Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 26 juillet 2024 n° 23NT02360

26/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un mémoire distinct, enregistré le 20 juin 2024, la SAS 2CED, représentée par

Me Tailfer, demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du

7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 2000969 du

9 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes, de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 21 de la loi n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier au regard des droits et libertés.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a considéré que le rejet d'une réclamation n'étant ni un rehaussement d'imposition ni un redressement, elle ne pouvait pas bénéficier de la garantie de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales pour invoquer l'application des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts le 2 mars 2016 sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-45-10 sur les conditions d'éligibilité au crédit d'impôt innovation ;

- la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l'article 21 de la loi n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, codifiées à l'article L 80 A du livre des procédures fiscales et qui définit les modalités dans lesquelles un contribuable peut se prévaloir de l'application de la doctrine administrative ;

- dans la mesure où les sociétés en situation de déficit ne disposent d'aucun autre moyen que de procéder par voie de réclamation pour bénéficier des dispositions et obtenir le remboursement de leur crédit d'impôt innovation, ce n'est qu'au stade de la réclamation qu'elles peuvent, pour la première fois, invoquer la doctrine administrative ; or, l'article 21 de la loi

n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier prévoit que la doctrine administrative ne peut être invoquée par les contribuables que lorsque l'administration a, au préalable, engagé à l'égard des impositions en cause une procédure de rectification ou d'imposition d'office. Dès lors ces dispositions privent, dans le cadre des dispositions propres au crédit d'impôt, toute une partie des contribuables de cette garantie ;

- une société en situation de déficit qui ne peut agir que par réclamation et qui est considérée comme n'ayant pu se prévaloir de la doctrine administrative qu'au moment de cette réclamation, ne se trouvera jamais dans une situation de procédure de rectification préalable et ne pourra jamais bénéficier des garanties prévues à l'article L 80 A alinéa 3 du livre des procédures fiscales ;

- le fait de réserver la garantie de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales aux contribuables faisant l'objet d'un rehaussement d'imposition ou d'un redressement reviendrait, en matière de crédit d'impôt innovation prévu par l'article 244 quater B II k) du code général des impôts, à priver toutes les sociétés en situation de déficit d'une telle garantie créant ainsi entre les sociétés déficitaires et les sociétés bénéficiaires une rupture d'égalité caractérisée ;

- les dispositions de l'article 21 de la loi n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier doivent donc être regardées comme étant contraires à l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par un mémoire en réponse enregistré le 18 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS 2CED.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". Enfin, l'article R. 771-7 du même code dispose que : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article 21 de la loi n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier codifié à l'article L. 80 A du Livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. () Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. ()".

3. Par une décision du 19 novembre 2019, l'administration a rejeté la demande de remboursement de crédit d'impôt innovation (CII) présentée le 10 mai 2019 par la SAS 2CED sur le fondement de l'article 199 ter B du code général des impôts.

4. La société par actions simplifiée 2CED qui a entendu, à l'occasion de sa demande de remboursement du crédit d'impôt innovation, se prévaloir sur le terrain de l'article

L. 80 A du livre des procédures fiscales de la doctrine administrative BOI-BIC-RICI-10-10-45-10 interprétant les dispositions l'article 244 quater B II k) du code général des impôts, soutient que l'article 21 de la loi n° 70-601 du 9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier codifié au troisième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales rappelé au point 2 porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et notamment à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ".

Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Une demande de remboursement de crédit d'impôt innovation telle que celle présentée à l'administration le 10 mai 2019 par la SAS 2CED en application de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation contentieuse au sens de l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales. La décision de l'administration du 19 novembre 2019 refusant de rembourser un crédit d'impôt à la société SAS 2CED ne constitue, par suite, ni un rehaussement d'imposition ni un redressement.

7. Le droit que reconnaît les dispositions de l'article L. 80 A au contribuable, de se prévaloir, à l'encontre de l'administration, de l'interprétation donnée par celle-ci d'un texte fiscal, a pour seul objet de permettre au contribuable de contester le bien-fondé d'une imposition à l'établissement de laquelle l'administration a procédé en faisant usage de ses pouvoirs de contrôle et de reprise. Ainsi, la protection qu'organise l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour les entreprises faisant l'objet d'un contrôle et d'un rehaussement, n'a pas lieu de s'appliquer à des entreprises ayant déposé une réclamation, qui sont dans une situation différente.

8. Par ailleurs, contrairement à ce qu'indique la SAS 2CED, le fait pour une société d'être en situation de déficit n'est aucunement incompatible avec l'engagement d'une procédure de contrôle fiscal et le prononcé subséquent de rehaussements d'imposition qui prennent alors la forme d'une réduction de déficit. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions critiquées du troisième alinéa de l'article L. 80 A du LPF n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une différence de traitement entre les sociétés selon qu'elles sont bénéficiaires ou déficitaires.

9. Il suit de ce qui vient d'être dit que la question de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 21 de la loi n° 70-601 du

9 juillet 1970 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 80 A du Livre des procédures fiscales est dépourvue de caractère sérieux au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS 2CED, qui ne remplit pas les conditions énoncées au point 1, ne peut qu'être rejetée. Il n'y a, par suite, pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS 2CED.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS 2CED et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Fait à Nantes, le 26 juillet 2024.

Le président de la 1ère chambre

G. Quillévéré

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT02360

Code publication

D