Renvoi
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 24 septembre 2024, Mme B A, représentée par Me Soublin, demande au tribunal, à l'appui de sa requête enregistrée sous le même numéro et tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2024 par laquelle le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen a rejeté sa demande tendant à bénéficier de l'assistance médicale à la procréation initiée avec son époux et notamment de l'implantation des embryons conservés dans cet établissement, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, au regard de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Elle soutient que :
- ces dispositions sont applicables au litige ;
- ces dispositions n'ont jamais fait l'objet d'une déclaration de constitutionnalité dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
- au demeurant, par un arrêt du 14 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme a porté une appréciation sur le respect par ces dispositions des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; dès lors, un changement de circonstances est caractérisé ;
- ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale garantis par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu'elles font obstacle à la réalisation du projet parental qu'elle avait construit avec son époux avant le décès de ce dernier.
Le mémoire portant question prioritaire de constitutionnalité a été communiqué au centre hospitalier universitaire de Caen, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B A et son époux s'étaient inscrits dans un parcours d'assistance médicale à la procréation au CHU de Caen. Une ponction a été réalisée en septembre 2022 dans cet établissement. Les trois embryons issus de cette ponction ont été conservés par le CHU de Caen. Par une lettre du 14 novembre 2023, cet établissement a demandé aux époux A s'ils entendaient poursuivre leur projet parental. Par un courrier du 20 novembre 2023, les époux A ont informé le CHU de Caen de leur volonté de conserver les embryons prélevés pour une durée supplémentaire d'un an. L'époux de la requérante est décédé le 10 décembre 2023. Mme A a demandé au CHU de Caen, par un courrier du 29 avril 2024, la poursuite du parcours de procréation médicalement assistée. Par ce même courrier, elle a demandé au CHU de Caen de saisir l'Agence de biomédecine afin que celle-ci autorise le transfert des embryons dans un pays tiers et leur conservation pour une durée supérieure à un an. Par un courrier du 10 juin 2024, le CHU de Caen a rejeté la demande de procréation médicalement assistée sur le fondement du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, a invité Mme A à se rapprocher de ses services afin de compléter le dossier de demande de transfert et a fait droit à sa demande de conservation des embryons jusqu'à l'épuisement des voies de recours qui lui sont ouvertes. Par un mémoire, enregistré le 24 septembre 2024, la requérante demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, au regard de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu des dispositions de l'article R. 771-7 du code de justice administrative, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.
3. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article L. 2141-10. / Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs. / Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. / Lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : / 1° Le décès d'un des membres du couple ; (...) ".
4. En premier lieu, par une requête n° 2401738 enregistrée le 4 juillet 2024, Mme B A demande au tribunal d'annuler la décision du 10 juin 2024 par laquelle le CHU de Caen a rejeté sa demande de procréation médicalement assistée sur le fondement des dispositions précitées, l'a invitée à se rapprocher de ses services afin de compléter le dossier de demande de transfert et a fait droit à sa demande de conservation des embryons jusqu'à l'épuisement des voies de recours qui lui sont ouvertes. Par suite, les dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique sont applicables au litige.
5. En deuxième lieu, si, par une décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité des dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé avec la Constitution, il résulte tant des motifs que du dispositif de cette décision que cette déclaration de conformité ne porte que sur la deuxième phrase du premier alinéa des dispositions législatives contestées. Ainsi, et alors que Mme A conteste la constitutionnalité des dispositions du 1° du quatrième alinéa de cet article, les dispositions litigieuses ne peuvent pas être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. En troisième lieu, Mme A soutient que l'interdiction de poursuivre une procédure d'assistance médicale à la procréation, après le décès de l'un des membres du couple, méconnaît le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale tels que garantis par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle fait valoir que l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, s'il garantit le droit d'avoir recours à une assistance médicale à la procréation, comporte au 1° de son quatrième alinéa des dispositions qui interdisent le recours à cette procédure à titre posthume et font ainsi obstacle à la concrétisation du projet parental construit avec son époux, aujourd'hui décédé. Ce moyen soulève une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par Mme A.
O R D O N N E :
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique est transmise au Conseil d'Etat.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Mme A jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et au centre hospitalier universitaire de Caen.
Fait à Caen, le 8 novembre 2024.
Le président de la 1ère chambre,
Signé
F. CHEYLAN
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
la greffière,
C. Bénis
Code publication