entachées ;

4°) de condamner l'Etat, à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait des conditions indignes dans lesquelles il a été détenu, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2023, date de réception de sa demande indemnitaire préalable ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Matouandou Massengo, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire, enregistré le 30 novembre 2022, M. B soulève une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité à l'article 3 du préambule de la Constitution de 1946 de la circonstance que les formations de jugement ayant statué sur les différentes instances l'ayant impliqué aient toutes été composées de magistrats " du même genre non mixte ".

Il soutient que :

- il est nécessaire de lui accorder des permissions afin qu'il obtienne son placement en semi-détention ou sa mise en liberté conditionnelle parentale ;

- les frais téléphoniques qu'il expose dans le cadre de sa détention sont trop élevés ;

- les minutes du débat contradictoire auquel il a pris part le 8 novembre 2022 devant le juge de l'application des peines sont erronées ;

- il a subi des conditions de détention indignes qui se sont traduites par la restriction d'accès à la cour de promenade, l'absence d'intimité aux toilettes, la provocation et l'intimidation dont il a été victime de la part des surveillants, la présence de punaises et de cafards dans sa cellule, la circonstance qu'il a été obligé de partager sa cellule avec un codétenu fumeur alors qu'il était lui-même non-fumeur et l'avait signalé à l'administration pénitentiaire, son transfert vers une autre division à la suite de la transmission d'une pétition relative à l'accès à la cour de promenade, dans laquelle les fenêtres étaient situées en hauteur et les toilettes n'étaient pas protégées et où il ne pouvait plus participer à des activités culturelles et se trouvait en présence de détenus radicalisés ;

- les conditions indignes de sa détention lui ont causé un préjudice moral indemnisable à hauteur de la somme de 3 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les conclusions tendant à l'annulation des décisions lui refusant un aménagement de peine ou une permission de sortir sont irrecevables puisque portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et que les moyens soulevés par la requête sont infondés.

Par un courrier en date du 2 juin 2025, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article L. 611-7 que le jugement était susceptible de se fonder sur le moyen d'ordre public tiré de ce qu'il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à titre principal à une administration ou au juge judiciaire, en conséquence de quoi les conclusions présentées par le requérant et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de " faire quelque chose concernant ses frais téléphoniques " ou à ce que le juge d'application des peines procède à la modification des minutes du débat contradictoire auquel il a pris part le 8 novembre 2022 sont irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Issard,

- les conclusions de M. Gauthier-Ameil, rapporteur public,

- les parties n'étant ni présentes, ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. M. B a été incarcéré au centre pénitentiaire de Fresnes du 4 août 2021 au 21 décembre 2022. Par un courrier réceptionné le 5 octobre 2023, il a présenté au garde des sceaux, ministre de la justice une demande indemnitaire tendant au paiement de la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des conditions indignes dans lesquelles s'est déroulée sa détention qui a été rejetée par une décision née le 13 décembre 2023. Par la présente requête, il demande l'annulation des décisions par lesquelles le juge d'application des peines chargé de son dossier a rejeté sa demande de permission de sortir, de placement en semi-liberté et de libération conditionnelle parentale, à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de " faire quelque chose concernant [ses] frais téléphoniques ", à ce qu'il soit enjoint au juge d'application des peines de procéder à la modification des minutes du débat contradictoire auquel il a été convié le 8 novembre 2022 afin d'y faire figurer d'autres éléments que ceux " nuisibles et défavorables à [sa] personne ", ainsi que la condamnation de l'Etat, à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait des conditions indignes dans lesquelles il a été détenu.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Il résulte des dispositions combinées de l'article LO. 771-1 du code de justice administrative et des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une ou plusieurs dispositions législatives portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que les dispositions contestées soient applicables au litige ou à la procédure, qu'elles n'aient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État (...) ".

4. Par un mémoire, enregistré le 30 novembre 2022, M. B soulève une question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité à l'article 3 du préambule de la Constitution de 1946 de la circonstance que les formations de jugement ayant statué sur les différentes instances l'ayant impliqué, aient toutes été composées de magistrats " du même genre non mixte ". Cette question ne portant pas sur la conformité d'une ou plusieurs dispositions législatives aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle ne peut faire l'objet d'une transmission au Conseil d'Etat.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le juge d'application des peines chargé de son dossier a rejeté sa demande de permission de sortir, de placement en semi-liberté et de libération conditionnelle parentale :

5. Il n'appartient qu'au juge judiciaire de connaître des actes relatifs à la conduite d'une procédure judiciaire ou qui en sont inséparables dont font partie les décisions en litige. Les conclusions à fin d'annulation dirigées contre elles doivent donc, par voie de conséquence, être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente.

