Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 11 décembre 2024 n° 24PA02938

11/12/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Aéroville a demandé au tribunal administratif de Montreuil :

1°) d'annuler la décision en date du 10 novembre 2023 de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) de la Seine-Saint-Denis en tant qu'elle a maintenu un coefficient de localisation de 0,85 applicable aux parcelles section BE 019, 021 et 028, situées sur le territoire de la commune de Tremblay-en-France ;

2°) d'enjoindre à la CDVLLP d'adopter un coefficient de localisation de 0,7 pour ces parcelles, dans un délai de 3 mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2401674-7, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2024, la SCI Aéroville représentée par la SCP Gury et Maitre, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 3 mai 2024 ;

2°) d'annuler la décision en date du 10 novembre 2023 de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) de la Seine-Saint-Denis en tant qu'elle a maintenu un coefficient de localisation de 0,85 applicable aux parcelles section BE 019, 021 et 028, situées sur le territoire de la commune de Tremblay-en-France ;

3°) d'enjoindre à la CDVLLP d'adopter un coefficient de localisation de 0,7 pour ces parcelles, dans un délai de 3 mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 9 septembre 2024 la SCI Aéroville, représentée par la SCP Gury et Maitre, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité suivante : " Les dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts interprétées en ce sens qu'elles ouvrent à la commission départementale des valeurs locatives une simple faculté de réexamen des coefficients de localisation mentionnés au 2 du B du II de l'article 1498 du même code, sans que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, porte-t-elle une atteinte substantielle au droit des contribuables concernés d'exercer un recours effectif devant une juridiction ' ".

Elle soutient que :

- les dispositions en cause sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas fait l'objet d'une déclaration antérieure de conformité ;

- la question est sérieuse car ces dispositions, dans leur interprétation donnée par le tribunal administratif de Montreuil, portent une atteinte substantielle au droit au recours effectif devant une juridiction tel qu'il ressort de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que par une décision du 27 mars 2019 n° 427758, le Conseil d'Etat a écarté l'existence d'une atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif eu égard à la double possibilité de contestation de ces décisions soit par l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir à chaque mise à jour, soit par l'exercice de ce même recours contre le refus de modifier ces décisions, alors que l'interprétation qui a été donnée par le tribunal administratif de Montreuil de ces dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts prive le contribuable de toute possibilité de contester la non actualisation de certains coefficients en considérant que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue pas une décision susceptible de recours ; en outre, en l'absence de circonstances de droit ou de fait nouvelles, alors même que le coefficient initialement fixé peut être erroné depuis l'origine, le contribuable nouvellement installé dans une commune ne peut former de recours.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de cette demande de transmission.

Il soutient que la question ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique

n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes du II de l'article 1518 ter du code général des impôts : " Au cours des troisième et cinquième années qui suivent celle du renouvellement général des conseils municipaux, la commission départementale des valeurs locatives mentionnée à l'article 1650 B peut se réunir afin de modifier l'application des coefficients de localisation mentionnés au 2 du B du II de l'article 1498 après avis des commissions communales ou intercommunales des impôts directs respectivement mentionnées aux articles 1650 et 1650 A. Les décisions de la commission sont publiées et notifiées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et sont transmises à l'administration fiscale avant le 31 décembre de l'année précédant celle de leur prise en compte pour l'établissement des bases. "

5. Le tribunal administratif de Montreuil a jugé dans son jugement précité que : " Il ressort des pièces du dossier que la décision par laquelle la CDVL de la Seine-Saint-Denis a arrêté la liste des coefficients de localisation des parcelles du département a été publiée au bulletin d'informations administratives de la préfecture de la Seine-Saint-Denis du 14 juin 2016, en sorte qu'à la date de l'introduction de sa requête, la société requérante était forclose à en demander l'annulation. Si les dispositions précitées de l'article 1518 F du code général des impôts n'ont pas pour effet de faire obstacle à ce qu'un administré forme un recours pour excès de pouvoir contre les décisions mettant en œuvre les dispositions précitées des I, III et IV de l'article 1518 ter relatives aux modalités d'actualisation des bases de calcul des valeurs locatives ou, le cas échéant, contre le refus de les mettre en œuvre, en revanche, l'abstention de la CDVL à faire usage de la faculté que lui offre le II de l'article 1518 ter du code général des impôts de réviser annuellement, selon la procédure y décrite, les coefficients de localisation, ne peut faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir. En tout état de cause, s'il est aussi loisible aux administrés, s'ils estiment que les décisions en cause, qui ne sont pas réglementaires et ne créent pas de droits, sont devenues illégales en raison de changements des circonstances de droit ou de fait postérieurs à leur édiction, après avoir vainement saisi l'autorité compétente, de former un recours devant le juge de l'excès de pouvoir tendant à l'annulation du refus qui leur aurait été opposé de modifier ces décisions, en joignant à leur recours, le cas échéant, des conclusions à fin d'injonction, la société requérante n'a pas suivi une telle procédure. Ainsi la société requérante, qui n'a formé devant l'administration aucune demande de modifier la décision de la CDVL de Seine-Saint-Denis publiée au bulletin d'informations administratives de la préfecture de la Seine-Saint-Denis du 17 juin 2015, qu'elle n'a par ailleurs pas attaquée dans les délais de recours contentieux, n'est pas recevable à contester la reconduction automatique, pour l'année 2024, des coefficients de localisation. "

