Décision du 13 mai 2025

13/05/2025

Non renvoi

CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES PHARMACIENS

Section des assurances sociales

N° SAS/07294-3/CN

N° SAS/07294-4/CN

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Directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois c/ M. [P N]

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M. Olivier Japiot, président

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M. Michel Leblanc, rapporteur

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Audience du 11 avril 2025

Lecture du 13 mai 2025

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois a formé une plainte enregistrée le 9 janvier 2023 à la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France, dirigée contre M. [P N], pharmacien titulaire de la « Pharmacie [N] », située [Adresse 1], pour des faits de facturation de tests antigéniques non-délivrés aux professionnels de santé libéraux ayant causé un préjudice financier total de 82 096,60 euros à l’organisme de sécurité sociale.

Par une décision n° SAS/07294-1/CR du 7 décembre 2023, rectifiée par une ordonnance du 19 janvier 2024, la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France a prononcé à l’encontre de M. [N] la sanction de l'interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis, et a ordonné la publication de cette sanction.

Procédure devant la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des pharmaciens :

Par une requête, enregistrée le 29 février 2024 par le tribunal administratif de Paris et transmise le 21 mars suivant à la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des pharmaciens par une ordonnance de renvoi du 18 mars 2024, M. [N], représenté par Me Thibaud Vidal et Me Nicolas Choley, demande à la juridiction d’appel :

1°) à titre principal, de réformer la décision du 7 décembre 2023 et rejeter la plainte formée par la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer une sanction moins importante à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois la somme 6 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ainsi que les entiers dépens de l’instance.

Il soutient que :

- la décision de première instance est insuffisamment motivée ;

- elle est irrégulière et méconnait les dispositions de l’article R. 145-41 du code de la sécurité sociale en ce qu’elle ne comporte pas la signature du greffier d’audience ;

- la juridiction de la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens était incompétente pour connaitre des manquements qui lui sont reprochés ;

- la procédure de contrôle administratif menée par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois est entachée de plusieurs irrégularités ;

- il n’a jamais été notifié des résultats de l’analyse d’activité en méconnaissance des articles 4 et 6.1.1 de la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie ;

- la procédure de contrôle a été menée par des agents de la caisse primaire d’assurance maladie ne justifiant pas avoir été agréés et assermentés en méconnaissance des dispositions de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale ;

- son audition réalisée le 21 septembre 2022 est irrégulière en ce qu’il n’a pas été notifié de son droit de garder le silence et de bénéficier de l’assistance d’un avocat, ni des faits qui lui étaient reprochés, en méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

- les procès-verbaux d’audition des professionnels de santé réalisés par les agents de l’assurance maladie au cours des opérations de contrôle sont dépourvus de caractère probant en ce qu’ils ne retracent pas avec exactitude les questions qui ont été posées et les réponses qui y ont été apportées ;

- la caisse primaire d’assurance maladie ne rapporte pas la preuve des facturations fictives de tests antigéniques ;

- l’ensemble des tests antigéniques facturés ont bien été délivrés et sont la conséquence de commandes de professionnels de santé ;

- la décision de première instance est disproportionnée.

Par un mémoire distinct et motivé, enregistré par la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des pharmaciens le 14 février 2025, M. [N], représenté par Me Thibaud Vidal et Me Nicolas Choley, demande à la juridiction d’appel de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de renvoi devant le Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale aux dispositions des articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulevée au soutien de sa requête d’appel, et de surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir du Conseil d’Etat.

