Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 11 décembre 2024 n°24PA02896

11/12/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société KC 10 SNC a demandé au tribunal administratif de Melun :

1°) d'annuler la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) de Seine-et-Marne en date du 6 octobre 2023, publiée le 8 décembre 2023 au recueil des actes administratifs n° D77-08-12-2023 du département de la Seine-et-Marne en tant qu'elle a décidé de ne pas modifier les coefficients de localisation applicables aux parcelles nos 91, 104, 105, 114 et 125 de la section A de la commune de Villiers-en-Bières, maintenant ainsi un coefficient de 1 sur ces parcelles ;

2°) d'enjoindre à la CDVLLP de Seine-et-Marne de voter dans un délai de 3 mois à compter de la notification du jugement à intervenir, un coefficient de localisation de 0,7 sur les parcelles nos 91, 104, 105, 114 et 125 de la section A de la commune de Villiers-en-Bières, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2401499-3 du 2 mai 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2024, la société KC 10 SNC représentée par Me Schiano Gentiletti demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 2 mai 2024 ;

2°) d'annuler la délibération de la commission des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) de Seine-et-Marne par laquelle elle a décidé de ne pas notifier le coefficient de localisation de 1 applicable par défaut aux parcelles A91, 105, 104, 125 et 114 de la commune de Villiers en Bières, propriété de la requérante ;

3°) d'enjoindre à la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de Seine-et-Marne à voter dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente décision un coefficient de localisation de 0,7 sur les parcelles A91, 105, 104, 125 et 114 de la commune de Villiers en Bières sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 6 septembre 2024 la société KC 10 SNC, représentée par Me Schiano Gentiletti, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts telles qu'interprétées par le tribunal administratif de Melun dans son jugement précité du 2 mai 2024.

Elle soutient que :

- les dispositions en cause telles qu'interprétées par le tribunal administratif de Melun dans le jugement précité méconnaissent le principe du recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, car ces dispositions interprétées en ce sens qu'elles ouvrent à la CDVLLP une simple faculté de réexamen des coefficients de localisation sans que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, privent le contribuable de toute possibilité de contester la non actualisation de certains coefficients ; en outre, en l'absence de circonstances de droit ou de fait nouvelles, alors même que le coefficient initialement fixé peut être erroné depuis l'origine, le contribuable nouvellement installé dans une commune ne peut former de recours.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de cette demande de transmission.

Il soutient que la question ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique

n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes du II de l'article 1518 ter du code général des impôts : " Au cours des troisième et cinquième années qui suivent celle du renouvellement général des conseils municipaux, la commission départementale des valeurs locatives mentionnée à l'article 1650 B peut se réunir afin de modifier l'application des coefficients de localisation mentionnés au 2 du B du II de l'article 1498 après avis des commissions communales ou intercommunales des impôts directs respectivement mentionnées aux articles 1650 et 1650 A. Les décisions de la commission sont publiées et notifiées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et sont transmises à l'administration fiscale avant le 31 décembre de l'année précédant celle de leur prise en compte pour l'établissement des bases. "

5. Le tribunal administratif de Melun a jugé dans son jugement précité que : " Il est constant, d'une part, que les parcelles nos 91, 104, 105, 114 et 125 de la section A de la commune de Villiers-en-Bières, dont est propriétaire la société KC 10 SNC, ne s'étaient pas vu appliquer de coefficient de localisation par la délibération du 20 août 2015 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Seine-et-Marne n° 193 du 14 juin 2016, arrêtant les paramètres départementaux d'évaluation des valeurs locatives des locaux professionnels et, d'autre part, qu'elles ne figurent pas sur la liste des parcelles affectées d'un nouveau coefficient de localisation, arrêtée à l'issue de la réunion du 6 octobre 2023 au cours de laquelle ladite commission a mis à jour les paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels. Par conséquent, la délibération attaquée, en tant qu'elle ne modifie pas le coefficient de localisation applicable auxdites parcelles, est purement confirmative de la délibération du 20 août 2015, devenue définitive faute d'avoir été contestée dans un délai de deux mois suivant sa publication, et n'a pu rouvrir un nouveau délai de recours contre ladite délibération. Les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée sont donc irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées ".

