Tribunal administratif de Toulon

Décision du 29 avril 2025 n° 2500055

29/04/2025

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par un arrêt du 13 novembre 2024, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Toulon, les requêtes de la société Fioul 83 enregistrée le 1er août 2023, sous les n° 476868 et 477229 .

Procédure devant le tribunal administratif de Toulon :

Par un mémoire enregistré le 20 janvier 2025, la société Fioul 83, représentée par Me Postif, demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L. 222-2 du code de l'énergie.

Elle soutient que :

- la disposition contestée est applicable au litige ;

- la disposition en cause n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- sa question n'est pas dépourvue de caractère sérieux dès lors qu'elle porte sur le respect des principes du contradictoire et du respect des droits de la défense.

Par un mémoire, enregistré le 31 mars 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce qu'il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante.

Vu :

- l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 novembre 2024 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Karbal, conseiller,

- les conclusions de M. Kiecken, rapporteur public,

- les observations de Me Postif pour la société requérante.

Une note en délibéré, présentée par la société requérante, a été enregistrée le 4 avril 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 31 mars 2023, la ministre de la transition énergétique a constaté que la société Fioul 83, qui avait déclaré avoir mis à la consommation un volume nul de fioul domestique au cours de la quatrième période d'obligation d'économies d'énergie, comprenant les années 2018 à 2021, était toutefois soumise à des obligations d'économies d'énergie au titre de la mise à la consommation, pour chacune des trois dernières années de cette période, d'un volume de 11 687 mètres cubes du produit commercialisé sous le nom " A B ", dont la ministre a considéré qu'il relevait de la catégorie du fioul domestique. Par le même arrêté, la ministre a fixé les obligations d'économies d'énergie de cette société à 82 583 150 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) " hors précarité énergétique " et à 27 500 188 kWh cumac " précarité énergétique ". Par deux courriels du 12 juin 2023, le registre national des certificats d'économies d'énergie a informé la société que le pôle national des certificats d'économies d'énergie lui avait donné instruction d'annuler, sur le compte de cette société, des certificats d'économies d'énergie " hors précarité énergétique " pour un montant de 80 100 004 kWh cumac et des certificats d'économies d'énergie " précarité énergétique " pour un montant de 29 983 334 kWh cumac.

Sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ". 3. D'autre part et en premier lieu, aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'énergie : " Sont soumises à des obligations d'économies d'énergie : 1° Les personnes morales qui mettent à la consommation des carburants automobiles ou du fioul domestique et dont les ventes annuelles sont supérieures à un seuil défini par décret en Conseil d'Etat. / 2° Les personnes qui vendent de l'électricité, du gaz, de la chaleur ou du froid aux consommateurs finals et dont les ventes annuelles sont supérieures à un seuil défini par décret en Conseil d'Etat. / Les personnes mentionnées aux 1° et 2° peuvent se libérer de ces obligations soit en réalisant, directement ou indirectement, des économies d'énergie, soit en acquérant des certificats d'économies d'énergie. (...) ". Aux termes de l'article L. 221-1-1 du même code : " Les personnes mentionnées à l'article L. 221-1 sont également soumises à des obligations d'économies d'énergie spécifiques à réaliser au bénéfice des ménages en situation de précarité énergétique. / Elles peuvent se libérer de ces obligations soit en réalisant, directement ou indirectement, des économies d'énergie au bénéfice des ménages en situation de précarité énergétique, soit en acquérant des certificats d'économies d'énergie provenant d'opérations réalisées au bénéfice de ces ménages, soit en les déléguant pour tout ou partie à un tiers, soit en contribuant à des programmes de réduction de la consommation énergétique des ménages les plus défavorisés mentionnés à l'article L. 221-7. (...) ". Aux termes de l'article L. 221-2 de ce code : " A l'issue de la période considérée, les personnes mentionnées à l'article L. 221-1 justifient de l'accomplissement de leurs obligations en produisant des certificats d'économies d'énergie obtenus ou acquis dans les conditions prévues aux articles L. 221-7 et L. 221-8. (...) ".

