Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 30 août 2024 n° 2204186

30/08/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2022, la société civile immobilière (SCI) Thalières, représentée par Mme A, demande au tribunal :

1°) la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2020 et 2021 à raison du bien dont elle est propriétaire au 151 boulevard Jean Jaurès à Boulogne-Billancourt (92) ;

2°) la remise gracieuse de ces impositions à hauteur respectivement de 8 602 euros et 3 066 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses locataires ont dû fermer leurs commerces du 17 mars au 11 mai 2020, puis du 30 octobre au 28 novembre 2020, et du 3 avril 2021 au 3 mai suivant, en raison de la pandémie de Covid, cette situation l'ayant conduite à abandonner les loyers afférents, pour les soutenir ;

- les charges sont cependant quant à elles demeurées inchangées, notamment la taxe foncière ;

- cette inexploitation ne résulte pas de sa volonté mais d'une décision gouvernementale de telle sorte qu'elle doit se voir remettre la taxe foncière au prorata de cette fermeture soit 11 668 euros ;

- un refus est contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2022, la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à titre principal la requête est tardive et ce faisant irrecevable ;

- à titre subsidiaire les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative, et notamment ses articles R. 222-19 et R. 811-1.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Bertoncini a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. En premier lieu, aux termes de l'article 1415 du code général des impôts : " La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition. " Aux termes du I de l'article 1389 du même code : " I. Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l'inexploitation a pris fin. Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible de location ou d'exploitation séparée. (...) ".

2. Ces dispositions subordonnent le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties à la condition, notamment, que la vacance de l'immeuble normalement destiné à la location soit indépendante de la volonté du propriétaire, le caractère involontaire de la vacance s'appréciant eu égard aux circonstances dans lesquelles cette vacance est intervenue et aux démarches accomplies par le propriétaire, selon les possibilités qui lui étaient offertes, en fait comme en droit, pour la prévenir ou y mettre fin. Il résulte de ces dispositions que si l'inexploitation d'un immeuble peut ouvrir droit au dégrèvement qu'elles prévoient, c'est notamment à la double condition que le contribuable utilise lui-même cet immeuble à des fins commerciales ou industrielles et que son exploitation soit interrompue du fait de circonstances indépendantes de sa volonté.

3. Il résulte de l'instruction que l'immeuble dont la requérante est propriétaire, sis au 151 boulevard Jean Jaurès à Boulogne-Billancourt, était loué à différents commerces qui ont fait l'objet de fermetures administratives du 17 mars au 11 mai 2020, puis du 30 octobre au 28 novembre 2020, et du 3 avril au 3 mai suivant, en raison de la pandémie de Covid. Si la SCI Thalières a sollicité la réduction de son imposition au prorata temporis de ces périodes au titre desquelles elle avait abandonné les loyers dus, en vertu de l'application stricte des critères posés à l'article 1389 du code général des impôts, elle ne pouvait être regardée, en 2020 et 2021, comme exploitant elle-même les locaux en litige à des fins industrielles ou commerciales. Ainsi, alors même que les décisions administratives de fermeture de certains secteurs d'activité prises afin de limiter la propagation de la Covid-19 constituent une circonstance indépendante de la volonté des commerçants qui la subissent, l'administration fiscale n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1389 du code général des impôts en refusant d'accorder le bénéfice de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2020 et 2021.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité". " Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

5. La SCI Thalières soutient qu'en limitant le bénéfice de l'exonération de taxe foncière citée aux locaux à usage commercial ou industriel utilisés par le contribuable lui-même, les dispositions du I de l'article 1389 du code général des impôts méconnaissent le principe d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 1er de la Constitution et celui d'égalité devant les charges publiques énoncé par les dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée n'a pas été présentée par un mémoire distinct et n'est par suite pas recevable. En outre, le juge de l'impôt est incompétent pour se prononcer sur la conformité à la Constitution de dispositions législatives.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : " L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence (...) ". La décision refusant une remise gracieuse peut être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir. Elle ne peut être annulée que si elle est entachée d'une erreur de droit, d'une erreur de fait, d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'un détournement de pouvoir.

7. Si la SCI Thalières peut être regardée comme demandant l'annulation de la décision par laquelle l'administration fiscale a rejeté sa demande de remise gracieuse de ses cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties en litige, elle ne produit aucun élément, relatif à l'état de ses ressources et charges, de nature à établir que cette décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation. En outre, si elle peut être regardée comme demandant au tribunal de lui accorder cette remise, il n'appartient pas au juge de l'impôt d'octroyer directement une telle remise gracieuse.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que les conclusions de la requête de la SCI Thalières aux fins de décharge ou de remise gracieuse doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ces conclusions présentées au titre des frais liés au litige.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Thalières est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SCI Thalières et au directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Bertoncini, président,

Mme Saïh, première conseillère,

Mme Cuisinier-Heissler, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 août 2024.

Le président-rapporteur,

Signé

T. BertonciniL'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau,

Signé

Z. Saïh

La greffière,

Signé

N. Magen

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,