Tribunal administratif de Strasbourg

Décision du 22 avril 2025 n° 2408463

22/04/2025

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 11 novembre 2024, la société Contrôle Technique Centre Alsace, représentée par Me De Margerie, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 10 septembre 2024 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a rejeté la demande d'agrément d'une installation de contrôle technique des véhicules de catégorie L au sein du centre de contrôle technique de Colmar ;

2°) d'annuler la décision du 10 septembre 2024 par laquelle le préfet du Bas-Rhin a rejeté la demande d'agrément d'une installation de contrôle technique des véhicules de catégorie L au sein du centre de contrôle technique de Châtenois ;

3°) d'annuler les décisions du 11 septembre 2024 par lesquelles le préfet du Bas-Rhin a rejeté les deux demandes d'agrément de contrôleurs techniques de véhicules de catégorie L en lien avec la demande d'agrément d'installation de contrôle technique pour ce type de véhicules sollicitée pour son établissement de Châtenois ;

4°) d'annuler la décision du 11 septembre 2024 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a rejeté la demande d'agrément de contrôleur technique de véhicules de catégorie L en lien avec la demande d'agrément d'installation de contrôle technique pour ce type de véhicules sollicitée pour son établissement de Colmar ;

5°) d'enjoindre aux préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin de réexaminer les demandes d'agrément sollicitées ;

6°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le signataire des décisions contestées est incompétent ;

- les décisions contestées méconnaissent la règle d'incompatibilité professionnelle énoncée par l'article L. 323-1 alinéa 3 de code de la route qui doit être appréciée à l'aune des dispositions de l'article R. 323-14 du même code.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2025, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre les décisions du 11 septembre 2024 car la société requérante n'a pas qualité pour agir contre ces décisions qui ne la concernent pas ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2025, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre la décision du 11 septembre 2024 car la société requérante n'a pas qualité pour agir contre cette décision qui ne la concerne pas ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 12 novembre 2024 et 20 janvier 2025, la société Contrôle Technique Centre Alsace demande au tribunal, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la règle d'incompatibilité professionnelle énoncée à l'article L. 323-1 I alinéa 3 du code de la route, considérée d'applicabilité directe, n'était pas appliquée à l'aune des dispositions réglementaires de l'article R. 323-14 du code de la route, de transmettre au Conseil d'Etat, en application des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 323-1 I alinéa 3 du code de la route.

Elle soutient que la règle d'incompatibilité professionnelle instituée par ces dispositions, qui interdit de cumuler les fonctions de contrôleur et, de façon générale, toutes les autres fonctions exercées dans les réseaux nationaux et installations indépendantes de contrôle technique sont exclusives de toute autre activité exercée dans la réparation ou le commerce automobile porte, en raison de sa généralité, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

Par des observations, enregistrées le 20 décembre 2024, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la demande de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Il fait valoir que :

- la loi d'orientation des mobilités n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 dont est issu l'article L. 323-1 I alinéa 3 du code de la route a été examinée dans son intégralité par le Conseil Constitutionnel, qui, dans une décision n° 2019-794 en date du 20 décembre 2019, n'a pas jugé utile de censurer ces dispositions contrairement à d'autres articles du code de route ;

- la question est dépourvue de caractère sérieux, dès lors que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conforme à la Constitution des régimes d'incompatibilité similaires visant à assurer l'indépendance et l'entière disponibilité des professionnels concernés et éviter les conflits d'intérêts.

Par des observations, enregistrées le 30 décembre 2024 et le 2 janvier 2025, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la demande de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Il fait valoir que :

- la loi d'orientation des mobilités n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 dont est issu l'article L. 323-1 I alinéa 3 du code de la route a été examinée dans son intégralité par le Conseil Constitutionnel, qui, dans une décision n° 2019-794 en date du 20 décembre 2019, n'a pas jugé utile de le censurer ces dispositions contrairement à d'autres articles du code de route ;

- la question est dépourvue de caractère sérieux, dès lors que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conforme à la Constitution des régimes d'incompatibilité similaires visant à assurer l'indépendance et l'entière disponibilité des professionnels concernés et éviter les conflits d'intérêts

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de la route ;

- l'arrêté du 23 octobre 2023 relatif au contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur qui en précisent la portée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Weisse-Marchal, rapporteure,