Il soutient que :

- l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale est contraire à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, et à l’article 16 de cette Déclaration, dont résulte la garantie du respect des droits de la défense, qui implique le droit d’être assisté par un avocat, en ce qu’il ne prévoit pas que la personne contrôlée, lorsqu'elle fait l’objet d’une audition, se voit informée de son droit de se taire et d’être assistée d’un avocat, alors qu’une telle audition, réalisée dans le cadre de contrôles relatifs à la lutte contre la fraude, peut aboutir à l’engagement de procédures et l’infliction de sanctions administratives, disciplinaires ou pénales fondées sur les déclarations de la personne interrogée et que les procès-verbaux relatant les auditions dressés par les agents chargés du contrôle font foi jusqu’à preuve du contraire ;

- les trois conditions de recevabilité, à savoir l’applicabilité de la disposition contestée à la procédure, l’absence de déclaration conforme de cette disposition à la Constitution dans une décision antérieure du Conseil constitutionnel et le caractère sérieux de la question posée sont remplies ;

- sur le troisième critère, son audition réalisée sans la présence de son avocat le 21 octobre 2022 au cours de la procédure de contrôle sur le fondement des dispositions de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale a été utilisée par la caisse primaire d’assurance maladie pour justifier le bien-fondé de la plainte déposée à son encontre et qu’il aurait dès lors dû être informé de son droit de garder le silence.

Par deux mémoires, enregistrés par la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des pharmaciens les 21 février et 13 mars 2025, régularisés respectivement les 24 février et 19 mars suivants, la directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois conclut :

1°) à l’absence de transmission au Conseil d’Etat de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. [N] ;

2°) au rejet de la requête d’appel de M. [N] et à la confirmation de la sanction prononcée en première instance ;

3°) à la publication de la décision prise par la section des assurances du Conseil national de l’ordre des pharmaciens dans un encart d’un journal à diffusion locale, aux frais de M. [N] ;

4°) à la mise à la charge de M. [N] la somme 6 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ainsi que les entiers dépens de l’instance.

Elle soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. [N] n’est ni sérieuse ni nouvelle et que la Cour de Cassation s’est déjà prononcée sur une question analogue ;

- la décision comporte l’énoncé des circonstances de fait et de droit qui la fondent ;

- la section des assurances sociales est compétente dès lors que le pharmacien, en fournissant des auxiliaires médicaux ou en tant que réalisateur direct de l’acte, est condamnable d’avoir facturé à l’assurance maladie des actes non réalisés dont les bénéficiaires finaux sont les assurés SOCIAUX ;

- la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie n’a pas de valeur normative ;

- selon une jurisprudence constante, l’application de cette charte est écartée dans le cas où le contrôle d’activité effectué a pour finalité de rechercher d’éventuelles fraudes, comme dans le cas du contrôle d’activité de M. [N] ;

- Mme [Q], responsable du service contrôle contentieux au sein de la caisse, est un agent administratif n’effectuant aucune enquête de terrain et n’a donc pas besoin de disposer d’une assermentation et qu’en tout état de cause, elle a prêté serment devant le juge du tribunal d’instance de Roubaix le 17 juin 2014 et a été agréée comme agent de contrôle assermentée auprès de la caisse de l’Artois par le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie le 1er avril 2015 :

- Mme [R] a prêté serment devant le tribunal d’instance d’Arras le 9 septembre 2016 et a également été agréée comme agent de contrôle assermentée auprès de la caisse de l’Artois par le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie, le 1er février 2018 ;

- la nature exclusivement frauduleuse des griefs reprochés à M. [N] écartait de manière automatique la mise en œuvre du contradictoire avant l’audition par la caisse, dont la notification préalable des faits reprochés fait partie ;

- le statut d’agent assermenté de Mme [Q] confère à ses propos et au procès-verbal d’entretien une force probante que M. [N] ne conteste pas ;

- la valeur probante des auditions des professionnels de santé est avérée dès lors que la majorité de leurs retours s’est effectuée par courriels et que ces derniers étaient signés, garantissant ainsi leur authenticité ;

- la notification de l’indu réalisée lors de l’entretien du 20 septembre 2022 comportait l’ensemble des éléments la rendant régulière en sa forme, établissant dès lors la charge de la preuve qui lui incombait ;

- les agissements de M. [N] s’apparentent à de la sollicitation de commandes au sens des dispositions de l’article L. 5125-25 du code de la santé publique ;

- les remboursements indus constatés par la caisse sont confirmés par les déclarations des auxiliaires de santé ainsi que par le constat d’huissier produit par M. [N], dont il ressort que ce dernier a effectivement commandé de très grandes quantités de tests antigéniques mais sans qu’ils aient été commandés par des auxiliaires médicaux ni délivrés en l’absence de production de bons de commande et de bons de livraison ;

- la sanction est proportionnée aux faits reprochés.

