Conseil constitutionnel

Décision n° 2024-1124 QPC du 28 février 2025

28/02/2025

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 décembre 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1675 du 4 décembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bekim H. par Me Florian Medico, avocat au barreau de Montpellier. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1124 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 60 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, ainsi que du 1° de l’article 60‑1 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code des douanes ;

– la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations en intervention présentées pour MM. Darin P. et Iova C. par Me Cyril Caron, avocat au barreau de Montpellier, enregistrées le 20 décembre 2024 ; 

– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 décembre 2024 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Caron, pour les parties intervenantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 11 février 2025 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;  

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 60 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 juillet 2023 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« Les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes dans les conditions prévues au présent article et aux articles 60-1 à 60-10. Les mêmes articles 60-1 à 60-10 sont applicables pour la mise en œuvre :

« 1° Du présent code et en vue de la recherche de la fraude ;

« 2° Du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l’Union et de ses règlements d’application ;

« 3° Du règlement (UE) 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union et abrogeant le règlement (CE) n° 1889/2005 ;

« 4° Du chapitre II du titre V du livre Ier du code monétaire et financier ».

2. Le 1° de l’article 60-1 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit que les agents des douanes peuvent procéder, à toute heure, à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes se trouvant ou circulant dans : 

« La zone terrestre du rayon des douanes définie à l’article 44 ».

3. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de permettre aux agents des douanes de procéder, dans une zone territoriale trop étendue, à des contrôles ou des visites à l’encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique, sans raisons particulières tenant à l’existence de soupçons ou à la recherche d’une infraction, ni contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’aller et de venir et du droit au respect de la vie privée. 

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 1° de l’article 60-1 du code des douanes.

5. Selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Son article 4 proclame que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

6. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figurent la liberté d’aller et de venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. 

7. L’article 60 du code des douanes autorise, sous certaines conditions, les agents des douanes à procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes.

8. En application des dispositions contestées de l’article 60-1 du même code, ils peuvent exercer dans la zone terrestre du rayon des douanes ce droit de visite à toute heure, sans avoir à justifier d’un motif particulier.

9. En premier lieu, la lutte contre la fraude en matière douanière justifie que les agents des douanes puissent procéder à la fouille des marchandises, des véhicules ou des personnes. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. 

10. En deuxième lieu, selon l’article 44 du code des douanes, la zone terrestre du rayon des douanes est comprise entre le littoral ou la frontière terrestre et une ligne tracée à quarante kilomètres en deçà.  Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a déterminé cette zone en raison des risques particuliers de commission d’infractions douanières qu’elle présente.

11. En dernier lieu, en application des articles 60-5 à 60-9 du code des douanes, les agents des douanes ne sont autorisés à procéder à des opérations de visite dans un même lieu que pour une durée ne pouvant excéder douze heures consécutives, sans pouvoir procéder à un contrôle systématique des personnes. Ces opérations se déroulent, sauf exception, en présence de la personne concernée ou de son représentant. Elles s’exécutent dans des conditions garantissant le respect de la dignité de la personne contrôlée et ne peuvent consister en une fouille intégrale. En outre, les agents des douanes ne peuvent immobiliser les moyens de transport et les marchandises ou maintenir les personnes à leur disposition que le temps strictement nécessaire à la visite, et ne sont autorisés à recueillir que les déclarations faites en vue de la reconnaissance des objets découverts.

12. Dès lors, en précisant ainsi la zone dans laquelle sont réalisées ces opérations et eu égard aux garanties prévues, le législateur a procédé à une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. 

13. Le grief tiré de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doit donc être écarté.

14. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Le 1° de l’article 60-1 du code des douanes, dans sa rédaction issue de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, est conforme à la Constitution.

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 février 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Alain JUPPÉ, Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 28 février 2025.

Abstracts