- les conclusions de M. Olivier Biget, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Contrôle Technique Centre Alsace a sollicité l'extension de l'agrément de ses centres de contrôle technique de véhicules de Châtenois et de Colmar, au contrôle des véhicules de catégorie L, à savoir les véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, ainsi que l'agrément pour ce type de véhicules des trois contrôleurs rattachés à ces centres. Par une décision du 10 septembre 2024, le préfet du Bas-Rhin a rejeté la demande d'agrément d'une installation de contrôle technique des véhicules de catégorie L au sein du centre de contrôle technique de Chatenois. Par une décision du même jour, le préfet du Haut-Rhin a rejeté la même demande concernant le centre de contrôle technique de Colmar. Par deux décisions du 11 septembre 2024, le préfet du Bas-Rhin a rejeté les demandes d'agrément de contrôleurs techniques de véhicules de catégorie L en lien avec la demande d'agrément d'installation de contrôle technique pour ce type de véhicules, sollicitées par la société pour son établissement de Châtenois. Le préfet du Haut-Rhin a, par une décision du même jour, refusé de faire droit à la même demande concernant le contrôleur de l'établissement de Colmar. Par la présente requête, la société Contrôle Technique Centre Alsace demande au tribunal d'annuler l'ensemble de ces décisions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 323-14 du code de la route : " I. - L'agrément des installations d'un centre de contrôle est délivré par le préfet du département où est implanté le centre. / (...) ".

3. Les décisions litigieuses ont été signées par M. D B, chef de qualité des véhicules à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Grand Est. Par des arrêtés des 17 et 18 juillet 2024, les préfets du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont chacun donné délégation à M. A C, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Grand Est à l'effet de signer, dans le cadre de ses attributions et compétences, les agréments des centres de contrôles techniques de véhicules et des contrôleurs y intervenants, et l'a autorisé, sous sa responsabilité à subdéléguer sa signature aux agents relevant de son autorité par un arrêté spécifique. Par un arrêté du 22 juillet 2024, M. C, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Grand Est, a donné subdélégation à M. B, chef de qualité des véhicules, à l'effet de signer les agréments des contrôleurs et des installations de contrôle technique pour les véhicules concernés par ces contrôles. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes attaqués manque en fait et doit être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 323-1 du code de la route : " Lorsqu'en application du présent code, des véhicules sont astreints à un contrôle technique, celui-ci est effectué par les services de l'Etat ou par des contrôleurs agréés par l'Etat. Cet agrément peut être délivré soit à des contrôleurs indépendants, soit à des contrôleurs organisés en réseaux d'importance nationale, sous réserve qu'ils n'aient fait l'objet d'aucune condamnation inscrite au bulletin n° 2 de leur casier judiciaire. Les fonctions de contrôleur ainsi que les autres fonctions exercées dans ces réseaux et installations sont exclusives de toute autre activité exercée dans la réparation ou le commerce automobile (...). Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités de fonctionnement du système de contrôle et en particulier les conditions d'agrément des contrôleurs, des installations nécessaires au contrôle et des réseaux mentionnés au deuxième alinéa ". Aux termes de l'article R. 323-14 de ce code : " I. - L'agrément des installations d'un centre de contrôle est délivré par le préfet du département où est implanté le centre. La demande d'agrément est adressée au préfet par la personne physique ou la personne morale qui exploite les installations du centre. Elle indique l'identité du demandeur, son statut juridique et les catégories de contrôles techniques qui seront effectués dans le centre et précise si celui-ci est rattaché ou non à un réseau de contrôle agréé. Elle est accompagnée d'un document par lequel l'exploitant s'engage à respecter les prescriptions d'un cahier des charges et précise les conditions dans lesquelles il sera satisfait à cet engagement. L'engagement mentionné ci-dessus décrit notamment l'organisation et les moyens techniques mis en œuvre par le centre pour assurer en permanence la qualité et l'objectivité des contrôles techniques effectués et éviter que les installations soient utilisées par des personnes non agréées ou ayant une activité dans la réparation ou le commerce automobile ou de motocycles. Le demandeur doit s'engager à établir tous les documents se rapportant à son activité prescrits par le ministre chargé des transports et à faciliter la mission des agents désignés par lui pour surveiller le bon fonctionnement des installations de contrôle. Le dossier de demande comporte, en outre, l'avis du réseau de contrôle agréé lorsque le centre de contrôle est rattaché à un réseau, ou l'avis de l'organisme technique central dans le cas contraire (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 323-18 du même code : " I.- L'agrément d'un contrôleur est délivré par le préfet de département où est implanté le centre de contrôle auquel il est rattaché. Cet agrément permet d'exercer sur tout le territoire. Un même contrôleur peut être titulaire d'un agrément pour le contrôle technique des véhicules légers et d'un agrément pour le contrôle technique des véhicules lourds. II.- La demande d'agrément précise à quel centre de contrôle le contrôleur est rattaché et les catégories de contrôles techniques qu'il pourra effectuer. Elle est accompagnée de l'avis du réseau de contrôle agréé lorsque le centre de contrôle est rattaché à un réseau ou de l'avis de l'organisme technique central dans le cas contraire ".