Par une ordonnance du 17 février 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2025 à 18 heures.

Deux nouveaux mémoires, enregistrés postérieurement à cette clôture les 7 et 10 avril 2025, et respectivement régularisés les 14 et 16 avril suivants, présentés pour M. [N], n’ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 et 23-2 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience.

L'avocat du pharmacien poursuivi a été informé de son droit de garder le silence à l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- les rapports de M. Leblanc ;

- Les observations de Me Farkas, pour la directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois, absente ;

- les observations de Me Meot, substituant Me Vidal et Me Choley, pour M. [N], absent.

L’avocat du pharmacien poursuivi a eu la parole en dernier.

Considérant ce qui suit :

1. La directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois a formé une plainte, enregistrée le 9 janvier 2023 à la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France dirigée contre M. [P N], pharmacien titulaire de la « Pharmacie [N] », située à [Adresse 4]. Cette plainte fait suite à un contrôle ciblé sur les pharmacies présentant des atypies sur les facturations de tests antigéniques entre le 1er juillet et le 17 octobre 2021 et dont il est ressorti que la pharmacie de M. [N] présentait le montant de remboursement le plus important pour cette caisse sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2021. La caisse a alors procédé à une analyse des facturations de l’officine de M. [N] sur cette même période afin de vérifier le bien-fondé des facturations de tests antigéniques. Cette analyse, portant sur la délivrance des tests antigéniques auprès des professionnels de santé autorisés à les réaliser afin de vérifier que les facturations établies par cette pharmacie correspondaient effectivement à des tests antigéniques préalablement commandés par les professionnels de santé concernés, a mis en évidence que M. [N] avait facturé des dispositifs de tests antigéniques non délivrés aux professionnels de santé libéraux ainsi que des tests antigéniques en l’absence de commande préalable de professionnels de santé. Une notification d’indu total de 83 435,66 euros pour des facturations de tests non-délivrés à hauteur de 17 549,20 euros, des facturations de tests non-délivrés et non-commandés pour un montant de 64 547,40 euros et enfin des doubles facturations pour un montant de 1 339,06 euros lui a été remise en main propre au sein des locaux de la caisse primaire d’assurance maladie de l” Artois le 21 septembre 2022. Seul l’indu de 82 096,60 euros relatif au grief unique de facturations de dispositifs de tests antigéniques non-délivrés et non-commandés a fait l’objet d’une plainte devant la juridiction de première instance. M. [N] relève appel de la décision du 7 décembre 2023, rectifiée par une ordonnance du 19 janvier 2024, par laquelle la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France a prononcé à son encontre la sanction de l’interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis, et a ordonné la publication de cette sanction.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Lorsque, à l’occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) ». Aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office (...) ». Aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l’occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ». Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil d’Etat est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale : « Les directeurs des organismes chargés de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale ou du service des allocations et prestations mentionnées au présent code confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale ou par arrêté du ministre chargé de l’agriculture, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l’attribution des prestations, le contrôle du respect des conditions de résidence et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Des praticiens-conseils et auditeurs comptables peuvent, à ce titre, être assermentés et agréés dans des conditions définies par le même arrêté. Les constatations établies à cette occasion par ces agents font foi jusqu’à preuve du contraire. / Lorsque cela est nécessaire à l’accomplissement de sa mission, un agent chargé du contrôle peut être habilité par le directeur de son organisme à effectuer, dans des conditions précisées par décret, des enquêtes administratives et des vérifications complémentaires dans le ressort d’un autre organisme. Les constatations établies à cette occasion font foi dans les mêmes conditions que celles mentionnées au premier alinéa et le directeur de ce dernier organisme tire, le cas échéant, les conséquences concernant l’attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles ».

