Conseil constitutionnel

Décision n° 2024-1127 QPC du 5 mars 2025

05/03/2025

Non conformité totale

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 décembre 2024 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 742 du 11 décembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Nicolas R. par la SAS Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1127 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, à l’exception des deux premières phrases du premier alinéa de son paragraphe I, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées par l’association pour l’action sociale et éducative, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 23 décembre 2024 ; 

– les observations présentées pour le requérant par la SAS Zribi et Texier, enregistrées le 2 janvier 2025 ; 

– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;

– les observations en intervention présentées pour l’ordre des avocats du barreau de Versailles par Me Cécile Robert, avocate au barreau de Versailles, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour le requérant par la SAS Zribi et Texier, enregistrées le 16 janvier 2025 ; 

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Stéphane-Laurent Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Robert, pour l’ordre des avocats du barreau de Versailles, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 25 février 2025 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;  

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, à l’exception des deux premières phrases du premier alinéa de son paragraphe I, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 janvier 2022 mentionnée ci‑dessus, prévoit, à propos des mesures d’isolement et de contention concernant des patients en hospitalisation complète sans consentement :

« Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical.

« La mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au premier alinéa du présent I, dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures, et fait l’objet de deux évaluations par vingt-quatre heures.

« La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de six heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au même premier alinéa, dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures, et fait l’objet de deux évaluations par douze heures.

« II. - À titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au-delà des durées totales prévues au I, les mesures d’isolement et de contention, dans le respect des conditions prévues au même I. Le directeur de l’établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention du renouvellement de ces mesures. Le juge des libertés et de la détention peut se saisir d’office pour y mettre fin. Le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical.

« Le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées.

« Le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme des durées prévues au deuxième alinéa du présent II.

« Si les conditions prévues au I ne sont plus réunies, il ordonne la mainlevée de la mesure. Dans ce cas, aucune nouvelle mesure ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures à compter de la mainlevée de la mesure, sauf survenance d’éléments nouveaux dans la situation du patient qui rendent impossibles d’autres modalités de prise en charge permettant d’assurer sa sécurité ou celle d’autrui. Le directeur de l’établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la nouvelle mesure.

« Si les conditions prévues au même I sont toujours réunies, le juge des libertés et de la détention autorise le maintien de la mesure d’isolement ou de contention. Dans ce cas, le médecin peut la renouveler dans les conditions prévues audit I et aux deux premiers alinéas du présent II. Toutefois, si le renouvellement d’une mesure d’isolement est encore nécessaire après deux décisions de maintien prises par le juge des libertés et de la détention, celui-ci est saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter de sa précédente décision et le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical. Le juge des libertés et de la détention statue avant l’expiration de ce délai de sept jours. Le cas échéant, il est à nouveau saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration de chaque nouveau délai de sept jours et statue dans les mêmes conditions. Le médecin réitère l’information susmentionnée lors de chaque saisine du juge des libertés et de la détention.

« Pour l’application des deux premiers alinéas du présent II, lorsqu’une mesure d’isolement ou de contention est prise moins de quarante-huit heures après qu’une précédente mesure d’isolement ou de contention a pris fin, sa durée s’ajoute à celle des mesures d’isolement ou de contention qui la précèdent.

« Les mêmes deux premiers alinéas s’appliquent lorsque le médecin prend plusieurs mesures dont la durée cumulée sur une période de quinze jours atteint les durées prévues auxdits deux premiers alinéas.

« Les mesures d’isolement et de contention peuvent également faire l’objet d’un contrôle par le juge des libertés et de la détention en application du IV de l’article L. 3211-12-1.

« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent II.

« III. - Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d’hospitalisation, la date et l’heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

« L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ».

2. Le requérant, rejoint par la partie intervenante, reproche aux dispositions renvoyées de ne pas prévoir une information systématique de la personne chargée d’une mesure de protection juridique en cas de renouvellement au-delà de quarante-huit heures du placement à l’isolement du majeur protégé hospitalisé sans son consentement. Selon eux, il en résulterait une méconnaissance des exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée » figurant au premier et au cinquième alinéas du paragraphe II de l’article L. 3222‑5‑1 du code de la santé publique. 

4. La partie intervenante est fondée à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où son intervention porte sur ces mêmes mots. Elle soutient également que ces dispositions méconnaîtraient, pour les mêmes motifs, le principe d’égalité devant la loi et le droit à la protection de la santé résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Sur le fond :

5. Selon l’article  16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

6. L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique fixe les conditions dans lesquelles les personnes placées en hospitalisation complète sans consentement peuvent faire l’objet d’une mesure d’isolement. En application du deuxième alinéa de son paragraphe I, une telle mesure peut être prise par un psychiatre pour une durée maximale de douze heures et être renouvelée, si l’état de santé du patient le nécessite, par périodes de douze heures, dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures.

7. Il résulte du paragraphe II de ce même article que le médecin informe au moins un membre de la famille du patient ou, en application des dispositions contestées, une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, lorsque, à titre exceptionnel, cette mesure est renouvelée au-delà de cette durée totale, ainsi qu’en cas de renouvellement après deux décisions de maintien prises par le juge des libertés et de la détention et lors de chaque saisine ultérieure de ce juge. 

8. D’une part, en application de l’article L. 3211-12 du code de la santé publique, le patient faisant l’objet d’une telle mesure peut saisir à tout moment d’une demande de mainlevée le juge des libertés et de la détention. 

9. D’autre part, lorsque ce juge statue sur la mainlevée ou la prolongation de la mesure d’isolement en vertu de l’article L. 3211‑12‑2 du même code, le patient peut présenter des observations écrites et demander à être entendu, et doit être représenté par un avocat si, au vu d’un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle à l’audition qu’il a sollicitée.

10. Toutefois, lorsqu’il apparaît au cours de l’hospitalisation que le patient placé à l’isolement est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent au médecin d’informer du renouvellement de l’isolement la personne chargée de la mesure de protection juridique. Or, en l’absence d’une telle information, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts.

11. Il en résulte que, en ne prévoyant pas en principe une telle information, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif. 

12. Par conséquent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

13. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

14. D’une part, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.

15. D’autre part, la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. 

 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 Article 1er. – Les mots « ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée » figurant au premier et au cinquième alinéas du paragraphe II de l’article L. 3222‑5‑1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022‑46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, sont contraires à la Constitution.

Article 2. – La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 14 et 15 de cette décision.

Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 mars 2025, où siégeaient : M. Alain JUPPÉ exerçant les fonctions de Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 5 mars 2025.

Abstracts