6. Pour demander que soit transmise au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions précitées du II de l'article 1518 ter du code général des impôts telles qu'interprétées par les juges du tribunal administratif de Montreuil, la SCI Aéroville soutient que cette interprétation de ces dispositions porte une atteinte substantielle au droit à un recours effectif qui résulte des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'elles ouvrent à la CDVLLP une simple faculté de réexamen des coefficients de localisation sans que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Elle fait valoir que par une décision du 27 mars 2019 n° 427758, le Conseil d'Etat, saisi de la constitutionnalité des dispositions de l'article 1518 F du code général des impôts qui font obstacle à ce que des décisions relatives à la délimitation des secteurs d'évaluation et aux tarifs par mètre carré par catégorie de propriétés soient contestés par la voie d'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie, a écarté l'existence d'une atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif eu égard à la double possibilité de contestation de ces décisions soit par l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir à chaque mise à jour, soit par l'exercice de ce même recours contre le refus de modifier ces décisions, alors que l'interprétation qui a été donnée par le tribunal administratif de Montreuil des dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts relatives aux coefficients de localisation prive le contribuable de toute possibilité de contester la non actualisation de certains coefficients en considérant que la reconduction automatique des coefficients précédemment fixés ne constitue pas une décision susceptible de recours.

7. Le système de mise à jour des valeurs locatives codifié par le législateur à l'article 1518 ter du code général des impôts présente un caractère obligatoire et un caractère facultatif. D'une part, tous les 6 ans, soit l'année qui suit le renouvellement des conseils municipaux, il est procédé à une actualisation de la délimitation des secteurs d'évaluation, de la fixation des tarifs, de la délimitation des parcelles auxquelles s'applique un coefficient de localisation. De plus, les tarifs font l'objet d'une mise à jour annuelle obligatoire destinée à tenir compte de l'évolution des loyers. D'autre part, les dispositions du II de l'article 1518 ter précitées prévoient la faculté pour la CDVLLP de modifier l'application des coefficients de localisation, après avis des commissions communales ou intercommunales, sa décision devant être transmise à l'administration fiscale avant le 31 décembre de l'année précédant celle de leur prise en compte pour l'établissement des bases.

8. Il résulte donc de ces dispositions que la CDVLLP n'étant pas tenue de procéder à la révision des coefficients de localisation, l'absence de mise en œuvre par la commission de la faculté qu'elle tient des dispositions précitées de l'article 1518 ter du code général des impôts de modifier ces coefficients ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il est toutefois loisible aux contribuables de former un recours pour excès de pouvoir, dans le délai de recours, d'une part, contre la décision portant attribution d'un coefficient de localisation, d'autre part, le cas échéant, contre les décisions modifiant ces coefficients de localisation, et enfin, s'ils estiment que les décisions en cause, qui ne sont pas réglementaires et ne créent pas de droits, sont devenues illégales en raison de changements dans des circonstances de droit ou de fait postérieurs à leur édiction, après avoir vainement saisi l'autorité compétente, de former un recours devant le juge de l'excès de pouvoir tendant à l'annulation du refus qui leur aurait été opposé de modifier ces décisions, en joignant si nécessaire à leur recours des conclusions à fin d'injonction.

9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions en litige telles qu'interprétées par le tribunal administratif de Montreuil ne portent pas une atteinte substantielle au principe de recours effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que les contribuables peuvent former un recours contre les décisions portant attribution d'un coefficient de localisation, contre le refus d'abroger une décision portant attribution d'un coefficient qui serait devenue illégale et contre les décisions portant modification de ce coefficient lorsque la commission a usé de la faculté qui lui est offerte au cours des 3ème et 5ème années qui suivent le renouvellement des conseils municipaux de modifier ces coefficients.

10. Par voie de conséquence, la question soulevée par la société requérante est dépourvue de caractère sérieux. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres conditions exigées par les dispositions organiques précitées, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SCI Aéroville.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SCI Aéroville et au ministre chargé du budget et des comptes publics.

Fait à Paris, le 11 décembre 2024.

La présidente de la 2ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris,

Sylvie VIDAL

La République mande et ordonne au ministre chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC0

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