M. [N] soutient que ces dispositions sont contraires à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, et à l’article 16 de cette Déclaration, dont résulte la garantie du respect des droits de la défense, qui implique le droit d’être assisté par un avocat, en ce qu’elles ne prévoient pas que la personne contrôlée, lorsqu’elle fait l’objet d’une audition, se voit informée de son droit de se taire et d’être assistée d’un avocat.

4. Si les dispositions contestées sont bien applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes aux droits et libertés garanties par la Constitution, l’obligation de notifier au pharmacien concerné son droit de se taire et son droit à l’assistance d’un avocat ne s’applique en tout état de cause pas aux enquêtes et vérifications régies par ces dispositions qui sont antérieures à l’engagement de la procédure disciplinaire. Il s’ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [N] est dépourvue de caractère sérieux.

5. En conséquence, il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [N] relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale.

Sur la régularité de la décision de première instance :

6. Aux termes de l’article R. 145-41 du code de la sécurité sociale : « {...) / La minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement et le secrétaire de l'audience ». Il ressort de ces dispositions, à peine d’irrégularité de la décision, que cette dernière doit comporter, outre la signature du magistrat présidant la formation de jugement, la signature du greffier d’audience.

7. Il ressort de la décision du 7 décembre 2023, ainsi que de l’ordonnance rectificative d’erreur matérielle du 19 janvier 2024, que celles-ci ne comportent que la signature du président de la section des assurances sociales de première instance du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France et non celle du greffier d’audience.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen soulevé par M. [N] relatif à la régularité de la décision de première instance, que celle-ci doit être annulée pour défaut de signature du greffier d’audience. L'affaire étant en l’état, il y a lieu d’évoquer et, par-là, de statuer immédiatement en qualité de juge de première instance sur la plainte formée par la directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois.

Sur le fond :

En ce qui concerne l'incompétence de la section des assurances sociales :

9. Aux termes de l’article R. 145-1 du code de la sécurité sociale : « Les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l'exercice de la profession, relevés à l'encontre des pharmaciens, a l’occasion des prestations servies à des assurés sociaux, sont soumis en première instance : / a) À une section distincte dite section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens pour les pharmaciens titulaires d’une officine (...) ».

10. M. [N] soutient que la juridiction de la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens était incompétente pour connaitre des manquements qui lui sont reprochés dans la mesure où elle n’est compétente que pour des manquements commis à l’occasion des prestations servies à des assurés sociaux et que la fourniture de matériel de tests antigéniques ne peut être regardée comme un tel service.

11. Toutefois, les dispositions de l’article R. 145-1 du code de la sécurité sociale ont une portée générale et un manquement du professionnel de santé à ses obligations déontologiques peut être réprimé à la fois par la juridiction disciplinaire ordinale et par la juridiction du contrôle technique, dès lors, s’agissant de la seconde de ces juridictions, qu’il intervient à l’occasion des soins dispensés aux assurés sociaux. Par suite, il convient de considérer que M. [N], en fournissant des auxiliaires médicaux, a facturé à l’assurance maladie des actes non réalisés dont les bénéficiaires finaux étaient les assurés sociaux et que les manquements qui lui sont reprochés doivent ainsi être regardés comme intervenus à l’occasion des soins dispensés à ces derniers. Il s’ensuit que le moyen tiré de l’incompétence de la section des assurances sociales doit être écarté.

