Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 27 mars 2025 n° 2403401

27/03/2025

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2024, la SAS NGE Bâtiment, représentée par la SCP Pietra et Associés, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 22 décembre 2023 par laquelle la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne lui a infligé une amende de 45 000 euros pour un manquement aux dispositions du I de l'article L. 441-1 du code de commerce, relatives aux délais de paiement, ainsi que la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 8 octobre 2024, la SAS NGE Bâtiment demande au tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du dernier alinéa de l'article L. 441-16 du code de commerce issu de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 modifié par l'ordonnance n° 2021-859 du 30 juin 2021.

Elle soutient que :

- l'article L. 441-16 du code de commerce est applicable au litige ;

- la question est nouvelle dès lors que les dispositions de l'article L. 441-16 du code de commerce, dans leur rédaction applicable au litige, n'ont, à ce jour, pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; l'article L. 441-16 du code de commerce porte atteinte aux droits garantis par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au principe d'accessibilité et d'intangibilité de la loi qui est élevé au rang d'objectif à valeur constitutionnel, ainsi qu'à l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2024, le préfet de la région Bretagne conclut au rejet de la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société NGE Bâtiment.

Il soutient que :

- l'article L. 441-16 du code de commerce, argué d'inconstitutionnalité, n'est que la reprise des dispositions figurant antérieurement au VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, lesquelles ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant opéré une recodification à droit constant ;

- la question ne présente, en tout état de cause, pas de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État (...) qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ".

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. Aux termes de l'article L. 441-16 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 1er de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 : " Est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale, le fait de : / a) Ne pas respecter les délais de paiement prévus au I de l'article L. 441-10 (...) ". Aux termes du I de l'article L. 441-10 du même code : " Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d'émission de la facture. / Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois après la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. / En cas de facture périodique au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours après la date d'émission de la facture. ".

4. Par une décision du 22 décembre 2023, une amende de 45 000 euros a été infligée, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 441-16 du code de commerce, à la SAS NGE Bâtiment à raison d'un manquement au I de l'article L. 441-10 du code de commerce. A l'appui de sa requête dirigée contre cette décision, la SAS NGE Bâtiment soutient que les dispositions précitées de l'article L. 441-16 du code de commerce portent atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution.

5. Toutefois, ces dernières dispositions constituent la reprise, à droit constant, du paragraphe VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. Or, d'une part, ce paragraphe est issu de celles des dispositions de l'article 123 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014. D'autre part, si, postérieurement à cette décision du 13 mars 2014, le b) du 1° du I de l'article 123 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 a porté de 375 000 euros à deux millions d'euros le montant maximal de l'amende susceptible d'être infligée à une personne morale pour un manquement tel que celui reproché à la SAS NGE Bâtiment, une telle circonstance, au demeurant sans incidence sur le présent litige, ne saurait être regardée comme un changement des circonstances au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, dès lors qu'elle n'a pas eu pour effet de modifier l'économie générale des dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS NGE Bâtiment, laquelle n'est pas nouvelle.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS NGE Bâtiment.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS NGE Bâtiment et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la région Bretagne.

Fait à Rennes, le 27 mars 2025.

Le président de la 2ème chambre,

signé

T. Jouno

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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