Rejet
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 janvier 2025 par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (décision du 2 décembre 2024), dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral. Cette saisine est relative à la situation de Mme Caroline YADAN, candidate aux élections qui se sont déroulées les 30 juin et 7 juillet 2024, dans la 8e circonscription des Français établis hors de France, en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-6427 AN.
Il a également été saisi le 24 janvier 2025, à l’occasion de cette saisine, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour Mme YADAN par Me Didier Girard, avocat au barreau de Paris. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que garantit la Constitution du mot « administratif » figurant au premier alinéa de l’article L. 118-2 du code électoral.
Il a en outre été saisi le 29 janvier 2025 d’une requête tendant à l’annulation de la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 2 décembre 2024, présentée pour Mme YADAN par Me Girard, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025‑6460 AN.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution, notamment son article 59 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code électoral ;
– la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ;
– le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour Mme YADAN, députée, par Me Girard, enregistrées le 24 janvier et le 17 février 2025 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la requête mentionnées ci-dessus sont relatives au rejet du compte de campagne de Mme YADAN. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.
- Sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :
. En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Selon le premier alinéa de l’article 16-1 du règlement mentionné ci-dessus, « Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée à l’occasion d’une procédure en cours devant lui, le Conseil constitutionnel procède selon les dispositions du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ».
3. Pour satisfaire aux conditions prévues par la seconde phrase du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, la question prioritaire de constitutionnalité doit contester une disposition législative applicable au litige ou à la procédure et qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. En outre, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
4. Le premier alinéa de l’article L. 118-2 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi du 2 décembre 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Si le juge administratif est saisi de la contestation d’une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il sursoit à statuer jusqu'à réception des décisions de la commission instituée par l’article L. 52-14 qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l’expiration du délai fixé au II de l'article L. 52-12 ».
5. Mme YADAN reproche à ces dispositions de fixer à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques un délai pour se prononcer sur les comptes de campagne des candidats aux élections qui est différent de celui applicable dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi d’une contestation électorale contre l’élection d’un parlementaire. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
6. Le régime des inéligibilités applicable à un député, de même que les conditions d’intervention du Conseil constitutionnel en tant que juge des élections à l’Assemblée nationale, sont du ressort de la loi organique en vertu respectivement des articles 25 et 63 de la Constitution. Ainsi, et bien que figurant dans un titre du code électoral intitulé « Dispositions communes à l’élection des députés, des conseillers généraux et des conseillers municipaux », l’article L. 118-2 du code électoral ne saurait recevoir application pour l’élection des députés. Par suite, ces dispositions ne peuvent être regardées comme applicables au présent litige au sens et pour l’application de l’article 23-5 de l’ordonnance du 23 novembre 1958. Dès lors, la question soulevée doit être rejetée.
. En ce qui concerne la régularité de la procédure :
7. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral : « La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne… ».
8. Si Mme YADAN soutient que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques n’aurait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure, il résulte de l’instruction qu’elle lui a indiqué les griefs qu’elle était susceptible de retenir par un courrier du 25 octobre 2024 auquel Mme YADAN a répondu par un courrier du 6 novembre suivant. Le courrier de la commission, qui se fondait notamment sur la méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-4 du code électoral, a été formulé en des termes dépourvus de toute ambiguïté. La seule circonstance que ce courrier mentionnait un montant global des dépenses réglées directement par la candidate après la désignation de son mandataire financier ne saurait avoir privé l’intéressée de la possibilité de faire valoir utilement ses observations, alors qu’il renvoyait expressément à six « notes de frais » adressées à son mandataire par le parti « Ensemble » et l’invitait à fournir toutes explications et pièces justificatives des éventuelles difficultés rencontrées lors de l’ouverture du compte de dépôt du mandataire et des diligences entreprises pour y remédier. Dès lors, le grief tiré du non-respect du caractère contradictoire de la procédure devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques manque en fait.
. En ce qui concerne le rejet du compte et l’inéligibilité :
9. Il ressort de l’article L. 52-4 du code électoral qu’il appartient au mandataire financier désigné par le candidat de régler les dépenses engagées en vue de l’élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l’exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation, payées directement par le candidat ou à son profit, font l’objet d’un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal. Si le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis, ce n’est qu’à la double condition que leur montant, tel qu’apprécié à la lumière de ces dispositions, c’est-à-dire prenant en compte non seulement les dépenses intervenues après la désignation du mandataire financier mais aussi celles réglées avant cette désignation et qui n’auraient pas fait l’objet d’un remboursement par le mandataire, soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées par l’article L. 52-11 du même code.
10. Le compte de campagne de Mme YADAN a été rejeté par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans sa décision du 2 décembre 2024 au motif que la candidate a réglé directement, après la désignation du mandataire, une part substantielle des dépenses engagées en vue de l’élection, en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 52-4 du code électoral.
11. Il résulte de l’instruction que les dépenses de campagne électorale réglées directement par Mme YADAN après la désignation de son mandataire financier, d’un montant de 2 806 euros, ont représenté 13,5 % du montant total des dépenses devant être inscrites au compte et 3,7 % du plafond des dépenses autorisées dans la circonscription. Par suite, c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de Mme YADAN et constaté qu’elle n’avait pas droit au remboursement forfaitaire prévu par l’article L. 52-11-1 du code électoral.
12. L’article L.O. 136-1 du code électoral dispose que, en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit.
13. Malgré le caractère substantiel de l’obligation méconnue, les dépenses acquittées directement par la candidate, pour un montant de 2 806 euros, ne représentent que 3,7 % du plafond des dépenses autorisées. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de prononcer l’inéligibilité de Mme YADAN.
- Sur la requête de Mme YADAN :
14. La décision par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, en application des dispositions de l’article L. 52-15 du code électoral, rejeté le compte de campagne de Mme YADAN et saisi le Conseil constitutionnel n’est pas détachable de la procédure ainsi engagée devant lui. Par suite, la requête de Mme YADAN tendant à l’annulation de cette décision est irrecevable.
15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de procéder à l’audition demandée par Mme YADAN, que sa requête doit être rejetée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – La question prioritaire de constitutionnalité est rejetée.
Article 2. – Il n’y a pas lieu de déclarer Mme Caroline YADAN inéligible en application des dispositions de l’article L.O. 136-1 du code électoral.
Article 3. – La requête de Mme YADAN est rejetée.
Article 4. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 7 mars 2025.