En ce qui concerne les irrégularités de la procédure de contrôle administratif d'activité :

S'agissant de la méconnaissance de la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l'assurance maladie

12. Aux termes des dispositions de l’article 6.1.1 de la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie : « À la suite de la réalisation du contrôle de l’activité d'un professionnel de santé, sauf cas de suspicion de fraude pénalement répréhensible (cf. annexe 1), le directeur de l'organisme ou son représentant partage, avant toute notification d'indus et/ou engagement d'une procédure contentieuse, avec le professionnel de santé les résultats motivés du contrôle de son activité et lui indique qu'il dispose d’un délai d’un mois pour demander à être entendu ou pour présenter des observations écrites. Ce professionnel de santé est également susceptible de consulter son dossier auprès de la caisse et de se faire assister par un membre de la même profession et/ou par un avocat de son choix. (...) ».

13. Si M. [N] soutient n’avoir jamais été notifié des résultats de l’analyse d’activité effectuée par la caisse plaignante et que l’entretien réalisé le 21 septembre 2022 dans les locaux de celle-ci ne saurait être regardé comme un entretien contradictoire mais seulement comme un acte d’enquête, en méconnaissance des articles 4 et 6.1.1 de la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie, ce texte n’a pas de valeur normative et il ne peut dès lors être opposé à la caisse plaignante une méconnaissance de ses dispositions. Au surplus, il résulte d’une jurisprudence constante en la matière que l’application de cette charte doit être écartée dans le cas où le contrôle d’activité effectué a pour finalité de rechercher d’éventuelles fraudes. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de la Charte du contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie doit être écarté comme inopérant.

S'agissant de l'absence d'agrément et d’assermentation de Mmes [Q] et [R] 

14. M. [N] soutient que la décision d’agrément définitif de Mme [R] a été édictée par une autorité incompétente, en l’espèce le directeur de l’organisation, de l’optimisation et du marketing, et que l’organisme plaignant ne produit pas la décision d’agrément et ne rapporte par la preuve de l’assermentation de Mme [Q]. Toutefois, il résulte de l’instruction, notamment des pièces versées par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois, que Mme [R] a prêté serment devant le juge du tribunal d’instance d’ Arras le 9 septembre 2016 et a été agréée comme agent de contrôle assermentée auprès de la caisse de 1’ Artois par le directeur de la caisse nationale d’assurance maladie le 1° février 2018. En outre, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [Q] a prêté serment devant le juge du tribunal d’instance de Roubaix le 17 juin 2014 et a été agréée comme agent de contrôle assermentée près de la caisse de l’Artois par le directeur de la caisse nationale d’assurance maladie le 1° avril 2015. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que Mme [R] et Mme [Q] n’auraient pas la qualité d’agents assermentés doit être écarté.

S'agissant de l'irrégularité de l'audition de M. [N] réalisée par la caisse primaire d'assurance maladie de l’Artois le 21 septembre 2022

15. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il découlait de cet article le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser et dont découle le droit de se taire.

16. M. [N] affirme que dans le cadre d’une audition réalisée dans la perspective d’une procédure répressive, il aurait dû, préalablement à cette audition réalisée le 21 septembre 2022, être informé de ses droits et notamment de celui de se taire et de se faire assister par un avocat, ainsi qu'être informé des accusations portées à son encontre.

17. Toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 4, l’administration n’est pas tenue d’informer l'intéressé de son droit de se taire ou de se faire assister par un avocat dans les phases d’enquête administrative antérieures à l’engagement de la procédure disciplinaire. Par ailleurs, aucun texte ni aucun principe n’imposait à la caisse primaire d’informer M. [N] des griefs qu’elle lui reprochait avant son audition du 21 septembre 2022. De même, aucun texte ni aucun principe n’imposait que le procès-verbal établi par l’agent assermenté reprenne l'intégralité des propos tenus lors de cette audition, ni qu’il soit signé par M. [N]. Enfin, celui-ci n’établit pas ni même n’allègue sérieusement que certaines mentions de ce procès-verbal seraient erronées. Dès lors, le moyen tiré de l’irrégularité de cette audition doit être écarté.

