Non lieu à statuer
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 juillet 2024 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 480 du 26 juin 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution et selon les modalités fixées par la dernière phrase du premier alinéa de l’article 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Bertrand L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1104 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l’ordre.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- l’ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l’ordre ;
- la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées ;
- le décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002 relatif à la discipline des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées les 5, 10 et 19 juillet 2024 ;
- les observations présentées pour l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 22 juillet 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées par le requérant, enregistrées les 23 juillet, 2 et 5 août 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 17 septembre 2024 ;
Au vu des notes en délibéré présentées par le requérant, enregistrées les 17, 18, 19, 20 et 21 septembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 mentionnée ci‑dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 28 mars 2011 mentionnée ci-dessus.
2. Le deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, dans cette rédaction, prévoit :
"Les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l’encontre d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l’ordre, devant le Conseil d’État, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l’ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas".
Sur les conclusions aux fins d’irrecevabilité :
3. L’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation soutient que la question prioritaire de constitutionnalité serait irrecevable faute d’avoir été présentée, devant la Cour de cassation, par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
4. Toutefois, la question prioritaire de constitutionnalité ayant été transmise par la Cour de cassation selon les modalités fixées par la dernière phrase du premier alinéa de l’article 23‑7 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, ces conclusions doivent être rejetées.
Sur les dispositions renvoyées :
5. Le requérant reproche aux dispositions renvoyées de subordonner les actions en responsabilité civile professionnelle engagées contre un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation à l’avis préalable du conseil de l’ordre et d’instituer un privilège de juridiction pour ces actions devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance du "droit de libre accès à la justice", du droit à un procès équitable, du droit à un recours effectif consacré par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du "principe de dualité des juridictions figurant au nombre des principes fondamentaux reconnu par les lois de la République". Il ajoute que, en l’absence de codification des "dispositions monarchiques" de l’ordonnance du 10 septembre 1817, le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi serait également méconnu.
6. Aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : "Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé". Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative.
7. Les dispositions du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 sont issues du décret du 11 janvier 2002 mentionné ci‑dessus. Elles ne revêtent donc pas le caractère d’une disposition législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution.
8. Par suite, il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution.
9. Par ailleurs, les demandes du requérant tendant notamment à faire procéder à divers signalements, auditions et constatations n’entrent dans aucune des attributions du Conseil constitutionnel. Elles ne peuvent dès lors qu’être rejetées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Il n’y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l’ordre, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011‑331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées.
Article 2. – Les demandes de M. Bertrand L. sont, pour le surplus, rejetées.
Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 26 septembre 2024.