Tribunal administratif de Montreuil

Décision du 7 avril 2025 n°2305039

07/04/2025

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 26 avril 2023 et 29 août 2023, M. et Mme A, représentés par Me Dumont, demandent au tribunal dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer résultant de la saisie administrative à tiers détenteur émise le 13 décembre 2022 par le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de Seine-Saint-Denis pour le recouvrement de la somme de 1 006 572,94 euros correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 et 2007, ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer le sursis de paiement des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que l'action en recouvrement est prescrite depuis le 5 mars 2016, aucun acte n'ayant interrompu le délai de prescription depuis le 21 juin 2013, date du jugement par lequel le tribunal a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 et 2007.

Par un mémoire distinct enregistré le 29 août 2023, M. et Mme A demandent au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et, subsidiairement, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par son article 13.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 juillet 2023 et 25 septembre 2023, le directeur départemental des finances publiques de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'en application de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales, les requérants ne sont plus recevables à invoquer la prescription de l'action en recouvrement.

Par ordonnance du 13 décembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B,

- les conclusions de Mme Nguër, rapporteure publique,

- et les observations de Me Guiorguieff, représentant M. et Mme A.

Le directeur départemental des finances publiques de la Seine-Saint-Denis n'était ni présent, ni représenté.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A demandent au tribunal de prononcer la décharge de l'obligation de payer résultant de la saisie administrative à tiers détenteur émise le 13 décembre 2022 par le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de Seine-Saint-Denis pour le recouvrement de la somme de 1 006 572,94 euros correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 et 2007, ainsi qu'à des pénalités de 10 % infligées sur le fondement de l'article 1730 du code général des impôts.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Pour demander, par un mémoire distinct, que soit transmise au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et, subsidiairement, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par son article 13.

4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si, en règle générale, le principe d'égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Enfin, selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ".

5. Le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, qui fixe à quatre ans le délai de prescription de l'action en recouvrement, n'institue aucune différence de traitement entre les contribuables et ne peut donc être regardé comme contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En outre, en contestant le délai de réclamation prévu par le c) de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales lorsque l'exigibilité de l'impôt est contestée, les requérants invoquent en réalité l'inconstitutionnalité d'une disposition règlementaire, moyen qui ne peut être utilement soulevé par la voie d'une question préalable de constitutionnalité.

6. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui ne présente pas de caractère sérieux.

Sur les conclusions à fin de décharge de l'obligation de payer :

7. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle () sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. () ". Aux termes de l'article R. 281-1 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement prévues par l'article L. 281 peuvent être formulées par le redevable lui-même ou la personne solidaire. Elles font l'objet d'une demande qui doit être adressée, appuyée de toutes les justifications utiles, en premier lieu, au chef du service du département ou de la région dans lesquels est effectuée la poursuite (.) ". Aux termes de l'article R. 281-3-1 du même livre : " La demande prévue à l'article R. 281-1 doit, sous peine d'irrecevabilité, être présentée dans un délai de deux mois à partir de la notification : () c) A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, du premier acte de poursuite permettant de contester l'exigibilité de la somme réclamée ".

8. Lorsque le redevable d'une imposition se prévaut de la prescription de l'action en recouvrement, il soulève une contestation qui ne porte pas sur l'obligation de payer mais qui a trait à l'exigibilité de l'impôt. La prescription de l'action en recouvrement doit, en application du c) de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales, être invoquée à l'appui de la réclamation préalable adressée à l'administration compétente dans un délai de deux mois à partir de la notification du premier acte de poursuite permettant de s'en prévaloir.

9. En premier lieu, les requérants doivent être regardés comme excipant de l'inconstitutionnalité du c) de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales au motif qu'il instaure, selon eux, une différence de traitement entre contribuables en méconnaissance des principes d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques résultant des articles 6 et 13 précités de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Toutefois ces principes visent seulement à proscrire les distinctions non justifiées par une différence de traitement ou un motif d'intérêt général et n'obligent pas le pouvoir règlementaire à traiter différemment des personnes placées dans une situation différente. Par suite, dès lors que les dispositions en cause du livre des procédures fiscales concernent indifféremment tous les contribuables, l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par les requérants ne peut qu'être écartée comme non fondée.

10. En second lieu, les requérants soutiennent que l'action en recouvrement est prescrite en application de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales dès lors qu'aucun acte de poursuite n'a été émis entre la mise en recouvrement des impositions mises à leur charge, le 30 juillet 2010, et le 4 mars 2016, date d'expiration du délai de quatre ans mentionné à l'article L. 274 du livre des procédures fiscales suspendu par leur demande de sursis de paiement déposée le 18 juillet 2011 jusqu'au jugement du 21 juin 2013 rejetant leur requête tendant à la décharge de ces impositions. Il résulte toutefois de l'instruction que deux mises en demeure de payer du 8 novembre 2016 ont été régulièrement notifiées aux requérants le 17 novembre 2016. Ces mises en demeure, qui mentionnaient les voies et délais de recours, constituaient ainsi les premiers actes de poursuite à l'égard desquels les requérants pouvaient invoquer le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement des impositions en cause. Il ne résulte pas de l'instruction et n'est au demeurant pas allégué que M. et Mme A auraient contesté ces mises en demeure. Par suite, les requérants sont, en application du c) de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales, irrecevables à invoquer le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement à l'encontre de la saisie administrative à tiers détenteur émise le 13 décembre 2022 par le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de Seine-Saint-Denis qui, n'est pas, par conséquent, le premier acte de poursuite à l'encontre duquel ce moyen de contestation de l'exigibilité des sommes en litige pouvait être invoqué. La fin de non-recevoir invoquée en défense doit dès lors être accueillie.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à demander la décharge de l'obligation de payer résultant de la saisie administrative à tiers détenteur émise le 13 décembre 2022 par le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de Seine-Saint-Denis pour le recouvrement de la somme de 1 006 572,94 euros correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 et 2007, ainsi que des pénalités correspondantes. Par voie de conséquence, leurs conclusions relatives à l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent aussi être rejetées. Il en va de même, en tout état de cause, de leurs conclusions à fin de sursis de paiement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. ou Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme C A et au directeur départemental des finances publiques de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Charret, président,

Mme B et Mme D, premières conseillères.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2025.

La rapporteure,

S. B

Le président,

J. Charret

La greffière,

L. Valcy

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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