Conseil d'Etat

Décision du 16 octobre 2024 n°494263

16/10/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 15 mai et les 3 et 16 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B A et l'Association de chirurgie en soins externes demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande d'abrogation du 2° de l'article R. 6122-5 du code de la santé publique ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger l'article R. 6122-5 du code de la santé publique en tant qu'il soumet à l'autorisation prévue à l'article L. 6122-1 du même code toute activité de " petite chirurgie ", notamment les opérations de la cataracte et la chirurgie réfractive, dans le délai de trois mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique : " Sont soumis à l'autorisation de l'agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation ou d'hospitalisation à domicile, et l'installation des équipements matériels lourds. / La liste des activités de soins et des équipements matériels lourds soumis à autorisation est fixée par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 6122-3 du même code : " L'autorisation ne peut être accordée qu'à : / 1° Un ou plusieurs médecins, éventuellement associés pour leur exercice professionnel ou pour la mise en commun de moyens nécessaires à cet exercice ; / 2° Un établissement de santé ; / 3° Une personne morale dont l'objet porte, notamment, sur l'exploitation d'un établissement de santé, d'une activité de soins () ". Aux termes de l'article R. 6122-25 de ce code : " Sont soumises à l'autorisation prévue à l'article L. 6122-1 les activités de soins, y compris lorsqu'elles sont exercées sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation, énumérées ci-après : / 1° Médecine ; / 2° Chirurgie ; () ". Enfin, aux termes de l'article R. 6121-4 du même code : " Les alternatives à l'hospitalisation mentionnées à l'article L. 6121-2 ont pour objet d'éviter une hospitalisation à temps complet ou d'en diminuer la durée. Les prestations ainsi dispensées se distinguent de celles qui sont délivrées lors de consultations ou de visites à domicile. / Ces alternatives comprennent les activités de soins dispensées par : () / 2° Les structures pratiquant l'anesthésie ou la chirurgie ambulatoires. / () Dans les structures pratiquant l'anesthésie ou la chirurgie ambulatoires sont mis en œuvre, dans des conditions qui autorisent le patient à rejoindre sa résidence le jour même, des actes médicaux ou chirurgicaux nécessitant une anesthésie ou le recours à un secteur opératoire ".

2. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu soumettre à autorisation non seulement la création des établissements de santé et l'installation de certains équipements matériels lourds, définis par l'article L. 6122-14 du même code, mais aussi la création, la conversion et le regroupement des activités de soins ayant vocation, compte tenu des moyens qu'elles nécessitent, à faire l'objet d'une prise en charge hospitalière, y compris lorsqu'elles sont exercées sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation ou d'hospitalisation à domicile, pour favoriser une meilleure réponse aux besoins de santé de la population et veiller à la qualité et à la sécurité des soins offerts. Sont ainsi soumis à autorisation les actes chirurgicaux qui, se distinguant des prestations délivrées lors de consultations ou de visites à domicile, nécessitent une anesthésie au sens de l'article D. 6124-91 du code de la santé publique ou le recours à un secteur opératoire, lequel doit être conforme à des caractéristiques fixées par arrêté du ministre chargé de la santé en vertu de l'article D. 6124-302 du même code, prévoyant notamment une zone opératoire protégée propre à garantir la réduction maximale des risques de nature infectieuse.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. M. A et l'Association de chirurgie en soins externes soutiennent que l'article L. 6122-1 du code de la santé publique, qui est applicable au litige et n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution, porte une atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre et est entaché d'incompétence négative dans des conditions affectant cette liberté.

5. Toutefois, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé, par sa décision n° 423313 du 22 juillet 2020, rendue dans un précédent litige opposant les mêmes parties, peu important à cet égard la situation qui était la leur dans cette instance et, en particulier, la circonstance que l'association requérante ait alors été présente comme intervenante, que le juge du fond, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité des mêmes dispositions législatives aux mêmes dispositions constitutionnelles, avait exactement qualifié la question qui lui était soumise en la jugeant dépourvue de caractère sérieux. Ni la décision n° 455074 du 29 décembre 2023 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux jugeant qu'en l'état des données acquises de la science et des techniques utilisées, les interventions de chirurgie réfractive réalisées directement sur la cornée par le recours à des techniques de laser ne relevaient pas des activités de chirurgie soumises à autorisation en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique, ni l'évolution des données de la science et des techniques habituellement utilisées s'agissant des interventions de chirurgie de la cataracte ne constituent, contrairement à ce que soutiennent les requérants, des circonstances nouvelles de nature à remettre en cause l'identité d'objet et de cause entre ces deux questions prioritaires de constitutionnalité.

6. Dès lors, la ministre du travail, de la santé et des solidarités est fondée à opposer à la nouvelle question mettant en cause la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique l'autorité qui s'attache à la chose précédemment jugée par le Conseil d'Etat. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionalité invoquée et le moyen tiré de ce que l'article L. 6122-1 du code de la santé publique méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens :

7. Conformément à ce qui a été dit au point 2 et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le 2° de l'article R. 6122-25 du code de la santé publique n'a pas pour effet de soumettre à l'autorisation prévue à l'article L. 6122-1 du même code la pratique de la totalité des actes chirurgicaux, parmi lesquels ceux de chirurgie de la cataracte, mais seulement de ceux qui, se distinguant des prestations délivrées lors de consultations ou de visites à domicile, nécessitent, en l'état des données acquises de la science et des techniques utilisées, le recours à un secteur opératoire et à une anesthésie justifiant l'application des dispositions de l'article D. 6124-91 du code de la santé publique.

8. Au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis par l'autorisation en cause, dont le but est, comme il a été dit au point 2, de favoriser une meilleure réponse aux besoins de santé de la population et de veiller à la qualité et à la sécurité des soins offerts, la disposition réglementaire dont l'abrogation est demandée ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Par suite, M. A et l'Association de chirurgie en soins externes ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande d'abrogation du 2° de l'article R. 6122-25 du code de la santé publique.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A et l'Association de chirurgie en soins externes.

Article 2 : La requête de M. A et de l'Association de chirurgie en soins externes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B A, premier dénommé, pour les deux requérants, et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.

Rendu le 16 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Nejma Benmalek

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly

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