Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 6 juin 2024, la société CPV SUN 31, représentée par Me Versini-Campinchi, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision n° 5014-24002604 en date du 23 mai 2023, par laquelle la société Electricité de France (EDF OA) entend procéder au recouvrement d'une somme de 796.179,79 euros au nom de l'Etat en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 et de son arrêté d'application du 28 décembre 2022 fixant un prix seuil, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
Elle soutient que :
- ces dispositions sont applicables au litige ;
- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;
- elles portent atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elles méconnaissent le principe de liberté contractuelle et portent atteinte au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, qui découlent des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elles méconnaissent le principe de garantie des droits énoncé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elles portent atteinte au principe d'égalité énoncé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et elles méconnaissent les exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatives aux lois de validation.
Par un mémoire en réponse, enregistré le 5 juillet 2024, EDF OA, représentée par Me Cabanes et Me Perche, déclare que les dispositions contestées sont applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution mais affirme que les questions sont dépourvues de caractère sérieux, de sorte qu'il doit être refusé de les transmettre au Conseil d'Etat.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 22 juillet 2024, la société CPV SUN 31 entend maintenir ses précédentes demandes.
Elle soutient que :
- par une ordonnance n°2301271, le tribunal administratif de Limoges a été au-delà de son office, qui consiste à se prononcer sur le point de savoir si la question est utile au règlement du litige, en refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 230 de la loi de finances pour 2024 au motif que celle-ci serait dépourvue de caractère sérieux et demande au tribunal de ne pas retenir à nouveau une telle position ;
- le Conseil constitutionnel ne s'est pas encore expressément prononcé sur la constitutionnalité des dispositions de l'article 230 de la loi de finances pour 2024 ;
- il existe une atteinte disproportionnée portée aux contrats en cours en l'absence de mécanisme de " prix seuil ", une atteinte au droit de propriété, une remise en cause des effets qui peuvent légitimement être attendus des contrats légalement conclus et une atteinte au principe d'égalité ;
- les dispositions contestées doivent être contrôlées au regard des règles constitutionnelles régissant les lois de validation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 ;
- la jurisprudence du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".
2. Aux termes de l'article R.*771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".
3. En premier lieu, la requérante soutient que l'article 230 de la loi de finances pour 2024, applicable au litige et qui n'a pas déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution, méconnaît le principe de la liberté contractuelle et porte atteinte au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues tels que garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023, jugé qu'en modifiant en cours d'exécution les modalités contractuelles déterminant le montant des reversements dus par les producteurs lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative, le législateur avait entendu " corriger les effets d'aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d'atténuer l'effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général. ". Le Conseil constitutionnel a ajouté que : " si la modification des modalités de calcul des reversements dus par les producteurs d'électricité bénéficiant d'un complément de rémunération affecte un élément essentiel de leurs contrats, il résulte de l'article L. 314-20 du code de l'énergie que leur est garantie, quelle que soit l'évolution des prix du marché, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu'à l'échéance de leur contrat. ". Il en a alors déduit que : " les dispositions contestées, en ce qu'elles reviennent sur le plafonnement auquel les producteurs pouvaient prétendre en vertu des contrats en cours, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues. ". Il s'ensuit que le moyen est dépourvu de caractère sérieux.
4. En deuxième lieu, la requérante soutient que l'article 230 de la loi de finances pour 2024 porte atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et au principe de garantie des droits découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel, en fondant sa décision d'inconstitutionnalité de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022, non pas sur ces considérations mais sur l'étendue de la compétence du législateur, a implicitement jugé que ces moyens étaient inopérants. En abrogeant cet article 38 sur le fondement de la méconnaissance, par le législateur, de sa compétence, le Conseil constitutionnel a jugé que l'inconstitutionnalité de cette disposition émanait non pas du déplafonnement rétroactif des primes négatives dues par les producteurs mais de l'absence de détermination du prix seuil en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs bénéficiant d'un complément de rémunération au titre des contrats en cours d'exécution. Ainsi, le Conseil constitutionnel n'a pas abrogé purement et simplement le texte au motif qu'il porterait atteinte au droit de propriété ou à la garantie des droits de par le déplafonnement rétroactif des primes négatives dues mais au motif que le législateur aurait dû déterminer un prix seuil à partir duquel sont calculés les reversements dus. Il s'ensuit que les moyens sont dépourvus de caractère sérieux.
5. En troisième lieu, la requérante soutient que l'article 230 de la loi de finances pour 2024 porte atteinte au principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Ce principe " implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables " (Décision n° 79-107 du 12 juillet 1979). Le principe d'égalité ne s'oppose " ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit " (Décision n°2021-923 QPC du 9 juillet 2021). La requérante estime que l'article 230 de la loi de finances pour 2024, en tant qu'il introduit une différence de traitement entre les producteurs d'électricité bénéficiant de contrats de complément de rémunération et les producteurs opérant sans ces contrats spécifiques, méconnaît le principe d'égalité. En analysant la situation des producteurs au regard de l'objectif poursuivi de lutte contre l'effet d'aubaine que représentent les prix élevés du marché et non au regard de la situation juridique dans lesquelles les producteurs étaient placés, pour les uns bénéficiant de contrats de complément de rémunération et pour les autres opérant sans ces contrats spécifiques, la requérante a commis une erreur d'interprétation du principe d'égalité. Il s'ensuit que le moyen est dépourvu de caractère sérieux.
6. En quatrième lieu, la requérante affirme que l'article 230 de la loi de finances pour 2024 méconnaît les exigences constitutionnelles émanant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatives aux lois de validation. Il apparaît que le législateur, en promulguant l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, a entendu tirer les conséquences de la décision du 26 octobre 2023 déclarant l'inconstitutionnalité de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 et n'a pas entendu promulguer une loi de validation. En tout état de cause, si la loi de finances pour 2024 pouvait être assimilée à une loi de validation, le Conseil constitutionnel avait considéré que le déplafonnement rétroactif poursuivait un " objectif d'intérêt général " dans la mesure où le législateur avait entendu " corriger les effets d'aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d'atténuer l'effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final " (Décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023), de sorte que l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'était pas méconnu. Il s'ensuit que le moyen ne présente pas de caractère sérieux.
7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions contestées seraient contraires à la Constitution ne présentent pas un caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de de la transmettre au Conseil d'Etat.
O R D O N N E :
Article 1er :Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CPV SUN 31.
Article 2 :La présente ordonnance sera notifiée à la société CPV SUN 31 et à la société Électricité de France.
Fait à Limoges le 1er août 2024.
Le président,
D. ARTUS
La République mande et ordonne
au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
Pour expédition conforme
Pour La Greffière en Cheffe
La Greffière
M. A