6. Pour demander que soit transmise au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions précitées du II de l'article 1518 ter du code général des impôts telles qu'interprétées par les juges du tribunal administratif de Melun, la société KC 10 SNC soutient que cette interprétation de ces dispositions porte une atteinte substantielle au droit à un recours effectif qui résulte des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'elles privent un contribuable de toute possibilité de recours à l'encontre du coefficient de localisation qui lui a été appliqué lorsque la CDVLLP n'a pas modifié ce coefficient lors des mises à jour périodiques. Elle fait valoir que par une décision du 27 mars 2019 n° 427758, le Conseil d'Etat, saisi de la constitutionnalité des dispositions de l'article 1518 F du code général des impôts qui font obstacle à ce que des décisions relatives à la délimitation des secteurs d'évaluation et aux tarifs par mètre carré par catégorie de propriétés soient contestés par la voie d'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie, a écarté l'existence d'une atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif eu égard à la double possibilité de contestation de ces décisions soit par l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir à chaque mise à jour, soit par l'exercice de ce même recours contre le refus de modifier ces décisions, alors que l'interprétation qui a été donnée par le tribunal administratif de Melun des dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts relatives aux coefficients de localisation prive le contribuable de toute possibilité de contester la non actualisation de certains coefficients en considérant que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue pas une décision susceptible de recours.

7. Le système de mise à jour des valeurs locatives codifié par le législateur à l'article 1518 ter du code général des impôts présente un caractère obligatoire et un caractère facultatif. D'une part, tous les 6 ans, soit l'année qui suit le renouvellement des conseils municipaux, il est procédé à une actualisation de la délimitation des secteurs d'évaluation, de la fixation des tarifs, de la délimitation des parcelles auxquelles s'applique un coefficient de localisation. De plus, les tarifs font l'objet d'une mise à jour annuelle obligatoire destinée à tenir compte de l'évolution des loyers. D'autre part, les dispositions du II de l'article 1518 ter précitées prévoient la faculté pour la CDVLLP de modifier l'application des coefficients de localisation, après avis des commissions communales ou intercommunales, sa décision devant être transmise à l'administration fiscale avant le 31 décembre de l'année précédant celle de leur prise en compte pour l'établissement des bases.

8. Il résulte donc de ces dispositions que la CDVLLP n'étant pas tenue de procéder à la révision des coefficients de localisation, l'absence de mise en œuvre par la commission de la faculté qu'elle tient des dispositions précitées de l'article 1518 ter du code général des impôts de modifier ces coefficients ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il est toutefois loisible aux contribuables de former un recours pour excès de pouvoir, dans le délai de recours, d'une part, contre la décision portant attribution d'un coefficient de localisation, d'autre part, le cas échéant, contre les décisions modifiant ces coefficients de localisation, et enfin, s'ils estiment que les décisions en cause, qui ne sont pas réglementaires et ne créent pas de droits, sont devenues illégales en raison de changements dans des circonstances de droit ou de fait postérieurs à leur édiction, après avoir vainement saisi l'autorité compétente, de former un recours devant le juge de l'excès de pouvoir tendant à l'annulation du refus qui leur aurait été opposé de modifier ces décisions, en joignant si nécessaire à leur recours des conclusions à fin d'injonction.

9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions en litige telles qu'interprétées par le tribunal administratif de Melun ne portent pas une atteinte substantielle au principe de recours effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que les contribuables peuvent former un recours contre les décisions portant attribution d'un coefficient de localisation, contre le refus d'abroger une décision portant attribution d'un coefficient qui serait devenue illégale et contre les décisions portant modification de ce coefficient lorsque la commission a usé de la faculté qui lui est offerte au cours des 3ème et 5ème années qui suivent le renouvellement des conseils municipaux de modifier ces coefficients.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée par la société requérante est dépourvue de caractère sérieux. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres conditions exigées par les dispositions organiques précitées, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société KC 10 SNC.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société KC 10 SNC et au ministre chargé du budget et des comptes publics.

Fait à Paris, le 11 décembre 2024.

La présidente de la 2ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris,

Sylvie VIDAL

La République mande et ordonne au ministre chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC0