Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 15 octobre 2024 n°24PA03219

15/10/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016 et 2017.

Par un jugement nos 2204889/1-3, 2204890/1-3 du 13 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de M. B.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 juillet 2024, M. B, représenté par Me Planchat, demande l'annulation de ce jugement du tribunal administratif de Paris et la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016 et 2017.

Par un mémoire distinct, enregistré le 18 juillet 2024, M. B, représenté par Me Planchat, demande à la Cour, à l'appui des conclusions de sa requête par laquelle il relève appel du jugement nos 2204889/1-3, 2204890/1-3 du 13 juin 2024 du tribunal administratif de Paris de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat relative à la conformité de l'article 109-1-1° du code général des impôts au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que le dirigeant d'une société qui se désigne lui-même comme bénéficiaire des revenus distribués est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société dont il est le dirigeant, la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers étant sans incidence à cet égard.

Il soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- ces dispositions n'ont pas été déjà déclarées conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

- la question présente un caractère sérieux car l'instauration d'une présomption irréfragable porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques faute pour le contribuable de pouvoir la combattre.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce que la Cour ne transmette pas au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Il soutient que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'a pas lieu d'être transmise, dès lors qu'elle est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Enfin, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital () ". Et aux termes de l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution (...). ". Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat telle qu'elle ressort notamment d'une décision du 6 décembre 2006 n° 255492 Messali, " lorsqu'une société est invitée en application de l'article 117 du code général des impôts à désigner les bénéficiaires des bénéfices réputés distribués et que son gérant s'est lui-même désigné, en sa qualité de dirigeant, comme le bénéficiaire, le gérant doit être regardé comme ayant appréhendé les bénéfices réputés distribués, la preuve contraire lui incombant. En revanche, il appartient à l'administration de justifier de l'existence et du montant des bénéfices réintégrés dans les bases de l'impôt sur les sociétés à l'origine de cette distribution lorsque le bénéficiaire désigné a refusé les redressements. "

5. L'administration fiscale a assujetti M. B qui est co-gérant de la SARL Auteuil Market qui exploite une supérette sous l'enseigne G 20, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales au titre des années 2016 à 2017 à raison de revenus distribués au sens des dispositions de l'article 111 c du code général des impôts correspondant à des avantages occultes qui lui auraient été procurés par la SARL Auteuil Market. L'administration a sollicité une substitution de base légale tendant à ce que les rectifications litigieuses soient fondées sur les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, demande à laquelle le jugement a fait droit.

6. M. B soutient que les dispositions de l'article 109-1-1° du code général des impôts telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'Etat sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que le dirigeant d'une société qui se désigne lui-même comme bénéficiaire des revenus distribués est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société dont il est le dirigeant, la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers étant sans incidence à cet égard.

7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. Si, en application de ce qui a été dit au point 4., le contribuable qui s'est désigné bénéficiaire des revenus réputés distribués par une société doit être présumé ayant appréhendé ces revenus, cette présomption d'appréhension, contrairement à ce qui est soutenu, est simple, l'intéressé pouvant toujours la combattre en établissant qu'il n'a pas effectivement appréhendé les revenus en cause. Dans ces conditions, l'article 109-1-1° du code général des impôts, tel qu'il est interprété par la jurisprudence du Conseil d'Etat, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant l'impôt. Par suite, cette question prioritaire de constitutionnalité ne revêt pas un caractère sérieux.

9. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B ne satisfait pas à la condition, fixée par les dispositions du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, selon laquelle la disposition contestée n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Fait à Paris, le 15 octobre 2024.

La présidente de la 2ème chambre,

Sylvie VIDAL

La République mande et ordonne au ministre l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC0

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