Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2025, M. B A, assigné à résidence, représenté par Me Cariou, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 19 mars 2025 notifié le 29 avril 2025 par lequel le préfet de Loir-et-Cher a renouvelé son assignation à résidence ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative moyennant renonciation de ce conseil à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
M. A soutient que :
- la décision portant assignation à résidence est fondée sur la loi n°2024-42 qui est un texte inconstitutionnel dès lors qu'il a irrégulièrement allongé la validité des obligations de quitter le territoire français et a autorisé la possibilité d'assigner trois fois à résidence un étranger pour lequel une obligation de quitter le territoire français avait été notifiée antérieurement à l'édiction de la loi ;
- l'assignation à résidence est insuffisamment motivée en fait et en droit ; la motivation est stéréotypée ;
- il n'est pas établi que le signataire de la décision attaquée disposait d'une délégation de signature régulière lui donnant compétence ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; la décision est disproportionnée dès lors qu'il souffre de graves problèmes cardiaques qui nécessitent une intervention chirurgicale. Le pointage trois fois par semaine l'épuise ; son état de santé n'est pas compatible avec une assignation à résidence ; il doit par ailleurs s'occuper de sa petite fille de deux ans.
Par un mémoire distinct, enregistré le 2 mai 2025, M. B A représenté par Me Cariou, demande au Tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2025 du préfet de Loir-et-Cher, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une part, du 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024, en tant qu'il s'applique aux obligations de quitter le territoire datant de moins de trois ans mais de plus d'un an à la date de son entrée en vigueur, d'autre part de l'article L. 732-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024, en tant qu'il prévoit que l'assignation peut être renouvelée deux fois.
Il soutient que :
- les dispositions contestées sont applicables au litige ;
- les dispositions contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;
- la question posée est sérieuse : il y a méconnaissance d'un principe fondamental en droit, le principe de non-rétroactivité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2025, le préfet de Loir-et-Cher conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 9 mai 2025, le préfet de Loir-et-Cher conclut à ce que le tribunal écarte la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Le préfet soutient que :
- le droit ou la liberté que la Constitution garanti auquel les dispositions contestées porteraient atteinte n'est pas précisément identifié ;
- la question est dépourvue de caractère sérieux : le bloc de constitutionnalité ne consacre le principe de non-rétroactivité de la loi la plus sévère qu'en matière pénale ; une assignation à résidence est destinée à assurer l'exécution d'une mesure d'éloignement, elle ne présente pas le caractère d'une sanction, ni d'une peine et n'a pas de portée répressive.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président du Tribunal a désigné Mme Best-De Gand, première conseillère, en application des articles L. 922-2 et R. 922-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendus au cours de l'audience publique le rapport de Mme Best-De Gand.
Après avoir prononcé la clôture d'instruction à l'issue de l'audience publique à 10H35.
Une note en délibéré présentée pour M. A a été enregistrée le 9 mai à 19H07.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, ressortissant algérien né le 9 avril 1989, est entré irrégulièrement en France le 15 juillet 2019, selon ses déclarations. Le 16 août 2022, il a sollicité son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale à la suite de son mariage avec une ressortissante marocaine le 2 avril 2022. Par un arrêté du 18 janvier 2023, le préfet de Loir-et-Cher a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un jugement n° 2300395 du 9 novembre 2023 le recours présenté contre l'arrêté du 18 janvier 2023 a été rejeté. M. A a été assigné à résidence par un arrêté du 27 novembre 2024 puis par un arrêté du 8 janvier 2025 et enfin par un arrêté du 19 mars 2025. M. A demande au tribunal d'annuler cet arrêté du 19 mars 2025.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...). ". Aux termes de l'article L. 732-3 du même code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. /Elle est renouvelable deux fois dans la même limite de durée. ".
3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
4. Par le IV de l'article 86 de la loi du 26 janvier 2024 susvisée, le législateur a implicitement mais nécessairement prévu d'une part, que les dispositions du 2° du IV de l'article 72 de la même loi, qui modifient le 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour allonger à trois ans le délai dans lequel l'étranger peut être assigné à résidence en exécution d'une obligation de quitter le territoire, d'autre part que les dispositions de l'article 49 qui modifient l'article L. 732-3 en permettant deux renouvellement de l'assignation à résidence sont applicables immédiatement, soit le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française en l'absence de disposition réglementaire nécessaire à leur application. Il en résulte qu'à cette date, un étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français datant de plus d'un an mais de moins de trois ans peut faire l'objet d'une assignation à résidence pour l'exécution de cette mesure d'éloignement et cette assignation peut être renouvelée deux fois.
