Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 13 décembre 2024 n° 23PA05290

13/12/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) TD Synnex France, anciennement dénommée Tech Data France, a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 janvier 2021, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France lui a infligé une sanction de 770 000 euros en raison de manquements à l'article L. 441-6, I, alinéa 9 du code de commerce et une sanction de 30 000 euros à raison de manquements à l'article L. 441-6, I, alinéa 11 du même code, de prononcer la décharge de ces sanctions ou, à tout le moins, leur réduction, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102752 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2023, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 24 octobre 2024, la SAS TD Synnex France, représentée par Me Hasday, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun n° 2102752 du 20 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 27 janvier 2021 par laquelle le directeur de la DIRECCTE d'Ile-de-France lui a infligé une sanction de 770 000 euros en raison de manquements à l'article L. 441-6, I, alinéa 9 du code de commerce et une sanction de 30 000 euros à raison de manquements à l'article L. 441-6, I, alinéa 11 du même code ;

3°) de prononcer la décharge des sanctions mentionnées ci-dessus ou, à titre subsidiaire, leur réduction ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement contesté est entaché d'un défaut de motivation, d'omission de réponse à des moyens, et de méconnaissance de l'office du juge en matière de contrôle des sanctions ;

- la décision attaquée a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît le principe d'impartialité des juridictions ;

- elle méconnaît le principe de légalité des délits ;

- elle méconnaît le principe de non-cumul des peines eu égard aux dispositions également prévues à l'article L. 441-6, I, alinéa 8 du code de commerce ;

- elle méconnaît le principe de légalité des peines faute de critère définissant le montant des sanctions prononcées ;

- elle méconnaît le principe d'égalité de traitement eu égard à l'absence de critère définissant le montant des sanctions prononcées et à son caractère arbitraire ;

- elle méconnaît les principes de personnalité et d'individualisation des peines ;

- les sanctions prononcées sont disproportionnées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 novembre 2024.

Un mémoire distinct, portant question prioritaire de constitutionnalité, présenté pour la SAS TD Synnex France par Me Hasday, a été enregistré le 24 octobre 2024. La société requérante demande à la Cour de transmettre la question ainsi soulevée au Conseil d'Etat afin qu'elle soit renvoyée au Conseil Constitutionnel.

Elle soutient que :

- l'absence de séparation entre l'autorité investie du pouvoir d'enquête et de poursuite, et celle investie du pouvoir de sanction, constitue une atteinte au principe d'impartialité qui conditionne l'exercice effectif du principe constitutionnel des droits de la défense ;

- la décision attaquée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines en faisant application de dispositions légales contraires à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- la décision du Conseil Constitutionnel du 13 mars 2014, n° 2014-690 DC ;

- la décision du Conseil Constitutionnel du 25 mars 2022, n° 2021-984 QPC ;

- le code de commerce;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ".

2. Dans le cadre d'une enquête diligentée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la société par actions simplifiée (SAS) TD Synnex France, qui a pour objet la distribution de produits électroniques grand public (logiciels, composants, matériels informatiques, périphériques) a fait l'objet en 2019 d'un contrôle visant à vérifier le respect des dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises, portant sur le premier semestre 2018. Par une décision du 27 janvier 2021, le directeur de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France lui a infligé une amende de 770 000 euros pour manquement à l'alinéa 9 du I de l'article L. 441-6 du code de commerce et une amende de 30 000 euros pour manquement à l'alinéa 11 de cet article. Par la présente requête, la SAS TD Synnex France relève régulièrement appel du jugement du 20 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

3. Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa version applicable au litige : " I. (...) Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture (...). Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture. (...). VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder (...) deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article (...). L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. " Aux termes de l'article L. 470-2 de ce code dans sa version alors en vigueur : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. (...) ".

4. En premier lieu, en relevant, dans sa décision du 13 mars 2014 visée ci-dessus, au point 67, que l'autorité administrative peut, si le législateur lui en a confié le soin, prononcer des sanctions, en l'espèce, celles visées aux dispositions du code de commerce en litige et citées au point précédent, pour autant que soient respectés les principes constitutionnels de légalité des délits et des peines et des droits de la défense, le Conseil Constitutionnel a, nécessairement, considéré que la condition d'impartialité des sanctions en cause n'était pas méconnue au motif que l'autorité administrative investie du pouvoir d'enquête et de poursuite est la même que l'autorité chargée de prononcer les sanctions. Au demeurant, le Conseil Constitutionnel, saisi de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce précité, applicables au présent litige, a, par sa décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022, visée ci-dessus, dit pour droit que ces dispositions ne méconnaissaient pas les principes constitutionnels de légalité et de nécessité des peines. En outre, la jurisprudence administrative retient que le pouvoir de l'autorité administrative de prononcer des sanctions s'exerce sous le contrôle du juge administratif dont l'office porte, notamment, sur le respect par cette autorité des principes constitutionnels ou conventionnels des droits de la défense, de légalité, de nécessité, de personnalité et de proportionnalité des sanctions, ainsi que sur l'existence éventuelle d'un détournement de pouvoir ou de procédure, sans, de ce fait, qu'il puisse être inféré de ce que la DIRECCTE ne constitue pas une autorité juridictionnelle soumise aux exigences d'indépendance et d'impartialité prévues au premier alinéa de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que cette autorité administrative serait de ce fait impartiale ou qu'aucun contrôle d'une éventuelle partialité de cette autorité ne pourrait pas être exercé.

5. En second lieu, il ressort des dispositions légales précitées que la loi a défini la nature des infractions en cause, les manquements qui les constituent et les conditions de leur constatation, et les sanctions qui assortissent ces manquements. La circonstance alléguée que certaines factures ont été retenues dans le périmètre des sanctions en cause, motif pris de leur règlement au-delà de l'expiration du délai prévu à compter de leur date d'émission, alors que des paiements étaient déjà intervenus en avance pour le même fournisseur, ou que les parties s'étaient entendues pour en différer le paiement à raison du règlement d'un litige, est sans incidence sur l'appréciation de la légalité des sanctions en cause par le juge, au regard des dispositions légales seules en cause.

6. Il résulte de ce qui précède que, les moyens soulevés étant dépourvus de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité de la SAS TD Synnex France.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée TD Synnex France et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Fait à Paris, le 13 décembre 2024.

Le président de la 9ème chambre,

S. CARRERE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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