Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 7 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision du 8 novembre 2023 par laquelle le conseil supérieur des chambres régionales des comptes, statuant en formation disciplinaire, a prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire des fonctions d'une durée de deux ans avec sursis, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 223-2 et L. 223-4 du code des juridictions financières.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des juridictions financières ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Aux termes de l'article R. 771-17 du code de justice administrative : " Lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est posée à l'appui d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat se prononce sur le renvoi de cette question au Conseil constitutionnel sans être tenu de statuer au préalable sur l'admission du pourvoi ".
2. Aux termes de l'article L. 223-2 du code des juridictions financières : " La procédure devant le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes est contradictoire. Le magistrat est informé par le président du conseil supérieur, dès la saisine de cette instance, qu'il a droit à la communication intégrale de son dossier et des pièces de l'enquête préliminaire, s'il y a été procédé, et qu'il peut se faire assister par l'un de ses pairs et par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Le président du Conseil supérieur désigne, parmi les membres du Conseil, un rapporteur qui procède, s'il y a lieu, à une enquête. Au cours de l'enquête, le rapporteur entend l'intéressé. S'il y a lieu, il entend le plaignant et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigations utiles ". Aux termes de l'article L. 223-4 du même code : " Le magistrat poursuivi a droit à la communication de son dossier, de toutes les pièces de l'enquête et du rapport établi par le rapporteur. Son conseil a droit à la communication des mêmes documents. Si le magistrat ne comparaît pas, et à moins qu'il n'en soit empêché par force majeure, il peut néanmoins être statué et la procédure est réputée contradictoire. Seuls siègent au Conseil supérieur les magistrats d'un grade égal ou supérieur à ce celui du magistrat incriminé. Après lecture du rapport, le magistrat est invité à fournir ses explications ou moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés ".
3. Les dispositions contestées des articles L. 223-2 et L. 223-4 du code des juridictions financières sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en tant qu'elles organisent l'audition du magistrat de chambre régionale des comptes poursuivi dans le cadre d'une procédure disciplinaire sans prévoir qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de garder le silence, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 223-2 et L. 223-4 du code des juridictions financières est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de M. A jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B A, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Premier président de la Cour des comptes.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 24 juillet 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo
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