Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B A a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard, dans l'attente du réexamen de sa situation. Par un jugement n° 2301942 du 13 juillet 2023, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a rejeté ses demandes. Par une ordonnance n° 23DA020801 du 6 décembre 2023, la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. A contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 6 février et 11 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Delamarre et Jehannin, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un mémoire, enregistré le 11 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A demande au Conseil d'État, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le droit à un recours effectif et les droits de la défense.
Le mémoire a été adressé au Premier ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment son article L. 614-6 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de M. A ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a demandé au tribunal administratif de Rouen l'annulation de l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par jugement du 13 juillet 2023, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a rejeté sa demande d'annulation comme tardive, pour avoir été présentée au-delà du délai de quarante-huit heures prévu par l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. A se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020 entrée en vigueur le 1er mai 2021 : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, aux articles L. 614-4 ou L. 614-5 ". M. A demande, à l'appui du pourvoi en cassation qu'il a formé contre l'ordonnance par laquelle la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête d'appel contre le jugement ayant rejeté sa demande de première instance comme tardive, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions citées ci-dessus du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il soutient que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours effectif et les droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elles prévoient un délai de quarante-huit heures pour saisir le tribunal administratif d'un recours contre la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
5. Aux termes de l'article L. 613-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel est notifiée une décision portant obligation de quitter le territoire français est informé, par cette notification écrite, des conditions, prévues aux articles L. 722-3 et L. 722-7, dans lesquelles cette décision peut être exécutée d'office. / Lorsque le délai de départ volontaire n'a pas été accordé, l'étranger est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix ". L'article L. 613-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs : " L'étranger auquel est notifiée une décision portant obligation de quitter le territoire français est également informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments, traduits dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des décisions qui lui sont notifiées en application des chapitres I et II ".
6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l'exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et garantir leur mise en œuvre effective. Il résulte de ces dispositions que l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ne dispose que d'un délai de quarante-huit heures suivant la notification de cette décision pour former son recours. Toutefois, les articles L. 613-3 et L. 613-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposent que, dès la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai, l'étranger soit mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. Ces mêmes dispositions imposent également que l'étranger soit informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées, traduits dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. Il appartient à l'administration d'assurer l'effectivité de l'ensemble de ces garanties, sous le contrôle du juge. D'autre part, l'étranger peut, à l'appréciation du juge et pendant le délai accordé à ce dernier pour statuer, présenter tous éléments à l'appui de sa requête. Dès lors, le délai de quarante-huit heures pour contester la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ne méconnaît pas, en lui-même, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur le pourvoi en cassation :
8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
9. Pour demander l'annulation de l'ordonnance de la cour administrative d'appel de Douai qu'il attaque, M. A soutient qu'elle est entachée :
- d'irrégularité en ce qu'elle omet de répondre aux moyens opérants tirés de ce que la décision méconnaît l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- d'une erreur de droit en ce qu'elle porte atteinte aux droits de la défense, tels qu'ils résultent notamment du droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- d'une erreur de droit en ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative ;
- d'un défaut de base légale en ce qu'elle fait application des dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : Le pourvoi n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo
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