Non renvoi
N° W 24-87.193 F-D
N° 00637
8 AVRIL 2025
RB5
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025
M. [U] [T] a présenté, par mémoire spécial reçu le 17 mars 2025, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 5 décembre 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment et infractions à la législation sur les armes, aggravés, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [U] [T], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 706-106 du code de procédure pénale, en ce qu'elles permettent aux enquêteurs dans le cadre d'une opération de « coup d'achat » d'effectuer une infiltration sans limitation dans le temps, en recourant à une identité d'emprunt sans y être autorisé, sans que l'autorité judiciaire n'ait à motiver le recours à ce mode d'investigation contrairement au régime de l'infiltration prévu aux articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale, et ce alors qu'à cette occasion des conversations privées sont captées par les enquêteurs et retranscrites en procédure, portent-elles atteinte au droit au respect de la vie privée garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et au principe d'égalité devant la loi garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ? »
2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
4. La question posée ne présente pas un caractère sérieux pour les motifs qui suivent.
5. En premier lieu, la technique spéciale d'enquête prévue à l'article 706-106 du code de procédure pénale, dénommée « coup d'achat », qui permet aux enquêteurs de commettre l'un des actes illégaux limitativement énumérés audit article, acte couvert par un fait justificatif, cause d'irresponsabilité pénale, à la condition que cet acte ait été accompli, selon la finalité légale, pour l'administration de la preuve relative à l'une des infractions limitativement énumérées, est subordonnée à une autorisation donnée aux enquêteurs par l'autorité judiciaire.
6. La mise en œuvre d'une telle technique induit nécessairement un contact sous diverses modalités possibles, sans relever de l'infiltration, avec la personne suspectée d'être impliquée dans un trafic d'armes par un officier ou agent de police judiciaire, dont la trace est susceptible d'être conservée en procédure.
7. Pour autant, au regard des garanties offertes par son champ d'application ainsi que son objet restreints et par l'autorisation judiciaire requise, les dispositions critiquées, qui poursuivent les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
8. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un ou l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et qu'elle ne crée pas de discriminations injustifiées.
9. Ce dispositif, tel que décrit au paragraphe 6, est distinct de la mesure d'infiltration, qui induit une surveillance par un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité de personnes suspectées de commettre un crime ou un délit entrant dans le champ d'application plus vaste des infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées, en se faisant passer auprès de celles-ci comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs, et autorise notamment l'officier ou l'agent de police judiciaire, à cette fin, à faire usage d'une identité d'emprunt et à réaliser les actes mentionnés à l'article 706-82 du code de procédure pénale étendus à tous éléments tirés de la commission des mêmes infractions ou servant à leur commission. Le seul recours à une fausse identité pour une transaction circonscrite par les dispositions de l'article 706-106 du code de procédure pénale ne saurait induire une assimilation à la technique de l'infiltration.
10. Cette différence de régime juridique est ainsi en lien direct avec l'objet de la loi.
11. Il n'y a pas lieu, en conséquence, de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du huit avril deux mille vingt-cinq.
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