Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 et 16 août 2024, M. A, représenté par
Me D, demande au tribunal :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2024, notifié le 17, par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pris à son encontre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) consistant, notamment, en une interdiction de se déplacer à l'extérieur du territoire de la commune de Montereau-Fault-Yonne (77), et en une obligation de se présenter une fois par jour, à 11 heures, au commissariat de police de Montereau-Fault-Yonne (77), même les dimanches et jours fériés ou chômés, pendant une durée de trois mois à compter de la notification de l'arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
M. A soutient que l'arrêté attaqué est entaché :
- d'incompétence, en ce qu'il a été signé par une personne incompétente ;
- d'un vice de procédure, dès lors que le ministre n'apporte pas la preuve que le ministère public a été informé de l'arrêté attaqué conformément à l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ;
- d'un défaut de motivation ;
- d'une erreur de droit et d'une méconnaissance du champ d'application de l'article
L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dès lors qu'une MICAS ne peut être édictée à l'encontre d'un mineur ;
- d'inexactitude matérielle des faits, d'une erreur d'appréciation et d'une méconnaissance des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il constituerait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, que les faits à l'origine d'un classement sans suite doivent faire l'objet d'un contrôle du juge administratif sur le point de savoir s'ils rentrent dans le champ matériel de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure et qu'il a été reconnu irresponsable pénalement par le procureur de la République en raison de troubles psychiatriques et de la déficience mentale altérant son discernement ;
- de disproportion par rapport à l'objectif poursuivi et d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire distinct, enregistré le 7 août 2024, M. A demande au tribunal de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité à la Constitution des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.
Il soutient :
- que ces dispositions sont législatives et applicables au litige ;
- que l'application de ces dispositions aux mineurs, admise par plusieurs juridictions de premier ressort, constitue un changement de circonstances de nature à justifier un réexamen de l'article L. 228-1 ;
- que l'article L. 228-2 n'a jamais fait l'objet d'un contrôle depuis sa modification par les articles 65 et 69 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- que la question posée est sérieuse et nouvelle, dès lors qu'en ne précisant pas si les articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure sont applicables aux personnes mineures, le législateur est resté en deçà de sa compétence et a adopté des dispositions imprécises et équivoques en méconnaissance du principe de clarté de la loi combiné avec l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, du principe d'égalité et de l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 août 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête en faisant valoir :
- que le moyen tiré du défaut d'information du procureur de la République est inopérant et en tout état de cause infondé ;
- que les autres moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par une intervention enregistrée le 12 août 2024, le Conseil national des barreaux, représenté par Me E, demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête n° 2409881.
Il soutient :
- que, ni l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, ni l'article L. 228-2 du même code, ne prévoit explicitement l'application des MICAS à des mineurs de sorte qu'aucune adaptation de la loi n'a été prévue pour prendre en compte leur vulnérabilité ;
- que ces mesures, particulièrement contraignantes sont, par principe même, contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant et aux principes généraux gouvernant la justice pénale des mineurs ;
- que l'application des MICAS aux mineurs est également contraire aux articles 3, 6, 29 et 40 de la convention internationale relative aux droits de l'enfants ;
- que l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence et de vice de procédure, d'une inexacte application des articles L. 228-1 et L. 228-2, de disproportion par rapport à l'objectif poursuivi et d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en se référant sur ces points à l'argumentation du requérant.
Par mémoire enregistré le 14 août 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a produit une copie de l'original de l'arrêté attaqué. Il n'a pas été communiqué au requérant en application de l'article L. 773-9 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et notamment ses article 21-1 et 53 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B ;
- les conclusions de M. C, rapporteur public ;
- les observations de Me D, substituant Me E, représentant le Conseil national des barreaux, qui réitère les moyens de l'intervention en soulignant notamment que l'intérêt pour intervenir doit être apprécié au cas par cas ; que l'article 38 du 27 novembre 1991 prévoit que les modalités de fonctionnement du E sont fixées par un règlement intérieur ; que c'est au regard du règlement intérieur qu'il convient d'apprécier l'intérêt à intervenir ; que, par principe, des MICAS ne peuvent être prises à l'égard des mineurs et qu'il ne peut y avoir de prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'appréciation de la proportionnalité de la mesure ;
- les observations de Me D, représentant M. A présent, qui réitère les moyens de la requête en relevant notamment que le ministre ne produit aucun élément au soutien de la note blanche, notamment en ce qui concerne la déclaration de 2020 introduite par du conditionnel ; que le classement sans suite pour irresponsabilité pénale implique que la matérialité des faits n'est pas établie ; qu'il n'a pas pu obtenir communication de la procédure pénale ; que M. A a subi des maltraitances et reçoit des soins médicaux ; qu'une visite domiciliaire a eu lieu sans résultat ; il a précisé en réponse aux questions de M. B que l'internat où le requérant souhaite être inscrit à la rentrée est situé à Villemer en Seine-et-Marne ;
- les observations de M. A qui, à l'invitation de M. B, présente son projet de formation professionnalisante à l'internat de Villemer ;
- et les observations de Mme G, mère de M. A, qui souligne que son fils a été placé
quatre ans en foyer et que les problèmes ne se sont posés qu'au foyer, pas à la maison.
