Cour de cassation

Arrêt du 18 décembre 2024 n°24-90.015

18/12/2024

Non renvoi

N° P 24-90.015 F-D

 

N° 01720

 

18 DÉCEMBRE 2024

 

LR

 

QPC PRINCIPALE : NON LIEU À RENVOI AU CC

 

M. BONNAL président,

 

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

 

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 18 DÉCEMBRE 2024

 

Le tribunal correctionnel de Bobigny, par jugement en date du 23 septembre 2024, reçu le 27 septembre 2024 à la Cour de cassation, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion de la requête de M. [E] [P] aux fins de constatation de l'acquisition de la prescription d'une peine prononcée contre lui.

 

Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Gulphe-Berbain, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre, la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

 

« Les articles et la combinaison des articles suivants :

 

- 11.1.2. de la loi d'habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui autoriserait le gouvernement à prendre par ordonnance (étant dispensé de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire) toute mesure, notamment en adaptant « aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures (...) les règles relatives à la suspension du délai de prescription d'une peine »,

 

- 3 de l'ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-303 portant adaptation de règles de procédure pénale prévoyant [que] « les délais de prescription de l'action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'au terme prévu à l'article 2 »,

 

- 2 de l 'ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-303 précitée prévoyant [que] « Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 »,

sont-ils contraires aux articles 16 (pleins pouvoirs), 34, 37 (domaine de la loi et du règlement) et 66 (autorité judiciaire garante des libertés) de la Constitution et 8 de la déclaration des droits de l 'homme et du citoyen (principe de légalité criminelle) ? »

 

2. Si le tribunal correctionnel a jugé que cette question était, en ce qu'elle contestait certaines dispositions, dépourvue de caractère sérieux, il a dans son dispositif transmis la question telle qu'elle lui avait été soumise. La Cour de cassation est donc saisie de celle-ci dans son intégralité.

 

3. L'article 11, I, 2 de la loi d'habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020 est applicable à la procédure et n'a pas déjà, à l'exception des mots « des détentions provisoires » figurant au d de cet article, été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

4. Les articles 2 et 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, dans sa rédaction d'origine, sont applicables à la procédure et n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

5. La question invoque la méconnaissance de l'article 16 de la Constitution dont le Conseil constitutionnel n'a pas encore eu l'occasion de dire s'il constituait un droit ou liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Toutefois, les règles posées par les dispositions contestées sont sans lien avec cet article 16 qui accorde, dans certaines circonstances, des pouvoirs exceptionnels au Président de la République. Il n'y a donc, en tout état de cause, pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au regard de sa nouveauté.

 

6. La question posée ne présente pas un caractère sérieux pour les motifs qui suivent.

 

7. En premier lieu, le Conseil constitutionnel ne saurait être saisi, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Dès lors, le grief tiré de ce que le législateur ne pouvait habiliter le pouvoir exécutif à légiférer par voie d'ordonnance aux fins de suspendre la prescription de peines au seul motif que la prescription d'une peine peut être suspendue par un acte du ministère public ne présente pas un caractère sérieux. Au surplus, le champ d'une habilitation prévue par l'article 38 de la Constitution peut comprendre toute matière qui relève du domaine de la loi.

 

8. En deuxième lieu, il ne saurait résulter d'une suspension automatique du délai de prescription d'une peine une atteinte au principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ou au principe de légalité des délits et des peines.

 

9. En dernier lieu, la seule méconnaissance par le législateur de sa compétence ne constitue pas un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

 

10. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

 

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.

Code publication

n