5. Il résulte des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 323-1 du code de la route une incompatibilité stricte entre toute fonction exercée dans les réseaux et installations de contrôle technique et toute activité exercée dans la réparation ou le commerce automobile. Si le dernier alinéa de l'article L. 323-1 du code de la route renvoie à un décret le soin de définir " les modalités de fonctionnement du système de contrôle et en particulier les conditions d'agrément des contrôleurs, des installations nécessaires au contrôle et des réseaux mentionnés au deuxième alinéa ", ces dispositions n'ont pas entendu imposer l'édiction d'un décret d'application pour que la règle d'incompatibilité posée au troisième alinéa de l'article L. 323-1 du code de la route soit applicable. L'application de ces dispositions n'est, par ailleurs, pas manifestement impossible en l'absence de mesures réglementaires, la règle édictée étant suffisamment claire et précise. L'article R. 323-14 du code de la route, n'a ainsi pas pour objet de préciser, pour la rendre applicable, la règle d'incompatibilité fixée par le législateur. Ces dispositions ont uniquement vocation à fixer le contenu et les modalités de présentation de la demande d'agrément, et, notamment, à prévoir les éléments devant figurer dans la demande d'agrément, ainsi que dans le document que l'exploitant doit joindre à sa demande et dans lequel il doit s'engager à respecter les prescriptions d'un cahier des charges et doit préciser les conditions dans lesquelles il sera satisfait à cet engagement. Dans ces conditions, en fondant les décisions attaquées sur les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 323-1 du code de la route les préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin n'ont pas commis une erreur de droit.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, à titre subsidiaire, à l'appui de la requête :

6. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) ".

7. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève à l'encontre de la règle d'incompatibilité posée par les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 323-11 du code de la route, issues de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, la société requérante allègue que cette règle porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, en ce qu'elle concerne toutes les fonctions autres que celles de contrôleur exercées dans les réseaux et installations, interdisant, dès lors, l'accès à la profession à des personnes qui ne sont pas en position d'exercer une influence sur le résultats des contrôles opérés. Toutefois, la procédure d'agrément par l'Etat des contrôleurs chargés de procéder au contrôle technique répond à un objectif de sécurité. Par ailleurs, il ressort des travaux parlementaires relatifs à l'article de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui a étendu le régime d'incompatibilité aux installations, que la règle d'incompatibilité litigieuse vise à garantir une indépendance complète entre le contrôle technique et les activités de commerce et de réparation automobiles, en particulier en interdisant aux exploitants de centres de contrôle technique de véhicules l'exercice d'une activité dans le commerce ou la réparation automobiles, afin de garantir l'objectivité et l'impartialité des contrôles et leur indépendance vis-à-vis de la réparation et du commerce automobiles. Ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Enfin, la loi du 24 décembre 2019 a été examinée par le Conseil Constitutionnel, lequel a rendu une décision n°2019-794 en date du 20 décembre 2019. Dès lors, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 323-11 du code de la route porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que les conclusions à fin d'annulation de la société requérante ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

 

D E C I D E :

Article 1e : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Contrôle Technique Centre Alsace.

Article 2 : La requête de la société Contrôle Technique Centre Alsace est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Contrôle Technique Centre Alsace, et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée aux préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Haudier, présidente,

Mme Weisse-Marchal, première conseillère,

M. Muller, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 avril 2025.

La rapporteure,

C.Weisse-Marchal

La présidente,

Mme Haudier

La greffière,

S. Michon

La République mande et ordonne aux préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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