Une note en délibéré présentée pour M. A a été enregistrée le 16 août 2024 après la clôture de l'instruction prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, né le 28 juillet 2006 à Tbilissi (Géorgie), demande l'annulation de l'arrêté du
16 juillet 2024, notifié le 17, par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pris à son encontre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) consistant, notamment, en une interdiction de se déplacer à l'extérieur du territoire de la commune de Montereau-Fault-Yonne et en une obligation de se présenter une fois par jour, à 11 heures, au commissariat de police de Montereau-Fault-Yonne, même les dimanches et jours fériés ou chômés, pendant une durée de trois mois à compter de la notification de l'arrêté.
Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer l'admission provisoire de M. A au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le droit applicable aux MICAS :
3. En application des articles L. 228-2, L. 228-4 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, le ministre de l'intérieur peut ordonner à une personne de se conformer à une ou plusieurs des obligations et interdictions prévues au titre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, lorsque son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme.
4. Les dispositions du 1°, du 2° et du 3° (deuxième, troisième et quatrième alinéa) de l'article L. 228-2 permettent en particulier au ministre de l'intérieur d'interdire à cette personne de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé et de lui faire obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de ce lieu. Le 1° précise que la délimitation du périmètre
au-delà duquel il est interdit de se déplacer " permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ". Le cinquième alinéa du même article permet en outre au ministre d'interdire à la personne de paraître dans certains lieux situés à l'intérieur de ce même périmètre " dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste ", la durée de cette interdiction spéciale étant alors " strictement limitée à celle de l'événement, dans la limite de trente jours ". S'agissant des " obligations prévues aux 1° à 3° ", le sixième alinéa précise qu'elles " sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre ", sauf renouvellements prononcés sous certaines conditions, dans la limite totale de douze mois, et que " Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites ".
5. En vertu de l'article L. 228-1, une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. En outre, deux conditions cumulatives doivent être réunies. D'une part, il appartient au ministre de l'intérieur d'établir " qu'il existe des raisons sérieuses de penser " que le comportement de la personne visée par la mesure " constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ". Cette menace doit nécessairement être en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme. D'autre part, il lui appartient également de prouver soit que cette personne
" entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ", soit qu'elle " soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ".
6. La nature, la durée et les modalités des mesures prononcées doivent être justifiées et proportionnées aux raisons qui les motivent et à l'ensemble de la situation personnelle ou familiale de l'intéressé dans son ensemble. A ce titre, il appartient au ministre de l'intérieur, lorsque la personne visée par les mesures est mineure, de tenir compte de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le juge administratif est chargé de s'assurer que la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
Sur les interventions du Conseil national des barreaux :
7. D'une part, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention. Une telle intervention, qui présente un caractère accessoire, n'a toutefois pas pour effet de donner à son auteur la qualité de partie à l'instance et ne saurait, de ce fait, lui conférer un droit d'accès aux pièces de la procédure. En outre, en vertu d'une règle générale de procédure dont s'inspire l'article R. 632-1 du code de justice administrative, le jugement de l'affaire principale ne peut être retardé par une intervention.
8. D'autre part, le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale régi par les dispositions de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques, a principalement pour objet de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics, d'unifier les règles et usages de la profession, de définir les principes d'organisation de la formation et d'en harmoniser les programmes.
9. En l'espèce, le présent recours soulève des questions d'ordre général quant au principe et aux conditions d'application des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) à des mineurs, mais non quant aux modalités de leur contestation. Ainsi, le Conseil national des barreaux ne justifie pas d'un intérêt de nature à le rendre recevable à intervenir au soutien du recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation des MICAS prononcées à l'encontre d'un mineur. Son intervention ne peut dès lors être admise, ni au soutien de la requête, ni - eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité - au soutien de la QPC soulevée par le requérant contre les articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
10. Il résulte de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution que les juridictions relevant du Conseil d'Etat procèdent à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat " si les conditions suivantes sont remplies : " 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure () ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".
En ce qui concerne l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure :
11. D'une part, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017, dans les motifs (points 46 et 47) de sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, et les a déclarées conformes à la Constitution dans le dispositif de cette même décision (article 4).