4. En deuxième lieu, en vertu de l'article R. 221-1 du code de l'énergie, la quatrième période d'obligation d'économies d'énergie s'étend du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2021. Aux termes du I de l'article R. 221-8 de ce code : " Pour la quatrième période mentionnée à l'article R. 221-1, chaque personne soumise à une obligation d'économies d'énergie en application de l'article R. 221-3 et n'ayant pas délégué totalement son obligation d'économies d'énergie adresse au ministre chargé de l'énergie au plus tard le 1er mars de l'année civile qui suit la fin d'une période mentionnée à l'article R. 221-1 : / 1° Une déclaration indiquant les quantités mentionnées à l'article R. 221-2 prises en compte pour la fixation des obligations annuelles d'économies d'énergie pour chacune des années civiles de la période considérée ; / 2° En cas de délégation partielle, un état récapitulatif des délégations d'obligation d'économies d'énergie effectuées conformément à l'article R. 221-5 comportant, pour chaque délégation, l'identité du délégataire, le volume et la catégorie de l'obligation d'économies d'énergie déléguée (précarité énergétique ou non) ". Aux termes de l'article R. 221-12 du code de l'énergie : " A l'issue de chaque période mentionnée à l'article R. 221-1, un arrêté du ministre chargé de l'énergie fixe, pour la période écoulée, le volume des obligations d'économies d'énergie en application des articles R. 221-4 et R. 221-4-1. Sous réserve du respect des dispositions des articles R. 221-8 à R. 221-11, cet arrêté est pris et notifié aux intéressés avant le 1er juin de l'année civile qui suit la fin de la période. (...) ". Aux termes de l'article R. 221-13 de ce code : " Au 1er juillet de l'année civile qui suit la fin d'une période mentionnée à l'article R. 221-1, le responsable de la tenue du registre national des certificats d'économies d'énergie prévu à l'article L. 221-10 transmet au ministre chargé de l'énergie un état du compte de chaque personne à qui des obligations d'économies d'énergie ont été notifiées dans les conditions prévues à l'article R. 221-12. / Pour chacune de ces personnes, le ministre chargé de l'énergie fait procéder, par le responsable de la tenue du registre national : / 1° A l'annulation des certificats d'économies d'énergie obtenus pour des opérations réalisées au bénéfice de ménages en situation de précarité énergétique figurant sur son compte, à concurrence de l'obligation définie en application de l'article R. 221-4-1, en commençant par les certificats d'économies d'énergie les plus anciennement émis ; / 2° Concomitamment, pour le solde de certificats d'économies d'énergie ne faisant pas l'objet de l'annulation prévue au 1° à l'annulation des certificats d'économies d'énergie figurant sur son compte, à concurrence de l'obligation définie en application de l'article R. 221-4, en commençant par les certificats d'économies d'énergie obtenus pour des opérations non réalisées au bénéfice de ménages en situation de précarité énergétique et en commençant par les certificats d'économies d'énergie les plus anciennement émis. / Ces opérations sont notifiées au titulaire du compte par le responsable de la tenue du registre national ". Enfin, aux termes de l'article R. 222-1 du code de l'énergie : " En cas de manquement aux obligations prévues aux articles R. 221-6-1 à R. 221-11, le ministre chargé de l'énergie met l'intéressé en demeure de s'y conformer dans un délai qu'il détermine. / Si l'intéressé ne se conforme pas à cette mise en demeure dans le délai fixé, le ministre chargé de l'énergie établit lui-même les déclarations prévues à partir des données à sa disposition et les notifie à l'intéressé. Si, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de cette notification, l'intéressé ne transmet pas de déclarations établies conformément aux dispositions du présent article, celles établies d'office par le ministre chargé de l'énergie font foi ".

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'énergie : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application ". Aux termes de l'article L. 222-2 du même code : " En cas de manquement à des obligations déclaratives, le ministre met l'intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. Il peut rendre publique cette mise en demeure. / Lorsque l'intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure ou lorsque des certificats d'économies d'énergie lui ont été indûment délivrés, le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l'intéressé (...) ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie (...) ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; / 4° Suspendre ou rejeter les demandes de certificats d'économies d'énergie faites par l'intéressé ; / 5° Annuler les certificats d'économies d'énergie acquis par les personnes qui n'ont pas mis en place ou qui ont mis en place de façon incomplète les dispositifs mentionnés à l'article L. 221-8 (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que la société requérante soulève l'inconstitutionnalité de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, en tant qu'il a pour effet de priver les personnes qui ne déclarent pas au ministre chargé de l'énergie les quantités d'énergie prises en compte pour la fixation de leurs obligations annuelles d'économies d'énergie, des droits et libertés que la Constitution leur garantit, par méconnaissance en particulier des principes constitutionnels du contradictoire et de respect des droits de la défense, en ce que, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, il permet à ce ministre d'annuler leurs certificats d'économies d'énergie dans des volumes qu'il fixe, découlant de déclarations desdites quantités qu'il établit d'office, sans même devoir les mettre à même de présenter des observations suivant une procédure contradictoire.

7. Toutefois, la décision par laquelle le ministre chargé de l'énergie fait procéder, comme il l'a fait en l'espèce, à l'issue d'une période d'obligation d'économies d'énergie, à l'annulation, en application de l'article R. 221-13 du code de l'énergie, des certificats d'économies d'énergie figurant sur le compte d'une personne, à concurrence des obligations d'économies d'énergie qui lui ont été notifiées en application de l'article R. 221-12, après établissement d'office de ses déclarations en application de l'article R. 222-1, ne se confond pas avec la décision d'annulation de certificats d'économies d'énergie qu'il peut prendre, à titre de sanction, sur le fondement du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 222-2 du code de l'énergie ne constituant pas le fondement légal des décisions incriminées, la condition tenant à ce que la disposition doit être applicable au litige ne peut être regardée comme remplie.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Fioul 83.

D E C I D E:

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Fioul 83.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Fioul 83, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Harang, président,

M. Zouhaïr Karbal, conseiller,

Mme Mathilde Montalieu, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.

Le rapporteur,

Signé

Z. KARBAL

Le président,

Signé

Ph. HARANGLa greffière,

Signé

F. POUPLY

La République mande et ordonne au préfet du Var en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme :

La greffière,

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