Tribunal administratif de Marseille

Ordonnance du 10 septembre 2024 n° 2302114

10/09/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 7 mars et 2 mai 2023 en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1167 du 7 novembre 1958, la société civile immobilière (SCI) Beau Site, représentée par Me Philip, avocat, demande au tribunal administratif de Marseille, à l'appui de sa requête tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2022, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts, dans leurs versions en vigueur issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019.

Elle soutient que les dispositions combinées des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts, dans leur version en vigueur issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, méconnaissent les articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 garantissant le principe d'égalité devant les charges publiques et le droit de propriété, dès lors qu'elles induisent, pour le contribuable propriétaire de bien immobilier, un impôt confiscatoire.

Par des mémoires en défense enregistrés le 13 avril 2023 et le 24 mai 2023, la directrice régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, en faisant valoir que la question posée ne présente pas de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- la loi n° 89-642 du 6 juillet 1989 ;

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative, notamment ses articles R. 771-5 et R. 771-7.

Considérant ce qui suit :

1. Par réclamation du 10 octobre 2022, la SCI Beau Site a contesté la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2022 à raison d'un bien immobilier dont elle est propriétaire sis 4 traverse Beau Site à Marseille (13011). Après rejet de sa réclamation le 3 janvier 2023, la société a saisi le 3 mars 2023 le tribunal administratif de Marseille d'une requête aux fins de décharge de ladite taxe. Le 7 mars 2023, la requérante saisit le tribunal d'une demande de transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts, dans leur version en vigueur issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ".

3. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance susvisée du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté par un écrit distinct et motivé. () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". L'article 23-3 de cette ordonnance dispose que : " Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. () ". Enfin, aux termes de l'article R. 771-6 du code de justice administrative : " La juridiction n'est pas tenue de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d'absence de transmission pour cette raison, elle diffère sa décision sur le fond, jusqu'à ce qu'elle soit informée de la décision du Conseil d'Etat ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel ".

4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. La requérante fait valoir que les dispositions combinées des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts, dans leur version en vigueur issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, méconnaissent les articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 garantissant le principe d'égalité devant les charges publiques et le droit de propriété.

6. D'une part, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Aux termes de l'article 17 du même texte : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ".

7. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

8. En outre, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

9. Enfin, en l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il résulte néanmoins de l'article 2 de la même Déclaration que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

10. D'autre part, aux termes de l'article 1636 B sexies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 : " II. - 1. Sous réserve des dispositions des articles 1636 B septies et 1636 B decies les conseils municipaux et les instances délibérantes des organismes de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre votent chaque année les taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meubles non affectés à l'habitation principale et de la cotisation foncière des entreprises () ". Aux termes de l'article 1636 B septies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la même loi : " I. - Les taux des taxes foncières et de la taxe d'habitation votés par une commune ne peuvent excéder deux fois et demie le taux moyen constaté l'année précédente pour la même taxe dans l'ensemble des communes du département ou deux fois et demie le taux moyen constaté au niveau national s'il est plus élevé. () ".

11. La société requérante soutient que ces dispositions, qui permettent aux communes et intercommunalités de modifier le taux d'imposition de la taxe foncière annuelle, instaurent un mécanisme d'impôt confiscatoire au préjudice des contribuables propriétaires, dès lors que la réglementation des loyers interdit à ces propriétaires de répercuter ces hausses, les dispositions combinées des articles 17-1 et 17-2 de la loi du 6 juillet 1989 prévoyant à cet égard que les baux contenant des clauses de révision du prix du loyer empêchent les propriétaires de faire évoluer à la hausse le prix des loyers au-delà de l'évolution des prix à la consommation au cours des douze derniers mois.

12. En premier lieu, les dispositions précitées instaurent la possibilité pour les communes et intercommunalités d'augmenter chaque année les taux de taxe foncière sur les propriétés bâties, dans la limite de deux fois et demie le taux moyen constaté l'année précédente pour la même taxe dans l'ensemble des communes du département, ou deux fois et demie le taux moyen constaté au niveau national s'il est plus élevé. Ces dispositions n'ont pas pour objet, par elles-mêmes, d'empêcher les contribuables propriétaires de biens fonciers de répercuter la hausse éventuelle du taux d'imposition sur le loyer qu'ils perçoivent. En outre et en tout état de cause, la requérante n'établit pas en quoi cette possibilité d'augmentation de l'imposition locale, qui est strictement encadrée pour une collectivité territoriale par le respect du seuil de deux fois et demie le taux moyen départemental ou national, présenterait un caractère excessif, pour un propriétaire loueur, constitutif d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

13. En second lieu, les dispositions précitées n'entraînent par elles-mêmes, ni privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ni liquidation d'une taxe foncière assise sur un bien qui soit supérieure à la valeur vénale de ce bien. En outre, en prévoyant les modalités de l'augmentation annuelle de la taxe foncière par un mécanisme strictement encadré par le seuil départemental ou national susmentionné, eu égard au principe de libre administration des collectivités territoriales et compte tenu de la réforme de la fiscalité locale incluant notamment la suppression partielle de la taxe d'habitation, l'objectif du législateur trouve sa justification dans la poursuite d'un objectif d'intérêt général, en n'apparaissant pas disproportionné au regard de l'objectif poursuivi.

14. Il résulte de ce qui précède que la société requérante ne peut sérieusement invoquer la violation, par les dispositions des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts, du principe d'égalité devant les charges publiques et du droit de propriété résultant des articles 13 et 17 précités de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée étant dépourvue de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : La demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions des articles 1636 B sexies et 1636 B septies du code général des impôts est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SCI Beau Site et à la directrice régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône.

Fait à Marseille, le 10 septembre 2024.

Le président de la 6ème chambre,

Signé

J.B. Brossier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

Code publication

D