S'agissant de l'absence de caractère probant des procès-verbaux d'audition des professionnels de santé par l'assurance maladie

18. Si M. [N] soutient que les procès-verbaux d’audition des professionnels de santé produits par la caisse plaignante à l’appui de sa plainte sont dépourvus de caractère probant en ce qu’ils ne retracent pas avec exactitude les questions qui ont été posées et les réponses qui y ont été apportées et que ces auditions ont été menées par téléphone, il ressort toutefois des pièces au dossier que si certains contacts ont eu lieu par téléphone, la majorité des retours des professionnels de santé libéraux s’est effectué par des courriels qui comportaient la signature des professionnels de santé expéditeurs.

19. En outre et en tout état de cause, il résulte des dispositions de l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale, citées au point 3, que les procès-verbaux établis par des agents assermentés ont valeur probante et font foi jusqu’à preuve du contraire. Or M. [N] ne conteste pas sérieusement le contenu des procès-verbaux produits par la caisse plaignante. Dès lors, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère infondé du grief :

20. Aux termes du premier alinéa de l’article R. 161-40 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : « La constatation des soins et l'ouverture du droit au remboursement par les organismes servant les prestations en nature de l'assurance maladie sont subordonnées à la production d'une part de documents électroniques ou sur support papier, appelés feuilles de soins, constatant les actes effectués et les prestations servies, d'autre part de l'ordonnance du prescripteur, s'il y a lieu ».

21. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 5125-25 du code de la santé publique : « Il est interdit aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public ». Aux termes de l’article R. 4235-3 du même code : « Le pharmacien doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l'exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit. / Il doit avoir en toutes circonstances un comportement conforme à ce qu'exigent la probité et la dignité de la profession. Il doit s'abstenir de tout fait ou manifestation de nature à déconsidérer la profession, même en dehors de l'exercice de celle-ci. / Le pharmacien doit se refuser à établir toute facture ou attestation de complaisance ». Aux termes de l’article R. 4235-9 du même code : « Dans l'intérêt du public, le pharmacien doit veiller à ne pas compromettre le bon fonctionnement des institutions et régimes de protection sociale. Il se conforme, dans l'exercice de son activité professionnelle, aux règles qui régissent ces institutions et régimes ».

22. Si la charge de la preuve des remboursements indus incombe à la caisse d’assurance maladie plaignante, il ressort des débats contradictoires au cours de l’instruction et notamment de la notification de l’indu réalisée lors de l’entretien du 21 septembre 2022 que celle-ci comportait l’ensemble des éléments la rendant régulière en la forme et que la caisse a dès lors supporté la charge de la preuve qui lui incombait.

23. En outre, si M. [N] affirme que la caisse primaire d’assurance maladie ne rapporte aucune preuve recevable de ses accusations, que l’ensemble des tests antigéniques facturés ont bien été délivrés et que ces facturations sont la conséquence de commandes de professionnels de santé comme l’attestent les captures d’écran de SMS avec plusieurs professionnels de santé, il résulte de l’instruction et notamment des captures d’écran dont il se prévaut que les agissements de M. [N] s’apparentent à de la sollicitation de commandes au sens des dispositions de l’article L. 5125-25 du code de la santé publique et que les attestations versées par le pharmacien poursuivi ne suffisent pas à démontrer qu’il aurait agi sur commandes expresses des différents professionnels de santé libéraux.

24. En tout état de cause, il ressort du dossier, et notamment des déclarations des auxiliaires de santé ainsi que du constat d’huissier produit par la caisse plaignante, que M. [N] a commandé de très grandes quantités de tests antigéniques sans que celui-ci soit en mesure de justifier de leur commande préalable par des professionnels de santé ni de leur livraison à ceux-ci. 