Sur la recevabilité des conclusions à fin d'injonction :

6. Il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à titre principal à une administration ou au juge judiciaire, en conséquence de quoi les conclusions présentées par le requérant et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de " faire quelque chose concernant ses frais téléphoniques " ou, en tout état de cause, à ce que le juge d'application des peines procède à la modification des minutes du débat contradictoire auquel il a pris part le 8 novembre 2022 sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. M. B recherche l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat en raison des conditions indignes dans lesquelles s'est déroulée sa détention au centre pénitentiaire de Fresnes du 4 août 2021 au 21 décembre 2022.

8. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de cette convention : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".

9. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

10. M. B soutient avoir subi des conditions de détention indignes qui se sont traduites par la restriction d'accès à la cour de promenade, l'absence d'intimité aux toilettes, la provocation et l'intimidation dont il a été victime de la part des surveillants, la présence de punaises et de cafards dans sa cellule, la circonstance qu'il a été obligé de partager sa cellule avec un co-détenu fumeur alors qu'il était lui-même non-fumeur et l'avait signalé à l'administration pénitentiaire, son transfert vers une autre division suite à la transmission d'une pétition relative à l'accès à la cour de promenade, dans laquelle les fenêtres étaient situées en hauteur et les toilettes n'étaient pas protégées et où il ne pouvait plus participer à des activités culturelles et se trouvait en présence de détenus radicalisés.

11. Toutefois, il résulte de l'instruction que la requête présentée par M. B le 13 septembre 2022 au juge d'application des peines sur le fondement des dispositions de l'article 803-8 du code de procédure pénale afin qu'il fasse connaître à l'administration pénitentiaire les conditions de détention qu'il estime contraires à la dignité de la personne humaine et fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin a fait l'objet d'une ordonnance de rejet en date du 4 octobre 2022 motivée par la circonstance qu'il n'a pas souffert de la surpopulation carcérale constatée au centre pénitentiaire de Fresnes, qu'il a occupé seul une cellule durant la majorité de sa détention, qu'il a pu accéder à des activités culturelles et à une activité professionnelle rémunérée et qu'il ne démontre pas avoir fait l'objet de représailles, d'irrespect ou de mauvais comportement de la part des surveillants pénitentiaires. De plus, les pièces produites par le garde des sceaux, ministre de la justice relatives à l'état général de la cellule que M. B a occupée du 12 avril 2022 au 21 décembre 2022 ne permettent pas d'établir la matérialité des allégations d'insalubrité qu'il formule dans sa requête et démontrent l'existence d'un dispositif de cloisonnement entre l'espace sanitaire et le reste de la cellule. En outre, s'il est constant qu'il a partagé sa cellule avec un détenu qui s'est déclaré fumeur, cette cohabitation n'a duré que du 26 juillet 2022 au 4 août 2022. Par ailleurs, la cellule occupée par M. B a fait l'objet d'une désinfection le 16 septembre 2022 au cours de laquelle l'agent en charge de cette opération n'a observé aucun nuisible. Enfin, s'il est constant que l'organisation des promenades a fait l'objet d'une modification à compter du 6 septembre 2021, elle a uniquement consisté en la suppression du système dit de " double-promenade ", qui prévoyait deux promenades d'une heure chacune, au profit d'une promenade unique de deux heures afin de faciliter la participation des détenus à d'autres activités socio-culturelles et de rationaliser les mouvements des détenus en détention. Dans ces conditions, M. B ne saurait être regardé comme démontrant l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

12. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée en toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : Les conclusions de la requête de M. B tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le juge d'application des peines chargé de son dossier a rejeté sa demande de permission de sortir, de placement en semi-liberté et de libération conditionnelle parentale sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, à Me Matouandou Massengo et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au directeur du centre pénitentiaire de Fresnes.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Billandon, présidente,

Mme Issard, conseillère,

Mme Bourrel Jalon, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025.

La rapporteure,

C. ISSARD

La présidente,

I. BILLANDON La greffière,

V. TAROT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Open data