Conformité
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 février 2025 par le Conseil d’État (décision n° 497683 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Thunder (France) Propco II par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1138 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 1518 A sexies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code général des impôts ;
– la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 mars 2025 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Anne-Claire Carpentier, avocate au barreau de Paris, pour la société requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 29 avril 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article 1518 A sexies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. – En cas de changement de méthode de détermination de la valeur locative d’un bâtiment ou terrain industriel en application des articles 1499-00 A ou 1500, la variation de la valeur locative qui en résulte fait l’objet d’une réduction dans les conditions prévues au II du présent article.
« Cette réduction s’applique également à la variation de la valeur locative résultant d’un changement d’affectation au sens de l’article 1406 pour les locaux mentionnés au premier alinéa du présent I nouvellement affectés à un usage professionnel ou réciproquement.
« II. – A. – La réduction prévue au I s’applique lorsque la variation de valeur locative excède 30 % de la valeur locative calculée avant la prise en compte du changement prévu au même I et, le cas échéant, après l’application de l’avant-dernier alinéa de l’article 1467 et de l’article 1518 A quinquies.
« La réduction est égale à 85 % du montant de la variation de valeur locative la première année où le changement est pris en compte, à 70 % la deuxième année, à 55 % la troisième année, à 40 % la quatrième année, à 25 % la cinquième année et à 10 % la sixième année.
« Lorsque l’exploitant change pendant l’application de la réduction prévue au premier alinéa du présent A, ou lorsque le bâtiment ou terrain est concerné par l’application du I de l’article 1406, la réduction de valeur locative cesse de s’appliquer pour les impositions établies au titre de l’année qui suit la réalisation de l’un de ces changements.
« B. – Lorsqu’un rôle particulier est établi en application de l’article 1508, la réduction de la variation de valeur locative prévue au A du présent II s’applique à compter de la première année au titre de laquelle les bases rectifiées sont prises en compte dans les rôles généraux ».
2. La société requérante reproche à ces dispositions de prévoir, pour l’établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, un mécanisme de lissage de la variation de la valeur locative d’un local résultant d’un changement de son affectation. Selon elle, lorsqu’une telle variation intervient à la baisse à la suite de la cessation de l’activité industrielle auparavant exercée dans ce local, l’application sur plusieurs années de ce mécanisme aboutirait à imposer le contribuable sur la base de critères qui ne seraient pas objectifs et rationnels et en considération d’une assiette fictive, décorrélée de ses facultés contributives. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le second alinéa du paragraphe I de l’article 1518 A sexies du code général des impôts.
4. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
5. En application de l’article 1494 du code général des impôts, la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée selon les différentes méthodes d’évaluation définies par les articles 1495 à 1508 du même code.
6. En vertu de l’article 1518 A sexies du code général des impôts, en cas de changement de méthode de détermination de la valeur locative d’un bâtiment ou d’un terrain industriel, la variation à la hausse ou à la baisse de la valeur locative qui en résulte fait l’objet, au-delà d’une certaine proportion, d’une réduction dégressive sur plusieurs années.
7. Les dispositions contestées prévoient que cette réduction s’applique également à la variation de la valeur locative résultant d’un changement d’affectation de locaux industriels, nouvellement affectés à un usage professionnel ou réciproquement.
8. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 2018 qu’en prévoyant un lissage dans le temps de la variation de la valeur locative, en cas de baisse significative de cette valeur consécutive à un changement de méthode d’évaluation ou d’affectation du local concerné, le législateur a entendu, dans un objectif de rendement budgétaire, atténuer la perte immédiate de ressources en résultant pour les collectivités territoriales.
9. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.
10. À cet égard, il était loisible au législateur de prévoir, en cas de changement de méthode de détermination de la valeur locative consécutif à un changement d’affectation, que la variation de cette valeur est réduite progressivement pendant une période transitoire.
11. Or, d’une part, ce lissage ne s’applique que lorsque la variation de la valeur locative excède 30 % de la valeur locative antérieure. D’autre part, la réduction de cette variation s’applique sur une durée de six années. Elle est égale à 85 % du montant de la variation de valeur locative la première année où le changement est pris en compte, à 70 % la deuxième année, à 55 % la troisième année, à 40 % la quatrième année, à 25 % la cinquième année et à 10 % la dernière année. Enfin, lorsque l’exploitant change pendant l’application de la réduction ou lorsque le bâtiment ou le terrain change notamment de consistance, d’affectation ou d’utilisation, le lissage cesse de s’appliquer pour les impositions établies au titre de l’année suivante.
12. En retenant de telles conditions pour la réduction de la variation de la valeur locative en cas de changement d’affectation prévu par les dispositions contestées, quand bien même la variation de cette valeur interviendrait à la baisse, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif poursuivi.
13. En second lieu, l’imposition reste assise sur la valeur locative du local concerné,y compris au cours de la période durant laquelle s’applique le mécanisme de lissage prévu par les dispositions contestées.
14. Ainsi, ces dispositions n’ont pas pour effet d’assujettir le contribuable à une imposition dont l’assiette inclurait une capacité contributive dont il ne disposerait pas.
15. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit être écarté.
16. Dès lors, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Le second alinéa du paragraphe I de l’article 1518 A sexies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, est conforme à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 mai 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Alain JUPPÉ, Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 mai 2025.