5. D'abord, aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.
6. Ensuite, l'objet de la mesure d'assignation à résidence est de garantir la représentation de l'étranger soumis à une mesure d'éloignement du territoire et d'organiser les conditions de son maintien temporaire sur le territoire français, alors qu'il n'a pas de titre l'autorisant à y séjourner, en tenant compte des troubles à l'ordre public que ce maintien est susceptible d'occasionner. En modifiant les dispositions relatives au régime de l'assignation à résidence, le législateur poursuit l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.
7. Enfin, une obligation de quitter le territoire français antérieure de plus d'un an à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 n'est pas privée d'effet, l'étranger demeurant toujours tenu de l'exécuter et ne se trouvant pas, pour ce motif, dans une situation juridique définitivement constituée qui le soustrairait à l'entrée en vigueur de l'allongement de la période ouverte à l'administration pour prononcer une assignation à résidence préparatoire à l'éloignement. Par suite, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle ne fait pas obstacle à l'édiction d'une assignation à résidence répondant aux conditions posées par la loi du 26 janvier 2024 afin d'assurer l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français ancienne de plus d'un an et de moins de trois ans, alors même que l'article L. 731-1, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle ladite mesure d'éloignement a été prise, enfermait dans un délai d'un an l'édiction d'une assignation à résidence. Le même principe de non rétroactivité ne fait pas obstacle à ce qu'une assignation à résidence puisse depuis le 26 janvier 2024 être renouvelée deux fois alors que l'article L. 732-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle la mesure d'éloignement a été prise, ne prévoyait la possibilité que d'un seul renouvellement.
8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions législatives dont la constitutionnalité est contestée ne peuvent être regardées comme étant susceptibles de porter atteinte à une situation légalement constituée ou juridiquement acquise pour les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement de plus d'un an mais de moins de trois ans, en raison de l'application immédiate des modifications issues de l'article 49 et du 2° du IV de l'article 72 de la loi du 26 janvier 2024. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, en conséquence, pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.
Sur le surplus des conclusions :
9. En premier lieu, par un arrêté n° 41-2023-08-21-00023 du 21 août 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 41-2023-08-015 du même jour, le préfet de Loir-et-Cher a donné à M. Faustin Gaden, secrétaire général de la préfecture de Loir-et-Cher, " à l'effet de signer tous arrêtés, décisions () relevant des attributions de l'Etat dans le département de Loir-et-Cher () à l'exclusion des déclinatoires de compétence, des arrêtés de conflits et ce qui concerne l'exercice du droit de passer outre à un avis défavorable du contrôle financier a priori et l'exercice du droit de réquisition du comptable ". Cet article précise que " cette délégation comprend donc, notamment, la signature de tous les actes administratifs et correspondances relatifs au séjour et à la police des étrangers () ". Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions précitées doit être écarté.
10. En deuxième lieu, la décision attaquée vise notamment d'une part, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables et notamment les articles L. 731-1, L. 732-3, R. 732-1 ou R. 733-1. La décision vise également l'arrêté du 18 janvier 2023 et les assignations à résidence prises les 27 novembre 2024 et 8 janvier 2025. Elle rappelle que M. A a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, que son éloignement demeure une perspective raisonnable et qu'un examen approfondi de la situation personnelle de M. A a été mené. Ainsi, la décision comporte les considérations de droit et de faire qui la fondent et est par suite suffisamment motivée. Cette motivation n'est pas stéréotypée.
11. En dernier lieu, M. A soutient la disproportion des modalités de contrôle et l'atteinte manifeste à son droit au respect à sa vie privée et familiale qui en résulte en faisant valoir qu'il souffre d'une pathologie cardiaque, que les déplacements le fatiguent et qu'il doit par ailleurs s'occuper de sa fille de deux ans pendant que son épouse travaille. Toutefois, il ne ressort pas des documents médicaux produits que la pathologie du requérant l'empêcherait de se déplacer et donc de se soumettre aux obligations de pointage. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier qu'il ne pourrait pas être accompagné pendant ces déplacements par son enfant. Par suite, le préfet de Loir-et-Cher n'a entaché son arrêté d'aucune erreur manifeste d'appréciation et n'a pas plus porté une atteinte manifeste à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2025 par lequel le préfet de Loir-et-Cher a renouvelé l'assignation à résidence dont il fait l'objet. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au préfet de Loir-et-Cher.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.
La magistrate désignée,
A. BEST-DE GAND
La greffière,
F. PINGUETLa République mande et ordonne au préfet de Loir-et-Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
N°2502171
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