25. Dès lors, les facturations à l’assurance maladie en l’absence de ces bons de commande et de livraison présentent bien le caractère de fraude au sens des dispositions de l’article R. 145-1 du code de la sécurité sociale. 

26. Il résulte de tout ce qui précède que les manquements et faits retenus à l’encontre de M. [N] énumérés au point 1 constituent des manquements aux bonnes pratiques et aux règles déontologiques qui régissent l’exercice de la profession de pharmacien, notamment au devoir de ne pas compromettre le bon fonctionnement des institutions et régimes de protection sociale. Ces faits, non-sérieusement contestés par M. [N], constituent dès lors des fautes de nature à justifier une sanction.

Sur la sanction :

27. Aux termes de l’article R. 145-2 du code de la sécurité sociale : « Les sanctions susceptibles d’être prononcées par les sections des assurances sociales du conseil régional et des conseils centraux des sections D, G et H, du conseil national de l’ordre des pharmaciens sont : / 1°) l'avertissement ; / 2°) le blâme, avec ou sans publication ; / 3°) l'interdiction temporaire ou permanente, avec ou sans sursis, de servir des prestations aux assurés Sociaux ».

28. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu du montant de l’indu et du caractère frauduleux de ces manœuvres, il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. [N] la sanction de l'interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis. Cette sanction sera affichée dans les locaux de la caisse plaignante pendant la durée de son exécution.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

29. Aux termes de l’article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 applicable aux juridictions disciplinaires de l’ordre des pharmaciens : « I.- Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ».

30. Les dispositions précitées font obstacle à ce que soit mise à la charge de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. [N] demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

31. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. [N] une somme de 1 500 euros à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois sur le fondement des dispositions précitées.

Sur les dépens :

32. La présente instance n’ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées à ce titre par M. [N] et la directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois sont rejetées.

 

DECIDE :

 

Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [P N].

Article 2 : La décision n° SAS/07294-1/CR du 7 décembre 2023, rectifiée par l’ordonnance n° SAS/07294-2/CR du 19 janvier 2024, par laquelle la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France a prononcé à l’encontre de M. [N O] sanction de l’interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis, et a ordonné la publication de cette sanction est annulée.

Article 3 : Il est prononcé à l’encontre de M. [N] la sanction de l’interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis. Cette sanction sera affichée dans les locaux de la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois pendant la durée de son exécution.

Article 4 : La partie ferme de l’interdiction temporaire de servir des prestations aux assurés sociaux prononcée à l’encontre de M. [N] s’exécutera du 1er octobre 2025 au 30 septembre 2026 inclus.

Article 5 : M. [N] versera à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à :

- M. [P N] ;

- Mme la directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de l’ Artois ;

- M. le président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France ;

- M. le président de la section des assurances sociales du conseil régional de l’ordre des pharmaciens des Hauts-de-France ;

- M. le directeur général de l’agence régionale des Hauts-de-France ;

- Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et M. le ministre délégué chargé de la santé et l’accès aux soins ;

- Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

- Mme la présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens ;

- M. le président de l’université de Lille et M. le directeur de l’unité de formation et de recherche dispensant des formations pharmaceutiques ;

- Mmes et MM. les présidents des conseils centraux de l’ordre des pharmaciens.

 

Et transmise à :

- AARPT Choley et Vidal avocats ;

- Me Virginie Farkas.

 

Affaire examinée et délibérée à l’audience publique du 11 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Japiot, président suppléant,

M. [T]— M. Leblanc —- Mme [M] — M. [L].

Lu par affichage public le 13 mai 2025.

 

[…]

Greffière de la section des                Conseiller d'Etat

assurances sociales du Conseil        Président suppléant de la section

national de l’ordre                               des assurances sociales du Conseil

des pharmaciens                                national de l’ordre des pharmaciens

 

La présente décision peut faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat dans un délai de deux mois à compter de sa notification, en application de l’article L. 145-5 du code de la sécurité sociale. Le ministère d’un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est obligatoire.