12. D'autre part, l'application de ces dispositions aux mineurs, admise par plusieurs juridictions de premier ressort, ne peut en tout état de cause être regardée comme un changement de circonstance de nature à justifier un réexamen de l'article L. 228-1, dès lors qu'il ressort du texte clair de cet article déjà soumis au Conseil constitutionnel que des MICAS peuvent être prises à l'égard de " toute personne " qui répond aux deux conditions cumulatives qu'il prévoit, lesquelles n'impliquent pas nécessairement que la personne soit majeure. Au demeurant, une interprétation de la loi retenue par des juridictions administratives sans avoir été soumise au Conseil d'Etat ne peut être regardée comme un changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité des dispositions contestées, ainsi qu'il résulte du considérant 9 de la décision du le Conseil constitutionnel n° 2011-120 QPC du 8 avril 2011. Le requérant ne saurait donc utilement se prévaloir de jugements de tribunal administratif pour caractériser un tel changement de circonstances.
13. Il résulte de ce qui précède que la question dirigée contre l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure ne satisfait pas à la condition prévue au 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
En ce qui concerne l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure :
14. En premier lieu, ni le cinquième alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, qui est relatif à l'interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés, laquelle n'a pas été prononcée en l'espèce, ni le septième, le huitième et le neuvième alinéa de ce même article, qui sont relatifs à la décision de renouvellement et non à la décision initiale, ne peuvent être regardés comme étant applicables au litige ou à la procédure. La question dirigée contre ces alinéas ne satisfait donc pas à la condition prévue au 1° de l'article 23-2 de l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958.
15. En deuxième lieu, eu égard aux griefs invoqués, qui mettent en cause le principe et les conditions d'application des MICAS aux mineurs, la question doit être regardée comme portant sur les quatre premiers et le sixième alinéa de l'article L. 228-2, qui précisent la nature et la durée des MICAS susceptibles d'être prononcées, et non sur le dernier alinéa du même article, qui régit exclusivement le recours juridictionnel pouvant être exercé à l'encontre de la décision prononçant initialement ces mesures.
16. En troisième lieu, les dispositions des quatre premiers alinéas et du sixième alinéa de l'article L. 228-2 dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 sont identiques aux dispositions des cinq premiers alinéas de ce même article dans sa rédaction issue de la loi
n° 2017-1510 du 30 octobre 2017. Or, dans sa décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017. Il a prononcé la censure de trois dispositions des deux derniers alinéas de cet article et a déclaré le reste de l'article - dont les cinq premiers alinéas - conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision, ainsi que l'a d'ailleurs ultérieurement constaté le Conseil constitutionnel au point 24 de sa décision
n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, qui prononce un non-lieu à statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 228-2 dans sa rédaction issue de la loi du
30 octobre 2017.
17. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 12 du présent jugement, l'application aux mineurs des dispositions des quatre premiers alinéas et du sixième alinéa de l'article L. 228-2 qui, pour leur champ d'application, se réfèrent à " la personne mentionnée à l'article L. 228-1 ", ne peut être regardée comme un changement de circonstances de nature à justifier leur réexamen par le Conseil constitutionnel.
18. Il résulte de ce qui précède que la question dirigée contre les dispositions des
quatre premiers alinéas et du sixième alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ne satisfait pas à la condition prévue au 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Sur le recours pour excès de pouvoir :
19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration ". L'article L. 773-9 du code de justice administrative dispose que : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. / Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant (), l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision ".
20. En l'espèce, l'arrêté attaqué ayant été pris pour des motifs liés à la prévention des actes de terrorisme, il est au nombre des décisions qui, en application des dispositions citées au point précédent, ne peuvent faire l'objet d'une notification que sous la forme d'une ampliation anonymisée. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a produit le 14 août 2024, dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, une copie de l'original de l'arrêté attaqué du 16 juillet 2024, qui est revêtu de l'ensemble des mentions requises par le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et notamment l'identité, la qualité de son auteur ainsi que la signature de ce dernier, lequel disposait d'une délégation pour le signer au nom du ministre. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué est infondé.
21. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué - qui, en vertu des dispositions du 1° de l'article
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, applicables aux décisions prononçant initialement des MICAS, doit être motivé - énonce l'ensemble des motifs de fait et de droit qui en constitue le fondement, en des termes qui sont suffisamment circonstanciés. Le moyen tiré du défaut de motivation est ainsi infondé.
22. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier versées au débat contradictoire que, par un courrier électronique du 13 juillet 2024, le ministre a informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent des MICAS qu'il envisageait à l'égard de M. A Le moyen tiré du défaut de cette information préalable, prévue au premier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, est par suite en tout état de cause infondé.
23. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été énoncé au point 12, il résulte des termes mêmes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que des MICAS peuvent être prises à l'égard de " toute personne " qui répond aux deux conditions cumulatives que cet article prévoit. Par suite, en l'absence de disposition législative excluant les personnes mineures de leur champ d'application, ces mesures leur sont applicables pour autant qu'elles répondent à leurs strictes conditions d'application, qui impliquent notamment d'établir " qu'il existe des raisons sérieuses de penser " que le comportement de la personne visée par la mesure " constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ". Le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a donc commis aucune erreur de droit ni méconnu le champ d'application de l'article L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure en prenant des MICAS à l'égard d'une personne mineure.
24. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments précis et circonstanciés figurant dans la " note blanche " versée au débat contradictoire, que M. A est atteint de troubles psychiatriques, qu'en juillet 2022, il a volé un véhicule de son foyer d'hébergement, et que, durant l'automne 2023, " l'intéressé s'est détaché de son cercle social, a fait montre d'agressivité ainsi que d'une appétence pour les armes à feu ". Il ressort en particulier de ces mêmes éléments que M. A a déclaré : " je déteste la France. Ils m'accusent d'inciter à la haine, mais c'est la France qui incite à la haine [] je suis prêt à tuer un policier. Comme ça, les musulmans seront fiers de moi [] ", et qu'il a aussi prétendu avoir " appelé la Syrie et l'Afghanistan plusieurs fois ", que " eux aussi m'ont rappelé pour que j'aille les voir à Paris " et qu'il souhaitait " aller remettre de l'ordre avec les talibans, la police d'Afghanistan pour que les gens obéissent à la règle ". Il résulte en outre de ces mêmes éléments qu'après ces déclarations, le juge pour enfants a prononcé une interdiction de sortie du territoire national le 4 octobre 2023, que le 26 octobre 2023, le parquet a ouvert une procédure pour apologie du terrorisme à l'encontre de l'intéressé, avant de la classer sans suite, le 29 novembre 2023, non à raison d'un doute quant à la matérialité des faits, mais pour irresponsabilité pénale, après qu'une expertise psychiatrique a conclu que l'intéressé souffre d'une déficience mentale et de troubles psychiatriques, dont il est constant qu'ils consistent en des psychoses chroniques et en une schizophrénie donnant lieu à la prescription, notamment, de zuclopenthixol, de paliperidone, de rispéridone et de cyamémazine.
25. Au regard de l'ensemble de ces éléments précis et concordants, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le ministre n'établirait pas l'existence de raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme et qu'il adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes, alors que l'irresponsabilité pénale de M. A ne permet pas d'exclure par principe une telle menace. Le moyen tiré de l'inexacte application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure est dès lors infondé.
26. Enfin, si M. A soutient que les MICAS prises à son égard seraient disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi et méconnaîtraient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, il se limite à relever, dans sa requête introductive d'instance, que les mesures prononcées ont " pour effet de l'entraver lourdement dans sa vie privée et familiale durant trois mois " et à soutenir que le ministre de l'intérieur n'aurait pas pris en compte le fait qu'il était, à la date d'édiction de l'arrêté attaqué, mineur et reconnu irresponsable pénalement en raison de troubles psychiatriques et d'une déficience mentale, alors que ces circonstances ont expressément été relevées dans l'arrêté attaqué. Si, dans son mémoire complémentaire présenté le jour de l'audience, il indique qu'il " est dans l'attente d'une place en internat pour la rentrée scolaire de septembre 2024 et souhaite s'inscrire à la mission locale qui propose des formations professionnelles pour les jeunes de 16 à 25 ans dans l'attente d'être pris en internat ", il lui appartiendra, si ces éventualités se réalisent, d'en informer le ministre de l'intérieur afin qu'il décide des modifications qui seraient nécessaires au regard de ces circonstances nouvelles. Eu égard à l'ensemble des éléments précédemment mentionnés, M. A n'est pas fondé à soutenir que les MICAS prononcées à son égard ne seraient pas adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent, à savoir prévenir la commission d'un acte de terrorisme, ni qu'elles porteraient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou méconnaîtraient l'intérêt supérieur de l'enfant.
27. Il résulte de tout ce qui précède qu'à l'exception de la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, les conclusions de la requête doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : M. A est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Les interventions du Conseil national des barreaux ne sont pas admises.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A, au ministère de l'intérieur et des outre-mer, à Me D et au Conseil national des barreaux.
Délibéré après l'audience du 16 août 2024, à laquelle siégeaient :
M. B, président-rapporteur,
Mme F, conseillère,
Mme G, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 août 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : B L'assesseure la plus ancienne,
Signé : F La greffière,
Signé : H
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,