Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A E a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mars 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours devant la commission des recours militaires tendant à l'annulation de la décision d'interruption du versement de sa solde à compter d'octobre 2020, au rétablissement de sa solde et au versement de sa solde pour les mois d'octobre et novembre 2020, ainsi que de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision. Par un jugement n° 210910 du 15 décembre 2022, le tribunal a annulé la décision attaquée et enjoint au ministre de réexaminer la situation de l'intéressé.
Par un arrêt n° 23PA00679 du 14 février 2024, la cour administrative d'appel de Paris annulé ce jugement et rejeté la demande et les conclusions d'appel de M. F.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 15 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de M. E ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. F, officier supérieur affecté à un poste permanent au sein du commandement interarmées de l'OTAN à Naples depuis le 22 juillet 2019, a été arrêté le 17 août 2020 par les autorités italiennes et remis à la justice française. Par une ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris du 21 août 2020, M. E a été mis en examen, au motif qu'il existait des indices graves et concordants laissant penser qu'il avait commis l'infraction d'intelligence avec une puissance étrangère, et placé en détention provisoire. Le 18 décembre 2020, M. E a saisi la commission des recours militaires d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des armées a refusé de lui verser sa rémunération à compter du mois d'octobre 2020. Par une décision du 16 mars 2021, la ministre des armées a rejeté ce recours. M. E a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette décision et de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision. Par un jugement du 15 décembre 2022, le tribunal a annulé la décision attaquée et enjoint au ministre de réexaminer la situation de l'intéressé. Par un arrêt du 14 février 2024, contre lequel M. E se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris annulé ce jugement et rejeté la demande et les conclusions d'appel de M. E.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. En posant une question prioritaire de constitutionnalité sur une disposition législative, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition
3. Aux termes de l'article L. 4137-5 du code de la défense : " En cas de faute grave commise par un militaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, celui-ci peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline ou le conseil d'enquête. / Le militaire suspendu demeure en position d'activité. Il conserve sa solde, l'indemnité de résidence et le supplément familial de solde. / La situation du militaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé est rétabli dans ses fonctions, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales. / Lorsque le militaire fait l'objet de poursuites pénales, il est rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai à condition que les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service n'y fassent pas obstacle. / Le magistrat et le procureur de la République sont informés des mesures prises à l'égard du militaire. / Lorsqu'il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement, par l'autorité investie du pouvoir de mutation et sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi différent. / Cette affectation ou ce détachement provisoire prend fin lorsque la situation de l'intéressé est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. / Lorsque le militaire, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, le ministre de la défense peut déterminer la quotité de la retenue qu'il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de sa solde augmentée de l'indemnité de résidence et du supplément familial de solde. / Si le militaire n'a subi aucune sanction disciplinaire, il a le droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération. Toutefois, en cas de poursuites pénales, ce droit n'est définitivement arrêté que lorsque la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive ". Le requérant soutient que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi et au droit à un recours effectif en ce qu'elles ne précisent pas les critères permettant à l'autorité administrative d'en faire usage lorsque le militaire est incarcéré.
4. La décision litigieuse, par laquelle le ministre des armées a refusé de lui verser sa rémunération, est fondée sur la circonstance que M. E est dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions du fait de son incarcération. Si, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat statuant au contentieux, l'administration peut faire application des dispositions citées au point précédent en prononçant la suspension d'un militaire incarcéré, qui conserve alors les droits à rémunération attachés à la suspension, cette faculté ne résulte pas de ces dispositions. Par suite, la question de la conformité à la Constitution de ces dispositions est sans incidence sur l'appréciation de la légalité de la décision litigieuse. Les dispositions de l'article L. 4137-5 du code de la défense ne sont donc pas applicables au présent litige. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
Sur le pourvoi en cassation :
5. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
6. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, M. E soutient que la cour administrative d'appel de Paris :
- l'a entaché de contradiction de motifs en retenant que le tribunal administratif de Paris avait pu ne pas tenir compte de l'avis de la commission des recours militaires, produit par le ministre postérieurement à la clôture de l'instruction en première instance, tout en jugeant que le ministre était fondé à soutenir que c'était à tort que le tribunal avait accueilli le moyen tiré de l'absence d'avis émis par la commission des recours militaires préalablement à l'édiction de la décision litigieuse ;
- a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'annexe 1 du décret du 10 janvier 1912 relatives à la rémunération des officiers détenus à titre préventif avaient été implicitement abrogées par les dispositions législatives postérieures relatives à la rémunération des militaires ;
- a commis une erreur de droit en jugeant qu'il n'était pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 4137-5 du code de la défense ont été méconnues alors que ces dispositions sont contraires à la Constitution.
7. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. E.
Article 2 : Le pourvoi de M. E n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A E et au ministre des armées et des anciens combattants.
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