Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 12 septembre 2024 n° 2325633

12/09/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 3 mai 2024, M. C, représenté par l'AARPI Publica Avocats, demande au tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, des dispositions de l'article 33 de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative la croissance et la transformation des entreprises, puis dans celle issue de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.

Il soutient que :

- les dispositions contestées ont valeur législative ;

- ces dispositions sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conforme à la Constitution ;

- le moyen revêt un caractère sérieux, dès lors qu'une interprétation littérale de l'article 33 de l'ordonnance, qui exclut les présidents des comités départementaux de Mayotte et de Guyane des membres de droit du Conseil national de l'ordre des experts-comptables (CNOEC) méconnaît le principe d'égalité garanti par la Constitution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

Il fait valoir que les dispositions litigieuses ont déjà fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel et que la question est pas dépourvue de tout caractère sérieux.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 juin 2024, le syndicat des experts comptables de France, représenté par l'AARPI Publica Avocats demande au tribunal, au soutien de la requête, de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, des dispositions de l'article 33 de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, et s'associe aux moyens invoqués par le requérant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, conclut à ce que l'intervention présentée par le syndicat ECF soit déclarée irrecevable.

Il fait valoir que l'intervention volontaire du syndicat des experts comptables de France est irrecevable, faute d'intérêt à agir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, son préambule et notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative la croissance et la transformation des entreprises ;

- loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante ;

- l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. Ramia, président du comité départemental de l'ordre des experts comptables (CDOEC) de Mayotte a, par courrier du 25 mai 2023, demandé au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de compléter la composition du Conseil national de l'ordre des experts-comptables (CNOEC) pour y intégrer, en qualité de présidents de conseils régionaux, les présidents des comités départementaux de Guyane et de Mayotte. Par un courrier du 20 septembre 2023, cette demande a été rejetée au motif que l'article 33 de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables, qui fixe la composition du CNOEC, donne aux seuls présidents des conseils régionaux la qualité de membres de droit. A l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 20 septembre 2023, M. Ramia demande au tribunal que soit transmise au Conseil d'Etat aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article 33 mentionnées ci-dessus.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

Sur l'intervention du syndicat des experts comptables de France :

4. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, le syndicat des experts comptables doit être regardé, en l'état du dossier, comme justifiant, eu égard à son objet social qui regarde la défense des intérêts professionnels, d'un intérêt distinct de celui de M. A comme de celui de son président, M. B, lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête de M. A. Dès lors, son intervention au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A à l'appui de cette requête, présentée par un mémoire distinct, doit être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.

Sur les dispositions en litige :

5. L'article 33 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, dans sa rédaction litigieuse issue de l'article 115 de la loi n°95-116 du 4 février 1995 et de l'article 33 de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, prévoit que : " Le conseil national de l'ordre est composé des présidents des conseils régionaux et de membres élus au scrutin secret de liste () ".

Sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :

6. Pour contester la constitutionnalité des dispositions précitées, le requérant soutient qu'une interprétation littérale de ces dispositions, qui ne permet pas aux présidents des comités départementaux de Mayotte et de Guyane d'être membres de droit du CNOEC, méconnaît le principe constitutionnel d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. A l'appui de ce moyen, il relève que contrairement aux autres experts-comptables, ceux relevant des comités départementaux de Guyane et de Mayotte ne sont pas représentés par un membre de droit au sein du CNOEC.

7. D'une part, aux termes de l'article 1er de la Constitution, " la République et les peuples des territoires d'outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution instituent une Communauté. La Communauté est fondée sur l'égalité et la solidarité des peuples qui la composent ". D'autre part, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si, en règle générale, le principe d'égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

8. Aux termes de l'article 37 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, " En Guyane et à Mayotte, les attributions dévolues aux conseils régionaux de l'ordre sont exercées par un comité départemental composé : a) D'un président, élu tous les deux ans, au scrutin secret, par l'ensemble des membres élus du comité ; b) D'un fonctionnaire désigné par le ministre chargé de l'économie ; c) De membres de l'ordre, élus pour quatre ans dans les conditions fixées par l'ordonnance du 19 septembre 1945 susvisée et du chapitre Ier du titre Ier du présent décret à raison d'un représentant pour dix membres de l'ordre inscrits au tableau, avec un minimum de deux représentants ". Il résulte de ces dispositions que les experts-comptables des territoires de Mayotte et de Guyane sont, à la différence de leurs homologues des autres territoires d'outre-mer et de métropole, administrés exclusivement par des comités départementaux, qui exercent les attributions dévolues aux conseils régionaux de l'ordre, à l'exception des compétences disciplinaires en application de l'article 31 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 mentionnée ci-dessus.

9. Les dispositions contestées ont pour objet de confier la direction de l'ordre professionnel des experts-comptables à un conseil national composé de membres élus par les experts-comptables et des seize présidents de conseils régionaux, eux-mêmes élus par les experts-comptables inscrits dans la circonscription régionale. Si elles excluent que les présidents des comités départementaux de Guyane et Mayotte siègent de droit au CNOEC, il ressort des dispositions citées au point précédent que ces comités n'exercent pas la plénitude des attributions des conseils régionaux. Il est par ailleurs constant qu'ils administrent un plus faible nombre d'experts-comptables que les conseils régionaux et participent de la reconnaissance d'une autonomie particulière aux territoires de Guyane et de Mayotte. Si les dispositions contestées conduisent ainsi à ce que les experts-comptables mahorais et guyanais ne soient représentés au sein du CNOEC qu'à travers des membres élus, contrairement aux autres experts-comptables, il n'en résulte pas qu'elles institueraient, par elles-mêmes et de ce seul fait, une différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation entre ces deux catégories d'experts-comptables et en rapport direct avec l'objet de la loi.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée est dépourvue de sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat en vue de son renvoi au Conseil constitutionnel.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Ramia.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C, au syndicat des experts comptables de France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Paris, le 12 septembre 2024.

La présidente de la 6ème section

K. Weidenfeld

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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