Renvoi
N° H 24-90.009 F-D
N° 01196
11 SEPTEMBRE 2024
ODVS
QPC PRINCIPALE : RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 SEPTEMBRE 2024
L'association [1], partie civile, a présenté, par mémoire spécial reçu le 18 juin 2024, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion de l'appel formé par elle contre l'arrêt de la cour d'assises de Paris, en date du 7 juin 2024, qui a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.
Sur le rapport de Mme Diop-Simon, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Diop-Simon, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'article 2-6 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur depuis le 12 mai 2024, qui énumère exhaustivement les infractions au titre desquelles toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations fondées sur le sexe, sur les moeurs, sur l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, est-il conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment :
1°/ au droit au recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, en ce que cette disposition législative ne prévoit pas la possibilité, pour une telle association, d'agir devant le juge pénal aux cotes de la victime lorsque les infractions poursuivies sont (i) la séquestration réprimée aux articles 224-1 à 224-5-2 du code pénal, (ii) le vol réprimé aux articles 311-1 à 311-13 du code pénal ou (iii) l'extorsion réprimée aux articles 312-1 à 312-12 du code pénal, commises en raison du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre ou des moeurs de ladite victime ;
2°/ au principe d'égalité des justiciables devant la justice pénale, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, en ce que cette disposition législative interdit, (i) en matière de séquestration, l'exercice de l'action civile devant le juge pénal des associations combattant statutairement les discriminations fondées sur le sexe, sur les moeurs, sur l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, y compris lorsque la séquestration a été commise pour l'un de ces motifs discriminatoires, quand, par ailleurs, l'article 2-2 du code de procédure pénale ouvre une telle action civile aux associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles, contre le harcèlement sexuel ou contre les violences exercées sur un membre de la famille; (ii) en matière de vol, l'exercice de l'action civile devant le juge pénal des associations combattant statutairement les discriminations fondées sur le sexe, sur les moeurs, sur l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, y compris lorsque le vol a été commis pour l'un de ces motifs discriminatoires, quand, par ailleurs, l'article 2-17 du code de procédure pénale ouvre une telle action civile aux associations dont l'objet statutaire comporte la défense des droits et libertés individuels et collectifs ; (iii) en matière d'extorsion, l'exercice de l'action civile devant le juge pénal des associations combattant statutairement les discriminations fondées sur le sexe, sur les moeurs, sur l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, y compris lorsque l'extorsion a été commise pour l'un de ces motifs discriminatoires, quand, par ailleurs, les articles 2-8 et 2-17 du code de procédure pénale ouvre une telle action civile aux associations dont l'objet statutaire comporte respectivement la défense des personnes malades, handicapées ou âgées et la défense des droits et libertés individuels et collectifs ? ».
2. La disposition législative contestée, dans sa version issue de la loi n° 2024-420 du 10 mai 2024, est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
4. La question posée n'est pas dénuée de caractère sérieux en ce que la disposition critiquée est susceptible de porter atteinte au principe d'égalité.
5. D'une part, ce texte permet aux associations qui visent à combattre les discriminations en raison de l'orientation sexuelle d'exercer les droits reconnus aux personnes victimes de violences commises pour ce motif, mais les prive de la possibilité d'une telle action lorsque les personnes sont victimes de séquestration, de vol ou d'extorsion, sans que cette différence de traitement paraisse justifiée par la règle qui l'établit.
6. D'autre part, le même article ne permet pas à ces associations d'exercer les droits reconnus aux personnes victimes de séquestration, de vol et d'extorsion, alors que les associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles, le harcèlement sexuel ou les violences exercées sur un membre de la famille peuvent agir en cas de séquestration, sur le fondement de l'article 2-2 du code de procédure pénale. Par ailleurs, les associations de défense des droits et libertés individuels et collectifs peuvent agir, sur le fondement de l'article 2-17 du même code, au profit des victimes de vol et d'extorsion. Enfin, les associations ayant pour objet statutaire la défense des personnes malades, handicapées ou âgées peuvent agir en cas d'extorsion, sur le fondement de l'article 2-8 du même code. Il n'apparaît pas que les différences ainsi faites par la loi entre le degré de protection accordé à différentes catégories de victimes et entre le champ d'intervention de différentes catégories d'association soient en rapport direct avec l'objet des lois qui les ont établies.
7. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du onze septembre deux mille vingt-quatre.
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