Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
A l'appui de sa demande tendant à ce que le tribunal administratif de Montreuil prononce la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie, en qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, au titre de l'exercice clos en 2012, la société par actions simplifiée (SAS) April a produit deux mémoires, enregistrés les 20 décembre 2023 et 2 février 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2202879 du 11 juillet 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montreuil, avant qu'il soit statué sur la demande de la société April, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales dans leur rédaction issue de la loi du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans trois mémoires, enregistrés les 5, 9 et 13 août au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société April soutient que ces dispositions, applicables au litige, sont entachées d'incompétence négative et portent en conséquence atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le livre des procédures fiscales, notamment son article L.192 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 septembre 2024, présentée par la société April ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69. " En adoptant le premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, éclairé, au demeurant, par les travaux préparatoires auxquels celui-ci a donné lieu, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve des cas prévus aux autres alinéas du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission.
3. La société April soutient qu'en adoptant le premier alinéa l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans l'interprétation constante, rappelée au point 2, qu'en donne le Conseil d'Etat, le législateur aurait omis de fixer, en dehors des hypothèses visées par cette disposition, les règles générales de preuve en matière de détermination de l'assiette de l'impôt et n'aurait par suite pas épuisé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution. Il en résulterait selon elle une atteinte au droit des contribuables de former un recours effectif devant une juridiction, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
4. Toutefois, s'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence ne peut être utilement soulevé qu'à l'encontre des dispositions dont la conformité à la constitution est mise en cause et à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, qui font seules l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, règlent complètement la question de la charge de la preuve dans les hypothèses qu'elles visent.
5. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a ainsi pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société April.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée April, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Montreuil.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, M. Jean-Marc Vié, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 8 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
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