Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société civile (SC) LKG Patrimoine, Mme B D et M. A C ainsi que Mme F D et M. E D, représentés par Me Barrois, ont saisi la cour, le 14 décembre 2023, d'un appel dirigé contre le jugement n° 2102612, 2102613, 2102614 du 17 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, premièrement, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer, à hauteur des dégrèvements prononcés, sur les conclusions de la demande de Mme B D et de M. A C tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, des contributions sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2016 et 2017 ainsi que des pénalités et majorations dont ces impositions ont été assorties, et a rejeté le surplus de leurs conclusions, deuxièmement, a rejeté la demande de la SC LKG Patrimoine tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de prélèvement forfaitaire et de prélèvements sociaux auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos le 28 février 2016, 2017 et 2018, ainsi que des pénalités, majorations et intérêts de retard dont ces impositions ont été assorties, et troisièmement, a rejeté la demande de M. E D et de Mme F D tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, des contributions sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2016 et 2017 ainsi que des pénalités et majorations dont ces impositions ont été assorties.
Par un mémoire distinct, enregistré le 20 décembre 2024, la SC LKG Patrimoine, Mme B D et M. A C, ainsi que M. E D et Mme F D demandent à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation du jugement n° 2102612, 2102613, 2102614 du 17 octobre 2023 du tribunal administratif de Poitiers, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de prélèvement forfaitaire et de prélèvements sociaux auxquels la SC LKG Patrimoine a été assujettie au titre des exercices clos le 28 février 2016, 2017 et 2018 ainsi que des pénalités, majorations et intérêts de retard dont ces impositions ont été assorties, et à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, des contributions sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels ont été assujettis, d'une part Mme B D et M. A C et d'autre part M. E D et Mme F D, au titre des années 2016 et 2017, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité de l'article 112, 1° du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014.
Ils soutiennent que :
- les dispositions de l'article 112, 1° du code général des impôts sont applicables au litige ;
- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;
- la question de la constitutionnalité de ces dispositions présente un caractère sérieux : elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale tel que garanti par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi que le principe d'égalité devant les charges publiques tel que garanti par les dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; elles créent une rupture d'égalité entre les associés qui décident de procéder à une réduction de capital non motivée par des pertes par voie de rachat de titres ou par voie de réduction de la valeur nominale des titres ; la différence de traitement ne repose sur aucun motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi ; ces dispositions font en outre peser sur certains contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
Par un mémoire enregistré le 23 janvier 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que les trois conditions cumulatives posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas un caractère sérieux.
Par une ordonnance du 23 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2025 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité
1. En application de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la cour administrative d'appel saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
2. A l'appui de leur recours en appel dirigé contre le jugement n° 2102612, 2102613, 2102614 du 17 octobre 2023 du tribunal administratif de Poitiers, la SC LKG Patrimoine, Mme B D et M. A C, ainsi que M. E D et Mme F D présentent une question prioritaire de constitutionnalité visant l'article 112, 1° du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014.
En ce qui concerne l'applicabilité au litige des dispositions de l'article 112, 1° du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 :
3. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (...) ".
4. L'article 112 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014, qui constitue l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité, énumère les répartitions ou amortissements effectués par une société qui, par exception à l'article 109, n'ont pas le caractère de revenus distribués, au nombre desquels figurent, au 1° : " les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d'apports ou de primes d'émission ", sous réserve que " tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale (aient) été auparavant répartis ", étant précisé que, pour l'application de cette disposition, ne sont pas considérés comme des apports " les réserves incorporées au capital ", ni " les sommes incorporées au capital ou aux réserves (primes de fusion ou de scission) à l'occasion d'une fusion ou d'une scission de sociétés ou d'un apport partiel d'actif donnant lieu à l'attribution de titres aux associés dans les conditions prévues au 2 de l'article 115 ".
5. Mme B D et M. E D sont, depuis 2012, les deux associés de la SC LKG Patrimoine. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er mars 2015 au 28 février 2018. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 26 juillet 2019, qu'à la suite de ce contrôle, l'administration fiscale a considéré que l'opération de réduction du capital de la société par voie de réduction de la valeur nominale de ses titres intervenue le 30 décembre 2016 était constitutive, en application des dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts, d'une distribution et a ainsi, d'une part, soumis la SC LKG Patrimoine au prélèvement forfaitaire et aux prélèvements sociaux au titre des années 2016 et 2017, et d'autre part, notifié aux foyers fiscaux de Mme B D et de M. E D des rehaussements d'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des mêmes années d'imposition. Dans ces conditions, les dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014, en vigueur du 1er janvier 2015 au 1er janvier 2019, sont applicables au litige.
En ce qui concerne l'absence de déclaration de conformité à la Constitution des dispositions objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel :
6. Les dispositions citées au point précédent n'ont pas déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous (...) ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
8. Les requérants soutiennent que les dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts, qui prévoient que les sommes reçues par les associés d'une société dans le cadre d'une opération de réduction de capital non motivée par des pertes par voie de diminution de la valeur nominale des titres sont imposables selon les règles applicables aux revenus distribués alors que les sommes reçues dans le cadre d'une opération de réduction de capital non motivée par des pertes par voie de rachat de titres suivi de leur annulation sont imposables selon le régime des plus-values, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
9. Les dispositions critiquées du 1° de l'article 112 du code général des impôts introduisent une différence de traitement entre les associés d'une société qui procèdent à une réduction de capital non motivée par des pertes en décidant du rachat par la société de ses propres actions et les associés qui procèdent à une telle réduction en diminuant la valeur nominale de ces actions. Toutefois, alors que cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objectif poursuivi par la loi, ces contribuables se trouvent dans une situation différente dès lors que la réduction du capital par voie de rachat de titres, qui vise la récupération par la société de ses propres actions, constitue pour l'associé une cession de ses parts dont la propriété est transférée à la société et aboutit le cas échéant à la constatation d'une plus-value imposable tandis que la réduction de capital par la diminution de la valeur nominale des actions n'emporte ni cession ni transfert de propriété des actions des associés dont le gain éventuel ne peut être imposé qu'en tant que revenu de capitaux mobiliers.
10. Il suit de là que les dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.
11. En second lieu, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
12. Les requérants soutiennent que les dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'elles font peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives en ce que les titres ayant fait l'objet de la réduction de capital par voie de diminution de leur valeur nominale ayant été reçus dans le cadre d'une succession, ils ont déjà été soumis à des droits de mutation. Ce qui, selon eux, aboutirait à une double imposition : au titre des droits de mutation, d'une part, et au titre des revenus distribués, d'autre part. Toutefois, l'impôt résultant de la distribution consécutive à la réduction de capital n'étant pas assis sur la même base que les droits de succession, l'article 112, 1° du code général des impôts est insusceptible de conduire à une situation de double imposition.
13. Il suit de là que les dispositions du 1° de l'article 112 du code général des impôts ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges fiscales.
14. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SC LKG Patrimoine, Mme B D et M. A C ainsi que Mme F D et M. E D ne présente pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.
ORDONNE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SC LKG Patrimoine, Mme B D et M. A C, ainsi que M. E D et Mme F D.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société civile (SC) LKG Patrimoine, à Mme B D et M. A C, à M. E D et Mme F D, ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Une copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Fait à Bordeaux, le 25 juin 2025.
La présidente de la 6ème chambre,
Karine Butéri
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23BX03078
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